La Bruyere dénonce l'hypocrisie, la comédie et les faux- semblants des courtisans son le plan religieux CONCLUSION La Cour est représente comme un pays émanger pour stigmatisen ses exces et se débauche mais surtout son hypocrisie et ses faux-semblants religieux. Malgie le fait quil donne des indications goographiques à la fin, il ne cite jamais de nan censune A
LABRUYERE â LES CARACTERES â (1688 â 1696) DE LA SOCIETE ET DE LA CONVERSATION 2iĂšme mouvement La BruyĂšre donne maintenant sa leçon au courtisan PremiĂšre analyse 1)
Cettecommune du FinistÚre a échappé de peu à l'incendie qui a dévasté les monts d'Arrée en juillet et connaßt des problÚmes d'approvisionnement en eau potable à cause de la sécheresse.
Dela sociĂ©tĂ© et de la conversation Jean de La BruyĂšre (1645-1696) Les CaractĂšres, Chapitre V, caractĂšre 7 (1688) Introduction JDLB rĂ©dige les caractĂšres en 1670. Elu Ă lâacadĂ©mie française,
LesCaractĂšres livre 5 Ă 10 contient 380 remarques sĂ©parĂ©s en 6 parties, chacune sur un thĂšme diffĂ©rent, oĂč la bruyĂšre dĂ©crit et critique la sociĂ©tĂ© qui l'entoure et Ă travers des portrait satirique dresse le portrait de lâhonnĂȘte Homme. 1 er livre: De la sociĂ©tĂ© et de la
Vay Tiá»n Online Chuyá»n KhoáșŁn Ngay. Citation Les CaractĂšres 1696, De la sociĂ©tĂ© et de la conversation, V, 76 DĂ©couvrez une citation Les CaractĂšres 1696, De la sociĂ©tĂ© et de la conversation, V, 76 - un dicton, une parole, un bon mot, un proverbe, une citation ou phrase Les CaractĂšres 1696, De la sociĂ©tĂ© et de la conversation, V, 76 issus de livres, discours ou entretiens. Une SĂ©lection de 1 citation et proverbe sur le thĂšme Les CaractĂšres 1696, De la sociĂ©tĂ© et de la conversation, V, 76. 1 citation > Citation de Jean de La BruyĂšre n° 26888 - Ajouter Ă mon carnet de citations Notez cette citation - Note moyenne sur 469 votes< Page 1/1Votre commentaire sur cette citation Citation Age Citation Animal Citation AmitiĂ© Citation Amour Citation Art Citation Avenir Citation BeautĂ© Citation Avoir Citation Bonheur Citation Conscience Citation Couple Citation Confiance Citation Courage Citation Culture Citation DĂ©sir Citation Dieu Citation Education Citation Enfant Citation Espoir Citation Etre Citation Faire Citation Famille Citation Femme Citation Guerre Citation Homme Citation Humour Citation Jeunesse Citation Joie Citation Justice Citation LibertĂ© Citation Mariage Citation MĂ©re Citation Monde Citation Morale Citation Naissance Citation Nature Citation Paix Citation Passion Citation PĂšre Citation Peur Citation Plaisir Citation Politique Citation Raison Citation Religion Citation RĂȘve Citation Richesse Citation Sagesse Citation Savoir Citation Science Citation SĂ©duction Citation SociĂ©tĂ© Citation Souffrance Citation Sport Citation Temps Citation TolĂ©rance Citation Travail Citation VĂ©ritĂ© Citation Vie Citation Vieillesse Citation Voyage ThĂšmes populaires +
Michel de MONTAIGNE LES ESSAIS - Livre I Version HTML d'aprĂšs l'Ă©dition de 1595 Table des matiĂšres du livre I Au lecteur Chapitre I Par divers moyens on arrive Ă pareille fin Chapitre II De la tristesse Chapitre III Nos affections s'emportent au delĂ de nous Chapitre IV Comme l'ĂÂąme descharge ses passions sur des objets faux, quand les vrais luy defaillent Chapitre V Si le chef d'une place assiĂ©gĂ©e doit sortir pour parlementer Chapitre VI L'heure des parlemens dangereuse Chapitre VII Que l'intention juge nos actions Chapitre VIII De l'oisivetĂ© Chapitre IX Des menteurs Chapitre X Du parler prompt ou tardif Chapitre XI Des prognostications Chapitre XII De la constance Chapitre XIII Ceremonie de l'entrevuĂ des roys Chapitre XIV On est puny pour s'opiniastrer Ă une place sans raison Chapitre XV De la punition de la courdise Chapitre XVI Un traict de quelques ambassadeurs Chapitre XVII De la peur Chapitre XVIII Qu'il ne faut juger de nostre heur qu'aprĂšs la mort Chapitre XIX Que philosopher, c'est apprendre Ă mourir Chapitre XX De la force de l'imagination Chapitre XXI Le profit de l'un est dommage de l'aultre Chapitre XXII De la coustume et de ne changer aisĂ©ment une loy receĂÂŒe Chapitre XXIII Divers evenemens de mesme conseil Chapitre XXIV Du pedantisme Chapitre XXV De l'institution des enfans Chapitre XXVI C'est folie de rapporter le vray et le faux Ă nostre suffisance Chapitre XXVII De l'amitiĂ© Chapitre XXVIII Vingt et neuf sonnets d'Estienne de La BoĂtie Chapitre XXIX De la moderation Chapitre XXX Des cannibales Chapitre XXXI Qu'il faut sobrement se mesler de juger des ordonnances divines Chapitre XXXII De fuir les voluptez au pris de la vie Chapitre XXXIII La fortune se rencontre souvent au train de la raison Chapitre XXXIV D'un defaut de nos polices Chapitre XXXV De l'usage de se vestir Chapitre XXXVI Du jeune Caton Chapitre XXXVII Comme nous pleurons et rions d'une mesme chose Chapitre XXXVIII De la solitude Chapitre XXXIX Consideration sur Ciceron Chapitre XL Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l'opinion que nous en avons Chapitre XLI De ne communiquer sa gloire Chapitre XLII De l'inequalitĂ© qui est entre nous Chapitre XLIII Des loix somptuaires Chapitre XLIV Du dormir Chapitre XLV De la bataille de Dreux Chapitre XLVI Des noms Chapitre XLVII De l'incertitude de nostre jugement Chapitre XLVIII Des destries Chapitre XLIX Des coustumes anciennes Chapitre L De Democritus et Heraclitus Chapitre LI De la vanitĂ© des paroles Chapitre LII De la parsimonie des anciens Chapitre LIII D'un mot de CĂŠsar Chapitre LIV Des vaines subtilitez Chapitre LV Des senteurs Chapitre LVI Des prieres Chapitre LVII De l'aage Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dent Chapitre suivant Au Lecteur C'EST icy un livre de bonne foy, lecteur. Il t'advertit dĂ©s l'entree, que je ne m'y suis proposĂ© aucune fin, que domestique et privee je n'y ay eu nulle consideration de ton service, ny de ma gloire mes forces ne sont pas capables d'un tel dessein. Je l'ay voĂÂŒĂ© Ă la commoditĂ© particuliere de mes parens et amis Ă ce que m'ayans perdu ce qu'ils ont Ă faire bien tost ils y puissent retrouver aucuns traicts de mes conditions et humeurs, et que par ce moyen ils nourrissent plus entiere et plus vifve, la connoissance qu'ils ont eu de moy. Si c'eust estĂ© pour rechercher la faveur du monde, je me fusse parĂ© de beautez empruntees. Je veux qu'on m'y voye en ma façon simple, naturelle et ordinaire, sans estude et artifice car c'est moy que je peins. Mes defauts s'y liront au vif, mes imperfections et ma forme naĂÂŻfve, autant que la reverence publique me l'a permis. Que si j'eusse estĂ© parmy ces nations qu'on dit vivre encore souz la douce libertĂ© des premieres loix de nature, je t'asseure que je m'y fusse tres-volontiers peint tout entier, Et tout nud. Ainsi, Lecteur, je suis moy-mesme la matiere de mon livre ce n'est pas raison que tu employes ton loisir en un subject si frivole et si vain. A Dieu donq. De Montaigne, ce 12 de juin 1580. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE PREMIER Par divers moyens on arrive Ă pareille fin LA plus commune façon d'amollir les coeurs de ceux qu'on a offencez, lors qu'ayans la vengeance en main, ils nous tiennent Ă leur mercy, c'est de les esmouvoir par submission, Ă commiseration et Ă pitiĂ© Toutesfois la braverie, la constance, et la resolution, moyens tous contraires, ont quelquesfois servy Ă ce mesme effect. Edouard Prince de Galles, celuy qui regenta si long temps nostre Guienne personnage duquel les conditions et la fortune ont beaucoup de notables parties de grandeur ; ayant estĂ© bien fort offencĂ© par les Limosins, et prenant leur ville par force, ne peut estre arrestĂ© par les cris du peuple, et des femmes, et enfans abandonnez Ă la boucherie, luy criants mercy, et se jettans Ă ses pieds jusqu'Ă ce que passant tousjours outre dans la ville, il apperçeut trois gentils-hommes François, qui d'une hardiesse incroyable soustenoient seuls l'effort de son armee victorieuse. La consideration et le respect d'une si notable vertu, reboucha premierement la pointe de sa cholere et commença par ces trois, Ă faire misericorde Ă tous les autres habitans de la ville. Scanderberch, Prince de l'Epire, suyvant un soldat des siens pour le tuer, et ce soldat ayant essayĂ© par toute espece d'humilitĂ© et de supplication de l'appaiser, se resolut Ă toute extremitĂ© de l'attendre l'espee au poing cette sienne resolution arresta sus bout la furie de son maistre, qui pour luy avoir veu prendre un si honorable party, le reçeut en grace. Cet exemple pourra souffrir autre interpretation de ceux, qui n'auront leu la prodigieuse force et vaillance de ce Prince lĂ . L'Empereur Conrad troisiesme, ayant assiegĂ© Guelphe Duc de Bavieres, ne voulut condescendre Ă plus douces conditions, quelques viles et lasches satisfactions qu'on luy offrist, que de permettre seulement aux gentils-femmes qui estoient assiegees avec le Duc, de sortir leur honneur sauve, Ă pied, avec ce qu'elles pourroient emporter sur elles. Elles d'un coeur magnanime, s'adviserent de charger sur leurs espaules leurs maris, leurs enfans, et le Duc mesme. L'Empereur print si grand plaisir Ă voir la gentillesse de leur courage, qu'il en pleura d'aise, et amortit toute cette aigreur d'inimitiĂ© mortelle et capitale qu'il avoit portee contre ce Duc et dĂ©s lors en avant traita humainement luy et les siens. L'un et l'autre de ces deux moyens m'emporteroit aysement car j'ay une merveilleuse laschetĂ© vers la misĂ©ricorde et mansuetude Tant y a, qu'Ă mon advis, je serois pour me rendre plus naturellement Ă la compassion, qu'Ă l'estimation. Si est la pitiĂ© passion vitieuse aux Stoiques Ils veulent qu'on secoure les affligez, mais non pas qu'on flechisse et compatisse avec eux. Or ces exemples me semblent plus Ă propos, d'autant qu'on voit ces ames assaillies et essayees par ces deux moyens, en soustenir l'un sans s'esbranler, et courber sous l'autre. Il se peut dire, que de rompre son coeur Ă la commiseration, c'est l'effet de la facilitĂ©, debonnairetĂ©, et mollesse d'oĂÂč il advient que les natures plus foibles, comme celles des femmes, des enfans, et du vulgaire, y sont plus subjettes. Mais ayant eu Ă desdaing les larmes et les pleurs de se rendre Ă la seule reverence de la saincte image de la vertu, que c'est l'effect d'une ame forte et imployable, ayant en affection et en honneur une vigueur masle, et obstinee. Toutesfois Ă©s ames moins genereuses, l'estonnement et l'admiration peuvent faire naistre un pareil effect Tesmoin le peuple Thebain, lequel ayant mis en Justice d'accusation capitale, ses capitaines, pour avoir continuĂ© leur charge outre le temps qui leur avoit estĂ© prescript et preordonnĂ©, absolut Ă toute peine Pelopidas, qui plioit sous le faix de telles objections, et n'employoit Ă se garantir que requestes et supplications et au contraire Epaminondas, qui vint Ă raconter magnifiquement les choses par luy faites, et Ă les reprocher au peuple d'une façon fiere et arrogante, il n'eut pas le coeur de prendre seulement les balotes en main, et se departit l'assemblee louant grandement la hautesse du courage de ce personnage. Dionysius le vieil, apres des longueurs et difficultĂ©s extremes, ayant prins la ville de Rege, et en icelle le Capitaine Phyton, grand homme de bien, qui l'avoit si obstinĂ©ement defendue, voulut en tirer un tragique exemple de vengeance. Il luy dict premierement, comment le jour avant, il avoit faict noyer son fils, et tous ceux de sa parentĂ©. A quoy Phyton respondit seulement, qu'ils en estoient d'un jour plus heureux que luy. Apres il le fit despouiller, et saisir Ă des Bourreaux, et le trainer par la ville, en le fouĂttant tres ignominieusement et cruellement et en outre le chargeant de felonnes parolles et contumelieuses. Mais il eut le courage tousjours constant, sans se perdre. Et d'un visage ferme, alloit au contraire ramentevant Ă haute voix, l'honorable et glorieuse cause de sa mort, pour n'avoir voulu rendre son paĂÂŻs entre les mains d'un tyran le menaçant d'une prochaine punition des dieux. Dionysius, lisant dans les yeux de la commune de son armee, qu'au lieu de s'animer des bravades de cet ennemy vaincu, au mespris de leur chef, et de son triomphe elle alloit s'amollissant par l'estonnement d'une si rare vertu, et marchandoit de se mutiner, et mesmes d'arracher Phyton d'entre les mains de ses sergens, feit cesser ce martyre et Ă cachettes l'envoya noyer en la mer. Certes c'est un subject merveilleusement vain, divers, et ondoyant, que l'homme il est malaisĂ© d'y fonder jugement constant et uniforrme. Voyla Pompeius qui pardonna Ă toute la ville des Mamertins, contre laquelle il estoit fort animĂ©, en consideration de la vertu et magnanimitĂ© du citoyen Zenon, qui se chargeoit seul de la faute publique, et ne requeroit autre grace que d'en porter seul la peine. Et l'hoste de Sylla, ayant usĂ© en la ville de Peruse de semblable vertu, n'y gaigna rien, ny pour soy, ny pour les autres. Et directement contre mes premiers exemples, le plus hardy des hommes et si gratieux aux vaincus Alexandre, forçant apres beaucoup de grandes difficultez la ville de Gaza, rencontra Betis qui y commandoit, de la valeur duquel il avoit, pendant ce siege, senty des preuves merveilleuses, lors seul, abandonnĂ© des siens, ses armes despecees, tout couvert de sang et de playes, combatant encores au milieu de plusieurs Macedoniens, qui le chamailloient de toutes parts et luy dit, tout piquĂ© d'une si chere victoire car entre autres dommages, il avoit receu deux fresches blessures sur sa personne Tu ne mourras pas comme tu as voulu, Betis fais estat qu'il te faut souffrir toutes les sortes de tourmens qui se pourront inventer contre un captif. L'autre, d'une mine non seulement asseuree, mais rogue et altiere, se tint sans mot dire Ă ces menaces. Lors Alexandre voyant l'obstination Ă se taire A il flechy un genouil ? luy est-il eschappĂ© quelque voix suppliante ? Vrayement je vainqueray ce silence et si je n'en puis arracher parole, j'en arracheray au moins du gemissement. Et tournant sa cholere en rage, commanda qu'on luy perçast les talons, et le fit ainsi trainer tout vif, deschirer et desmembrer au cul d'une charrette. Seroit-ce que la force de courage luy fust si naturelle et commune, que pour ne l'admirer point, il la respectast moins ? ou qu'il l'estimast si proprement sienne, qu'en cette hauteur il ne peust souffrir de la veoir en un autre, sans le despit d'une passion envieuse ? ou que l'impetuositĂ© naturelle de sa cholere fust incapable d'opposition ? De vray, si elle eust receu bride, il est Ă croire, qu'en la prinse et desolation de la ville de Thebes elle l'eust receue Ă veoir cruellement mettre au fil de l'espee tant de vaillans hommes, perdus, et n'ayans plus moyen de defence publique. Car il en fut tuĂ© bien six mille, desquels nul ne fut veu ny fuiant, ny demandant mercy. Au rebours cerchans, qui çà , qui lĂ , par les rues, Ă affronter les ennemis victorieux les provoquans Ă les faire mourir d'une mort honorable. Nul ne fut veu, qui n'essaiast en son dernier souspir, de se venger encores et Ă tout les armes du desespoir consoler sa mort en la mort de quelque ennemy. Si ne trouva l'affliction de leur vertu aucune pitiĂ© et ne suffit la longueur d'un jour Ă assouvir sa vengeance. Ce carnage dura jusques Ă la derniere goute de sang espandable et ne s'arresta qu'aux personnes desarmĂ©es, vieillards, femmes et enfants, pour en tirer trente mille esclaves. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE II De la Tristesse JE suis des plus exempts de cette passion, et ne l'ayme ny l'estime quoy que le monde ayt entrepris, comme Ă prix faict, de l'honorer de faveur particuliere. Ils en habillent la sagesse, la vertu, la conscience. Sot et vilain ornement. Les Italiens ont plus sortablement baptisĂ© de son nom la malignitĂ©. Car c'est une qualitĂ© tousjours nuisible, tousjours folle et comme tousjours couarde et basse, les StoĂÂŻciens en defendent le sentiment Ă leurs sages. Mais le conte dit que Psammenitus Roy d'Ăâ gypte, ayant estĂ© deffait et pris par Cambysez Roy de Perse, voyant passer devant luy sa fille prisonniere habillee en servante, qu'on envoyoit puiser de l'eau, tous ses amis pleurans et lamentans autour de luy, se tint coy sans mot dire, les yeux fichez en terre et voyant encore tantost qu'on menoit son fils Ă la mort, se maintint en cette mesme contenance mais qu'ayant apperçeu un de ses domestiques conduit entre les captifs, il se mit Ă battre sa teste, et mener un dueil extreme. Cecy se pourroit apparier Ă ce qu'on vid dernierement d'un Prince des nostres, qui ayant ouy Ă Trente, oĂÂč il estoit, nouvelles de la mort de son frere aisnĂ©, mais un frere en qui consistoit l'appuy et l'honneur de toute sa maison, et bien tost apres d'un puisnĂ©, sa seconde esperance, et ayant soustenu ces deux charges d'une constance exemplaire, comme quelques jours apres un de ses gens vint Ă mourir, il se laissa emporter Ă ce dernier accident ; et quitant sa resolution, s'abandonna au dueil et aux regrets ; en maniere qu'aucuns en prindrent argument, qu'il n'avoit estĂ© touchĂ© au vif que de cette derniere secousse mais Ă la veritĂ© ce fut, qu'estant d'ailleurs plein et comblĂ© de tristesse, la moindre sur-charge brisa les barrieres de la patience. Il s'en pourroit di-je autant juger de nostre histoire, n'estoit qu'elle adjouste, que Cambyses s'enquerant Ă Psammenitus, pourquoy ne s'estant esmeu au malheur de son filz et de sa fille, il portoit si impatiemment celuy de ses amis C'est, respondit-il, que ce seul dernier desplaisir se peut signifier par larmes, les deux premiers surpassans de bien loin tout moyen de se pouvoir exprimer. A l'aventure reviendroit Ă ce propos l'invention de cet ancien peintre, lequel ayant Ă representer au sacrifice de Iphigenia le dueil des assistans, selon les degrez de l'interest que chacun apportoit Ă la mort de cette belle fille innocente ayant espuisĂ© les derniers efforts de son art, quand ce vint au pere de la vierge, il le peignit le visage couvert, comme si nulle contenance ne pouvoit rapporter ce degrĂ© de dueil. Voyla pourquoy les PoĂtes feignent cette miserable mere NiobĂ©, ayant perdu premierement sept filz, et puis de suite autant de filles, sur-chargee de pertes, avoir estĂ© en fin transmuee en rocher, diriguisse malis, pour exprimer cette morne, muette et sourde stupiditĂ©, qui nous transsit, lors que les accidens nous accablent surpassans nostre portee. De vray, l'effort d'un desplaisir, pour estre extreme, doit estonner toute l'ame, et luy empescher la libertĂ© de ses actions Comme il nous advient Ă la chaude alarme d'une bien mauvaise nouvelle, de nous sentir saisis, transsis, et comme perclus de tous mouvemens de façon que l'ame se relaschant apres aux larmes et aux plaintes, semble se desprendre, se desmeller, et se mettre plus au large, et Ă son aise, Et via vix tandem voci laxata dolore est. En la guerre que le Roy Ferdinand mena contre la veufve du Roy Jean de Hongrie, autour de Bude, un gendarme fut particulierement remerquĂ© de chacun, pour avoir excessivement bien faict de sa personne, en certaine meslee et incognu, hautement louĂ©, et plaint y estant demeurĂ©. Mais de nul tant que de RaiscĂÂŻac seigneur Allemand, esprins d'une si rare vertu le corps estant rapportĂ©, cetuicy d'une commune curiositĂ©, s'approcha pour voir qui c'estoit et les armes ostees au trespassĂ©, il reconut son fils. Cela augmenta la compassion aux assistans luy seul, sans rien dire, sans siller les yeux, se tint debout, contemplant fixement le corps de son fils jusques Ă ce que la vehemence de la tristesse, aiant accablĂ© ses esprits vitaux, le porta roide mort par terre. Chi puo dir com'egli arde Ăš in picciol fuoco, disent les amoureux, qui veulent representer une passion insupportable misero quod omnes Eripit sensus mihi. Nam simul te Lesbia aspexi, nihil est super mi Quod loquar amens. Lingua sed torpet, tenuis sub artus Flamma dimanat, sonitu suopte Tinniunt aures, gemina teguntur Lumina nocte. Aussi n'est ce pas en la vive, et plus cuysante chaleur de l'accĂ©s, que nous sommes propres Ă desployer nos plaintes et nos persuasions l'ame est lors aggravee de profondes pensees, et le corps abbatu et languissant d'amour. Et de lĂ s'engendre par fois la defaillance fortuite, qui surprent les amoureux si hors de saison ; et cette glace qui les saisit par la force d'une ardeur extreme, au giron mesme de la jouĂÂŻssance. Toutes passions qui se laissent gouster, et digerer, ne sont que mediocres, CurĂŠ leves loquuntur, ingentes stupent. La surprise d'un plaisir inesperĂ© nous estonne de mesme, Ut me conspexit venientem, Et TroĂÂŻa circum Arma amens vidit, magnis exterrita monstris, Diriguit visu in medio, calor ossa reliquit, Labitur, et longo vix tandem tempore fatur. Outre la femme Romaine, qui mourut surprise d'aise de voir son fils revenu de la routte de Cannes Sophocles et Denis le Tyran, qui trespasserent d'aise et Talva qui mourut en Corsegue, lisant les nouvelles des honneurs que le Senat de Rome luy avoit decernez. Nous tenons en nostre siecle, que le Pape Leon dixiesme ayant estĂ© adverty de la prinse de Milan, qu'il avoit extremement souhaittee, entra en tel excez de joye, que la fievre l'en print, et en mourut. Et pour un plus notable tesmoignage de l'imbecillitĂ© humaine, il a estĂ© remerquĂ© par les anciens, que Diodorus le Dialecticien mourut sur le champ, espris d'une extreme passion de honte, pour en son escole, et en public, ne se pouvoir desvelopper d'un argument qu'on luy avoit faict. Je suis peu en prise de ces violentes passions J'ay l'apprehension naturellement dure ; et l'encrouste et espessis tous les jours par discours. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE III Nos affections s'emportent au delĂ de nous CEUX qui accusent les hommes d'aller tousjours beant apres les choses futures, et nous apprennent Ă nous saisir des biens presens, et nous rassoir en ceux-lĂ comme n'ayants aucune prise sur ce qui est Ă venir, voire assez moins que nous n'avons sur ce qui est passĂ©, touchent la plus commune des humaines erreurs s'ils osent appeller erreur, chose Ă quoy nature mesme nous achemine, pour le service de la continuation de son ouvrage, nous imprimant, comme assez d'autres, cette imagination fausse, plus jalouse de nostre action, que de nostre science. Nous ne sommes jamais chez nous, nous sommes tousjours au delĂ . La crainte, le desir, l'esperance, nous eslancent vers l'advenir et nous desrobent le sentiment et la consideration de ce qui est, pour nous amuser Ă ce qui sera, voire quand nous ne serons plus. Calamitosus est animus futuri anxius. Ce grand precepte est souvent alleguĂ© en Platon, Ă Fay ton faict, et te congnoy. Ă» Chascun de ces deux membres enveloppe generallement tout nostre devoir et semblablement enveloppe son compagnon. Qui auroit Ă faire son faict, verroit que sa premiere leçon, c'est cognoistre ce qu'il est, et ce qui luy est propre. Et qui se cognoist, ne prend plus l'estranger faict pour le sien s'ayme, et se cultive avant toute autre chose refuse les occupations superflues, et les pensees, et propositions inutiles. Comme la folie quand on luy octroyera ce qu'elle desire, ne sera pas contente aussi est la sagesse contente de ce qui est present, ne se desplait jamais de soy. Epicurus dispense son sage de la prevoyance et soucy de l'advenir. Entre les loix qui regardent les trespassez, celle icy me semble autant solide, qui oblige les actions des Princes Ă estre examinees apres leur mort Ils sont compagnons, sinon maistres des loix ce que la Justice n'a peu sur leurs testes, c'est raison qu'elle l'ayt sur leur reputation, et biens de leurs successeurs choses que souvent nous preferons Ă la vie. C'est une usance qui apporte des commoditez singulieres aux nations oĂÂč elle est observee, et desirable Ă tous bons Princes qui ont Ă se plaindre de ce, qu'on traitte la memoire des meschants comme la leur. Nous devons la subjection et obeĂÂŻssance egalement Ă tous Rois car elle regarde leur office mais l'estimation, non plus que l'affection, nous ne la devons qu'Ă leur vertu. Donnons Ă l'ordre politique de les souffrir patiemment, indignes de celer leurs vices d'aider de nostre recommandation leurs actions indifferentes, pendant que leur auctoritĂ© a besoin de nostre appuy. Mais nostre commerce finy, ce n'est pas raison de refuser Ă la justice, et Ă nostre libertĂ©, l'expression de noz vrays ressentiments. Et nommĂ©ment de refuser aux bons subjects, la gloire d'avoir reveremment et fidellement servi un maistre, les imperfections duquel leur estoient si bien cognues frustrant la posteritĂ© d'un si utile exemple. Et ceux, qui, par respect de quelque obligation privee, espousent iniquement la memoire d'un Prince mesloĂÂŒable, font justice particuliere aux despends de la justice publique. Titus Livius dict vray, que le langage des hommes nourris sous la RoyautĂ©, est tousjours plein de vaines ostentations et faux tesmoignages chascun eslevant indifferemment son Roy, Ă l'extreme ligne de valeur et grandeur souveraine. On peult reprouver la magnanimitĂ© de ces deux soldats, qui respondirent Ă Neron, Ă sa barbe, l'un enquis de luy, pourquoy il luy vouloit mal Je t'aimoy quand tu le valois mais despuis que tu Ă©s devenu parricide, boutefeu, basteleur, cochier, je te hay, comme tu merites. L'autre, pourquoy il le vouloit tuer ; Par ce que je ne trouve autre remede Ă tes continuels malefices. Mais les publics et universels tesmoignages, qui apres sa mort ont estĂ© rendus, et le seront Ă tout jamais, Ă luy, et Ă tous meschans comme luy, de ses tiranniques et vilains deportements, qui de sain entendement les peut reprouver ? Il me desplaist, qu'en une si saincte police que la Lacedemonienne, se fust meslĂ©e une si feinte ceremonie Ă la mort des Roys. Tous les confederez et voysins, et tous les Ilotes, hommes, femmes, pesle-mesle, se descoupoient le front, pour tesmoignage de deuil et disoient en leurs cris et lamentations, que celuy la, quel qu'il eust estĂ©, estoit le meilleur Roy de tous les leurs attribuants au reng, le los qui appartenoit au merite ; et, qui appartient au premier merite, au postreme et dernier reng. Aristote, qui remue toutes choses, s'enquiert sur le mot de Solon, Que nul avant mourir ne peut estre dict heureux, Si celuy la mesme, qui a vescu, et qui est mort Ă souhait, peut estre dict heureux, si sa renommee va mal, si sa posteritĂ© est miserable. Pendant que nous nous remuons, nous nous portons par preoccupation oĂÂč il nous plaist mais estant hors de l'estre, nous n'avons aucune communication avec ce qui est. Et seroit meilleur de dire Ă Solon, que jamais homme n'est donc heureux, puis qu'il ne l'est qu'apres qu'il n'est plus. Quisquam Vix radicitus Ăš vita se tollit, et ejicit Sed facit esse sui quiddam super inscius ipse, Nec removet satis Ă projecto corpore sese, et Vindicat. Bertrand du Glesquin mourut au siege du chasteau de Rancon, pres du Puy en Auvergne les assiegez s'estans rendus apres, furent obligez de porter les clefs de la place sur le corps du trespassĂ©. Barthelemy d'Alviane, General de l'armee des Venitiens, estant mort au service de leurs guerres en la Bresse, et son corps ayant estĂ© rapportĂ© Ă Venise par le Veronois, terre ennemie la pluspart de ceux de l'armee estoient d'advis, qu'on demandast sauf-conduit pour le passage Ă ceux de Veronne mais Theodore Trivulce y contredit ; et choisit plustost de le passer par vive force, au hazard du combat n'estant convenable, disoit-il, que celuy qui en sa vie n'avoit jamais eu peur de ses ennemis, estant mort fist demonstration de les craindre. De vray, en chose voisine, par les loix Grecques, celuy qui demandoit Ă l'ennemy un corps pour l'inhumer, renonçoit Ă la victoire, et ne luy estoit plus loisible d'en dresser trophee Ă celuy qui en estoit requis, c'estoit tiltre de gain. Ainsi perdit Nicias l'avantage qu'il avoit nettement gaignĂ© sur les Corinthiens et au rebours, Agesilaus asseura celuy qui luy estoit bien doubteusement acquis sur les BĂŠotiens. Ces traits se pourroient trouver estranges, s'il n'estoit receu de tout temps, non seulement d'estendre le soing de nous, au delĂ cette vie, mais encore de croire, que bien souvent les faveurs celestes nous accompaignent au tombeau, et continuent Ă nos reliques. Dequoy il y a tant d'exemples anciens, laissant Ă part les nostres, qu'il n'est besoing que je m'y estende. Edouard premier Roy d'Angleterre, ayant essayĂ© aux longues guerres d'entre luy et Robert Roy d'Escosse, combien sa presence donnoit d'advantage Ă ses affaires, rapportant tousjours la victoire de ce qu'il entreprenoit en personne ; mourant, obligea son fils par solennel serment, Ă ce qu'estant trespassĂ©, il fist bouillir son corps pour desprendre sa chair d'avec les os, laquelle il fit enterrer et quant aux os, qu'il les reservast pour les porter avec luy, et en son armee, toutes les fois qu'il luy adviendroit d'avoir guerre contre les Escossois comme si la destinee avoit fatalement attachĂ© la victoire Ă ses membres. Jean Vischa, qui troubla la Boheme pour la deffence des erreurs de VViclef, voulut qu'on l'escorchast apres sa mort, et de sa peau qu'on fist un tabourin Ă porter Ă la guerre contre ses ennemis estimant que cela ayderoit Ă continuer les advantages qu'il avoit eux aux guerres, par luy conduictes contre eux. Certains Indiens portoient ainsi au combat contre les Espagnols ; les ossemens d'un de leurs Capitaines, en consideration de l'heur qu'il avoit eu en vivant. Et d'autres peuples en ce mesme monde, trainent Ă la guerre les corps des vaillans hommes, qui sont morts en leurs batailles, pour leur servir de bonne fortune et d'encouragement. Les premiers exemples ne reservent au tombeau, que la reputation acquise par leurs actions passees mais ceux-cy y veulent encore mesler la puissance d'agir. Le faict du Capitaine Bayard est de meilleure composition, lequel se sentant blessĂ© Ă mort d'une harquebusade dans le corps, conseillĂ© de se retirer de la meslee, respondit qu'il ne commenceroit point sur sa fin Ă tourner le dos Ă l'ennemy et ayant combatu autant qu'il eut de force, se sentant defaillir, et eschapper du cheval, commanda Ă son maistre d'hostel, de le coucher au pied d'un arbre mais que ce fust en façon qu'il mourust le visage tournĂ© vers l'ennemy comme il fit. Il me faut adjouster cet autre exemple aussi remarquable pour cette consideration, que nul des precedens. L'Empereur Maximilian bisayeul du Roy Philippes, qui est Ă present, estoit Prince douĂ© de tout plein de grandes qualitez, et entre autres d'une beautĂ© de corps singuliere mais parmy ces humeurs, il avoit ceste cy bien contraire Ă celle des Princes, qui pour despescher les plus importants affaires, font leur throsne de leur chaire percee c'est qu'il n'eut jamais valet de chambre, si privĂ©, Ă qui il permist de le voir en sa garderobbe Il se desroboit pour tomber de l'eau, aussi religieux qu'une pucelle Ă ne descouvrir ny Ă Medecin ny Ă qui que ce fust les parties qu'on a accoustumĂ© de tenir cachees. Moy qui ay la bouche si effrontee, suis pourtant par complexion touchĂ© de cette honte Si ce n'est Ă une grande suasion de la necessitĂ© ou de la voluptĂ©, je ne communique gueres aux yeux de personne, les membres et actions, que nostre coustume ordonne estre couvertes J'y souffre plus de contrainte que je n'estime bien seant Ă un homme, et sur tout Ă un homme de ma profession Mais luy en vint Ă telle superstition, qu'il ordonna par parolles expresses de son testament, qu'on luy attachast des calessons, quand il seroit mort. Il devoit adjouster par codicille, que celuy qui les luy monteroit eust les yeux bandez. L'ordonnance que Cyrus faict Ă ses enfans, que ny eux, ny autre, ne voye et touche son corps, apres que l'ame en sera separee je l'attribue Ă quelque siene devotion Car et son Historien et luy, entre leurs grandes qualitez, ont semĂ© par tout le cours de leur vie, un singulier soin et reverence Ă la religion. Ce conte me despleut, qu'un grand me fit d'un mien alliĂ©, homme assez cogneu et en paix et en guerre. C'est que mourant bien vieil en sa cour, tourmentĂ© de douleurs extremes de la pierre, il amusa toutes ses heures dernieres avec un soing vehement, Ă disposer l'honneur et la ceremonie de son enterrement et somma toute la noblesse qui le visitoit, de luy donner parolle d'assister Ă son convoy. A ce Prince mesme, qui le vid sur ces derniers traits, il fit une instante supplication que sa maison fust commandee de s'y trouver ; employant plusieurs exemples et raisons, Ă prouver que c'estoit chose qui appartenoit Ă un homme de sa sorte et sembla expirer content ayant retirĂ© cette promesse, et ordonnĂ© Ă son grĂ© la distribution, et ordre de sa montre. Je n'ay guere veu de vanitĂ© si perseverante. Cette autre curiositĂ© contraire, en laquelle je n'ay point aussi faute d'exemple domestique, me semble germaine Ă ceste-cy d'aller se soignant et passionnant Ă ce dernier poinct, Ă regler son convoy, Ă quelque particuliere et inusitee parsimonie, Ă un serviteur et une lanterne. Je voy louer cett'humeur, et l'ordonnance de Marcus Ăâ mylius Lepidus, qui deffendit Ă ses heritiers d'employer pour luy les ceremonies qu'on avoit accoustumĂ© en telles choses. Est-ce encore temperance et frugalitĂ©, d'eviter la despence et la voluptĂ©, desquelles l'usage et la cognoissance nous est imperceptible ? Voila une aisee reformation et de peu de coust. S'il estoit besoin d'en ordonner, je seroy d'advis, qu'en celle lĂ , comme en toutes actions de la vie, chascun en rapportast la regle, au degrĂ© de sa fortune. Et le Philosophe Lycon prescrit sagement Ă ses amis, de mettre son corps oĂÂč ils adviseront pour le mieux et quant aux funerailles, de les faire ny superflues ny mechaniques. Je lairrois purement la coustume ordonner de cette ceremonie, et m'en remettray Ă la discretion des premiers Ă qui je tomberay en charge. Totus hic locus est contemnendus in nobis, non negligendus in nostris. Et est sainctement dict Ă un sainct Curatio funeris, conditio sepulturĂŠ, pompa exequiarum, magis sunt vivorum solatia, quĂ m subsidia mortuorum. Pourtant Socrates Ă Criton, qui sur l'heure de sa fin luy demande, comment il veut estre enterrĂ© Comme vous voudrez, respond-il. Si j'avois Ă m'en empescher plus avant, je trouverois plus galand, d'imiter ceux qui entreprennent vivans et respirans, jouyr de l'ordre et honneur de leur sepulture et qui se plaisent de voir en marbre leur morte contenance. Heureux qui sachent resjouyr et gratifier leur sens par l'insensibilitĂ©, et vivre de leur mort ! A peu, que je n'entre en haine irreconciliable contre toute domination populaire quoy qu'elle me semble la plus naturelle et equitable quand il me souvient de cette inhumaine injustice du peuple Athenien de faire mourir sans remission, et sans les vouloir seulement ouĂÂŻr en leurs defenses, ces braves capitaines, venants de gaigner contre les Lacedemoniens la bataille navalle pres les Isles Arginenses la plus contestee, la plus forte bataille, que les Grecs aient onques donnee en mer de leurs forces par ce qu'apres la victoire, ils avoient suivy les occasions que la loy de la guerre leur presentoit, plustost que de s'arrester Ă recueillir et inhumer leurs morts. Et rend cette execution plus odieuse, le faict de Diomedon. Cettuy cy est l'un des condamnez, homme de notable vertu, et militaire et politique lequel se tirant avant pour parler, apres avoir ouy l'arrest de leur condemnation, et trouvant seulement lors temps de paisible audience, au lieu de s'en servir au bien de sa cause, et Ă descouvrir l'evidente iniquitĂ© d'une si cruelle conclusion, ne representa qu'un soin de la conservation de ses juges priant les Dieux de tourner ce jugement Ă leur bien, et Ă fin que, par faute de rendre les voeux que luy et ses compagnons avoient vouĂ©, en recognoissance d'une si illustre fortune, ils n'attirassent l'ire des Dieux sur eux les advertissant quels voeux c'estoient. Et sans dire autre chose, et sans marchander, s'achemina de ce pas courageusement au supplice. La fortune quelques annees apres les punit de mesme pain souppe. Car Chabrias capitaine general de leur armee de mer, ayant eu le dessus du combat contre Pollis Admiral de Sparte, en l'isle de Naxe, perdit le fruict tout net et content de sa victoire, tres-important Ă leurs affaires, pour n'encourir le malheur de cet exemple, et pour ne perdre peu de corps morts de ses amis, qui flottoyent en mer ; laissa voguer en sauvetĂ© un monde d'ennemis vivants, qui depuis leur feirent bien acheter cette importune superstition. Quoeris, quo jaceas, post obitum, loco ? Quo non nata jacent. Cet autre redonne le sentiment du repos, Ă un corps sans ame, Neque sepulcrum, quo recipiat, habeat portum corporis Ubi, remissa humana vita, corpus requiescat Ă malis. Tout ainsi que nature nous faict voir, que plusieurs choses mortes ont encore des relations occultes Ă la vie. Le vin s'altere aux caves, selon aucunes mutations des saisons de sa vigne. Et la chair de venaison change d'estat aux saloirs et de goust, selon les loix de la chair vive, Ă ce qu'on dit. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE IV Comme l'ame descharge ses passions sur des objects faux, quand les vrais luy defaillent UN gentilhomme des nostres merveilleusement subject Ă la goutte, estant pressĂ© par les medecins de laisser du tout l'usage des viandes salees, avoit accoustumĂ© de respondre plaisamment, que sur les efforts et tourments du mal, il vouloit avoir Ă qui s'en prendre ; et que s'escriant et maudissant tantost le cervelat, tantost la langue de boeuf et le jambon, il s'en sentoit d'autant allegĂ©. Mais en bon escient, comme le bras estant haussĂ© pour frapper, il nous deult si le coup ne rencontre, et qu'il aille au vent aussi que pour rendre une veuĂ plaisante, il ne faut pas qu'elle soit perduĂ et escartee dans le vague de l'air, ains qu'elle ayt butte pour la soustenir Ă raisonnable distance, Ventus ut amittit vires, nisi robore densĂŠ Occurrant silvĂŠ spatio diffusus inani, de mesme il semble que l'ame esbranlee et esmeuĂ se perde en soy-mesme, si on ne luy donne prinse et faut tousjours luy fournir d'object oĂÂč elle s'abutte et agisse. Plutarque dit Ă propos de ceux qui s'affectionnent aux guenons et petits chiens, que la partie amoureuse qui est en nous, Ă faute de prise legitime, plustost que de demeurer en vain, s'en forge ainsin une faulce et frivole. Et nous voyons que l'ame en ses passions se pipe plustost elle mesme, se dressant un faux subject et fantastique, voire contre sa propre creance, que de n'agir contre quelque chose. Ainsin emporte les bestes leur rage Ă s'attaquer Ă la pierre et au fer, qui les a blessees et Ă se venger Ă belles dents sur soy-mesmes du mal qu'elles sentent, Pannonis haud aliter post ictum sĂŠvior ursa Cui jaculum parva Lybis amentavit habena, Se rotat in vulnus, telĂÂčmque irata receptum Impetit, Et secum fugientem circuit hastam. Quelles causes n'inventons nous des malheurs qui nous adviennent ? Ă quoy ne nous prenons nous Ă tort ou Ă droit, pour avoir ou nous escrimer ? Ce ne sont pas ces tresses blondes, que tu deschires, ny la blancheur de cette poictrine, que despitĂ©e tu bats si cruellement, qui ont perdu d'un malheureux plomb ce frere bien aymĂ© prens t'en ailleurs. Livius parlant de l'armee Romaine en Espaigne, apres la perte des deux freres ses grands Capitaines, Flere omnes repente, et offensare capita. C'est un usage commun. Et le Philosophe Bion, de ce Roy, qui de dueil s'arrachoit le poil, fut plaisant, Cetuy-cy pense-il que la pelade soulage le dueil ? Qui n'a veu mascher et engloutir les cartes, se gorger d'une bale de dez, pour avoir ou se venger de la perte de son argent ? Xerxes foita la mer, et escrivit un cartel de deffi au mont Athos et Cyrus amusa toute une armee plusieurs jours Ă se venger de la riviere de Gyndus, pour la peur qu'il avoit eu en la passant et Caligula ruina une tresbelle maison, pour le plaisir que sa mere y avoit eu. Le peuple disoit en ma jeunesse, qu'un Roy de noz voysins, ayant receu de Dieu une bastonade, jura de s'en venger ordonnant que de dix ans on ne le priast, ny parlast de luy, ny autant qu'il estoit en son auctoritĂ©, qu'on ne creust en luy. Par oĂÂč on vouloit peindre non tant la sottise, que la gloire naturelle Ă la nation, dequoy estoit le compte. Ce sont vices tousjours conjoincts mais telles actions tiennent, Ă la veritĂ©, un peu plus encore d'outrecuidance, que de bestise. Augustus Cesar ayant estĂ© battu de la tempeste sur mer, se print Ă deffier le Dieu Neptunus, et en la pompe des jeux Circenses fit oster son image du reng oĂÂč elle estoit parmy les autres dieux, pour se venger de luy. Enquoy il est encore moins excusable, que les precedens, et moins qu'il ne fut depuis, lors qu'ayant perdu une bataille sous Quintilius Varus en Allemaigne, il alloit de colere et de desespoir, choquant sa teste contre la muraille, en s'escriant, Varus rens moy mes soldats car ceux la surpassent toute follie, d'autant que l'impietĂ© y est joincte, qui s'en adressent Ă Dieu mesmes, ou Ă la fortune, comme si elle avoit des oreilles subjectes Ă nostre batterie. A l'exemple des Thraces, qui, quand il tonne ou esclaire, se mettent Ă tirer contre le ciel d'une vengeance Titanienne, pour renger Dieu Ă raison, Ă coups de fleche. Or, comme dit cet ancien PoĂte chez Plutarque, Point ne se faut courroucer aux affaires. Il ne leur chaut de toutes nos choleres. Mais nous ne dirons jamais assez d'injures au desreglement de nostre esprit. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE V Si le chef d'une place assiegee, doit sortir pour parlementer LUCIUS MARCIUS Legat des Romains, en la guerre contre Perseus, Roy de Macedoine, voulant gaigner le temps qu'il luy falloit encore Ă mettre en point son armee, sema des entregets d'accord, desquels le Roy endormy accorda trefve pour quelques jours fournissant par ce moyen son ennemy d'opportunitĂ© et loisir pour s'armer d'oĂÂč le Roy encourut sa derniere ruine. Si est-ce, que les vieux du Senat, memoratifs des moeurs de leurs peres, accuserent cette prattique, comme ennemie de leur stile ancien qui fut, disoient-ils, combattre de vertu, non de finesse, ny par surprinses et rencontres de nuict, ny par fuittes apostees, et recharges inopinees n'entreprenans guerre, qu'apres l'avoir denoncee, et souvent apres avoir assignĂ© l'heure et lieu de la bataille. De cette conscience ils renvoierent Ă Pyrrhus son traistre Medecin, et aux Phalisques leur desloyal maistre d'escole. C'estoient les formes vrayement Romaines, non de la Grecque subtilitĂ© et astuce Punique, ou le vaincre par force est moins glorieux que par fraude. Le tromper peut servir pour le coup mais celuy seul se tient pour surmontĂ©, qui scait l'avoir estĂ© ny par ruse, ny de sort, mais par vaillance, de troupe Ă troupe, en une franche et juste guerre. Il appert bien par ce langage de ces bonnes gents, qu'ils n'avoient encore receu cette belle sentence dolus an virtus quis in hoste requirat ? Les AchaĂÂŻens, dit Polybe, detestoient toute voye de tromperie en leurs guerres, n'estimants victoire, sinon oĂÂč les courages des ennemis sont abbatus. Eam vir sanctus et sapiens sciet veram esse victoriam, quĂŠ salva fide, et integra dignitate parabitur, dit un autre Vos ne velit, an me regnare hera quidve ferat fors Virtute experiamur. Au Royaume de Ternate, parmy ces nations que si Ă pleine bouche nous appelons Barbares, la coustume porte, qu'ils n'entreprennent guerre sans l'avoir denoncee y adjoustans ample declaration des moiens qu'ils ont Ă y emploier, quels, combien d'hommes, quelles munitions, quelles armes, offensives et defensives. Mais aussi cela faict, ils se donnent loy de se servir Ă leur guerre, sans reproche, de tout ce qui aide Ă vaincre. Les anciens Florentins estoient si esloignĂ©s de vouloir gaigner advantage sur leurs ennemis par surprise, qu'ils les advertissoient un mois avant que de mettre leur exercite aux champs, par le continuel son de la cloche qu'ils nommoient, Martinella. Quant Ă nous moins superstitieux, qui tenons celuy avoir l'honneur de la guerre, qui en a le profit, et qui apres Lysander, disons que, oĂÂč la peau du Lyon ne peut suffire, il y faut coudre un lopin de celle du Regnard, les plus ordinaires occasions de surprise se tirent de cette praticque et n'est heure, disons nous, oĂÂč un chef doive avoir plus l'oeil au guet, que celle des parlemens et traitĂ©s d'accord. Et pour cette cause, c'est une regle en la bouche de tous les hommes de guerre de nostre temps, Qu'il ne faut jamais que le gouverneur en une place assiegee sorte luy mesmes pour parlementer. Du temps de nos peres cela fut reprochĂ© aux seigneurs de Montmord et de l'Assigni, deffendans Mouson contre le Conte de Nansau. Mais aussi Ă ce conte, celuy la seroit excusable, qui sortiroit en telle façon, que la seuretĂ© et l'advantage demeurast de son costĂ© Comme fit en la ville de Regge, le Comte Guy de Rangon s'il en faut croire du Bellay, car Guicciardin dit que ce fut luy mesmes lors que le Seigneur de l'Escut s'en approcha pour parlementer car il abandonna de si peu son fort, qu'un trouble s'estant esmeu pendant ce parlement, non seulement Monsieur de l'Escut et sa trouppe, qui estoit approchee avec luy, se trouva le plus foible, de façon qu'Alexandre Trivulce y fut tuĂ©, mais luy mesme fut contrainct, pour le plus seur, de suivre le Comte, et se jetter sur sa foy Ă l'abri des coups dans la ville. Eumenes en la ville de Nora pressĂ© par Antigonus qui l'assiegeoit, de sortir pour luy parler, alleguant que c'estoit raison qu'il vinst devers luy, attendu qu'il estoit le plus grand et le plus fort apres avoir faict cette noble responce Je n'estimeray jamais homme plus grand que moy, tant que j'auray mon espee en ma puissance, n'y consentit, qu'Antigonus ne luy eust donnĂ© PtolomĂŠus son propre nepveu ostage, comme il demandoit. Si est-ce qu'encores en y a-il, qui se sont tresbien trouvez de sortir sur la parole de l'aissaillant Tesmoing Henry de Vaux, Chevalier Champenois, lequel estant assiegĂ© dans le Chasteau de Commercy par les Anglois, et Barthelemy de Bonnes, qui commandoit au siege, ayant par dehors faict sapper la plus part du Chasteau, si qu'il ne restoit que le feu pour accabler les assiegez sous les ruines, somma ledit Henry de sortir Ă parlementer pour son profict, comme il fit luy quatriesme ; et son evidente ruyne luy ayant estĂ© montree Ă l'oeil, il s'en sentit singulierement obligĂ© Ă l'ennemy Ă la discretion duquel, apres qu'il se fut rendu et sa trouppe, le feu estant mis Ă la mine, les estansons de bois venus Ă faillir, le Chasteau fut emportĂ© de fons en comble. Je me fie aysement Ă la foy d'autruy mais mal-aysement le feroi-je, lors que je donrois Ă juger l'avoir plustost faict par desespoir et faute de coeur, que par franchise et fiance de sa loyautĂ©. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE VI L'heure des parlemens dangereuse TOUTES-FOIS je vis dernierement en mon voysinage de Mussidan, que ceux qui en furent dĂ©logez Ă force par nostre armee, et autres de leur party, crioyent comme de trahison, de ce que pendant les entremises d'accord, et le traictĂ© se continuant encores, on les avoit surpris et mis en pieces. Chose qui eust eu Ă l'avanture apparence en autre siecle ; mais, comme je viens de dire, nos façons sont entierement esloignĂ©es de ces regles et ne se doit attendre fiance des uns aux autres, que le dernier seau d'obligation n'y soit passĂ© encores y a il lors assĂ©s affaire. Et a tousjours estĂ© conseil hazardeux, de fier Ă la licence d'une armee victorieuse l'observation de la foy, qu'on a donnee Ă une ville, qui vient de se rendre par douce et favorable composition, et d'en laisser sur la chaude, l'entree libre aux soldats. L. Ăâ mylius Regillus Preteur Romain, ayant perdu son temps Ă essayer de prendre la ville de Phocees Ă force, pour la singuliere proĂÂŒesse des habitants Ă se bien defendre, feit pache avec eux, de les recevoir pour amis du peuple Romain, et d'y entrer comme en ville confederee leur ostant toute crainte d'action hostile. Mais y ayant quand et luy introduict son armee, pour s'y faire voir en plus de pompe, il ne fut en sa puissance, quelque effort qu'il y employast, de tenir la bride Ă ses gents et veit devant ses yeux fourrager bonne partie de la ville les droicts de l'avarice et de la vengeance, suppeditant ceux de son autoritĂ© et de la discipline militaire. Cleomenes disoit, que quelque mal qu'on peust faire aux ennemis en guerre, cela estoit par dessus la justice, et non subject Ă icelle, tant envers les dieux, qu'envers les hommes et ayant faict treve avec les Argiens pour sept jours, la troisiesme nuict apres il les alla charger tous endormis, et les dĂ©fict, alleguant qu'en sa treve il n'avoit pas estĂ© parlĂ© des nuicts Mais les dieux vengerent ceste perfide subtilitĂ©. Pendant le Parlement, et qu'ils musoient sur leurs seurtez, la ville de Casilinum fust saisie par surprinse. Et cela pourtant au siecle et des plus justes Capitaines et de la plus parfaicte milice Romaine Car il n'est pas dict, qu'en temps et lieu il ne soit permis de nous prevaloir de la sottise de noz ennemis, comme nous faisons de leur laschetĂ©. Et certes la guerre a naturellement beaucoup de privileges raisonnables au prejudice de la raison. Et icy faut la reigle, neminem id agere, ut ex alterius prĂŠdetur inscitia. Mais je m'estonne de l'estendue que Xenophon leur donne, et par les propos, et par divers exploicts de son parfaict Empereur autheur de merveilleux poids en telles choses, comme grand Capitaine et Philosophe des premiers disciples de Socrates, et ne consens pas Ă la mesure de sa dispense en tout et par tout. Monsieur d'Aubigny assiegeant CappoĂÂŒe, et apres y avoir fait une furieuse baterie, le Seigneur Fabrice Colonne, Capitaine de la ville, ayant commencĂ© Ă parlementer de dessus un bastion, et ses gens faisants plus molle garde, les nostres s'en emparerent, et mirent tout en pieces. Et de plus fresche memoire Ă Yvoy, le seigneur Julian Rommero, ayant fait ce pas de clerc de sortir pour parlementer avec Monsieur le Connestable, trouva au retour sa place saisie. Mais afin que nous ne nous en allions pas sans revanche, le Marquis de Pesquaire assiegeant Genes, ou le Duc Octavian Fregose commandoit soubs nostre protection, et l'accord entre eux ayant estĂ© poussĂ© si avant, qu'on le tenoit pour fait, sur le point de la conclusion, les Espagnols s'estans coullĂ©s dedans, en userent comme en une victoire planiere et depuis Ă Ligny en Barrois, oĂÂč le Comte de Brienne commandoit, l'Empereur l'ayant assiegĂ© en personne, et Bertheuille Lieutenant dudict Comte estant sorty pour parlementer, pendant le parlement la ville se trouva saisie. Fu il vincer sempre mai laudabil cosa, Vincasi o per fortuna o per ingegno, disent-ils Mais le Philosophe Chrysippus n'eust pas estĂ© de cet advis et moy aussi peu. Car il disoit que ceux qui courent Ă l'envy, doivent bien employer toutes leurs forces Ă la vistesse, mais il ne leur est pourtant aucunement loisible de mettre la main sur leur adversaire pour l'arrester ny de luy tendre la jambe, pour le faire cheoir. Et plus genereusement encore ce grand Alexandre, Ă Polypercon, qui luy suadoit de se servir de l'avantage que l'obscuritĂ© de la nuict luy donnoit pour assaillir Darius. Point, dit-il, ce n'est pas Ă moy de chercher des victoires desrobees malo me fortunĂŠ poeniteat, quam victoriĂŠ pudeat. Atque idem fugientem haud est dignatus Orodem Sternere, nec jacta cĂŠcum dare cuspide vulnus Obvius, adversoque occurrit, seque viro vir Contulit, haud furto melior, sed fortibus armis. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE VII Que l'intention juge nos actions LA mort, dict-on, nous acquitte de toutes nos obligations. J'en sçay qui l'ont prins en diverse façon. Henry septiesme Roy d'Angleterre fit composition avec Dom Philippe fils de l'Empereur Maximilian, ou pour le confronter plus honnorablement, pere de l'Empereur Charles cinquiesme, que ledict Philippe remettoit entre ses mains le Duc de Suffolc de la Rose blanche, son ennemy, lequel s'en estoit fuy et retirĂ© au pays bas, moyennant qu'il promettoit de n'attenter rien sur la vie dudict Duc toutesfois venant Ă mourir, il commanda par son testament Ă son fils, de le faire mourir, soudain apres qu'il seroit decedĂ©. Dernierement en cette tragedie que le Duc d'Albe nous fit voir Ă Bruxelles Ă©s Contes de Horne et d'Aiguemond, il y eut tout plein de choses remerquables et entre autres que ledict Comte d'Aiguemond, soubs la foy et asseurance duquel le Comte de Horne s'estoit venu rendre au Duc d'Albe, requit avec grande instance, qu'on le fist mourir le premier affin que sa mort l'affranchist de l'obligation qu'il avoit audict Comte de Horne. Il semble que la mort n'ayt point deschargĂ© le premier de sa foy donnee, et que le second en estoit quitte, mesmes sans mourir. Nous ne pouvons estre tenus au delĂ de nos forces et de nos moyens. A cette cause, par ce que les effects et executions ne sont aucunement en nostre puissance, et qu'il n'y a rien en bon escient en nostre puissance, que la volontĂ© en celle lĂ se fondent par necessitĂ© et s'establissent toutes les reigles du devoir de l'homme. Par ainsi le Comte d'Aiguemond tenant son ame et volontĂ© endebtee Ă sa promesse, bien que la puissance de l'effectuer ne fust pas en ses mains, estoit sans doute absous de son devoir, quand il eust survescu le Comte de Horne. Mais le Roy d'Angleterre faillant Ă sa parolle par son intention, ne se peut excuser pour avoir retardĂ© jusques apres sa mort l'execution de sa desloyautĂ© Non plus que le masson de Herodote, lequel ayant loyallement conservĂ© durant sa vie le secret des thresors du Roy d'Egypte son maistre, mourant les descouvrit Ă ses enfans. J'ay veu plusieurs de mon temps convaincus par leur conscience retenir de l'autruy, se disposer Ă y satisfaire par leur testament et apres leur decĂ©s. Ils ne font rien qui vaille. Ny de prendre terme Ă chose si presante, ny de vouloir restablir une injure avec si peu de leur ressentiment et interest. Ils doivent du plus leur. Et d'autant qu'ils payent plus poisamment, et incommodĂ©ement d'autant en est leur satisfaction plus juste et meritoire. La penitence demande Ă charger. Ceux la font encore pis, qui reservent la declaration de quelque haineuse volontĂ© envers le proche Ă leur derniere volontĂ©, l'ayants cachee pendant la vie. Et monstrent avoir peu de soin du propre honneur, irritans l'offencĂ© Ă l'encontre de leur memoire et moins de leur conscience, n'ayants pour le respect de la mort mesme, sceu faire mourir leur maltalent et en estendant la vie outre la leur. Iniques juges, qui remettent Ă juger alors qu'ils n'ont plus cognoissance de cause. Je me garderay, si je puis, que ma mort die chose, que ma vie n'ayt premierement dit et apertement. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE VIII De l'OysivetĂ© COMME nous voyons des terres oysives, si elles sont grasses et fertilles, foisonner en cent mille sortes d'herbes sauvages et inutiles, et que pour les tenir en office, il les faut assubjectir et employer Ă certaines semences, pour nostre service. Et comme nous voyons, que les femmes produisent bien toutes seules, des amas et pieces de chair informes, mais que pour faire une generation bonne et naturelle, il les faut embesongner d'une autre semence ainsin est-il des esprits, si on ne les occupe Ă certain subject, qui les bride et contraigne, ils se jettent desreiglez, par-cy par lĂ , dans le vague champ des imaginations. Sicut aquĂŠ tremulum labris ubi lumen ahenis Sole repercussum, aut radiantis imagine LunĂŠ, Omnia pervolitat latĂš loca, jamque sub auras Erigitur, summique ferit laquearia tecti. Et n'est folie ny rĂ©verie, qu'ils ne produisent en cette agitation, velut ĂŠgri somnia, vanĂŠ Finguntur species. L'ame qui n'a point de but estably, elle se perd Car comme on dit, c'est n'estre en aucun lieu, que d'estre par tout. Quisquis ubique habitat, Maxime, nusquam habitat. Dernierement que je me retiray chez moy, deliberĂ© autant que je pourroy, ne me mesler d'autre chose, que de passer en repos, et Ă part, ce peu qui me reste de vie il me sembloit ne pouvoir faire plus grande faveur Ă mon esprit, que de le laisser en pleine oysivetĂ©, s'entretenir soy-mesmes, et s'arrester et rasseoir en soy Ce que j'esperois qu'il peust meshuy faire plus aysĂ©ment, devenu avec le temps, plus poisant, et plus meur Mais je trouve, variam semper dant otia mentem, qu'au rebours faisant le cheval eschappĂ©, il se donne cent fois plus de carriere Ă soy-mesmes, qu'il ne prenoit pour autruy et m'enfante tant de chimeres et monstres fantasques les uns sur les autres, sans ordre, et sans propos, que pour en contempler Ă mon ayse l'ineptie et l'estrangetĂ©, j'ay commencĂ© de les mettre en rolle esperant avec le temps, luy en faire honte Ă luy mesmes. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE IX Des Menteurs IL n'est homme Ă qui il siese si mal de se mesler de parler de memoire. Car je n'en recognoy quasi trace en moy et ne pense qu'il y en ayt au monde, une autre si merveilleuse en defaillance. J'ay toutes mes autres parties viles et communes, mais en cette-lĂ je pense estre singulier et tres-rare, et digne de gaigner nom et reputation. Outre l'inconvenient naturel que j'en souffre car certes, veu sa necessitĂ©, Platon a raison de la nommer une grande et puissante deesse si en mon pays on veut dire qu'un homme n'a point de sens, ils disent, qu'il n'a point de memoire et quand je me plains du defaut de la mienne ils me reprennent et mescroient, comme si je m'accusois d'estre insensĂ© Ils ne voyent pas de chois entre memoire et entendement. C'est bien empirer mon marchĂ© Mais ils me font tort car il se voit par experience plustost au rebours, que les memoires excellentes se joignent volontiers aux jugemens debiles. Ils me font tort aussi en cecy, qui ne sçay rien si bien faire qu'estre amy, que les mesmes paroles qui accusent ma maladie, representent l'ingratitude. On se prend de mon affection Ă ma memoire, et d'un defaut naturel, on en fait un defaut de conscience. Il a oubliĂ©, dict-on, cette priere ou cette promesse il ne se souvient point de ses amys il ne s'est point souvenu de dire, ou faire, ou taire cela, pour l'amour de moy. Certes je puis aysĂ©ment oublier mais de mettre Ă nonchalloir la charge que mon amy m'a donnee, je ne le fay pas. Qu'on se contente de ma misere, sans en faire une espece de malice et de la malice autant ennemye de mon humeur. Je me console aucunement. Premierement sur ce, que c'est un mal duquel principallement j'ay tirĂ© la raison de corriger un mal pire, qui se fust facilement produit en moy Sçavoir est l'ambition, car cette deffaillance est insurportable Ă qui s'empestre des negotiations du monde. Que comme disent plusieurs pareils exemples du progres de nature, elle a volontiers fortifiĂ© d'autres facultĂ©s en moy, Ă mesure que cette-cy s'est affoiblie, et irois facilement couchant et allanguissant mon espritt et mon jugement, sur les traces d'autruy, sans exercer leurs propres forces, si les inventions et opinions estrangieres m'estoient presentes par le benefice de la memoire. Que mon parler en est plus court Car le magasin de la memoire, est volontiers plus fourny de matiere, que n'est celuy de l'invention. Si elle m'eust tenu bon, j'eusse assourdi tous mes amys de babil les subjects esveillans cette telle quelle facultĂ© que j'ay de les manier et employer, eschauffant et attirant mes discours. C'est pitiĂ© je l essayepar la preuve d'aucuns de mes privez amys Ă mesure que la memoire leur fournit la chose entiere et presente, ils reculent si arriere leur narration, et la chargent de tant de vaines circonstances, que si le conte est bon, ils en estouffent la bontĂ© s'il ne l'est pas, vous estes Ă maudire ou l'heur de leur memoire, ou le malheur de leur jugement. Et c'est chose difficile, de fermer un propos, et de le coupper despuis qu'on est arrouttĂ©. Et n'est rien, oĂÂč la force d'un cheval se cognoisse plus, qu'Ă faire un arrest rond et net. Entre les pertinents mesmes, j'en voy qui veulent et ne se peuvent deffaire de leur course. Ce pendant qu'ils cerchent le point de clorre le pas, ils s'en vont balivernant et trainant comme des hommes qui deffaillent de foiblesse. Sur tout les vieillards sont dangereux, Ă qui la souvenance des choses passees demeure, et ont perdu la souvenance de leurs redites. J'ay veu des recits bien plaisants, devenir tres-ennuyeux, en la bouche d'un seigneur, chascun de l'assistance en ayant estĂ© abbreuvĂ© cent fois. Secondement qu'il me souvient moins des offences receuĂs, ainsi que disoit cet ancien. Il me faudroit un protocolle, comme Darius, pour n'oublier l'offense qu'il avoit receue des Atheniens, faisoit qu'un page Ă touts les coups qu'il se mettoit Ă table, luy vinst rechanter par trois fois Ă l'oreille, Sire, souvienne vous des Atheniens, et que les lieux et les livres que je revoy, me rient tousjours d'une fresche nouvelletĂ©. Ce n'est pas sans raison qu'on dit, que qui ne se sent point assez ferme de memoire, ne se doit pas mesler d'estre menteur. Je sçay bien que les grammairiens font difference, entre dire mensonge, et mentir et disent que dire mensonge, c'est dire chose fausse, mais qu'on a pris pour vraye, et que la definition du mot de mentir en Latin, d'oĂÂč nostre François est party, porte autant comme aller contre sa conscience et que par consequent cela ne touche que ceux qui disent contre ce qu'ils sçavent, desquels je parle. Or ceux icy, ou ils inventent marc et tout, ou ils dĂ©guisent et alterent un fons veritable. Lors qu'ils dĂ©guisent et changent, Ă les remettre souvent en ce mesme conte, il est mal-aisĂ© qu'ils ne se desferrent par ce que la chose, comme elle est, s'estant logĂ©e la premiere dans la memoire, et s'y estant empreincte, par la voye de la connoissance et de la science, il est mal-aisĂ© qu'elle ne se represente Ă l'imagination, dĂ©logeant la fauscetĂ©, qui n'y peut avoir le pied si ferme, ny si rassis et que les circonstances du premier aprentissage, se coulant Ă tous coups dans l'esprit, ne facent perdre le souvenir des pieces raportĂ©es faulses ou abastardies. En ce qu'ils inventent tout Ă faict, d'autant qu'il n'y a nulle impression contraire, qui choque leur fauscetĂ©, ils semblent avoir d'autant moins Ă craindre de se mesconter. Toutefois encore cecy, par ce que c'est un corps vain, et sans prise, eschappe volontiers Ă la memoire, si elle n'est bien asseuree. Dequoy j'ay souvent veu l'experience, et plaisamment, aux despens de ceux qui font profession de ne former autrement leur parole, que selon qu'il sert aux affaires qu'ils negotient, et qu'il plaist aux grands Ă qui ils parlent. Car ces circonstances Ă quoy ils veulent asservir leur foy et leur conscience, estans subjettes Ă plusieurs changements, il faut que leur parole se diversifie quand et quand d'oĂÂč il advient que de mesme chose, ils disent, tantost gris, tantost jaune Ă tel homme d'une sorte, Ă tel d'une autre et si par fortune ces hommes rapportent en butin leurs instructions si contraires, que devient ce bel art ? Outre ce qu'imprudemment ils se desferrent eux-mesmes si souvent car quelle memoire leur pourroit suffire Ă se souvenir de tant de diverses formes, qu'ils ont forgĂ©es en un mesme subject ? J'ay veu plusieurs de mon temps, envier la reputation de cette belle sorte de prudence qui ne voyent pas, que si la reputation y est, l'effect n'y peut estre. En veritĂ© le mentir est un maudit vice. Nous ne sommes hommes, et ne nous tenons les uns aux autres que par la parole. Si nous en connoissions l'horreur et le poids, nous le poursuivrions Ă feu, plus justement que d'autres crimes. Je trouve qu'on s'amuse ordinairement Ă chastier aux enfans des erreurs innocentes, tres mal Ă propos, et qu'on les tourmente pour des actions temeraires, qui n'ont ny impression ny suitte. La menterie seule, et un peu au dessous, l'opiniastretĂ©, me semblent estre celles desquelles on devroit Ă toute instance combattre la naissance et le progrez, elles croissent quand et eux et depuis qu'on a donnĂ© ce faux train Ă la langue, c'est merveille combien il est impossible de l'en retirer. Par oĂÂč il advient, que nous voyons des honnestes hommes d'ailleurs, y estre subjects et asservis. J'ay un bon garçon de tailleur, Ă qui je n'ouy jamais dire une veritĂ©, non pas quand elle s'offre pour luy servir utilement. Si comme la veritĂ©, le mensonge n'avoit qu'un visage, nous serions en meilleurs termes car nous prendrions pour certain l'opposĂ© de ce que diroit le menteur. Mais le revers de la veritĂ© a cent mille figures, et un champ indefiny. Les Pythagoriens font le bien certain et finy, le mal infiny et incertain. Mille routtes desvoyent du blanc une y va. Certes je ne m'asseure pas, que je peusse venir Ă bout de moy, Ă guarentir un danger evident et extresme, par une effrontee et solenne mensonge. Un ancien pere dit, que nous sommes mieux en la compagnie d'un chien cognu, qu'en celle d'un homme, duquel le langage nous est inconnu. Ut externus alieno non sit hominis vice. Et de combien est le langage faux moins sociable que le silence ? Le Roy François premier, se vantoit d'avoir mis au rouet par ce moyen, Francisque Taverna, ambassadeur de François Sforce Duc de Milan, homme tres-fameux en science de parlerie. Cettuy-cy avoit estĂ© despeschĂ© pour excuser son maistre envers sa MajestĂ©, d'un fait de grande consequence ; qui estoit tel. Le Roy pour maintenir tousjours quelques intelligences en Italie, d'oĂÂč il avoit estĂ© dernierement chassĂ©, mesme au DuchĂ© de Milan, avoit advisĂ© d'y tenir pres du Duc un Gentilhomme de sa part, ambassadeur par effect, mais par apparence homme privĂ©, qui fist la mine d'y estre pour ses affaires particulieres d'autant que le Duc, qui dependoit beaucoup plus de l'Empereur lors principallement qu'il estoit en traictĂ© de mariage avec sa niepce, fille du Roy de Dannemarc, qui est Ă present douairiere de Lorraine ne pouvoit descouvrir avoir aucune praticque et conference avecques nous, sans son grand interest. A cette commission, se trouva propre un Gentil-homme Milannois, escuyer d'escurie chez le Roy, nommĂ© Merveille. Cettuy-cy despeschĂ© avecques lettres secrettes de creance, et instructions d'ambassadeur ; et avec d'autres lettres de recommendation envers le Duc, en faveur de ses affaires particulieres, pour le masque et la montre, fut si long temps aupres du Duc, qu'il en vint quelque ressentiment Ă l'Empereur qui donna cause Ă ce qui s'ensuivit apres, comme nous pensons Ce fut, que soubs couleur de quelque meurtre, voila le Duc qui luy faict trancher la teste de belle nuict, et son proces faict en deux jours. Messire Francisque estant venu prest d'une longue deduction contrefaicte de cette histoire ; car le Roy s'en estoit adressĂ©, pour demander raison, Ă tous les Princes de ChrestientĂ©, et au Duc mesmes fut ouy aux affaires du matin, et ayant estably pour le fondement de sa cause, et dressĂ© Ă cette fin, plusieurs belles apparences du faict Que son maistre n'avoit jamais pris nostre homme, que pour gentil-homme privĂ©, et sien subject, qui estoit venu faire ses affaires Ă Milan, et qui n'avoit jamais vescu lĂ soubs autre visage desadvouant mesme avoir sçeu qu'il fust en estat de la maison du Roy, ny connu de luy, tant s'en faut qu'il le prist pour ambassadeur. Le Roy Ă son tour le pressant de diverses objections et demandes, et le chargeant de toutes pars, l'acculla en fin sur le point de l'execution faicte de nuict, et comme Ă la desrobĂ©e. A quoy le pauvre homme embarrassĂ©, respondit, pour faire l'honneste, que pour le respect de sa MajestĂ©, le Duc eust estĂ© bien marry, que telle execution se fust faicte de jour. Chacun peut penser, comme il fut relevĂ©, s'estant si lourdement couppĂ©, Ă l'endroit d'un tel nez que celuy du Roy François. Le Pape Jule second, ayant envoyĂ© un ambassadeur vers le Roy d'Angleterre, pour l'animer contre le Roy François, l'ambassadeur ayant estĂ© ouy sur sa charge, et le Roy d'Angleterre s'estant arrestĂ© en sa response, aux difficultez qu'il trouvoit Ă dresser les preparatifs qu'il faudroit pour combattre un Roy si puissant, et en alleguant quelques raisons l'ambassadeur repliqua mal Ă propos, qu'il les avoit aussi considerĂ©es de sa part, et les avoit bien dictes au Pape. De cette parole si esloignĂ©e de sa proposition, qui estoit de le pousser incontinent Ă la guerre, le Roy d'Angleterre print le premier argument de ce qu'il trouva depuis par effect, que cet ambassadeur, de son intention particuliere pendoit du costĂ© de France, et en ayant adverty son maistre, ses biens furent confisquez, et ne tint Ă guere qu'il n'en perdist la vie. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE X Du parler prompt ou tardif Onc ne furent Ă tous toutes graces donnĂ©es. AUSSI voyons nous qu'au don d'eloquence, les uns ont la facilitĂ© et la promptitude, et ce qu'on dit, le boutehors si aisĂ©, qu'Ă chasque bout de champ ils sont prests les autres plus tardifs ne parlent jamais rien qu'elabourĂ© et premeditĂ©. Comme on donne des regles aux dames de prendre les jeux et les exercices du corps, selon l'avantage de ce qu'elles ont le plus beau. Si j'avois Ă conseiller de mesmes, en ces deux divers advantages de l'eloquence, de laquelle il semble en nostre siecle, que les prescheurs et les advocats facent principalle profession, le tardif seroit mieux prescheur, ce me semble, et l'autre mieux advocat Par ce que la charge de celuy-lĂ luy donne autant qu'il luy plaist de loisir pour se preparer ; et puis sa carriere se passe d'un fil et d'une suite, sans interruption lĂ oĂÂč les commoditez de l'advocat le pressent Ă toute heure de se mettre en lice et les responces improuveuĂs de sa partie adverse, le rejettent de son branle, oĂÂč il luy fautsur le champ prendre nouveau party. Si est-ce qu'Ă l'entreveuĂ du Pape Clement et du Roy François Ă Marseille, il advint tout au rebours, que monsieur Poyet, homme toute sa vie nourry au barreau, en grande reputation, ayant charge de faire la harangue au Pape, et l'ayant de longue main pourpensee, voire, Ă ce qu'on dict, apportĂ©e de Paris toute preste, le jour mesme qu'elle devoit estre prononcĂ©e, le Pape se craignant qu'on luy tinst propos qui peust offenser les ambassadeurs des autres Princes qui estoyent autour de luy, manda au Roy l'argument qui luy sembloit estre le plus propre au temps et au lieu, mais de fortune, tout autre que celuy, sur lequel monsieur Poyet s'estoit travaillĂ© de façon que sa harengue demeuroit inutile, et luy en falloit promptement refaire une autre. Mais s'en sentant incapable, il fallut que Monsieur le Cardinal du Bellay en prinst la charge. La part de l'Advocat est plus difficile que celle du Prescheur et nous trouvons pourtant ce m'est advis plus de passables Advocats que Prescheurs, au moins en France. Il semble que ce soit plus le propre de l'esprit, d'avoir son operation prompte et soudaine, et plus le propre du jugement, de l'avoir lente et posĂ©e. Mais qui demeure du tout muet, s'il n'a loisir de se preparer et celuy aussi, Ă qui le loisir ne donne advantage de mieux dire, ils sont en pareil degrĂ© d'estrangetĂ©. On recite de Severus Cassius, qu'il disoit mieux sans y avoir pensĂ© qu'il devoit plus Ă la fortune qu'Ă sa diligence qu'il luy venoit Ă proufit d'estre troublĂ© en parlant et que ses adversaires craignoyent de le picquer, de peurque la colere ne luy fist redoubler son eloquence. Je cognois par experience cette condition de nature, qui ne peut soustenir une vehemente premeditation et laborieuse si elle ne va gayement et librement, elle ne va rien qui vaille. Nous disons d'aucuns ouvrages qu'ils puent Ă l'huyle et Ă la lampe, pour certaine aspretĂ© et rudesse, que le travail imprime en ceux oĂÂč il a grande part. Mais outre cela, la solicitude de bien faire, et cette contention de l'ame trop bandĂ©e et trop tendue Ă son entreprise, la rompt et l'empesche, ainsi qu'il advient Ă l'eau, qui par force de se presser de sa violence et abondance, ne peut trouver yssue en un goulet ouvert. En cette condition de nature, dequoy je parle, il y a quant et quant aussi cela, qu'elle demande Ă estre non pas esbranlĂ©e et picquĂ©e par ces passions fortes, comme la colere de Cassius, car ce mouvement seroit trop aspre elle veut estre non pas secouĂe, mais sollicitĂ©e elle veut estre eschauffĂ©e et resveillĂ©e par les occasions estrangeres, presentes et fortuites. Si elle va toute seule, elle ne fait que trainer et languir l'agitation est sa vie et sa grace. Je ne me tiens pas bien en ma possession et disposition le hazard y a plus de droit que moy, l'occasion, la compaignie, le branle mesme de ma voix, tire plus de mon esprit, que je n'y trouve lors que je le sonde et employe Ă part moy. Ainsi les paroles en valent mieux que les escrits, s'il y peut avoir chois oĂÂč il n'y a point de prix. Cecy m'advient aussi, que je ne me trouve pas oĂÂč je me cherche et me trouve plus par rencontre, que par l'inquisition de mon jugement. J'auray eslancĂ© quelque subtilitĂ© en escrivant. J'enten bien, mornĂ©e pour un autre, affilĂ©e pour moy. Laissons toutes ces honnestetez. Cela se dit par chacun selon sa force. Je l'ay si bien perdue que je ne sçay ce que j'ay voulu dire et l'a l'estranger descouverte par fois avant moy. Si je portoy le rasoir par tout oĂÂč cela m'advient, je me desferoy tout. Le rencontre m'en offrira le jour quelque autre fois, plus apparent que celuy du midy et me fera estonner de ma hesitation. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XI Des Prognostications QUANT aux oracles, il est certain que bonne piece avant la venue de Jesus Christ, ils avoyent commencĂ© Ă perdre leur credit car nous voyons que Cicero se met en peine de trouver la cause de leur defaillance. Et ces mots sont Ă luy Cur isto modo jam oracula Delphis non eduntur, non modo nostra ĂŠtate, sed jamdiu, ut nihil possit esse contemptius ? Mais quant aux autres prognostiques, qui se tiroyent de l'anatomie des bestes aux sacrifices ausquels Platon attribue en partie la constitution naturelle des membres internes d'icelles, du trepignement des poulets, du vol des oyseaux, Aves quasdam rerum augurandarum causa natas esse putamus, des fouldres, du tournoyement des rivieres, Multa cernunt aruspices, multa augures provident, multa oraculis declarantur, multa vaticinationibus, multa somniis, multa portentis, et autres sur lesquels l'anciennetĂ© appuyoit la pluspart des entreprises, tant publicques que privĂ©es ; nostre Religion les a abolies. Et encore qu'il reste entre nous quelques moyens de divination Ă©s astres, Ă©s esprits, Ă©s figures du corps, Ă©s songes, et ailleurs Ă notable exemple de la forçenĂ©e curiositĂ© de nostre nature, s'amusant Ă preoccuper les choses futures, comme si elle n'avoit pas assez affaire Ă digerer les presentes cur hanc tibi rector Olympi Sollicitis visum mortalibus addere curam, Noscant venturas ut dira per omina clades. Sit subitum quodcunque paras, sit cĂŠca futuri Mens hominum fati, liceat sperare timenti. Ne utile quidem est scire quid futurum sit Miserum est enim nihil proficientem angi. Si est-ce qu'elle est de beaucoup moindre auctoritĂ©. VoylĂ pourquoy l'exemple de François Marquis de Sallusse m'a semblĂ© remerquable car Lieutenant du Roy François en son armĂ©e delĂ les monts, infiniment favorisĂ© de nostre cour, et obligĂ© au Roy du Marquisat mesmes, qui avoit estĂ© confisquĂ© de son frere au reste ne se presentant occasion de le faire, son affection mesme y contredisant, se laissa si fort espouvanter, comme il a estĂ© adverĂ©, aux belles prognostications qu'on faisoit lors courir de tous costez Ă l'advantage de l'Empereur Charles cinquiesme, et Ă nostre desavantage mesmes en Italie, oĂÂč ces folles propheties avoyent trouvĂ© tant de place, qu'Ă Rome fut baillĂ©e grande somme d'argent au change, pour ceste opinion de nostre ruine qu'apres s'estre souvent condolu Ă ses privez, des maux qu'il voyoit inevitablement preparez Ă la couronne de France, et aux amis qu'il y avoit, se revolta, et changea de party Ă son grand dommage pourtant, quelque constellation qu'il y eust. Mais il s'y conduisit en homme combatu de diverses passions car ayant et villes et forces en sa main, l'armee ennemie soubs Antoine de Leve Ă trois pas de luy, et nous sans soupçon de son faict, il estoit en luy de faire pis qu'il ne fit. Car pour sa trahison nous ne perdismes ny homme, ny ville que Fossan encore apres l'avoir long temps contestee. Prudens futuri temporis exitum Caliginosa nocte premit Deus, RidĂ©tque si mortalis ultra Fas trepidat. Ille potens sui LĂŠtusque deget, cui licet in diem Dixisse, vixi, cras vel atra Nube polum pater occupato, Vel sole puro. LĂŠtus in prĂŠsens animus, quod ultra est, Oderit curare. Et ceux qui croyent ce mot au contraire, le croyent Ă tort. Ista sic reciprocantur, ut Et si divinatio sit, dii sint Et si dii sint, sit divinatio. Beaucoup plus sagement Pacuvius Nam istis qui linguam avium intelligunt, Plusque ex alieno jecore sapiunt, quam ex suo, Magis audiendum quam auscultandum censeo. Cette tant celebree art de deviner des Toscans nasquit ainsin. Un laboureur perçant de son coultre profondement la terre, en veid sourdre Tages demi-dieu, d'un visage enfantin, mais de senile prudence. Chacun y accourut, et furent ses paroles et science recueillie et conservee Ă plusieurs siecles, contenant les principes et moyens de cette art. Naissance conforme Ă son progrez. J'aymerois bien mieux reigler mes affaires par le sort des dez que par ces songes. Et de vray en toutes republiques on a tousjours laissĂ© bonne part d'auctoritĂ© au sort. Platon en la police qu'il forge Ă discretion, luy attribue la decision de plusieurs effects d'importance, et veut entre autres choses, que les mariages se facent par sort entre les bons. Et donne si grand poids Ă ceste election fortuite, que les enfans qui en naissent, il ordonne qu'ils soyent nourris au paĂÂŻs ceux qui naissent des mauvais, en soyent mis hors Toutesfois si quelqu'un de ces bannis venoit par cas d'adventure Ă montrer en croissant quelque bonne esperance de soy, qu'on le puisse rappeller, et exiler aussi celuy d'entre les retenus, qui montrera peu d'esperance de son adolescence. J'en voy qui estudient et glosent leurs Almanacs, et nous en alleguent l'authoritĂ© aux choses qui se passent. A tant dire, il faut qu'ils dient et la veritĂ© et le mensonge. Quis est enim, qui totum diem jaculans, non aliquando conlineet ? Je ne les estime de rien mieux, pour les voir tomber en quelque rencontre. Ce seroit plus de certitude s'il y avoit regle et veritĂ© Ă mentir tousjours. Joint que personne ne tient registre de leurs mescontes, d'autant qu'ils sont ordinaires et infinis et fait-on valoir leurs divinations de ce qu'elles sont rares, incroiables, et prodigieuses. Ainsi respondit Diagoras, qui fut surnommĂ© l'Athee, estant en la Samothrace, Ă celuy qui en luy montrant au Temple force voeuz et tableaux de ceux qui avoyent eschapĂ© le naufrage, luy dit Et bien vous, qui pensez que les Dieux mettent Ă nonchaloir les choses humaines, que dittes vous de tant d'hommes sauvez par leur grace ? Il se fait ainsi, respondit-il Ceux lĂ ne sont pas peints qui sont demeurez noyez, en bien plus grand nombre. Cicero dit, que le seul Xenophanes Colophonien entre tous les Philosophes, qui ont advouĂ© les Dieux, a essayĂ© de desraciner toute sorte de divination. D'autant est-il moins de merveille, si nous avons veu par fois Ă leur dommage, aucunes de nos ames principesques s'arrester Ă ces vanitez. Je voudrois bien avoir reconnu de mes yeux ces deux merveilles, du livre de Joachim AbbĂ© Calabrois, qui predisoit tous les Papes futurs ; leurs noms et formes Et celuy de Leon l'Empereur qui predisoit les Empereurs et Patriarches de Grece. Cecy ay-je reconnu de mes yeux, qu'Ă©s confusions publiques, les hommes estonnez de leur fortune, se vont rejettant, comme Ă toute superstition, Ă rechercher au ciel les causes et menaces anciennes de leur malheur et y sont si estrangement heureux de mon temps, qu'ils m'ont persuadĂ©, qu'ainsi que c'est un amusement d'esprits aiguz et oisifs, ceux qui sont duicts Ă ceste subtilitĂ© de les replier et desnouĂr, seroyent en tous escrits capables de trouver tout ce qu'ils y demandent. Mais sur tout leur preste beau jeu, le parler obscur, ambigu et fantastique du jargon prophetique, auquel leurs autheurs ne donnent aucun sens clair, afin que la posteritĂ© y en puisse appliquer de tel qu'il luy plaira. Le demon de Socrates estoit Ă l'advanture certaine impulsion de volontĂ©, qui se presentoit Ă luy sans le conseil de son discours. En une ame bien espuree, comme la sienne, et preparee par continu exercice de sagesse et de vertu, il est vray-semblale que ces inclinations, quoy que temeraires et indigestes, estoyent tousjours importantes et dignes d'estre suivies. Chacun sent en soy quelque image de telles agitations d'une opinion prompte, vehemente et fortuite. C'est Ă moy de leur donner quelque authoritĂ©, qui en donne si peu Ă nostre prudence. Et en ay eu de pareillement foibles en raison, et violentes en persuasion, ou en dissuasion, qui estoit plus ordinaire Ă Socrates, ausquelles je me laissay emporter si utilement et heureusement, qu'elles pourroyent estre jugees tenir quelque chose d'inspiration divine. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XII De la constance LA loy de la resolution et de la constance ne porte pas que nous ne nous devions couvrir, autant quil est en nostre puissance, des maux et inconveniens qui nous menassent, ny par consequent d'avoir peur qu'ils nous surpreignent. Au rebours, tous moyens honnestes de se garentir des maux, sont non seulement permis, mais louables. Et le jeu de la constance se jouĂ principalement Ă porter de pied ferme, les inconveniens oĂÂč il n'y a point de remede. De maniere qu'il n'y a soupplesse de corps, ny mouvement aux armes de main, que nous trouvions mauvais, s'il sert Ă nous garantir du coup qu'on nous rue. Plusieurs nations tres-belliqueuses se servoyent en leurs faits d'armes, de la fuite, pour advantage principal, et montroyent le dos Ă l'ennemy plus dangereusement que leur visage. Les Turcs en retiennent quelque chose. Et Socrates en Platon se mocque de Laches, qui avoit definy la fortitude, se tenir ferme en son reng contre les ennemis. Quoy, feit-il, seroit ce donc laschetĂ© de les battre en leur faisant place ? Et luy allegue Homere, qui louĂ en Ăâ neas la science de fuir. Et par ce que Laches se r'advisant, advouĂ cet usage aux Scythes, et en fin generallement Ă tous gens de cheval il luy allegue encore l'exemple des gens de pied Lacedemoniens nation sur toutes duitte Ă combatre de pied ferme qui en la journee de Platees, ne pouvant ouvrir la phalange Persienne, s'adviserent de s'escarter et sier arriere pour, par l'opinion de leur fuitte, faire rompre et dissoudre cette masse, en les poursuivant. Par oĂÂč ils se donnerent la victoire. Touchant les Scythes, on dit d'eux, quand Darius alla pour les subjuguer, qu'il manda Ă leur Roy force reproches, pour le voir tousjours reculant devant luy, et gauchissant la meslee. A quoy Indathyrsez car ainsi se nommoit-il fit responce, que ce n'estoit pour avoir peur de luy, ny d'homme vivant mais que c'estoit la façon de marcher de sa nation n'ayant ny terre cultivee, ny ville, ny maison Ă deffendre, et Ă craindre que l'ennemy en peust faire profit. Mais s'il avoit si grand faim d'en manger, qu'il approchast pour voir le lieu de leurs anciennes sepultures, et que lĂ il trouveroit Ă qui parler tout son saoul. Toutes-fois aux canonnades, depuis qu'on leur est plantĂ© en butte, comme les occasions de la guerre portent souvent, il est messeant de s'esbranler pour la menace du coup d'autant que par sa violence et vitesse nous le tenons inevitable et en y a meint un qui pour avoir ou haussĂ© la main, ou baissĂ© la teste, en a pour le moins apprestĂ© Ă rire Ă ses compagnons. Si est-ce qu'au voyage que l'Empereur Charles cinquiesme fit contre nous en Provence, le Marquis de Guast estant allĂ© recognoistre la ville d'Arle, et s'estant jettĂ© hors du couvert d'un moulin Ă vent, Ă la faveur duquel il s'estoit approchĂ©, fut apperceu par les Seigneurs de Bonneval et Seneschal d'Agenois, qui se promenoyent sus le theatre aux arenes lesquels l'ayant montrĂ© au Sieur de Villiers Commissaire de l'artillerie, il braqua si Ă propos une coulevrine, que sans ce que ledict Marquis voyant mettre le feu se lança Ă quartier, il fut tenu qu'il en avoit dans le corps. Et de mesmes quelques annees auparavant, Laurent de Medicis, Duc d'Urbin, pere de la Royne mere du Roy, assiegeant Mondolphe, place d'Italie, aux terres qu'on nomme du Vicariat, voyant mettre le feu Ă une piece qui le regardoit, bien luy servit de faire la cane car autrement le coup, qui ne luy rasa que le dessus de la teste, luy donnoit sans doute dans l'estomach. Pour en dire le vray, je ne croy pas que ces mouvemens se fissent avecques discours car quel jugement pouvez-vous faire de la mire haute ou basse en chose si soudaine ? et est bien plus aisĂ© Ă croire, que la fortune favorisa leur frayeur et que ce seroit moyen une autre fois aussi bien pour se jetter dans le coup, que pour l'eviter. Je ne me puis deffendre si le bruit esclatant d'une harquebusade vient Ă me fraper les oreilles Ă l'improuveu, en lieu oĂÂč je ne le deusse pas attendre, que je n'en tressaille ce que j'ay veu encores advenir Ă d'autres qui valent mieux que moy. Ny n'entendent les Stoiciens, que l'ame de leur sage puisse resister aux premieres visions et fantaisies qui luy surviennent ains comme Ă une subjection naturelle consentent qu'il cede au grand bruit du ciel, ou d'une ruine, pour exemple, jusques Ă la palleur et contraction Ainsin aux autres passions, pourveu que son opinion demeure sauve et entiere, et que l'assiette de son discours n'en souffre atteinte ny alteration quelconque, et qu'il ne preste nul consentement Ă son effroy et souffrance. De celuy qui n'est pas sage, il en va de mesmes en la premiere partie, mais tout autrement en la seconde. Car l'impression des passions ne demeure pas en luy superficielle ains va penetrant jusques au siege de sa raison, l'infectant et la corrompant. Il juge selon icelles, et s'y conforme. Voyez bien disertement et plainement l'estat du sage Stoique Mens immota manet, lacrymĂŠ volvuntur inanes. Le sage Peripateticien ne s'exempte pas des perturbations, mais il les modere. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XIII Ceremonie de l'entreveuĂ des Rois IL n'est subject si vain, qui ne merite un rang en cette rapsodie. A nos reigles communes, ce seroit une notable discourtoisie et Ă l'endroit d'un pareil, et plus Ă l'endroit d'un grand, de faillir Ă vous trouver chez vous, quand il vous auroit adverty d'y devoir venir Voire adjoustoit la Royne de Navarre Marguerite a ce propos, que c'estoit incivilitĂ© Ă un Gentil-homme de partir de sa maison, comme il se faict le plus souvent, pour aller au devant de celuy qui le vient trouver, pour grand qu'il soit et qu'il est plus respectueux et civil de l'attendre, pour le recevoir, ne fust que de peur de faillir sa route et qu'il suffit de l'accompagner Ă son partement. Pour moy j'oublie souvent l'un et lautre de ces vains offices comme je retranche en ma maison autant que je puis de la cerimonie. Quelqu'un s'en offence qu'y ferois-je ? Il vaut mieux que je l'offence pour une fois, que moy tous les jours ce seroit une subjection continuelle. A quoy faire fuit-on la servitude des cours, si on l'entraine jusques en sa taniere ? C'est aussi une reigle commune en toutes assemblees, qu'il touche aux moindres de se trouver les premiers Ă l'assignation, d'autant qu'il est mieux deu aux plus apparans de se faire attendre. Toutesfois Ă l'entreveuĂ qui se dressa du Pape Clement, et du Roy François Ă Marseille, le Roy y ayant odonnĂ© les apprests necessaires, s'esloigna de la ville, et donna loisir au Pape de deux ou trois jours pour son entree et refreschissement, avant qu'il le vinst trouver. Et de mesmes Ă l'entree aussi du Pape et de l'Empereur Ă Bouloigne, l'Empereur donna moyen au Pape d'y estre le premier et y survint apres luy. C'est, disent-ils, une cerimonie ordinaire aux abouchemens de tels Princes, que le plus grand soit avant les autres au lieu assignĂ©, voire avant celuy chez qui se fait l'assemblee et le prennent de ce biais, que c'est afin que cette apparence tesmoigne, que c'est le plus grand que les moindres vont trouver, et le recherchent, non pas luy eux. Non seulement chasque paĂÂŻs, mais chasque citĂ© et chasque vacation a sa civilitĂ© particuliere J'y ay estĂ© assez soigneusement dressĂ© en mon enfance, et ay vescu en assez bonne compaignie, pour n'ignorer pas les loix de la nostre Françoise et en tiendrois eschole. J'aime Ă les ensuivre, mais non pas si couardement, que ma vie en demeure contraincte. Elles ont quelques formes penibles, lesquelles pourveu qu'on oublie par discretion, non par erreur, on n'en a pas moins de grace. J'ay veu souvent des hommes incivils par trop de civilitĂ©, et importuns de courtoisie. C'est au demeurant une tres-utile science que la science de l'entregent. Elle est, comme la grace et la beautĂ©, conciliatrice des premiers abords de la societĂ© et familiaritĂ© et par consequent nous ouvre la porte Ă nous instruire par les exemples d'autruy, et Ă exploitter et produire nostre exemple, s'il a quelque chose d'instruisant et communicable. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XIV On est puny pour s'opiniastrer en une place sans raison LA vaillance a ses limites, comme les autres vertus lesquels franchis, on se trouve dans le train du vice en maniere que par chez elle on se peut rendre Ă la temeritĂ©, obstination et folie, qui n'en sçait bien les bornes, malaisez en veritĂ© Ă choisir sur leurs confins. De cette consideration est nee la coustume que nous avons aux guerres, de punir, voire de mort, ceux qui s'opiniastrent Ă defendre une place, qui par les regles militaires ne peut estre soustenue. Autrement soubs l'esperance de l'impunitĂ© il n'y auroit poullier qui n'arrestast une armee. Monsieur le Connestable de Mommorency au siege de Pavie, ayant estĂ© commis pour passer le Tesin, et se loger aux fauxbourgs S. Antoine, estant empeschĂ© d'une tour au bout du pont, qui s'opiniastra jusques Ă se faire batre, feit pendre tout ce qui estoit dedans Et encore depuis accompagnant Monsieur le Dauphin au voyage delĂ les monts, ayant prins par force le chasteau de Villane, et tout ce qui estoit dedans ayant estĂ© mis en pieces par la furie des soldats, horsmis le Capitaine et l'enseigne, il les fit pendre et estrangler pour cette mesme raison Comme fit aussi le Capitaine Martin du Bellay lors gouverneur de Turin, en cette mesme contree, le Capitaine de S. Bony le reste de ses gens ayant estĂ© massacrĂ© Ă laprinse de la place. Mais d'autant que le jugement de la valeur et foiblesse du lieu, se prend par l'estimation et contrepois des forces qui l'assaillent car tel s'opiniastreroit justement contre deux coulevrines, qui feroit l'enragĂ© d'attendre trente canons ou se met encore en conte la grandeur du Prince conquerant, sa reputation, le respect qu'on luy doit il y a danger qu'on presse un peu la balance de ce costĂ© lĂ . Et en advient par ces mesmes termes, que tels ont si grande opinion d'eux et de leurs moyens, que ne leur semblant raisonnable qu'il y ait rien digne de leur faire teste, ilz passent le cousteau par tout oĂÂč ils trouvent resistance, autant que fortune leur dure Comme il se voit par les formes de sommation et deffi, que les Princes d'Orient et leurs successeurs, qui sont encores, ont en usage, fiere, hautaine et pleine d'un commandement barbaresque. Et au quartier par oĂÂč les Portugaiz escornerent les Indes, ils trouverent des estats avec cette loy universelle et inviolable, que tout ennemy vaincu par le Roy en presence, ou par son Lieutenant est hors de composition de rançon et de mercy. Ainsi sur tout il se faut garder qui peut, de tomber entre les mains d'un Juge ennemy, victorieux et armĂ©. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XV De la punition de la couardise J'OUY autrefois tenir Ă un Prince, et tresgrand Capitaine, que pour laschetĂ© de coeur un soldat ne pouvoit estre condamnĂ© Ă mort luy estant Ă table fait recit du proces du Seigneur de Vervins, qui fut condamnĂ© Ă mort pour avoir rendu Boulogne. A la veritĂ© c'est raison qu'on face grande difference entre les fautes qui viennent de nostre foiblesse, et celles qui viennent de nostre malice. Car en celles icy nous nous sommes bandez Ă nostre escient contre les reigles de la raison, que nature a empreintes en nous et en celles lĂ , il semble que nous puissions appeller Ă garant cette mesme nature pour nous avoir laissĂ© en telle imperfection et deffaillance. De maniere que prou de gens ont pensĂ© qu'on ne se pouvoit prendre Ă nous, que de ce que nous faisons contre nostre conscience Et sur cette regle est en partie fondee l'opinion de ceux qui condamnent les punitions capitales aux heretiques et mescreans et celle qui establit qu'un Advocat et un Juge ne puissent estre tenuz de ce que par ignorance ils ont failly en leur charge. Mais quant Ă la coĂÂŒardise, il est certain que la plus commune façon est de la chastier par honte et ignominie. Et tient-on que cette regle a estĂ© premierement mise en usage par le legislateur Charondas et qu'avant luy les loix de Grece punissoyent de mort ceux qui s'en estoyent fuis d'une bataille lĂ oĂÂč il ordonna seulement qu'ils fussent par trois jours assis emmy la place publicque, vestus de robe de femme esperant encores s'en pouvoir servir, leur ayant fait revenir le courage par cette honte. Suffundere malis hominis sanguinem quam effundere. Il semble aussi que les loix Romaines punissoyent anciennement de mort, ceux qui avoyent fuy. Car Ammianus Marcellinus dit que l'Empereur Julien condemna dix de ses soldats, qui avoyent tournĂ© le dos Ă une charge contre les Parthes, Ă estre degradez, et apres Ă souffrir mort, suyvant, dit-il, les loix anciennes. Toutes-fois ailleurs pour une pareille faute il en condemne d'autres, seulement Ă se tenir parmy les prisonniers sous l'enseigne du bagage. L'aspre chastiement du peuple Romain contre les soldats eschapez de Cannes, et en cette mesme guerre, contre ceux qui accompaignerent Cn. Fulvius en sa deffaitte, ne vint pas Ă la mort. Si est-il Ă craindre que la honte les desespere, et les rende non froids amis seulement, mais ennemis. Du temps de nos Peres le Seigneur de Franget, jadis Lieutenant de la compaignie de Monsieur le Mareschal de Chastillon, ayant par Monsieur le Mareschal de Chabannes estĂ© mis Gouverneur de Fontarabie au lieu de Monsieur du Lude, et l'ayant rendue aux Espagnols, fut condamnĂ© Ă estre degradĂ© de noblesse, et tant luy que sa posteritĂ© declarĂ© roturier, taillable et incapable de porter armes et fut cette rude sentence executee Ă Lyon. Depuis souffrirent pareille punition tous les gentils-hommes qui se trouverent dans Guyse, lors que le Conte de Nansau y entra et autres encore depuis. Toutesfois quand il y auroit une si grossiere et apparante ou ignorance ou couardise, qu'elle surpassast toutes les ordinaires, ce seroit raison de la prendre pour suffisante preuve de meschancetĂ© et de malice, et de la chastier pour telle. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XVI Un traict de quelques Ambassadeurs J'OBSERVE en mes voyages cette practique, pour apprendre tousjours quelque chose, par la communication d'autruy qui est une des plus belles escholes qui puisse estre de ramener tousjours ceux, avec qui je confere, aux propos des choses qu'ils sçavent le mieux. Basti al nocchiero ragionar de' venti, Al bifolco dei tori, et le sue piaghe Conti'l guerrier, conti'l pastor gli armenti. Car il advient le plus souvent au contraire, que chacun chosit plustost Ă discourir du mestier d'un autre que du sien estimant que c'est autant de nouvelle reputation acquise tesmoing le reproche qu'Archidamus feit Ă Periander, qu'il quittoit la gloire d'un bon medecin, pour acquerir celle de mauvais poĂte. Voyez combien Cesar se desploye largement Ă nous faire entendre ses inventions Ă bastir ponts et engins et combien au prix il va se serrant, oĂÂč il parle des offices de sa profession, de sa vaillance, et conduite de sa milice. Ses exploicts le verifient assez capitaine excellent il se veut faire cognoistre excellent ingenieur ; qualitĂ© aucunement estrangere. Le vieil Dionysius estoit tres grand chef de guerre, comme il convenoit Ă sa fortune mais il se travailloit Ă donner principale recommendation de soy, par la poĂsie et si n'y sçavoit guere. Un homme de vacation juridique, menĂ© ces jours passez voir une estude fournie de toutes sortes de livres de son mestier, et de tout autre mestier, n'y trouva nulle occasion de s'entretenir mais il s'arresta Ă gloser rudement et magistralement une barricade logee sur la vis de l'estude, que cent capitaines et soldats recognoissent tous les jours, sans remerque et sans offense. Optat ephippia bos piger, optat arare caballus. Par ce train vous ne faictes jamais rien qui vaille. Ainsin, il faut travailler de rejetter tousjours l'architecte, le peintre, le cordonnier, et ainsi du reste chacun Ă son gibier. Et Ă ce propos, Ă la lecture des histoires, qui est le subjet de toutes gens, j'ay accoustumĂ© de considerer qui en sont les escrivains Si ce sont personnes, qui ne facent autre profession que de lettres, j'en apren principalement le stile et le langage si ce sont Medecins, je les croy plus volontiers en ce qu'ils nous disent de la temperature de l'air, de la santĂ© et complexion des Princes, des blessures et maladies si Jurisconsultes, il en faut prendre les controverses des droicts, les loix, l'establissement des polices, et choses pareilles si Theologiens, les affaires de l'Eglise, censures Ecclesiastiques, dispences et mariages si courtisans, les meurs et les cerimonies si gens de guerre, ce qui est de leur charge, et principalement les deductions des exploits oĂÂč ils se sont trouvez en personne si Ambassadeurs, les menees, intelligences, et praticques, et maniere de les conduire. A cette cause, ce que j'eusse passĂ© Ă un autre, sans m'y arrester, je l'ay poisĂ© et remarquĂ© en l'histoire du Seigneur de Langey, tres-entendu en telles choses. C'est qu'apres avoir contĂ© ces belles remonstrances de l'Empereur Charles cinquiesme, faictes au consistoire Ă Rome, present l'Evesque de Macon, et le Seigneur du Velly nos Ambassadeurs, oĂÂč il avoit meslĂ© plusieurs parolles outrageuses contre nous ; et entre autres, que si ses Capitaines et soldats n'estoient d'autre fidelitĂ© et suffisance en l'art militaire, que ceux du Roy, tout sur l'heure il s'attacheroit la corde au col, pour luy aller demander misericorde. Et de cecy il semble qu'il en creust quelque chose car deux ou trois fois en sa vie depuis il luy advint de redire ces mesmes mots. Aussi qu'il dĂ©fia le Roy de le combatre en chemise avec l'espee et le poignard, dans un batteau. Ledit Seigneur de Langey suivant son histoire, adjouste que lesdicts Ambassadeurs faisans une despesche au Roy de ces choses, luy en dissimulerent la plus grande partie, mesmes luy celerent les deux articles precedens. Or j'ay trouvĂ© bien estrange, qu'il fust en la puissance d'un Ambassadeur de dispenser sur les advertissemens qu'il doit faire Ă son maistre, mesme de telle consequence, venant de telle personne, et dits en si grand' assemblee. Et m'eust semblĂ© l'office du serviteur estre, de fidelement representer les choses en leur entier, comme elles sont advenuĂs afin que la libertĂ© d'ordonner, juger, et choisir demeurast au maistre. Car de luy alterer ou cacher la veritĂ©, de peur qu'il ne la preigne autrement qu'il ne doit, et que cela ne le pousse Ă quelque mauvais party, et ce pendant le laisser ignorant de ses affaires, cela m'eust semblĂ© appartenir Ă celuy, qui donne la loy, non Ă celuy qui la reçoit, au curateur et maistre d'eschole, non Ă celuy qui se doit penser inferieur, comme en authoritĂ©, aussi en prudence et bon conseil. Quoy qu'il en soit, je ne voudroy pas estre servy de cette façon en mon petit faict. Nous nous soustrayons si volontiers du commandement sous quelque pretexte, et usurpons sur la maistrise chascun aspire si naturellement Ă la libertĂ© et authoritĂ©, qu'au superieur nulle utilitĂ© ne doibt estre si chere, venant de ceux qui le servent, comme luy doit estre chere leur simple et naifve obeissance. On corrompt l'office du commander, quand on y obeit par discretion, non par subjection. Et P. Crassus, celuy que les Romains estimerent cinq fois heureux, lors qu'il estoit en Asie consul, ayant mandĂ© Ă un Ingenieur Grec, de luy faire mener le plus grand des deux mas de Navire, qu'il avoit veu Ă Athenes, pour quelque engin de batterie, qu'il en vouloit faire. Cetuy cy sous titre de sa science, se donna loy de choisir autrement, et mena le plus petit, et selon la raison de art, le plus commode. Crassus, ayant patiemment ouy ses raisons, luy feit tres-bien donner le fouet estimant l'interest de la discipline plus que l'interest de l'ouvrage. D'autre part pourtant on pourroit aussi considerer, que cette obeĂÂŻssance si contreinte, n'appartient qu'aux commandements precis et prefix. Les Ambassadeurs ont une charge plus libre, qui en plusieurs parties depend souverainement de leur disposition. Ils n'executent pas simplement, mais forment aussi, et dressent par leur conseil, la volontĂ© du maistre. J'ay veu en mon temps des personnes de commandement, reprins d'avoir plustost obey aux paroles des lettres du Roy, qu'Ă l'occasion des affaires qui estoient pres deux. Les hommes d'entendement accusent encore aujourd'huy, l'usage des Roys de Perse, de tailler les morceaux si courts Ă leurs agents et lieutenans, qu'aux moindres choses ils eussent Ă recourir Ă leur ordonnance. Ce delay, en une si longue estendue de domination, ayant souvent apportĂ© des notables dommages Ă leurs affaires. Et Crassus, escrivant Ă un homme du mestier, et luy donnant advis de l'usage auquel il destinoit ce mas, sembloit-il pas entrer en conference de sa deliberation, et le convier Ă interposer son decret ? Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XVII De la peur Obstupui, steteruntque comĂŠ, et vox faucibus hĂŠsit. Je ne suis pas bon naturaliste qu'ils disent et ne sçay guiere par quels ressors la peur agit en nous, mais tant y a que c'est une estrange passion et disent les medecins qu'il n'en est aucune, qui emporte plustost nostre jugement hors de sa deuĂ assiete. De vray, j'ay veu beaucoup de gens devenus insensez de peur et au plus rassis il est certain pendant que son accĂ©s dure, qu'elle engendre de terribles esblouissemens. Je laisse Ă part le vulgaire, Ă qui elle represente tantost les bisayeulx sortis du tombeau enveloppez en leur suaire, tantost des Loups-garoups, des Lutins, et des Chimeres. Mais parmy les soldats mesme, oĂÂč elle devroit trouver moins de place, combien de fois Ă elle changĂ© un troupeau de brebis en esquadron de corselets ? des roseaux et des cannes en gens-darmes et lanciers ? nos amis en nos ennemis ? et la croix blanche Ă la rouge ? Lors que Monsieur de Bourbon print Rome, un port'enseigne, qui estoit Ă la garde du bourg sainct Pierre, fut saisi de tel effroy Ă la premiere alarme, que par le trou d'une ruine il se jetta, l'enseigne au poing, hors la ville droit aux ennemis, pensant tirer vers le dedans de la ville ; et Ă peine en fin voyant la troupe de Monsieur de Bourbon se ranger pour le soustenir, estimant que ce fust une sortie que ceux de la ville fissent, il se recogneut, et tournant teste r'entra par ce mesme trou, par lequel il estoit sorty, plus de trois cens pas avant en la campaigne. Il n'en advint pas du tout si heureusement Ă l'enseigne du Capitaine Julle, lors que Sainct Paul fut pris sur nous par le Comte de Bures et Monsieur du Reu. Car estant si fort esperdu de frayeur, que de se jetter Ă tout son enseigne hors de la ville, par une canonniere, il fut mis en pieces par les assaillans. Et au mesme siege, fut memorable la peur qui serra, saisit, et glaça si fort le coeur d'un gentil-homme, qu'il en tomba roide mort par terre Ă la bresche, sans aucune blessure. Pareille rage pousse par fois toute une multitude. En l'une des rencontres de Germanicus contre les Allemans, deux grosses trouppes prindrent d'effroy deux routes opposites, l'une fuyoit d'oĂÂč l'autre partoit. Tantost elle nous donne des aisles aux talons, comme aux deux premiers tantost elle nous cloĂÂŒe les pieds, et les entrave comme on lit de l'Empereur Theophile, lequel en une bataille qu'il perdit contre les Agarenes, devint si estonnĂ© et si transi, qu'il ne pouvoit prendre party de s'enfuyr adeo pavor etiam auxilia formidat jusques Ă ce que Manuel l'un des principaux chefs de son armee, l'ayant tirassĂ© et secoĂÂŒĂ©, comme pour l'esveiller d'un profond somme, luy dit Si vous ne me suivez je vous tueray car il vaut mieux que vous perdiez la vie, que si estant prisonnier vous veniez Ă perdre l'Empire. Lors exprime elle sa derniere force, quand pour son service elle nous rejette Ă la vaillance, qu'elle a soustraitte Ă nostre devoir et Ă nostre honneur. En la premiere juste bataille que les Romains perdirent contre Hannibal, sous le Consul Sempronius, une troupe de bien dix mille hommes de pied, qui print l'espouvante, ne voyant ailleurs par ou faire passage Ă sa laschetĂ©, s'alla jetter au travers le gros des ennemis lequel elle perça d'un merveilleux effort, avec grand meurtre de Carthaginois achetant une honteuse fuite, au mesme prix qu'elle eust eu une glorieuse victoire. C'est ce dequoy j'ay le plus de peur que la peur. Aussi surmonte elle en aigreur tous autres accidents. Quelle affection peut estre plus aspre et plus juste, que celle des amis de Pompeius, qui estoient en son navire, spectateurs de cet horrible massacre ? Si est-ce que la peur des voiles Egyptiennes, qui commençoient Ă les approcher, l'estouffa de maniere, qu'on a remerquĂ©, qu'ils ne s'amuserent qu'Ă haster les mariniers de diligenter, et de se sauver Ă coups d'aviron ; jusques Ă ce qu'arrivez Ă Tyr, libres de crainte, ils eurent loy de tourner leur pensee Ă la perte qu'ils venoient de faire, et lascher la bride aux lamentations et aux larmes, que cette autre plus forte passion avoit suspendĂÂŒes. Tum pavor sapientiam omnem mihi ex animo expectorat. Ceux qui auront estĂ© bien frottĂ©s en quelque estour de guerre, tous blessez encor et ensanglantez, on les rameine bien le l'endemain Ă la charge. Mais ceux qui ont conçeu quelque bonne peur des ennemis, vous ne les leur feriez pas seulement regarder en face. Ceux qui sont en pressante crainte de perdre leur bien d'estre exilez, d'estre subjuguez, vivent en continuelle angoisse, en perdant le boire, le manger, et le repos. La ou les pauvres, les bannis, les serfs, vivent souvent aussi joyeusement que les autres. Et tant de gens, qui de l'impatience des pointures de la peur, se sont pendus, noyez, et precipitez, nous ont bien apprins qu'elle est encores plus importune et plus insupportable que la mort. Les Grecs en recognoissent une autre espece, qui est outre l'erreur de nostre discours venant, disent-ils, sans cause apparente, et d'une impulsion celeste. Des peuples entiers s'en voyent souvent frappez, et des armees entieres. Telle fut celle qui apporta Ă Carthage une merveilleuse desolation. On n'y oyoit que cris et voix effrayees on voyoit les habitans sortir de leurs maisons, comme Ă l'alarme, et se charger, blesser et entretuer les uns les autres, comme si ce fussent ennemis, qui vinssent Ă occuper leur ville. Tout y estoit en desordre, et en fureur jusques Ă ce que par oraisons et sacrifices, ils eussent appaisĂ© l'ire des dieux. Ils nomment cela terreurs Paniques. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XVIII Qu'il ne faut juger de notre heur qu'apres la mort Scilicet ultima semper Expectanda dies homini est; dicique beatus Ante obitum nemo, supremaque funera debet. Les enfans sçavent le conte du Roy Croesus Ă ce propos lequel ayant estĂ© pris par Cyrus, et condamnĂ© Ă la mort, sur le point de l'execution, il s'escria, O Solon, Solon Cela rapportĂ© Ă Cyrus, et s'estant enquis que c'estoit Ă dire, il luy fit entendre, qu'il verifioit lors Ă ses despends l'advertissement qu'autrefois luy avoit donnĂ© Solon que les hommes, quelque beau visage que fortune leur face, ne se peuvent appeller heureux, jusques Ă ce qu'on leur ayt veu passer le dernier jour de leur vie, pour l'incertitude et varietĂ© des choses humaines, qui d'un bien leger mouvement se changent d'un estat en autre tout divers. Et pourtant Agesilaus, Ă quelqu'un qui disoit heureux le Roy de Perse, de ce qu'il estoit venu fort jeune Ă un si puissant estat Ouy-mais, dit-il, Priam en tel aage ne fut pas malheureux. Tantost des Roys de Macedoine, successeurs de ce grand Alexandre, il s'en faict des menuysiers et greffiers Ă Rome des tyrans de Sicile, des pedants Ă Corinthe d'un conquerant de la moitiĂ© du monde, et Empereur de tant d'armees, il s'en faict un miserable suppliant des belitres officiers d'un Roy d'Ăâ gypte tant cousta Ă ce grand Pompeius la prolongation de cinq ou six mois de vie. Et du temps de nos peres ce Ludovic Sforce dixiesme Duc de Milan, soubs qui avoit si long temps branslĂ© toute l'Italie, on l'a veu mourir prisonnier Ă Loches mais apres y avoir vescu dix ans, qui est le pis de son marchĂ©. La plus belle Royne, vefve du plus grand Roy de la ChrestientĂ©, vient elle pas de mourir par la main d'un Bourreau ? indigne et barbare cruautĂ© ! Et mille tels exemples. Car il semble que comme les orages et tempestes se piquent contre l'orgueil et hautainetĂ© de nos bastimens, il y ayt aussi lĂ haut des esprits envieux des grandeurs de ça bas. Usque adeo res humanas vis abdita quĂŠdam Obterit, et pulchros fasces sĂŠvasque secures Proculcare, ac ludibrio sibi habere videtur. Et semble que la fortune quelquefois guette Ă point nommĂ© le dernier jour de nostre vie, pour montrer sa puissance, de renverser en un moment ce qu'elle avoit basty en longues annees ; et nous fait crier apres Laberius, Nimirum hac die una plus vixi, mihi quĂ m vivendum fuit. Ainsi se peut prendre avec raison, ce bon advis de Solon. Mais d'autant que c'est un Philosophe, Ă l'endroit desquels les faveurs et disgraces de la fortune ne tiennent rang, ny d'heur ny de malheur et sont les grandeurs, et puissances, accidens de qualitĂ© Ă peu pres indifferente, je trouve vray-semblable, qu'il ayt regardĂ© plus avant ; et voulu dire que ce mesme bon-heur de nostre vie, qui dĂ©pend de la tranquillitĂ© et contentement d'un esprit bien nĂ©, et de la resolution et asseurance d'une ame reglee ne se doive jamais attribuer Ă l'homme, qu'on ne luy ayt veu joĂÂŒer le dernier acte de sa comedie et sans doute le plus difficile. En tout le reste il y peut avoir du masque Ou ces beaux discours de la Philosophie ne sont en nous que par contenance, ou les accidens ne nous essayant pas jusques au vif, nous donnent loisir de maintenir tousjours nostre visage rassis. Mais Ă ce dernier rolle de la mort et de nous, il n'y a plus que faindre, il faut parler François ; il faut montrer ce qu'il y a de bon et de net dans le fond du pot. Nam verĂŠ voces tum demum pectore ab imo Ejiciuntur, et eripitur persona, manet res. Voyla pourquoy se doivent Ă ce dernier traict toucher et esprouver toutes les autres actions de nostre vie. C'est le maistre jour, c'est le jour juge de tous les autres c'est le jour, dict un ancien, qui doit juger de toutes mes annĂ©es passĂ©es. Je remets Ă la mort l'essay du fruict de mes estudes. Nous verrons lĂ si mes discours me partent de la bouche, ou du coeur. J'ay veu plusieurs donner par leur mort reputation en bien ou en mal Ă toute leur vie. Scipion beau-pere de Pompeius rabilla en bien mourant la mauvaise opinion qu'on avoit eu de luy jusques alors. Epaminondas interrogĂ© lequel des trois il estimoit le plus, ou Chabrias, ou Iphicrates, ou soy-mesme Il nous faut voir mourir, dit-il, avant que d'en pouvoir resoudre. De vray on desroberoit beaucoup Ă celuy lĂ , qui le poiseroit sans l'honneur et grandeur de sa fin. Dieu l'a voulu comme il luy a pleu mais en mon temps trois les plus execrables personnes, que je cogneusse en toute abomination de vie, et les plus infames, ont eu des morts reglĂ©es, et en toute circonstance composĂ©es jusques Ă la perfection. Il est des morts braves et fortunĂ©es. Je luy ay veu trancher le fil d'un progrez de merveilleux avancement et dans la fleur de son croist, Ă quelqu'un, d'une fin si pompeuse, qu'Ă mon advis ses ambitieux et courageux desseins, n'avoient rien de si hault que fut leur interruption. Il arriva sans y aller, ou il pretendoit, plus grandement et glorieusement, que ne portoit son desir et esperance. Et devança par sa cheute, le pouvoir et le nom, ou il aspiroit par sa course. Au jugement de la vie d'autruy, je regarde tousjours comment s'en est portĂ© le bout, et des principaux estudes de la mienne, c'est qu'il se porte bien, c'est a dire quietement et sourdement. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XIX Que Philosopher, c'est apprendre a mourir CICERON dit que Philosopher ce n'est autre chose que s'aprester Ă la mort. C'est d'autant que l'estude et la contemplation retirent aucunement nostre ame hors de nous, et l'embesongnent Ă part du corps, qui est quelque apprentissage et ressemblance de la mort Ou bien, c'est que toute la sagesse et discours du monde se resoult en fin Ă ce point, de nous apprendre a ne craindre point a mourir. De vray, ou la raison se mocque, ou elle ne doit viser qu'Ă nostre contentement, et tout son travail tendre en somme Ă nous faire bien vivre, et Ă nostre aise, comme dict la Saincte Escriture. Toutes les opinions du monde en sont lĂ , que le plaisir est nostre but, quoy qu'elles en prennent divers moyens ; autrement on les chasseroit d'arrivĂ©e. Car qui escouteroit celuy, qui pour sa fin establiroit nostre peine et mesaise ? Les dissentions des sectes Philosophiques en ce cas, sont verbales. Transcurramus solertissimas nugas. Il y a plus d'opiniastretĂ© et de picoterie, qu'il n'appartient Ă une si saincte profession. Mais quelque personnage que l'homme entrepreigne, il jouĂ tousjours le sien parmy. Quoy qu'ils dient, en la vertu mesme, le dernier but de nostre visee, c'est la voluptĂ©. Il me plaist de battre leurs oreilles de ce mot, qui leur est si fort Ă contrecoeur Et s'il signifie quelque supreme plaisir, et excessif contentement, il est mieux deu Ă l'assistance de la vertu, qu'Ă nulle autre assistance. Cette voluptĂ© pour estre plus gaillarde, nerveuse, robuste, virile, n'en est que plus serieusement voluptueuse. Et luy devions donner le nom du plaisir, plus favorable, plus doux et naturel non celuy de la vigueur, duquel nous l'avons denommee. Cette autre voluptĂ© plus basse, si elle meritoit ce beau nom ce devoit estre en concurrence, non par privilege. Je la trouve moins pure d'incommoditez et de traverses, que n'est la vertu. Outre que son goust est plus momentanee, fluide et caduque, elle a ses veilles, ses jeusnes, et ses travaux, et la sueur et le sang. Et en outre particulierement, ses passions trenchantes de tant de sortes ; et a son costĂ© une satiete si lourde, qu'elle equipolle Ă penitence. Nous avons grand tort d'estimer que ses incommoditez luy servent d'aiguillon et de condiment Ă sa douceur, comme en nature le contraire se vivifie par son contraire et de dire, quand nous venons Ă la vertu, que pareilles suittes et difficultez l'accablent, la rendent austere et inacessible. LĂ oĂÂč beaucoup plus proprement qu'Ă la voluptĂ©, elles anoblissent, aiguisent, et rehaussent le plaisir divin et parfaict, qu'elle nous moienne. Celuy la est certes bien indigne de son accointance, qui contrepoise son coust, Ă son fruit et n'en cognoist ny les graces ny l'usage. Ceux qui nous vont instruisant, que sa queste est scabreuse et laborieuse, sa jouĂÂŻssance agreable que nous disent-ils par lĂ , sinon qu'elle est tousjours desagreable ? Car quel moien humain arriva jamais Ă sa jouĂÂŻssance ? Les plus parfaits se sont bien contentez d'y aspirer, et de l'approcher, sans la posseder. Mais ils se trompent ; veu que de tous les plaisirs que nous cognoissons, la poursuite mesme en est plaisante. L'entreprise se sent de la qualitĂ© de la chose qu'elle regarde car c'est une bonne portion de l'effect, et consubstancielle. L'heur et la beatitude qui reluit en la vertu, remplit toutes ses appartenances et avenues, jusques Ă la premiere entree et extreme barriere. Or des principaux bienfaicts de la vertu, c'est le mespris de la mort, moyen qui fournit nostre vie d'une molle tranquillitĂ©, et nous en donne le goust pur et amiable sans qui toute autre voluptĂ© est esteinte. Voyla pourquoy toutes les regles se rencontrent et conviennent Ă cet article. Et combien qu'elles nous conduisent aussi toutes d'un commun accord Ă mespriser la douleur, la pauvretĂ©, et autres accidens, Ă quoy la vie humaine est subjecte, ce n'est pas d'un pareil soing tant par ce que ces accidens ne sont pas de telle necessitĂ©, la pluspart des hommes passent leur vie sans gouster de la pauvretĂ©, et tels encore sans sentiment de douleur et de maladie, comme Xenophilus le Musicien, qui vescut cent et six ans d'une entiere santĂ© qu'aussi d'autant qu'au pis aller, la mort peut mettre fin, quand il nous plaira, et coupper broche Ă tous autres inconvenients. Mais quant Ă la mort, elle est inevitable. Omnes eodem cogimur, omnium Versatur urna, serius ocius Sors exitura, et nos in ĂŠter- Num exitium impositura cymbĂŠ. Et par consequent, si elle nous faict peur, c'est un subject continuel de tourment, et qui ne se peut aucunement soulager. Il n'est lieu d'oĂÂč elle ne nous vienne. Nous pouvons tourner sans cesse la teste çà et lĂ , comme en pays suspect quĂŠ quasi saxum Tantalo semper impendet. Nos parlemens renvoyent souvent executer les criminels au lieu oĂÂč lecrime est commis durant le chemin, promenez les par de belles maisons, faictes leur tant de bonne chere, qu'il vous plaira, non SiculĂŠ dapes Dulcem elaborabunt saporem, Non avium, cytharĂŠque cantus Somnum reducent. Pensez vous qu'ils s'en puissent resjouir ? et que la finale intention de leur voyage leur estant ordinairement devant les yeux, ne leur ayt alterĂ© et affadi le goust Ă toutes ces commoditez ? Audit iter, numeratque dies, spatioque viarum Metitur vitam, torquetur peste futura. Le but de nostre carriere c'est la mort, c'est l'object necessaire de nostre visee si elle nous effraye, comme est-il possible d'aller un pas avant, sans fiebvre ? Le remede du vulgaire c'est de n'y penser pas. Mais de quelle brutale stupiditĂ© luy peut venir un si grossier aveuglement ? Il luy faut faire brider l'asne par la queuĂ, Qui capite ipse suo instituit vestigia retro. Ce n'est pas de merveille s'il est si souvent pris au piege. On fait peur Ă nos gens seulement de nommer la mort, et la pluspart s'en seignent, comme du nom du diable. Et par-ce qu'il s'en faict mention aux testamens, ne vous attendez pas qu'ils y mettent la main, que le medecin ne leur ayt donnĂ© l'extreme sentence. Et Dieu sçait lors entre la douleur et la frayeur, de quel bon jugement ils vous le patissent. Par ce que cette syllabe frappoit trop rudement leurs oreilles, et que cette voix leur sembloit malencontreuse, les Romains avoient apris de l'amollir ou l'estendre en perifrazes. Au lieu de dire, il est mort, il a cessĂ© de vivre, disent-ils, il a vescu. Pourveu que ce soit vie, soit elle passee, ils se consolent. Nous en avons empruntĂ©, nostre, feu Maistre-Jehan. A l'adventure est-ce, que comme on dict, le terme vaut l'argent. Je nasquis entre unze heures et midi le dernier jour de Febvrier, mil cinq cens trente trois comme nous contons Ă cette heure, commençant l'an en Janvier. Il n'y a justement que quinze jours que j'ay franchi 39. ans, il m'en faut pour le moins encore autant. Ce pendant s'empescher du pensement de chose si esloignee, ce seroit folie. Mais quoy ? les jeunes et les vieux laissent la vie de mesme condition. Nul n'en sort autrement que si tout presentement il y entroit, joinct qu'il n'est homme si dĂ©crepite tant qu'il voit Mathusalem devant, qui ne pense avoir encore vingt ans dans le corps. D'avantage, pauvre fol que tu es, qui t'a estably les termes de ta vie ? Tu te fondes sur les contes des Medecins. Regarde plustost l'effect et l'experience. Par le commun train des choses, tu vis pieça par faveur extraordinaire. Tu as passĂ© les termes accoustumez de vivre Et qu'il soit ainsi, conte de tes cognoissans, combien il en est mort avant ton aage, plus qu'il n'en y a qui l'ayent atteint Et de ceux mesme qui ont annobli leur vie par renommee, fais en registre, et j'entreray en gageure d'en trouver plus qui sont morts, avant, qu'apres trente cinq ans. Il est plein de raison, et de pietĂ©, de prendre exemple de l'humanitĂ© mesme de Jesus-Christ. Or il finit sa vie Ă trente et trois ans. Le plus grand homme, simplement homme, Alexandre, mourut aussi Ă ce terme. Combien a la mort de façons de surprise ? Quid quisque vitet, nunquam homini satis Cautum est in horas. Je laisse Ă part les fiebvres et les pleuresies. Qui eust jamais pensĂ© qu'un Duc de Bretaigne deust estre estouffĂ© de la presse, comme fut celuy lĂ Ă l'entree du Pape Clement mon voisin, Ă Lyon ? N'as tu pas veu tuer un de nos Roys en se jouant ? et un de ses ancestres mourut il pas choquĂ© par un pourceau ? Ăâ schylus menassĂ© de la cheute d'une maison, Ă beau se tenir Ă l'airte, le voyla assommĂ© d'un toict de tortue, qui eschappa des pattes d'un Aigle en l'air l'autre mourut d'un grain de raisin un Empereur de l'egratigneure d'un peigne en se testonnant Ăâ mylius Lepidus pour avoir heurtĂ© du pied contre le seuil de son huis Et Aufidius pour avoir choquĂ© en entrant contre la porte de la chambre du conseil. Et entre les cuisses des femmes Cornelius Gallus preteur, Tigillinus Capitaine du guet Ă Rome, Ludovic fils de Guy de Gonsague, Marquis de MantoĂÂŒe. Et d'un encore pire exemple, Speusippus Philosophe Platonicien, et l'un de nos Papes. Le pauvre Bebius, Juge, cependant qu'il donne delay de huictaine Ă une partie, le voyla saisi, le sien de vivre estant expirĂ© Et Caius Julius medecin gressant les yeux d'un patient, voyla la mort qui clost les siens. Et s'il m'y faut mesler, un mien frere le Capitaine S. Martin, aagĂ© de vingt trois ans, qui avoit desja faict assez bonne preuve de sa valeur, jouant Ă la paume, reçeut un coup d'esteuf, qui l'assena un peu au dessus de l'oreille droitte, sans aucune apparence de contusion, ny de blessure il ne s'en assit, ny reposa mais cinq ou six heures apres il mourut d'une Apoplexie que ce coup luy causa. Ces exemples si frequents et si ordinaires nous passans devant les yeux, comme est-il possible qu'on se puisse deffaire du pensement de la mort, et qu'Ă chasque instant il ne nous semble qu'elle nous tienne au collet ? Qu'importe-il, me direz vous, comment que ce soit, pourveu qu'on ne s'en donne point de peine ? Je suis de cet advis et en quelque maniere qu'on se puisse mettre Ă l'abri des coups, fust ce soubs la peau d'un veau, je ne suis pas homme qui y reculast car il me suffit de passer Ă mon aise, et le meilleur jeu que je me puisse donner, je le prens, si peu glorieux au reste et exemplaire que vous voudrez. prĂŠtulerim delirus inĂ©rsque videri, Dum mea delectent mala me, vel denique fallant, Quam sapere et ringi. Mais c'est folie d'y penser arriver par lĂ . Ils vont, ils viennent, ils trottent, ils dansent, de mort nulles nouvelles. Tout cela est beau mais aussi quand elle arrive, ou Ă eux ou Ă leurs femmes, enfans et amis, les surprenant en dessoude et au descouvert, quels tourmens, quels cris, quelle rage et quel desespoir les accable ? Vistes vous jamais rien si rabaissĂ©, si changĂ©, si confus ? Il y faut prouvoir de meilleure heure Et cette nonchalance bestiale, quand elle pourroit loger en la teste d'un homme d'entendement ce que je trouve entierement impossible nous vend trop cher ses denrees. Si c'estoit ennemy qui se peust eviter, je conseillerois d'emprunter les armes de la coĂÂŒardise mais puis qu'il ne se peut ; puis qu'il vous attrappe fuyant et poltron aussi bien qu'honeste homme, Nempe et fugacem persequitur virum, Nec parcit imbellis juventĂŠ Poplitibus, timidoque tergo. Et que nulle trampe de cuirasse vous couvre, Ille licet ferro cautus se condat in ĂŠre, Mors tamen inclusum protrahet inde caput. aprenons Ă le soustenir de pied ferme, et Ă le combatre Et pour commencer Ă luy oster son plus grand advantage contre nous, prenons voye toute contraire Ă la commune. Ostons luy l'estrangetĂ©, pratiquons le, accoustumons le, n'ayons rien si souvent en la teste que la mort Ă tous instans representons la Ă nostre imagination et en tous visages. Au broncher d'un cheval, Ă la cheute d'une tuille, Ă la moindre piqueure d'espeingle, remachons soudain, Et bien quand ce seroit la mort mesme ? et lĂ dessus, roidissons nous, et nous efforçons. Parmy les festes et la joye, ayons tousjours ce refrein de la souvenance de nostre condition, et ne nous laissons pas si fort emporter au plaisir, que par fois il ne nous repasse en la memoire, en combien de sortes cette nostre allegresse est en butte Ă la mort, et de combien de prinses elle la menasse. Ainsi faisoient les Egyptiens, qui au milieu de leurs festins et parmy leur meilleure chere, faisoient apporter l'Anatomie seche d'un homme, pour servir d'avertissement aux conviez. Omnem crede diem tibi diluxisse supremum, Grata superveniet, quĂŠ non sperabitur hora. Il est incertain oĂÂč la mort nous attende, attendons la par tout. La premeditation de la mort, est premeditation de la libertĂ©. Qui a apris Ă mourir, il a desapris Ă servir. Il n'y a rien de mal en la vie, pour celuy qui a bien comprins, que la privation de la vie n'est pas mal. Le sçavoir mourir nous afranchit de toute subjection et contraincte. Paulus Ăâ mylius respondit Ă celuy, que ce miserable Roy de Macedoine son prisonnier luy envoyoit, pour le prier de ne le mener pas en son triomphe, Qu'il en face la requeste Ă soy mesme. A la veritĂ© en toutes choses si nature ne preste un peu, il est mal-aysĂ© que l'art et l'industrie aillent guiere avant. Je suis de moy-mesme non melancholique, mais songecreux il n'est rien dequoy je me soye des tousjours plus entretenu que des imaginations de la mort ; voire en la saison la plus licentieuse de mon aage, Jucundum cum ĂŠtas florida ver ageret. Parmy les dames et les jeux, tel me pensoit empeschĂ© Ă digerer Ă part moy quelque jalousie, ou l'incertitude de quelque esperance, cependant que je m'entretenois de je ne sçay qui surpris les jours precedens d'une fievre chaude, et de sa fin au partir d'une feste pareille, et la teste pleine d'oisivetĂ©, d'amour et de bon temps, comme moy et qu'autant m'en pendoit Ă l'oreille. Jam fuerit, nec post unquam revocare licebit. Je ne ridois non plus le front de ce pensement lĂ , que d'un autre. Il est impossible que d'arrivee nous ne sentions des piqueures de telles imaginations mais en les maniant et repassant, au long aller, on les apprivoise sans doubte Autrement de ma part je fusse en continuelle frayeur et frenesie Car jamais homme ne se dĂ©fia tant de sa vie, jamais homme ne feit moins d'estat de sa duree. Ny la santĂ©, que j'ay jouy jusques Ă present tresvigoureuse et peu souvent interrompue, ne m'en alonge l'esperance, ny les maladies ne me l'acourcissent. A chaque minute il me semble que je m'eschappe. Et me rechante sans cesse, Tout ce qui peut estre faict un autre jour, le peut estre aujourd'huy. De vray les hazards et dangiers nous approchent peu ou rien de nostre fin Et si nous pensons, combien il en reste, sans cet accident qui semblent nous menasser le plus, de millions d'autres sur nos testes, nous trouverons que gaillars et fievreux, en la mer et en nos maisons, en la bataille et en repos elle nous est Ă©gallement pres. Nemo altero fragilior est nemo in crastinum sui certior. Ce que j'ay affaire avant mourir, pour l'achever tout loisir me semble court, fust ce d'une heure. Quelcun feuilletant l'autre jour mes tablettes, trouva un memoire de quelque chose, que je vouloys estre faite apres ma mort je luy dy, comme il estoit vray, que n'estant qu'Ă une lieue de ma maison, et sain et gaillard, je m'estoy hastĂ© de l'escrire lĂ , pour ne m'asseurer point d'arriver jusques chez moy. Comme celuy, qui continuellement me couve de mes pensees, et les couche en moy je suis Ă toute heure preparĂ© environ ce que je le puis estre et ne m'advertira de rien de nouveau la survenance de la mort. Il faut estre tousjours bottĂ© et prest Ă partir, en tant que en nous est, et sur tout se garder qu'on n'aye lors affaire qu'Ă soy. Quid brevi fortes jaculamur ĂŠvo Multa ? Car nous y aurons assez de besongne, sans autre surcrois. L'un se pleint plus que de la mort, dequoy elle luy rompt le train d'une belle victoire l'autre qu'il luy faut desloger avant qu'avoir mariĂ© sa fille, ou contrerolĂ© l'institution de ses enfans l'un pleint la compagnie de sa femme, l'autre de son fils, comme commoditez principales de son estre. Je suis pour cette heure en tel estat, Dieu mercy, que je puis desloger quand il luy plaira, sans regret de chose quelconque Je me desnoue par tout mes adieux sont tantost prins de chascun, sauf de moy. Jamais homme ne se prepara Ă quiter le monde plus purement et pleinement, et ne s'en desprint plus universellement que je m'attens de faire. Les plus mortes morts sont les plus saines. Miser ĂÂŽ miser aiunt omnia ademit. Una dies infesta mihi tot prĂŠmia vitĂŠ et le bastisseur, Manent dict-il opera interrupta, minĂŠque Murorum ingentes. Il ne faut rien designer de si longue haleine, ou au moins avec telle intention de se passionner pour en voir la fin. Nous sommes nĂ©s pour agir Cum moriar, medium solvar et inter opus. Je veux qu'on agisse, et qu'on allonge les offices de la vie, tant qu'on peut et que la mort me treuve plantant mes choux, mais nonchallant d'elle, et encore plus de mon jardin imparfait. J'en vis mourir un, qui estant Ă l'extremitĂ© se pleignoit incessamment, dequoy sa destinee coupoit le fil de l'histoire qu'il avoit en main, sur le quinziesme ou seixiesme de nos Roys. Illud in his rebus non addunt, nec tibi earum Jam desiderium rerum super insidet una. Il faut se descharger de ces humeurs vulgaires et nuisibles. Tout ainsi qu'on a plantĂ© nos cimetieres joignant les Eglises, et aux lieux les plus frequentez de la ville, pour accoustumer, disoit Lycurgus, le bas populaire, les femmes et les enfans Ă ne s'effaroucher point de voir un homme mort et affin que ce continuel spectacle d'ossemens, de tombeaux, et de convois nous advertisse de nostre condition. Quin etiam exhilarare viris convivia cĂŠde Mos olim, et miscere epulis spectacula dira Certantum ferro, sĂŠpe et super ipsa cadentum Pocula, respersis non parco sanguine mensis. Et comme les Egyptiens apres leurs festins, faisoient presenter aux assistans une grande image de la mort, par un qui leur crioit Boy, et t'esjouy, car mort tu seras tel Aussi ay-je pris en coustume, d'avoir non seulement en l'imagination, mais continuellement la mort en la bouche. Et n'est rien dequoy je m'informe si volontiers, que de la mort des hommes quelle parole, quel visage, quelle contenance ils y ont eu ny endroit des histoires, que je remarque si attentifvement. Il y paroist, Ă la farcissure de mes exemples et que j'ay en particuliere affection cette matiere. Si j'estoy faiseur de livres, je feroy un registre commentĂ© des morts diverses, qui apprendroit les hommes Ă mourir, leur apprendroit Ă vivre. Dicearchus en feit un de pareil titre, mais d'autre et moins utile fin. On me dira, que l'effect surmonte de si loing la pensee, qu'il n'y a si belle escrime, qui ne se perde, quand on en vient lĂ laissez les dire ; le premediter donne sans doubte grand avantage Et puis n'est-ce rien, d'aller au moins jusques lĂ sans alteration et sans fiĂ©vre ? Il y a plus nature mesme nous preste la main, et nous donne courage. Si c'est une mort courte et violente, nous n'avons pas loisir de la craindre si elle est autre, je m'apperçois qu'Ă mesure que je m'engage dans la maladie, j'entre naturellement en quelque desdain de la vie. Je trouve que j'ay bien plus affaire Ă digerer cette resolution de mourir, quand je suis en santĂ©, que je n'ay quand je suis en fiĂ©vre d'autant que je ne tiens plus si fort aux commoditez de la vie, Ă raison que je commance Ă en perdre l'usage et le plaisir, j'en voy la mort d'une veuĂ beaucoup moins effrayee. Cela me faict esperer, que plus je m'eslongneray de celle-lĂ , et approcheray de cette-cy, plus aysĂ©ment j'entreray en composition de leur eschange. Tout ainsi que j'ay essayĂ© en plusieurs autres occurrences, ce que dit Cesar, que les choses nous paroissent souvent plus grandes de loing que de pres j'ay trouvĂ© que sain j'avois eu les maladies beaucoup plus en horreur, que lors que je les ay senties. L'alegresse oĂÂč je suis, le plaisir et la force, me font paroistre l'autre estat si disproportionnĂ© Ă celuy-lĂ , que par imagination je grossis ces incommoditez de la moitiĂ©, et les conçoy plus poisantes, que je ne les trouve, quand je les ay sur les espaules. J'espere qu'il m'en adviendra ainsi de la mort. Voyons Ă ces mutations et declinaisons ordinaires que nous souffrons, comme nature nous desrobe la veuĂ de nostre perte et empirement. Que reste-il Ă un vieillard de la vigueur de sa jeunesse, et de sa vie passee ? Heu senibus vitĂŠ portio quanta manet ! Cesar Ă un soldat de sa garde recreu et cassĂ©, qui vint en la ruĂ, luy demander congĂ© de se faire mourir regardant son maintien decrepite, respondit plaisamment Tu penses donc estre en vie. Qui y tomberoit tout Ă un coup, je ne crois pas que nous fussions capables de porter un tel changement mais conduicts par sa main, d'une douce pente et comme insensible, peu Ă peu, de degrĂ© en degrĂ©, elle nous roule dans ce miserable estat, et nous y apprivoise. Si que nous ne sentons aucune secousse, quand la jeunesse meurt en nous qui est en essence et en veritĂ©, une mort plus dure, que n'est la mort entiere d'une vie languissante ; et que n'est la mort de la vieillesse D'autant que le sault n'est pas si lourd du mal estre au non estre, comme il est d'un estre doux et fleurissant, Ă un estre penible et douloureux. Le corps courbe et pliĂ© a moins de force Ă soustenir un fais, aussi a nostre ame. Il la faut dresser et eslever contre l'effort de cet adversaire. Car comme il est impossible, qu'elle se mette en repos pendant qu'elle le craint si elle s'en asseure aussi, elle se peut vanter qui est chose comme surpassant l'humaine condition qu'il est impossible que l'inquietude, le tourment, et la peur, non le moindre desplaisir loge en elle. Non vultus instantis tyranni Mente quatit solida, neque Auster Dux inquieti turbidus AdriĂŠ, Nec fulminantis magna Jovis manus. Elle est renduĂ maistresse de ses passions et concupiscences ; maistresse de l'indulgence, de la honte, de la pauvretĂ©, et de toutes autres injures de fortune. Gagnons cet advantage qui pourra C'est icy la vraye et souveraine libertĂ©, qui nous donne dequoy faire la figue Ă la force, et Ă l'injustice, et nous moquer des prisons et des fers. in manicis, et Compedibus, sĂŠvo te sub custode tenebo. Ipse Deus simul atque volam, me solvet opinor, Hoc sentit, moriar. Mors ultima linea rerum est. Nostre religion n'a point eu de plus asseurĂ© fondement humain, que le mespris de la vie. Non seulement le discours de la raison nous y appelle ; car pourquoy craindrions nous de perdre une chose, laquelle perduĂ ne peut estre regrettĂ©e ? mais aussi puis que nous sommes menaçez de tant de façons de mort, n'y a il pas plus de mal Ă les craindre toutes, qu'Ă en soustenir une ? Que chaut-il, quand ce soit, puis qu'elle est inevitable ? A celuy qui disoit Ă Socrates ; Les trente tyrans t'ont condamnĂ© Ă la mort Et nature, eux, respondit-il. Quelle sottise, de nous peiner, sur le point du passage Ă l'exemption de toute peine ! Comme nostre naissance nous apporta la naissance de toutes choses aussi fera la mort de toutes choses, nostre mort. Parquoy c'est pareille folie de pleurer de ce que d'icy Ă cent ans nous ne vivrons pas, que de pleurer de ce que nous ne vivions pas, il y a cent ans. La mort est origine d'une autre vie ainsi pleurasmes nous, et ainsi nous cousta-il d'entrer en cette-cy ainsi nous despouillasmes nous de nostre ancien voile, en y entrant. Rien ne peut estre grief, qui n'est qu'une fois. Est-ce raison de craindre si long temps, chose de si brief temps ? Le long temps vivre, et le peu de temps vivre est rendu tout un par la mort. Car le long et le court n'est point aux choses qui ne sont plus. Aristote dit, qu'il y a des petites bestes sur la riviere Hypanis, qui ne vivent qu'un jour. Celle qui meurt Ă huict heures du matin, elle meurt en jeunesse celle qui meurt Ă cinq heures du soir, meurt en sa decrepitude. Qui de nous ne se mocque de voir mettre en consideration d'heur ou de malheur, ce moment de durĂ©e ? Le plus et le moins en la nostre, si nous la comparons Ă l'eternitĂ©, ou encores Ă la duree des montaignes, des rivieres, des estoilles, des arbres, et mesmes d'aucuns animaux, n'est pas moins ridicule. Mais nature nous y force. Sortez, dit-elle, de ce monde, comme vous y estes entrez. Le mesme passage que vous fistes de la mort Ă la vie, sans passion et sans frayeur, refaites le de la vie Ă la mort. Vostre mort est une des pieces de l'ordre de l'univers, c'est une piece de la vie du monde. inter se mortales mutua vivunt, Et quasi cursores vitaĂÂŻ lampada tradunt. Changeray-je pas pour vous cette belle contexture des choses ? C'est la condition de vostre creation ; c'est une partie de vous que la mort vous vous fuyez vous mesmes. Cettuy vostre estre, que vous jouyssez, est Ă©galement party Ă la mort et Ă la vie. Le premier jour de vostre naissance vous achemine Ă mourir comme Ă vivre. Prima, quĂŠ vitam dedit, hora, carpsit. Nascentes morimur, finisque ab origine pendet. Tout ce que vous vivĂ©s, vous le desrobĂ©s Ă la vie c'est Ă ses despens. Le continuel ouvrage de vostre vie, c'est bastir la mort. Vous estes en la mort, pendant que vous estes en vie car vous estes apres la mort, quand vous n'estes plus en vie. Ou, si vous l'aymez mieux ainsi, vous estes mort apres la vie mais pendant la vie, vous estes mourant et la mort touche bien plus rudement le mourant que le mort, et plus vivement et essentiellement. Si vous avez faict vostre proufit de la vie, vous en estes repeu, allez vous en satisfaict. Cur non ut plenus vitĂŠ conviva recedis ? Si vous n'en n'avez sçeu user ; si elle vous estoit inutile, que vous chaut-il de l'avoir perduĂ ? Ă quoy faire la voulez vous encores ? Cur amplius addere quĂŠris Rursum quod pereat male, et ingratum occidat omne ? La vie n'est de soy ny bien ny mal c'est la place du bien et du mal, selon que vous la leur faictes. Et si vous avez vescu un jour, vous avez tout veu un jour est Ă©gal Ă tous jours. Il n'y a point d'autre lumiere, ny d'autre nuict. Ce Soleil, cette Lune, ces Estoilles, cette disposition, c'est celle mesme que vos ayeuls ont jouye, et qui entretiendra vos arriere-nepveux. Non alium videre patres aliumve nepotes Aspicient. Et au pis aller, la distribution et varietĂ© de tous les actes de ma comedie, se parfournit en un an. Si vous avez pris garde au branle de mes quatre saisons, elles embrassent l'enfance, l'adolescence, la virilitĂ©, et la vieillesse du monde. Il a joĂÂŒĂ© son jeu il n'y sçait autre finesse, que de recommencer ; ce sera tousjours cela mesme. versamur ibidem, arque insumus usque, Atque in se sua per vestigia volvitur annus. Je ne suis pas deliberĂ©e de vous forger autres nouveaux passetemps. Nam tibi prĂŠterea quod machiner, inveniamque Quod placeat, nihil est, eadem sunt omnia semper. Faictes place aux autres, comme d'autres vous l'ont faite. L'equalitĂ© est la premiere piece de l'equitĂ©. Qui se peut plaindre d'estre comprins oĂÂč tous sont comprins ? Aussi avez vous beau vivre, vous n'en rabattrez rien du temps que vous avez Ă estre mort c'est pour neant ; aussi long temps serez vous en cet estat lĂ , que vous craingnez, comme si vous estiez mort en nourrisse licet, quod vis, vivendo vincere secla, Mors ĂŠterna tamen, nihilominus illa manebit. Et si vous mettray en tel point, auquel vous n'aurez aucun mescontentement. In vera nescis nullum fore morte alium te, Qui possit vivus tibi te lugere peremptum, Stansque jacentem. Ny ne desirerez la vie que vous plaignez tant. Nec sibi enim quisquam tum se vitamque requirit, Nec desiderium nostri nos afficit ullum. La mort est moins Ă craindre que rien, s'il y avoit quelque chose de moins, que rien. multo mortem minus ad nos esse putandum, Si minus esse potest quam quod nihil esse videmus. Elle ne vous concerne ny mort ny vif. Vif, par ce que vous estes Mort, par ce que vous n'estes plus. D'avantage nul ne meurt avant son heure. Ce que vous laissez de temps, n'estoit non plus vostre, que celuy qui s'est passĂ© avant vostre naissance et ne vous touche non plus. Respice enim quam nil ad nos ante acta vetustas Temporis ĂŠterni fuerit. OĂÂč que vostre vie finisse, elle y est toute. L'utilitĂ© du vivre n'est pas en l'espace elle est en l'usage. Tel a vescu long temps, qui a peu vescu. Attendez vous y pendant que vous y estes. Il gist en vostre volontĂ©, non au nombre des ans, que vous ayez assez vescu. Pensiez vous jamais n'arriver l'Ă , oĂÂč vous alliez sans cesse ? encore n'y a il chemin qui n'aye son issuĂ. Et si la compagnie vous peut soulager, le monde ne va-il pas mesme train que vous allez ? omnia te vita perfuncta sequentur. Tout ne branle-il pas vostre branle ? y a-il chose qui ne vieillisse quant et vous ? Mille hommes, mille animaux et mille autres creatures meurent en ce mesme instant que vous mourez. Nam nox nulla diem, neque noctem aurora sequuta est, QuĂŠ non audierit mistos vagitibus ĂŠgris Ploratus mortis comites et funeris atri. A quoy faire y reculez vous, si vous ne pouvez tirer arriere ? Vous en avez assez veu qui se sont bien trouvĂ©s de mourir, eschevant par lĂ des grandes miseres. Mais quelqu'un qui s'en soit mal trouvĂ©, en avez vous veu ? Si est-ce grande simplesse, de condamner chose que vous n'avez esprouvĂ©e ny par vous ny par autre. Pourquoy te pleins-tu de moy et de la destinĂ©e ? Te faisons nous tort ? Est-ce Ă toy de nous gouverner, ou Ă nous toy ? Encore que ton aage ne soit pas achevĂ©, ta vie l'est. Un petit homme est homme entier comme un grand. Ny les hommes ny leurs vies ne se mesurent Ă l'aune. Chiron refusa l'immortalitĂ©, informĂ© des conditions d'icelle, par le Dieu mesme du temps, et de la durĂ©e, Saturne son pere Imaginez de vray, combien seroit une vie perdurable, moins supportable Ă l'homme, et plus penible, que n'est la vie que je luy ay donnĂ©e. Si vous n'aviez la mort, vous me maudiriez sans cesse de vous en avoir privĂ©. J'y ay Ă escient meslĂ© quelque peu d'amertume, pour vous empescher ; voyant la commoditĂ© de son usage, de l'embrasser trop avidement et indiscretement Pour vous loger en ceste moderation, ny de fuir la vie, ny de refuir Ă la mort, que je demande de vous ; j'ay temperĂ© l'une et l'autre entre la douceur et l'aigreur. J'apprins Ă Thales le premier de voz sages, que le vivre et le mourir estoit indifferent par oĂÂč, Ă celuy qui luy demanda, pourquoy donc il ne mouroit il respondit tressagement, Pour ce qu'il est indifferent. L'eau, la terre, l'air et le feu, et autres membres de ce mien bastiment, ne sont non plus instruments de ta vie, qu'instruments de ta mort. Pourquoy crains-tu ton dernier jour ? Il ne confere non plus Ă ta mort que chascun des autres. Le dernier pas ne faict pas la lassitude il la declaire. Tous les jours vont Ă la mort le dernier y arrive. Voila les bons advertissemens de nostre mere Nature. Or j'ay pensĂ© souvent d'oĂÂč venoit celĂ , qu'aux guerres le visage de la mort, soit que nous la voyons en nous ou en autruy, nous semble sans comparaison moins effroyable qu'en nos maisons autrement ce seroit une armĂ©e de medecins et de pleurars et elle estant tousjours une, qu'il y ait toutes-fois beaucoup plus d'asseurance parmy les gens de village et de basse condition qu'Ă©s autres. Je croy Ă la veritĂ© que ce sont ces mines et appareils effroyables, dequoy nous l'entournons, qui nous font plus de peur qu'elle une toute nouvelle forme de vivre les cris des meres, des femmes, et des enfans la visitation de personnes estonnees, et transies l'assistance d'un nombre de valets pasles et Ă©plorĂ©s une chambre sans jour des cierges allumez nostre chevet assiegĂ© de medecins et de prescheurs somme tout horreur et tout effroy autour de nous. Nous voyla des-ja ensevelis et enterrez. Les enfans ont peur de leurs amis mesmes quand ils les voyent masquez ; aussi avons nous. Il faut oster le masque aussi bien des choses, que des personnes. OstĂ© qu'il sera, nous ne trouverons au dessoubs, que cette mesme mort, qu'un valet ou simple chambriere passerent dernierement sans peur. Heureuse la mort qui oste le loisir aux apprests de tel equipage ! Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XX De la force de l'imagination Fortis imaginatio generat casum, disent les clercs. Je suis de ceux qui sentent tres-grand effort de l'imagination. Chacun en est heurtĂ©, mais aucuns en sont renversez. Son impression me perse ; et mon art est de luy eschapper, par faute de force Ă luy resister. Je vivroye de la seule assistance de personnes saines et gaies. La veuĂ des angoisses d'autruy m'angoisse materiellement et a mon sentiment souvent usurpĂ© le sentiment d'un tiers. Un tousseur continuel irrite mon poulmon et mon gosier. Je visite plus mal volontiers les malades, ausquels le devoir m'interesse, que ceux ausquels je m'attens moins, et que je considere moins. Je saisis le mal, que j'estudie, et le couche en moy. Je ne trouve pas estrange qu'elle donne et les fievres, et la mort, Ă ceux qui la laissent faire, et qui luy applaudissent. Simon Thomas estoit un grand medecin de son temps. Il me souvient que me rencontrant un jour Ă Thoulouse chez un riche vieillard pulmonique, et traittant avec luy des moyens de sa guarison, il luy dist, que c'en estoit l'un, de me donner occasion de me plaire en sa compagnie et que fichant ses yeux sur la frescheur de mon visage, et sa pensĂ©e sur cette allegresse et vigueur, qui regorgeoit de mon adolescence et remplissant tous ses sens de cet estat florissant en quoy j'estoy lors, son habitude s'en pourroit amender Mais il oublioit Ă dire, que la mienne s'en pourroit empirer aussi. Gallus Vibius banda si bien son ame, Ă comprendre l'essence et les mouvemens de la folie, qu'il emporta son jugement hors de son siege, si qu'onques puis il ne l'y peut remettre et se pouvoit vanter d'estre devenu fol par sagesse. Il y en a, qui de frayeur anticipent la main du bourreau ; et celuy qu'on debandoit pour luy lire sa grace, se trouva roide mort sur l'eschaffaut du seul coup de son imagination. Nous tressuons, nous tremblons, nous pallissons, et rougissons aux secousses de nos imaginations ; et renversez dans la plume sentons nostre corps agitĂ© Ă leur bransle, quelques-fois jusques Ă en expirer. Et la jeunesse bouillante s'eschauffe si avant en son harnois toute endormie, qu'elle assouvit en songe ses amoureux desirs. Ut quasi transactis sĂŠpe omnibus rebus profundant Fluminis ingentes fluctus, vestĂ©mque cruentent. Et encore qu'il ne soit pas nouveau de voir croistre la nuict des cornes Ă tel, qui ne les avoit pas en se couchant toutesfois l'evenement de Cyppus Roy d'Italie est memorable, lequel pour avoir assistĂ© le jour avec grande affection au combat des taureaux, et avoir eu en songe toute la nuict des cornes en la teste, les produisit en son front par la force de l'imagination. La passion donna au fils de Croesus la voix, que nature luy avoit refusĂ©e. Et Antiochus print la fievre, par la beautĂ© de StratonicĂ© trop vivement empreinte en son ame. Pline dit avoir veu Lucius Cossitius, de femme changĂ© en homme le jour de ses nopces. Pontanus et d'autres racontent pareilles metamorphoses advenuĂs en Italie ces siecles passez Et par vehement desir de luy et de sa mere, Vota puer solvit, quĂŠ foemina voverat Iphis. Passant Ă Vitry le François je peu voir un homme que l'Evesque de Soissons avoit nommĂ© Germain en confirmation, lequel tous les habitans de lĂ ont cogneu, et veu fille, jusques Ă l'aage de vingt deux ans, nommĂ©e Marie. Il estoit Ă cette heure lĂ fort barbu, et vieil, et point mariĂ©. Faisant, dit-il, quelque effort en saultant, ses membres virils se produisirent et est encore en usage entre les filles de lĂ , une chanson, par laquelle elles s'entradvertissent de ne faire point de grandes enjambees, de peur de devenir garçons, comme Marie Germain. Ce n'est pas tant de merveille que cette sorte d'accident se rencontre frequent car si l'imagination peut en telles choses, elle est si continuellement et si vigoureusement attachĂ©e Ă ce subject, que pour n'avoir si souvent Ă rechoir en mesme pensĂ©e et aspretĂ© de desir, elle a meilleur compte d'incorporer, une fois pour toutes, cette virile partie aux filles. Les uns attribuent Ă la force de l'imagination les cicatrices du Roy Dagobert et de Sainct François. On dit que les corps s'en-enlevent telle fois de leur place. Et Celsus recite d'un Prestre, qui ravissoit son ame en telle extase, que le corps en demeuroit longue espace sans respiration et sans sentiment. Sainct Augustin en nomme un autre, Ă qui il ne falloit que faire ouĂÂŻr des cris lamentables et plaintifs soudain il defailloit, et s'emportoit si vivement hors de soy, qu'on avoit beau le tempester, et hurler, et le pincer, et le griller, jusques Ă ce qu'il fust resuscitĂ© Lors il disoit avoir ouy des voix, mais comme venant de loing et s'apercevoit de ses eschaudures et meurtrisseures. Et que ce ne fust une obstination apostĂ©e contre son sentiment, cela le monstroit, qu'il n'avoit ce pendant ny poulx ny haleine. Il est vray semblable, que le principal credit des visions, des enchantemens, et de tels effects extraordinaires, vienne de la puissance de l'imagination, agissant principalement contre les ames du vulgaire, plus molles. On leur a si fort saisi la creance, qu'ils pensent voir ce qu'ils ne voyent pas. Je suis encore en ce doubte, que ces plaisantes liaisons dequoy nostre monde se voit si entravĂ© qu'il ne se parle d'autre chose, ce sont volontiers des impressions de l'apprehension et de la crainte. Car je sçay par experience, que tel de qui je puis respondre, comme de moy-mesme, en qui il ne pouvoit choir soupçon aucun de foiblesse, et aussi peu d'enchantement, ayant ouy faire le conte Ă un sien compagnon d'une defaillance extraordinaire, en quoy il estoit tombĂ© sur le point qu'il en avoit le moins de besoin, se trouvant en pareille occasion, l'horreur de ce conte luy vint Ă coup si rudement frapper l'imagination, qu'il en courut une fortune pareille. Et de lĂ en hors fut subject Ă y renchoir ce villain souvenir de son inconvenient le gourmandant et tyrannisant. Il trouva quelque remede Ă cette resverie, par une autre resverie. C'est qu'advouant luy mesme, et preschant avant la main, cette sienne subjection, la contention de son ame se soulageoit, sur ce, qu'apportant ce mal comme attendu, son obligation en amoindrissoit, et luy en poisoit moins. Quand il a eu loy, Ă son chois sa pensĂ©e desbrouillĂ©e et desbandĂ©e, son corps se trouvant en son deu de le faire lors premierement tenter, saisir, et surprendre Ă la cognoissance d'autruy il s'est guari tout net. A qui on a estĂ© une fois capable, on n'est plus incapable, sinon par juste foiblesse. Ce malheur n'est Ă craindre qu'aux entreprinses, oĂÂč nostre ame se trouve outre mesure tendue de desir et de respect ; et notamment oĂÂč les commoditez se rencontrent improuveues et pressantes. On n'a pas moyen de se ravoir de ce trouble. J'en sçay, Ă qui il a servy d'y apporter le corps mesme, demy rassasiĂ© d'ailleurs, pour endormir l'ardeur de cette fureur, et qui par l'aage, se trouve moins impuissant, de ce qu'il est moins puissant Et tel autre, Ă qui il a servi aussi qu'un amy l'ayt asseurĂ© d'estre fourni d'une contrebatterie d'enchantements certains, Ă le preserver. Il vaut mieux, que je die comment ce fut. Un Comte de tresbon lieu, de qui j'estoye fort privĂ©, se mariant avec une belle dame, qui avoit estĂ© poursuivie de tel qui assistoit Ă la feste, mettoit en grande peine ses amis et nommĂ©ment une vieille dame sa parente, qui presidoit Ă ces nopces, et les faisoit chez elle, craintive de ces sorcelleries ce qu'elle me fit entendre. Je la priay s'en reposer sur moy. J'avoye de fortune en mes coffres, certaine petite piece d'or platte, oĂÂč estoient gravĂ©es quelques figures celestes, contre le coup du Soleil, et pour oster la douleur de teste, la logeant Ă point, sur la cousture du test et pour l'y tenir, elle estoit cousuĂ Ă un ruban propre Ă rattacher souz le menton. Resverie germaine Ă celle dequoy nous parlons. Jacques Peletier, vivant chez moy, m'avoit faict ce present singulier. J'advisay d'en tirer quelque usage, et dis au Comte, qu'il pourroit courre fortune comme les autres, y ayant lĂ des hommes pour luy en vouloir prester une ; mais que hardiment il s'allast coucher Que je luy feroy un tour d'amy et n'espargneroys Ă son besoin, un miracle, qui estoit en ma puissance pourveu que sur son honneur, il me promist de le tenir tresfidelement secret. Seulement, comme sur la nuict on iroit luy porter le resveillon, s'il luy estoit mal allĂ©, il me fist un tel signe. Il avoit eu l'ame et les oreilles si battues, qu'il se trouva liĂ© du trouble de son imagination et me feit son signe Ă l'heure susditte. Je luy dis lors Ă l'oreille, qu'il se levast, souz couleur de nous chasser, et prinst en se jouant la robbe de nuict, que j'avoye sur moy nous estions de taille fort voisine et s'en vestist, tant qu'il auroit executĂ© mon ordonnance, qui fut ; Quand nous serions sortis, qu'il se retirast Ă tomber de l'eaue dist trois fois telles parolles et fist tels mouvements. Qu'Ă chascune de ces trois fois, il ceignist le ruban, que je luy mettoys en main, et couchast bien soigneusement la medaille qui y estoit attachĂ©e, sur ses roignons la figure en telle posture. Cela faict, ayant Ă la derniere fois bien estreint ce ruban, pour qu'il ne se peust ny desnouer, ny mouvoir de sa place, qu'en toute asseurance il s'en retournast Ă son prix faict et n'oubliast de rejetter ma robbe sur son lict, en maniere qu'elle les abriast tous deux. Ces singeries sont le principal de l'effect. Nostre pensĂ©e ne se pouvant desmesler, que moyens si estranges ne viennent de quelque abstruse science. Leur inanitĂ© leur donne poids et reverence. Somme il fut certain, que mes characteres se trouverent plus Veneriens que Solaires, plus en action qu'en prohibition. Ce fut une humeur prompte et curieuse, qui me convia Ă tel effect, esloignĂ© de ma nature. Je suis ennemy des actions subtiles et feintes et hay la finesse, en mes mains, non seulement recreative, mais aussi profitable. Si l'action n'est vicieuse, la routte l'est. Amasis Roy d'Ăâ gypte, espousa Laodice tresbelle fille Grecque et luy, qui se monstroit gentil compagnon par tout ailleurs, se trouva court Ă jouĂÂŻr d'elle et menaça de la tuer, estimant que ce fust quelque sorcerie. Comme Ă©s choses qui consistent en fantasie, elle le rejetta Ă la devotion Et ayant faict ses voeus et promesses Ă Venus, il se trouva divinement remis, dĂ©s la premiere nuict, d'apres ses oblations et sacrifices. Or elles ont tort de nous recueillir de ces contenances mineuses, querelleuses et fuyardes, qui nous esteignent en nous allumant. La bru de Pythagoras, disoit, que la femme qui se couche avec un homme, doit avec sa cotte laisser quant et quant la honte, et la reprendre avec sa cotte. L'ame de l'assaillant troublĂ©e de plusieurs diverses allarmes, se perd aisement Et Ă qui l'imagination a faict une fois souffrir cette honte et elle ne la fait souffrir qu'aux premieres accointances, d'autant qu'elles sont plus ardantes et aspres ; et aussi qu'en cette premiere cognoissance qu'on donne de soy, on craint beaucoup plus de faillir ayant mal commencĂ©, il entre en fievre et despit de cet accident, qui luy dure aux occasions suivantes. Les mariez, le temps estant tout leur, ne doivent ny presser ny taster leur entreprinse, s'ils ne sont prests. Et vault mieux faillir indecemment, Ă estreiner la couche nuptiale, pleine d'agitation et de fievre, attendant une et une autre commoditĂ© plus privĂ©e et moins allarmĂ©e, que de tomber en une perpetuelle misere, pour s'estre estonnĂ© et desesperĂ© du premier refus. Avant la possession prinse, le patient se doibt Ă saillies et divers temps, legerement essayer et offrir, sans se piquer et opiniastrer, Ă se convaincre definitivement soy-mesme. Ceux qui sçavent leurs membres de nature dociles, qu'ils se soignent seulement de contre-pipper leur fantasie. On a raison de remarquer l'indocile libertĂ© de ce membre, s'ingerant si importunĂ©ment lors que nous n'en avons que faire, et defaillant si importunĂ©ment lors que nous en avons le plus affaire et contestant de l'authoritĂ©, si imperieusement, avec nostre volontĂ©, refusant avec tant de fiertĂ© et d'obstination noz solicitations et mentales et manuelles. Si toutesfois en ce qu'on gourmande sa rebellion, et qu'on en tire preuve de sa condemnation, il m'avoit payĂ© pour plaider sa cause Ă l'adventure mettroy-je en souspeçon noz autres membres ses compagnons, de luy estre allĂ© dresser par belle envie, de l'importance et douceur de son usage, cette querelle apostĂ©e, et avoir par complot, armĂ© le monde Ă l'encontre de luy, le chargeant malignement seul de leur faute commune. Car je vous donne Ă penser, s'il y a une seule des parties de nostre corps, qui ne refuse Ă nostre volontĂ© souvent son operation, et qui souvent ne s'exerce contre nostre volontĂ©. elles ont chacune des passions propres, qui les esveillent et endorment, sans nostre congĂ©. A quant de fois tesmoignent les mouvements forcez de nostre visage, les pensĂ©es que nous tenions secrettes, et nous trahissent aux assistants ? Cette mesme cause qui anime ce membre, anime aussi sans nostre sceu, le coeur, le poulmon, et le pouls. La veue d'un object agreable, respandant imperceptiblement en nous la flamme d'une emotion fievreuse. N'y a-il que ces muscles et ces veines, qui s'elevent et se couchent, sans l'adveu non seulement de nostre volontĂ©, mais aussi de nostre pensĂ©e ? Nous ne commandons pas Ă noz cheveux de se herisser, et Ă nostre peau de fremir de desir ou de crainte. La main se porte souvent ou nous ne l'envoyons pas. La langue se transit, et la voix se fige Ă son heure. Lors mesme que n'ayans de quoy frire, nous le luy deffendrions volontiers, l'appetit de manger et de boire ne laisse pas d'emouvoir les parties, qui luy sont subjettes, ny plus ny moins que cet autre appetit et nous abandonne de mesme, hors de propos, quand bon luy semble. Les utils qui servent Ă descharger le ventre, ont leurs propres dilatations et compressions, outre et contre nostre advis, comme ceux-cy destinĂ©s Ă descharger les roignons. Et ce que pour autorizer la puissance de nostre volontĂ©, Sainct Augustin allegue avoir veu quelqu'un, qui commandoit Ă son derriere autant de pets qu'il en vouloit et que Vives encherit d'un autre exemple de son temps, de pets organizez, suivants le ton des voix qu'on leur prononçoit, ne suppose non plus pure l'obeissance de ce membre. Car en est-il ordinairement de plus indiscret et tumultuaire ? Joint que j'en cognoy un, si turbulent et revesche, qu'il y a quarante ans, qu'il tient son maistre Ă peter d'une haleine et d'une obligation constante et irremittente, et le menne ainsin Ă la mort. Et pleust Ă Dieu, que je ne le sceusse que par les histoires, combien de fois nostre ventre par le refus d'un seul pet, nous menne jusques aux portes d'une mort tres-angoisseuse et que l'Empereur qui nous donna libertĂ© de peter par tout, nous en eust donnĂ© le pouvoir. Mais nostre volontĂ©, pour les droits de qui nous mettons en avant ce reproche, combien plus vray-semblablement la pouvons nous marquer de rebellion et sedition, par son des-reiglement et desobeissance ? Veut elle tousjours ce que nous voudrions qu'elle voulsist ? Ne veut elle pas souvent ce que nous luy prohibons de vouloir ; et Ă nostre evident dommage ? se laisse elle non plus mener aux conclusions de nostre raison ? En fin, je diroy pour monsieur ma partie, que plaise Ă considerer, qu'en ce fait sa cause estant inseparablement conjointe Ă un confort, et indistinctement, on ne s'addresse pourtant qu'Ă luy, et par les arguments et charges qui ne peuvent appartenir Ă sondit confort. Car l'effect d'iceluy est bien de convier inopportunement par fois, mais refuser, jamais et de convier encore tacitement et quietement. Partant se void l'animositĂ© et illegalitĂ© manifeste des accusateurs. Quoy qu'il en soit, protestant, que les Advocats et Juges ont beau quereller et sentencier nature tirera cependant son train Qui n'auroit faict que raison, quand elle auroit doĂÂŒĂ© ce membre de quelque particulier privilege. Autheur du seul ouvrage immortel, des mortels. Ouvrage divin selon Socrates et Amour desir d'immortalitĂ©, et DĂŠmon immortel luy mesmes. Tel Ă l'adventure par cet effect de l'imagination, laisse icy les escrouĂlles, que son compagnon reporte en Espaigne. Voyla pourquoy en telles choses l'on a accoustumĂ© de demander une ame preparĂ©e. Pourquoy praticquent les Medecins avant main, la creance de leur patient, avec tant de fausses promesses de sa guerison si ce n'est afin que l'effect de l'imagination supplee l'imposture de leur aposĂ©me ? Ils sçavent qu'un des maistres de ce mestier leur a laissĂ© par escrit, qu'il s'est trouvĂ© des hommes Ă qui la seule veuĂ de la Medecine faisoit l'operation. Et tout ce caprice m'est tombĂ© presentement en main, sur le conte que me faisoit un domestique apotiquaire de feu mon pere, homme simple et Souysse, nation peu vaine et mensongiere d'avoir cogneu long temps un marchand Ă Toulouse maladif et subject Ă la pierre, qui avoit souvent besoing de clysteres, et se les faisoit diversement ordonner aux medecins, selon l'occurrence de son mal apportez qu'ils estoyent, il n'y avoit rien obmis des formes accoustumĂ©es souvent il tastoit s'ils estoyent trop chauds le voyla couchĂ©, renversĂ©, et toutes les approches faictes, sauf qu'il ne s'y faisoit aucune injection. L'apotiquaire retirĂ© apres cette ceremonie, le patient accommodĂ©, comme s'il avoit veritablement pris le clystere, il en sentoit pareil effect Ă ceux qui les prennent. Et si le medecin n'en trouvoit l'operation suffisante, il luy en redonnoit deux ou trois autres, de mesme forme. Mon tesmoin jure, que pour espargner la despence car il les payoit, comme s'il les eut receus la femme de ce malade ayant quelquefois essayĂ© d'y faire seulement mettre de l'eau tiede, l'effect en descouvrit la fourbe ; et pour avoir trouvĂ© ceux-la inutiles, qu'il faulsit revenir Ă la premiere façon. Une femme pensant avoir avalĂ© une espingle avec son pain, crioit et se tourmentoit comme ayant une douleur insupportable au gosier, oĂÂč elle pensoit la sentir arrestĂ©e mais par ce qu'il n'y avoit ny enfleure ny alteration par le dehors, un habil'homme ayant jugĂ© que ce n'estoit que fantasie et opinion, prise de quelque morceau de pain qui l'avoit picquĂ©e en passant, la fit vomir, et jetta Ă la desrobĂ©e dans ce qu'elle rendit, une espingle tortue. Cette femme cuidant l'avoir rendue, se sentit soudain deschargĂ©e de sa douleur. Je sçay qu'un gentil'homme ayant traictĂ© chez luy une bonne compagnie, se vanta trois ou quatre jours apres par maniere de jeu car il n'en estoit rien de leur avoir faict manger un chat en paste dequoy une damoyselle de la troupe print telle horreur, qu'en estant tombĂ©e en un grand dĂ©voyement d'estomac et fievre, il fut impossible de la sauver. Les bestes mesmes se voyent comme nous, subjectes Ă la force de l'imagination tesmoings les chiens, qui se laissent mourir de dueil de la perte de leurs maistres nous les voyons aussi japper et tremousser en songe, hannir les chevaux et se debatre. Mais tout cecy se peut rapporter Ă l'estroite cousture de l'esprit et du corps s'entre-communiquants leurs fortunes. C'est autre chose ; que l'imagination agisse quelque fois, non contre son corps seulement, mais contre le corps d'autruy. Et tout ainsi qu'un corps rejette son mal Ă son voisin, comme il se voit en la peste, en la verolle, et au mal des yeux, qui se chargent de l'un Ă l'autre Dum spectant oculi lĂŠsos, lĂŠduntur et ipsi Multaque corporibus transitione nocent. Pareillement l'imagination esbranlĂ©e avecques vehemence, eslance des traits, qui puissent offencer l'object estrangier. L'anciennetĂ© a tenu de certaines femmes en Scythie, qu'animĂ©es et courroussĂ©es contre quelqu'un, elles le tuoient du seul regard. Les tortues, et les autruches couvent leurs oeufs de la seule veuĂ, signe qu'ils y ont quelque vertu ejaculatrice. Et quant aux sorciers, on les dit avoir des yeux offensifs et nuisans. Nescio quis teneros oculus mihi fascinat agnos. Ce sont pour moy mauvais respondans que magiciens. Tant y a que nous voyons par experience, les femmes envoyer aux corps des enfans, qu'elles portent au ventre, des marques de leurs fantasies tesmoin celle qui engendra le More. Et il fut presentĂ© Ă Charles Roy de Boheme et Empereur, une fille d'aupres de Pise toute velue et herissĂ©e, que sa mere disoit avoir estĂ© ainsi conceuĂ, Ă cause d'un'image de Sainct Jean Baptiste pendue en son lict. Des animaux il en est de mesmes tesmoing les brebis de Jacob, et les perdris et lievres, que la neige blanchit aux montaignes. On vit dernierement chez moy un chat guestant un oyseau au hault d'un arbre, et s'estans fichez la veuĂ ferme l'un contre l'autre, quelque espace de temps, l'oyseau s'estre laissĂ© choir comme mort entre les pates du chat, ou enyvrĂ© par sa propre imagination, ou attirĂ© par quelque force attractive du chat. Ceux qui ayment la volerie ont ouy faire le conte du fauconnier, qui arrestant obstinĂ©ment sa veuĂ contre un milan en l'air, gageoit, de la seule force de sa veuĂ le ramener contrebas et le faisoit, Ă ce qu'on dit. Car les Histoires que j'emprunte, je les renvoye sur la conscience de ceux de qui je les prens. Les discours sont Ă moy, et se tiennent par la preuve de la raison, non de l'experience ; chacun y peut joindre ses exemples et qui n'en a point, qu'il ne laisse pas de croire qu'il en est assez, veu le nombre et varietĂ© des accidens. Si je ne comme bien, qu'un autre comme pour moy. Aussi en l'estude que je traitte, de noz moeurs et mouvements. les tesmoignages fabuleux, pourveu qu'ils soient possibles, y servent comme les vrais. Advenu ou non advenu, Ă Rome ou Ă Paris, Ă Jean ou Ă Pierre, c'est tousjours un tour de l'humaine capacitĂ© duquel je suis utilement advisĂ© par ce recit. Je le voy, et en fay mon profit, egalement en umbre qu'en corps. Et aux diverses leçons, qu'ont souvent les histoires, je prens Ă me servir de celle qui est la plus rare et memorable. Il y a des autheurs, desquels la fin c'est dire les evenements. La mienne, si j'y scavoye advenir, seroit dire sur ce qui peut advenir. Il est justement permis aux Escholes, de supposer des similitudes, quand ilz n'en ont point. Je n'en fay pas ainsi pourtant, et surpasse de ce costĂ© lĂ , en religion superstitieuse, toute foy historiale. Aux exemples que je tire ceans, de ce que j'ay leu, ouĂÂŻ, faict, ou dict, je me suis defendu d'oser alterer jusques aux plus legeres et inutiles circonstances, ma conscience ne falsifie pas un iota, mon inscience je ne sçay. Sur ce propos, j'entre par fois en pensĂ©e, qu'il puisse asses bien convenir Ă un Theologien, Ă un Philosophe, et telles gens d'exquise et exacte conscience et prudence, d'escrire l'histoire. Comment peuvent-ils engager leur foy sur une foy populaire ? comment respondre des pensĂ©es de personnes incognues ; et donner pour argent contant leurs conjectures ? Des actions Ă divers membres, qui se passent en leur presence, ils refuseroient d'en rendre tesmoignage, assermentez par un juge. Et n'ont homme si familier, des intentions duquel ils entreprennent de pleinement respondre. Je tien moins hazardeux d'escrire les choses passĂ©es, que presentes d'autant que l'escrivain n'a Ă rendre compte que d'une veritĂ© empruntĂ©e. Aucuns me convient d'escrire les affaires de mon temps estimants que je les voy d'une veuĂ moins blessĂ©e de passion, qu'un autre, et de plus pres, pour l'accĂ©s que fortune m'a donnĂ© aux chefs de divers partis. Mais ils ne disent pas, que pour la gloire de Salluste je n'en prendroys pas la peine ennemy jurĂ© d'obligation, d'assiduitĂ©, de constance qu'il n'est rien si contraire Ă mon stile, qu'une narration estendue. Je me recouppe si souvent, Ă faute d'haleine. Je n'ay ny composition ny explication, qui vaille. Ignorant au delĂ d'un enfant, des frases et vocables, qui servent aux choses plus communes. Pourtant ay-je prins Ă dire ce que je sçay dire accommodant la matiere Ă ma force. Si j'en prenois qui me guidast, ma mesure pourroit faillir Ă la sienne. Que ma libertĂ©, estant si libre, j'eusse publiĂ© des jugements, Ă mon grĂ© mesme, et selon raison, illegitimes et punissables. Plutarche nous diroit volontiers de ce qu'il en a faict, que c'est l'ouvrage d'autruy, que ses exemples soient en tout et par tout veritables qu'ils soient utiles Ă la posteritĂ©, et presentez d'un lustre, qui nous esclaire Ă la vertu, que c'est son ouvrage. Il n'est pas dangereux, comme en une drogue medicinale, en un compte ancien, qu'il soit ainsin ou ainsi. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXI Le profit de l'un est dommage de l'autre DEMADES Athenien condemna un homme de sa ville, qui faisoit mestier de vendre les choses necessaires aux enterremens, soubs tiltre de ce qu'il en demandoit trop de profit, et que ce profit ne luy pouvoit venir sans la mort de beaucoup de gens. Ce jugement semble estre mal pris ; d'autant qu'il ne se faict aucun profit qu'au dommage d'autruy, et qu'Ă ce compte il faudroit condamner toute sorte de guain. Le marchand ne faict bien ses affaires, qu'Ă la dĂ©bauche de la jeunesse le laboureur Ă la chertĂ© des bleds l'architecte Ă la ruine des maisons les officiers de la justice aux procez et querelles des hommes l'honneur mesme et pratique des Ministres de la religion se tire de nostre mort et de noz vices. Nul medecin ne prent plaisir Ă la santĂ© de ses amis mesmes, dit l'ancien Comique Grec ; ny soldat Ă la paix de sa ville ainsi du reste. Et qui pis est, que chacun se sonde au dedans, il trouvera que nos souhaits interieurs pour la plus part naissent et se nourrissent aux despens d'autruy. Ce que considerant, il m'est venu en fantasie, comme nature ne se dement point en cela de sa generale police car les Physiciens tiennent, que la naissance, nourrissement, et augmentation de chasque chose, est l'alteration et corruption d'un'autre. Nam quodcunque suis mutatum finibus exit, Continuo hoc mors est illius, quod fuit ante. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXII De la coustume, et de ne changer aisĂ©ment une loy receĂÂŒe CELUY me semble avoir tres-bien conceu la force de la coustume, qui premier forgea ce compte, qu'une femme de village ayant appris de caresser et porter entre ses bras un veau des l'heure de sa naissance, et continuant tousjours Ă ce faire, gaigna cela par l'accoustumance, que tout grand beuf qu'il estoit, elle le portoit encore. Car c'est Ă la veritĂ© une violente et traistresse maistresse d'escole, que la coustume. Elle establit en nous, peu Ă peu, Ă la desrobĂ©e, le pied de son authoritĂ© mais par ce doux et humble commencement, l'ayant rassis et plantĂ© avec l'ayde du temps, elle nous descouvre tantost un furieux et tyrannique visage, contre lequel nous n'avons plus la libertĂ© de hausser seulement les yeux. Nous luy voyons forcer tous les coups les reigles de nature Usus efficacissimus rerum omnium magister. J'en croy l'antre de Platon en sa Republique, et les medecins, qui quittent si souvent Ă son authoritĂ© les raisons de leur art et ce Roy qui par son moyen rangea son estomac Ă se nourrir de poison et la fille qu'Albert recite s'estre accoustumĂ©e Ă vivre d'araignĂ©es et en ce monde des Indes nouvelles on trouva des grands peuples, et en fort divers climats, qui en vivoient, en faisoient provision, et les appastoient comme aussi des sauterelles, formiz, laizards, chauvesouriz, et fut un crapault vendu six escus en une necessitĂ© de vivres ils les cuisent et apprestent Ă diverses sauces. Il en fut trouvĂ© d'autres ausquels noz chairs et noz viandes estoyent mortelles et venimeuses. Consuetudinis magna vis est. Pernoctant venatores in nive in montibus uri se patiuntur. Pugiles, cĂŠstibus contusi, ne ingemiscunt quidem. Ces exemples estrangers ne sont pas estranges, si nous considerons ce que nous essayons ordinairement ; combien l'accoustumance hebete noz sens. Il ne nous faut pas aller cercher ce qu'on dit des voisins des cataractes du Nil et ce que les Philosophes estiment de la musicque celeste ; que les corps de ces cercles, estants solides, polis, et venants Ă se lescher et frotter l'un Ă l'autre en roullant, ne peuvent faillir de produire une merveilleuse harmonie aux couppures et muances de laquelle se manient les contours et changements des caroles des astres. Mais qu'universellement les ouĂÂŻes des creatures de çà bas, endormies, comme celles des Ăâ gyptiens, par la continuation de ce son, ne le peuvent appercevoir, pour grand qu'il soit. Les mareschaux, meulniers, armuriers, ne sçauroient demeurer au bruit, qui les frappe, s'il les perçoit comme Ă nous. Mon collet de fleurs sert Ă mon nez mais apres que je m'en suis vestu trois jours de suitte, il ne sert qu'aux nez assistants. Cecy est plus estrange, que, nonobstant les longs intervalles et intermissions, l'accoustumance puisse joindre et establir l'effect de son impression sur noz sens comme essayent les voysins des clochiers. Je loge chez moy en une tour, oĂÂč Ă la diane et Ă la retraitte une fort grosse cloche sonne tous les jours l'Ave Maria. Ce tintamarre estonne ma tour mesme et aux premiers jours me semblant insupportable, en peu de temps m'apprivoise de maniere que je l'oy sans offense, et souvent sans m'en esveiller. Platon tansa un enfant, qui jouoit aux noix. Il luy respondit Tu me tanses de peu de chose. L'accoustumance, repliqua Platon, n'est pas chose de peu. Je trouve que noz plus grands vices prennent leur ply de nostre plus tendre enfance, et que nostre principal gouvernement est entre les mains des nourrices. C'est passetemps aux meres de veoir un enfant tordre le col Ă un poulet, et s'Ă©sbatre Ă blesser un chien et un chat. Et tel pere est si sot, de prendre Ă bon augure d'une ame martiale, quand il voit son fils gourmer injurieusement un paĂÂŻsant, ou un laquay, qui ne se defend point et Ă gentillesse, quand il le void affiner son compagnon par quelque malicieuse desloyautĂ©, et tromperie. Ce sont pourtant les vrayes semences et racines de la cruautĂ©, de la tyrannie, de la trahyson. Elles se germent lĂ , et s'eslevent apres gaillardement, et profittent Ă force entre les mains de la coustume. Et est une tres-dangereuse institution, d'excuser ces villaines inclinations, par la foiblesse de l'aage, et legeretĂ© du subject. Premierement c'est nature qui parle ; de qui la voix est lors plus pure et plus naifve, qu'elle est plus gresle et plus neufve. Secondement, la laideur de la piperie ne depend pas de la difference des escutz aux espingles elle depend de soy. Je trouve bien plus juste de conclurre ainsi Pourquoy ne tromperoit il aux escutz, puis qu'il trompe aux espingles ? que, comme ils font ; Ce n'est qu'aux espingles il n'auroit garde de le faire aux escutz. Il faut apprendre soigneusement aux enfants de haĂÂŻr les vices de leur propre contexture, et leur en faut apprendre la naturelle difformitĂ©, Ă ce qu'ils les fuient non en leur action seulement, mais sur tout en leur coeur que la pensee mesme leur en soit odieuse, quelque masque qu'ils portent. Je sçay bien, que pour m'estre duict en ma puerilitĂ©, de marcher tousjours mon grand et plain chemin, et avoir eu Ă contrecoeur de mesler ny tricotterie ny finesse Ă mes jeux enfantins, comme de vray il faut noter, que les jeux des enfants ne sont pas jeux et les faut juger en eux, comme leurs plus serieuses actions il n'est passetemps si leger, oĂÂč je n'apporte du dedans, et d'une propension naturelle, et sans estude, une extreme contradiction Ă tromper. Je manie les chartes pour les doubles, et tien compte, comme pour les doubles doublons, lors que le gaigner et le perdre, contre ma femme et ma fille, m'est indifferent, comme lors qu'il va de bon. En tout et par tout, il y a assĂ©s de mes yeux Ă me tenir en office il n'y en a point, qui me veillent de si pres, ny que je respecte plus. Je viens de voir chez moy un petit homme natif de Nantes, nĂ© sans bras, qui a si bien façonnĂ© ses pieds, au service que luy devoient les mains, qu'ils en ont Ă la veritĂ© Ă demy oubliĂ© leur office naturel. Au demourant il les nomme ses mains, il trenche, il charge un pistolet et le lasche, il enfille son eguille, il coud, il escrit, il tire le bonnet, il se peigne, il jouĂ aux cartes et aux dez, et les remue avec autant de dexteritĂ© que sçauroit faire quelqu'autre l'argent que luy ay donnĂ©, il l'a emportĂ© en son pied, comme nous faisons en nostre main. J'en vy un autre estant enfant, qui manioit un'espee Ă deux mains, et un'hallebarde, du ply du col Ă faute de mains, les jettoit en l'air et les reprenoit, lançoit une dague, et faisoit craqueter un fouĂt aussi bien que charretier de France. Mais on descouvre bien mieux ses effets aux estranges impressions, qu'elle faict en nos ames, oĂÂč elle ne trouve pas tant de resistance. Que ne peut elle en nos jugemens et en nos creances ? y a il opinion si bizarre je laisse Ă part la grossiere imposture des religions, dequoy tant de grandes nations, et tant de suffisants personnages se sont veuz enyvrez Car cette partie estant hors de nos raisons humaines, il est plus excusable de s'y perdre, Ă qui n'y est extraordinairement esclairĂ© par faveur divine mais d'autres opinions y en a il de si estranges, qu'elle n'aye plantĂ© et estably par loix Ă©s regions que bon luy a semblĂ© ? Et est tres-juste cette ancienne exclamation Non pudet physicum, idest speculatorem venatoremque naturĂŠ, ab animis consuetudine imbutis quĂŠrere testimonium veritatis ? J'estime qu'il ne tombe en l'imagination humaine aucune fantasie si forcenee qui ne rencontre l'exemple de quelque usage public, et par consequent que nostre raison n'estaye et ne fonde. Il est des peuples oĂÂč on tourne le doz Ă celuy qu'on salue, et ne regarde l'on jamais celuy qu'on veut honorer. Il en est oĂÂč quand le Roy crache, la plus favorie des dames de sa Cour tend la main et en autre nation les plus apparents qui sont autour de luy se baissent Ă terre, pour amasser en du linge son ordure. Desrobons icy la place d'un compte. Un gentil-homme François se mouchoit tousjours de sa main chose tres-ennemie de nostre usage defendant lĂ dessus son faict et estoit fameux en bonnes rencontres Il me demanda, quel privilege avoit ce salle excrement, que nous allassions luy apprestant un beau linge delicat Ă le recevoir ; et puis, qui plus est, Ă l'empaqueter et serrer soigneusement sur nous. Que celĂ devoit faire plus de mal au coeur, que de le voir verser ou que ce fust comme nous faisons toutes nos autres ordures. Je trouvay, qu'il ne parloit pas du tout sans raison et m'avoit la coustume ostĂ© l'appercevance de cette estrangetĂ©, laquelle pourtant nous trouvons si hideuse, quand elle est recitee d'un autre paĂÂŻs. Les miracles sont, selon l'ignorance en quoy nous sommes de la nature, non selon l'estre de la nature. L'assuefaction endort la veuĂ de nostre jugement. Les Barbares ne nous sont de rien plus merveilleux que nous sommes Ă eux ny avec plus d'occasion, comme chascun advoĂÂŒeroit, si chascun sçavoit, apres s'estre promenĂ© par ces loingtains exemples, se coucher sur les propres, et les conferer sainement. La raison humaine est une teinture infuse environ de pareil pois Ă toutes nos opinions et moeurs, de quelque forme qu'elles soient infinie en matiere, infinie en diversitĂ©. Je m'en retourne. Il est des peuples, oĂÂč sauf sa femme et ses enfans aucun ne parle au Roy que par sarbatane. En une mesme nation et les vierges montrent Ă descouvert leurs parties honteuses, et les mariees les couvrent et cachent soigneusement. A quoy cette autre coustume qui est ailleurs a quelque relation la chastetĂ© n'y est en prix que pour le service du mariage car les filles se peuvent abandonner Ă leur poste, et engroissees se faire avorter par medicamens propres, au veu d'un chascun. Et ailleurs si c'est un marchant qui se marie, tous les marchans conviez Ă la nopce, couchent avec l'espousee avant luy et plus il y en a, plus a elle d'honneur et de recommandation de fermetĂ© et de capacitĂ© si un officier se marie, il en va de mesme ; de mesme si c'est un noble ; et ainsi des autres sauf si c'est un laboureur ou quelqu'un du bas peuple car lors c'est au Seigneur Ă faire et si on ne laisse pas d'y recommander estroitement la loyautĂ©, pendant le mariage. Il en est, oĂÂč il se void des bordeaux publics de masles, voire et des mariages oĂÂč les femmes vont Ă la guerre quand et leurs maris, et ont rang, non au combat seulement, mais aussi au commandement. OĂÂč non seulement les bagues se portent au nez, aux levres, aux joues, et aux orteils des pieds mais des verges d'or bien poisantes au travers des tetins et des fesses. OĂÂč en mangeant on s'essuye les doigts aux cuisses, et Ă la bourse des genitoires, et Ă la plante des pieds. OĂÂč les enfans ne sont pas heritiers, ce sont les freres et nepveux et ailleurs les nepveux seulement sauf en la succession du Prince. OĂÂč pour regler la communautĂ© des biens, qui s'y observe, certains Magistrats souverains ont charge universelle de la culture des terres, et de la distribution des fruicts, selon le besoing d'un chacun. OĂÂč l'on pleure la mort des enfans, et festoye l'on celle des vieillarts. OĂÂč ils couchent en des licts dix ou douze ensemble avec leurs femmes. OĂÂč les femmes qui perdent leurs maris par mort violente, se peuvent remarier, les autres non. OĂÂč l'on estime si mal de la condition des femmes, que l'on y tuĂ les femelles qui y naissent, et achepte l'on des voisins, des femmes pour le besoing. OĂÂč les maris peuvent repudier sans alleguer aucune cause, les femmes non pour cause quelconque. OĂÂč les maris ont loy de les vendre, si elles sont steriles. OĂÂč ils font cuire le corps du trespassĂ©, et puis piler, jusques Ă ce qu'il se forme comme en bouillie, laquelle ils meslent Ă leur vin, et la boivent. OĂÂč la plus desirable sepulture est d'estre mangĂ© des chiens ailleurs des oyseaux. OĂÂč l'on croit que les ames heureuses vivent en toute libertĂ©, en des champs plaisans, fournis de toutes commoditez et que ce sont elles qui font cet echo que nous oyons. OĂÂč ils combattent en l'eau, et tirent seurement de leurs arcs en nageant. OĂÂč pour signe de subjection il faut hausser les espaules, et baisser la teste et deschausser ses souliers quand on entre au logis du Roy. OĂÂč les Eunuques qui ont les femmes religieuses en garde, ont encore le nez et levres Ă dire, pour ne pouvoir estre aymez et les prestres se crevent les yeux pour accointer les demons, et prendre les oracles. OĂÂč chacun faict un Dieu de ce qu'il luy plaist, le chasseur d'un Lyon oĂÂč d'un Renard, le pescheur de certain poisson et des Idoles de chaque action ou passion humaine le soleil, la lune, et la terre, sont les dieux principaux la forme de jurer, c'est toucher la terre regardant le soleil et y mange l'on la chair et le poisson crud. OĂÂč le grand serment, c'est jurer le nom de quelque homme trespassĂ©, qui a estĂ© en bonne reputation au paĂÂŻs, touchant de la main sa tumbe. OĂÂč les estrenes que le Roy envoye aux Princes ses vassaux, tous les ans, c'est du feu, lequel apportĂ©, tout le vieil feu est esteint et de ce nouveau sont tenus les peuples voisins venir puiser chacun pour soy, sur peine de crime de leze majestĂ©. OĂÂč, quand le Roy pour s'adonner du tout Ă la devotion, se retire de sa charge ce qui avient souvent son premier successeur est obligĂ© d'en faire autant et passe le droict du Royaume au troifiĂ©me successeur. OĂÂč lon diversifie la forme de la police, selon que les affaires semblent le requerir on depose le Roy quand il semble bon et luy substitue lon des anciens Ă prendre le gouvernail de l'estat et le laisse lon par fois aussi Ă©s mains de la commune. OĂÂč hommes et femmes sont circoncis, et pareillement baptisĂ©s. OĂÂč le soldat, qui en un ou divers combats, est arrivĂ© a presenter Ă son Roy sept testes d'ennemis, est faict noble. OĂÂč lon vit soubs cette opinion si rare et insociable de la mortalitĂ© des ames. OĂÂč les femmes s'accouchent sans pleincte et sans effroy. OĂÂč les femmes en l'une et l'autre jambe portent des greves de cuivre et si un pouil les mord, sont tenues par devoir de magnanimitĂ© de le remordre et n'osent espouser, qu'elles n'ayent offert Ă leur Roy, s'il le veut, leur pucellage. OĂÂč l'on saluĂ mettant le doigt Ă terre et puis le haussant vers le ciel. OĂÂč les hommes portent les charges sur la teste, les femmes sur les espaules elles pissent debout, les hommes, accroupis. OĂÂč ils envoient de leur sang en signe d'amitiĂ©, et encensent comme les Dieux, les hommes qu'ils veulent honnorer. OĂÂč non seulement jusques au quatriesme degrĂ©, mais en aucun plus esloignĂ©, la parentĂ© n'est soufferte aux mariages. OĂÂč les enfans sont quatre ans Ă nourrisse, et souvent douze et lĂ mesme il est estimĂ© mortel de donner Ă l'enfant Ă tetter tout le premier jour. OĂÂč les peres ont charge du chastiment des masles, et les meres Ă part, des femelles et est le chastiment de les fumer pendus par les pieds. OĂÂč on faict circoncire les femmes. OĂÂč lon mange toute sorte d'herbes sans autre discretion, que de refuser celles qui leur semblent avoir mauvaise senteur. OĂÂč tout est ouvert et les maisons pour belles et riches qu'elles soyent sans porte, sans fenestre, sans coffre qui ferme et sont les larrons doublement punis qu'ailleurs. OĂÂč ils tuent les pouils avec les dents comme les Magots, et trouvent horrible de les voir escacher soubs les ongles. OĂÂč lon ne couppe en toute la vie ny poil ny ongle ailleurs oĂÂč lon ne couppe que les ongles de la droicte, celles de la gauche se nourrissent par gentillesse. OĂÂč ils nourrissent tout le poil du costĂ© droict, tant qu'il peut croistre et tiennent raz le poil de l'autre coustĂ©. Et en voisines provinces, celle icy nourrit le poil de devant, celle lĂ le poil de derriere et rasent l'oposite. OĂÂč les peres prestent leurs enfans, les maris leurs femmes, Ă jouyr aux hostes, en payant. OĂÂč on peut honnestement faire des enfans Ă sa mere, les peres se mesler Ă leurs filles, et Ă leurs fils. OĂÂč aux assemblees des festins ils s'entreprestent sans distinction de parentĂ© les enfans les uns aux autres. Icy on vit de chair humaine lĂ c'est office de pietĂ© de tuer son pere en certain aage ailleurs les peres ordonnent des enfans encore au ventre des meres, ceux qu'ils veulent estre nourriz et conservez, et ceux qu'ils veulent estre abandonnez et tuez ailleurs les vieux maris prestent leurs femmes Ă la jeunesse pour s'en servir et ailleurs elles sont communes sans pechĂ© voire en tel paĂÂŻs portent pour marque d'honneur autant de belles houpes frangees au bord de leurs robes, qu'elles ont accointĂ© de masles. N'a pas faict la coustume encore une chose puplique de femmes Ă part ? leur a elle pas mis les armes Ă la main ? faict dresser des armees, et livrer des batailles ? Et ce que toute la philosophie ne peut planter en la teste des plus sages, ne l'apprend elle pas de sa seule ordonnance au plus grossier vulgaire ? car nous sçavons des nations entieres, oĂÂč non seulement la mort estoit mesprisee, mais festoyee oĂÂč les enfans de sept ans souffroient Ă estre foĂÂŒetez jusques Ă la mort, sans changer de visage oĂÂč la richesse estoit en tel mespris, que le plus chetif citoyen de la ville n'eust daignĂ© baisser le bras pour amasser une bource d'escus. Et sçavons des regions tres-fertiles en toutes façons de vivres, oĂÂč toutesfois les plus ordinaires mĂ©s et les plus savoureux, c'estoient du pain, du nasitort et de l'eau. Fit elle pas encore ce miracle en Cio, qu'il s'y passa sept cens ans, sans memoire que femme ny fille y eust faict faute Ă son honneur ? Et somme, Ă ma fantasie, il n'est rien qu'elle ne face, ou qu'elle ne puisse et avec raison l'appelle Pindarus, Ă ce qu'on m'a dict, la Royne et Emperiere du monde. Celuy qu'on rencontra battant son pere, respondit, que c'estoit la coustume de sa maison que son pere avoit ainsi batu son ayeul ; son ayeul son bisayeul et montrant son fils Cettuy cy me battra quand il sera venu au terme de l'aage oĂÂč je suis. Et le pere que le fils tirassoit et sabouloit emmy la ruĂ, luy commanda de s'arrester Ă certain huis ; car luy, n'avoit trainĂ© son pere que jusques lĂ que c'estoit la borne des injurieux traittements hereditaires, que les enfants avoient en usage faire aux peres en leur famille. Par coustume, dit Aristote, aussi souvent que par maladie, des femmes s'arrachent le poil, rongent leurs ongles, mangent des charbons et de la terre et plus par coustume que par nature les masles se meslent aux masles. Les loix de la conscience, que nous disons naistre de nature, naissent de la coustume chacun ayant en veneration interne les opinions et moeurs approuvees et receuĂs autour de luy, ne s'en peut desprendre sans remors, ny s'y appliquer sans applaudissement. Quand ceux de Crete vouloient au temps passĂ© maudire quelqu'un, ils prioient les dieux de l'engager en quelque mauvaise coustume. Mais le principal effect de sa puissance, c'est de nous saisir et empieter de telle sorte, qu'Ă peine soit-il en nous, de nous r'avoir de sa prinse, et de r'entrer en nous, pour discourir et raisonner de ses ordonnances. De vray, parce que nous les humons avec le laict de nostre naissance, et que le visage du monde se presente en cet estat Ă nostre premiere veuĂ, il semble que nous soyons naiz Ă la condition de suyvre ce train. Et les communes imaginations, que nous trouvons en credit autour de nous, et infuses en nostre ame par la semence de nos peres, il semble que ce soyent les generalles et naturelles. Par oĂÂč il advient, que ce qui est hors les gonds de la coustume, on le croid hors les gonds de la raison Dieu sçait combien desraisonnablement le plus souvent. Si comme nous, qui nous estudions, avons apprins de faire, chascun qui oid une juste sentence, regardoit incontinent par oĂÂč elle luy appartient en son propre chascun trouveroit, que cette cy n'est pas tant un bon mot comme un bon coup de fouet Ă la bestise ordinaire de son jugement. Mais on reçoit les advis de la veritĂ© et ses preceptes, comme adressĂ©s au peuple, non jamais Ă soy et au lieu de les coucher sur ses moeurs, chascun les couche en sa memoire, tres-sottement et tres-inutilement. Revenons Ă l'Empire de la coustume. Les peuples nourris Ă la libertĂ© et Ă se commander eux mesmes, estiment toute autre forme de police monstrueuse et contre nature Ceux qui sont duits Ă la monarchie en font de mesme. Et quelque facilitĂ© que leur preste fortune au changement, lors mesme qu'ils se sont avec grandes difficultez deffaitz de l'importunitĂ© d'un maistre, ils courent Ă en replanter un nouveau avec pareilles difficultez, pour ne se pouvoir resoudre de prendre en haine la maistrise. C'est par l'entremise de la coustume que chascun est contant du lieu oĂÂč nature l'a plantĂ© et les sauvages d'Escosse n'ont que faire de la Touraine, ny les Scythes de la Thessalie. Darius demandoit Ă quelques Grecs, pour combien ils voudroient prendre la coustume des Indes, de manger leurs peres trespassez car c'estoit leur forme, estimans ne leur pouvoir donner plus favorable sepulture, que dans eux-mesmes ils luy respondirent que pour chose du monde ils ne le feroient mais s'estant aussi essayĂ© de persuader aux Indiens de laisser leur façon, et prendre celle de Grece, qui estoit de brusler les corps de leurs peres, il leur fit encore plus d'horreur. Chacun en fait ainsi, d'autant que l'usage nous desrobbe le vray visage des choses. Nil adeo magnum, nec tam mirabile quicquam Principio, quod non minuant mirarier omnes Paulatim. Autrefois ayant Ă faire valoir quelqu'une de nos observations, et receuĂ avec resoluĂ authoritĂ© bien loing autour de nous et ne voulant point, comme il se fait, l'establir seulement par la force des loix et des exemples, mais questant tousjours jusques Ă son origine, j'y trouvay le fondement si foible, qu'Ă peine que je ne m'en degoustasse, moy, qui avois Ă la confirmer en autruy. C'est cette recepte, par laquelle Platon entreprend de chasser les des-naturees et preposteres amours de son temps qu'il estime souveraine et principale Assavoir, que l'opinion publique les condamne que les PoĂtes, que chacun en face de mauvais comptes. Recepte, par le moyen de laquelle, les plus belles filles n'attirent plus l'amour des peres, ny les freres plus excellents en beautĂ©, l'amour des soeurs. Les fables mesmes de Thyestes, d'OEdipus, de Macareus, ayant, avec le plaisir de leur chant, infus cette utile creance, en la tendre cervelle des enfants. De vray, la pudicitĂ© est une belle vertu, et de laquelle l'utilitĂ© est assez connuĂ mais de la traitter et faire valoir selon nature, il est autant mal-aysĂ©, comme il est aysĂ© de la faire valoir selon l'usage, les loix, et les preceptes. Les premieres et universelles raisons sont de difficile perscrutation. Et les passent noz maistres en escumant, ou en ne les osant pas seulement taster, se jettent d'abordeee dans la franchise de la coustume lĂ ils s'enflent, et triomphent Ă bon compte. Ceux qui ne se veulent laisser tirer hors cette originelle source, faillent encore plus et s'obligent Ă des opinions sauvages, tesmoin Chrysippus qui sema en tant de lieux de ses escrits, le peu de compte en quoy il tenoit les conjonctions incestueuses, quelles qu'elles fussent. Qui voudra se desfaire de ce violent prejudice de la coustume, il trouvera plusieurs choses receuĂs d'une resolution indubitable, qui n'ont appuy qu'en la barbe chenĂÂŒe et rides de l'usage, qui les accompaigne mais ce masque arrachĂ©, rapportant les choses Ă la veritĂ© et Ă la raison, il sentira son jugement, comme tout bouleversĂ©, et remis pourtant en bien plus seur estat. Pour exemple, je luy demanderay lors, quelle chose peut estre plus estrange, que de voir un peuple obligĂ© Ă suivre des loix quil n'entendit oncques attachĂ© en tous ses affaires domesticques, mariages, donations, testaments, ventes, et achapts, Ă des regles qu'il ne peut sçavoir, n'estans escrites ny publiees en sa langue, et desquelles par necessitĂ© il luy faille acheter l'interpretation et l'usage. Non selon l'ingenieuse opinion d'Isocrates, qui conseille Ă son Roy de rendre les trafiques et negociations de ses subjects libres, franches, et lucratives ; et leurs debats et querelles, onereuses, chargees de poisans subsides mais se l on une opinion prodigieuse, de mettre en trafique, la raison mesme, et donner aux loix cours de marchandise. Je sçay bon grĂ© Ă la fortune, dequoy comme disent nos historiens ce fut un gentil-homme Gascon et de mon pays, qui le premier s'opposa Ă Charlemaigne, nous voulant donner les loix Latines et Imperiales. Qu'est-il plus farouche que de voir une nation, oĂÂč par legitime coustume la charge de juger se vende ; et les jugemens soyent payez Ă purs deniers contans ; et oĂÂč legitimement la justice soit refusee Ă qui n'a dequoy la payer et aye cette marchandise si grand credit, qu'il se face en une police un quatriĂ©me estat, de gens manians les procĂ©s, pour le joindre aux trois anciens, de l'Eglise, de la Noblesse, et du Peuple lequel estat ayant la charge des loix et souveraine authoritĂ© des biens et des vies, face un corps Ă part de celuy de la noblesse d'oĂÂč il advienne qu'il y ayt doubles loix, celles de l'honneur, et celles de la justice, en plusieurs choses fort contraires aussi rigoureusement condamnent celles-lĂ un demanti souffert, comme celles icy un demanti revanchĂ© par le devoir des armes, celuy-lĂ soit degradĂ© d'honneur et de noblesse qui souffre un'injure, et par le devoir civil, celuy qui s'en venge encoure une peine capitale ? qui s'adresse aux loix pour avoir raison d'une offence faicte Ă son honneur, il se deshonnore et qui ne s'y adresse, il en est puny et chastiĂ© par les loix Et de ces deux pieces si diverses, se rapportans toutesfois Ă un seul chef, ceux-lĂ ayent la paix, ceux-cy la guerre en charge ceux-lĂ ayent le gaing, ceux-cy l'honneur ceux-lĂ le sçavoir, ceux-cy la vertu ceux-lĂ la parole, ceux-cy l'action ceux lĂ la justice, ceux-cy la vaillance ceux-lĂ la raison, ceux-cy la force ceux-lĂ la robbe longue, ceux-cy la courte en partage. Quant aux choses indifferentes, comme vestemens, qui les voudra ramener Ă leur vraye fin, qui est le service et commoditĂ© du corps, d'oĂÂč depend leur grace et bien seance originelle, pour les plus fantasticques Ă mon grĂ© qui se puissent imaginer, je luy donray entre autres nos bonnets carrez cette longue queuĂ de veloux plissĂ©, qui pend aux testes de nos femmes, avec son attirail bigarrĂ© et ce vain modelle et inutile, d'un membre que nous ne pouvons seulement honnestement nommer, duquel toutesfois nous faisons montre et parade en public. Ces considerations ne destournent pourtant pas un homme d'entendement de suivre le stile commun Ains au rebours, il me semble que toutes façons escartees et particulieres partent plustost de folie, ou d'affectation ambitieuse, que de vraye raison et que le sage doit au dedans retirer son ame de la presse, et la tenir en libertĂ© et puissance de juger librement des choses mais quant au dehors, qu'il doit suivre entierement les façons et formes receuĂs. La societĂ© publique n'a que faire de nos pensees mais le demeurant, comme nos actions, nostre travail, nos fortunes et nostre vie, il la faut prester et abandonner Ă son service et aux opinions communes comme ce bon et grand Socrates refusa de sauver sa vie par la desobeissance du magistrat, voire d'un magistrat tres-injuste et tres-inique. Car c'est la regle des regles, et generale loy des loix, que chacun observe celles du lieu oĂÂč il est En voicy d'une autre cuvee. Il y a grand doute, s'il se peut trouver si evident profit au changement d'une loy receĂÂŒe telle qu'elle soit, qu'il y a de mal Ă la remuer d'autant qu'une police, c'est comme un bastiment de diverses pieces joinctes ensemble d'une telle liaison, qu'il est impossible d'en esbranler une que tout le corps ne s'en sente. Le legislateur des Thuriens ordonna, que quiconque voudroit ou abolir une des vieilles loix, ou en establir une nouvelle, se presenteroit au peuple la corde au col afin que si la nouvelletĂ© n'estoit approuvee d'un chacun, il fust incontinent estranglĂ©. Et celuy de Lacedemone employa sa vie pour tirer de ses citoyens une promesse asseuree, de n'enfraindre aucune de ses ordonnances. L'Ephore qui coupa si rudement les deux cordes que Phrinys avoit adjoustĂ© Ă la musique, ne s'esmoie pas, si elle en vaut mieux, ou si les accords en sont mieux remplis il luy suffit pour les condamner, que ce soit une alteration de la vieille façon. C'est ce que signifioit cette espee rouillee de la justice de Marseille. Je suis desgoustĂ© de la nouvelletĂ©, quelque visage qu'elle porte, et ay raison, car j'en ay veu des effets tres-dommageables. Celle qui nous presse depuis tant d'ans, elle n'a pas tout exploictĂ© mais on peut dire avec apparence, que par accident, elle a tout produict et engendrĂ© ; voire et les maux et ruines, qui se font depuis sans elle, et contre elle c'est Ă elle Ă s'en prendre au nez, Heu patior telis vulnera facta meis ! Ceux qui donnent le branle Ă un estat, sont volontiers les premiers absorbez en sa ruine. Le fruict du trouble ne demeure guere Ă celuy qui l'Ă esmeu ; il bat et brouille l'eaue pour d'autres pescheurs. La liaison et contexture de cette monarchie et ce grand bastiment, ayant estĂ© desmis et dissout, notamment sur ses vieux ans par elle, donne tant qu'on veut d'ouverture et d'entree Ă pareilles injures. La majestĂ© Royalle s'avale plus difficilement du sommet au milieu, qu'elle ne se precipite du milieu Ă fons. Mais si les inventeurs sont plus dommageables, les imitateurs sont plus vicieux, de se jetter en des exemples, desquels ils ont senti et puni l'horreur et le mal. Et s'il y a quelque degrĂ© d'honneur, mesmes au mal faire, ceux cy doivent aux autres, la gloire de l'invention, et le courage du premier effort. Toutes sortes de nouvelle desbauche puysent heureusement en cette premiere et foeconde source, les images et patrons Ă troubler nostre police. On lit en nos loix mesmes, faictes pour le remede de ce premier mal, l'apprentissage et l'excuse de toutes sortes de mauvaises entreprises Et nous advient ce que Thucydides dit des guerres civiles de son temps, qu'en faveur des vices publiques, on les battisoit de mots nouveaux plus doux pour leur excuse, abastardissant et amollissant leurs vrais titres. C'est pourtant, pour reformer nos consciences et nos creances, honesta oratio est. Mais le meilleur pretexte de nouvelletĂ© est tres-dangereux. Adeo nihil motum ex antiquo probabile est. Si me semble-il, Ă le dire franchement, qu'il y a grand amour de soy et presomption, d'estimer ses opinions jusques-lĂ , que pour les establir, il faille renverser une paix publique, et introduire tant de maux inevitables, et une si horrible corruption de moeurs que les guerres civiles apportent, et les mutations d'estat, en chose de tel pois, et les introduire en son pays propre. Est-ce-pas mal mesnagĂ©, d'advancer tant de vices certains et cognus, pour combattre des erreurs contestees et debatables ? Est-il quelque pire espece de vices, que ceux qui choquent la propre conscience et naturelle cognoissance ? Le senat osa donner en payement cette deffaitte, sur le different d'entre luy et le peuple, pour le ministere de leur religion Ad deos, id magis quam ad se pertinere, ipsos visuros, ne sacra sua polluantur conformĂ©ment Ă ce que respondit l'oracle Ă ceux de Delphes, en la guerre Medoise, craignans l'invasion des Perses. Ils demanderent au Dieu, ce qu'ils avoient Ă faire des tresors sacrez de son temple, ou les cacher, ou les emporter Il leur respondit, qu'ils ne bougeassent rien, qu'ils se souciassent d'eux qu'il estoit suffisant pour prouvoir Ă ce qui luy estoit propre. La religion Chrestienne a toutes les marques d'extreme justice et utilitĂ© mais nulle plus apparente, que l'exacte recommandation de l'obeĂÂŻssance du Magistrat, et manutention des polices. Quel merveilleux exemple nous en a laissĂ© la sapience divine, qui pour establir le salut du genre humain, et conduire cette sienne glorieuse victoire contre la mort et le pechĂ©, ne l'a voulu faire qu'Ă la mercy de nostre ordre politique et a soubsmis son progrez et la conduicte d'un si haut effet et si salutaire, Ă l'aveuglement et injustice de nos observations et usances y laissant courir le sang innocent de tant d'esleuz ses favoriz, et souffrant une longue perte d'annees Ă meurir ce fruict inestimable ? Il y a grand Ă dire entre la cause de celuy qui suit les formes et les loix de son pays, et celuy qui entreprend de les regenter et changer. Celuy lĂ allegue pour son excuse, la simplicitĂ©, l'obeissance et l'exemple quoy qu'il face ce ne peut estre malice, c'est pour le plus malheur. Quis est enim, quem non moveat clarissimis monimentis testata consignataque antiquitas ? Outre ce que dit Isocrates, que la defectuositĂ©, a plus de part Ă la moderation, que n'a l'exces. L'autre est en bien plus rude party. Dieu le sçache en nostre presente querelle, oĂÂč il y a cent articles Ă oster et remettre, grands et profonds articles, combien ils sont qui se puissent vanter d'avoir exactement recogneu les raisons et fondements de l'un et l'autre party. C'est un nombre, si c'est nombre, qui n'auroit pas grand moyen de nous troubler. Mais toute cette autre presse oĂÂč va elle ? soubs quelle enseigne se jette elle Ă quartier ? Il advient de la leur, comme des autres medecines foibles et mal appliquees les humeurs qu'elle vouloit purger en nous, elle les a eschaufees, exasperees et aigries par le conflit, et si nous est demeuree dans les corps. Elle n'a sçeu nous purger par sa foiblesse, et nous a cependant affoiblis en maniere que nous ne la pouvons vuider non plus, et ne recevons de son operation que des douleurs longues et intestines. Si est-ce que la fortune reservant tousjours son authoritĂ© au dessus de nos discours, nous presente aucunesfois la necessitĂ© si urgente, qu'il est besoing que les loix luy facent quelque place Et quand on resiste Ă l'accroissance d'une innovation qui vient par violence Ă s'introduire, de se tenir en tout et par tout en bride et en regle contre ceux qui ont la clef des champs, ausquels tout cela est loisible qui peut avancer leur dessein, qui n'ont ny loy ny ordre que de suivre leur advantage, c'est une dangereuse obligation et inequalitĂ©. Aditum nocendi perfido prĂŠstat fides. D'autant que la discipline ordinaire d'un estat qui est en sa santĂ©, ne pourvoit pas Ă ces accidens extraordinaires elle presuppose un corps qui se tient en ses principaux membres et offices, et un commun consentement Ă son observation et obeĂÂŻssance. L'aller legitime, est un aller froid, poisant et contraint et n'est pas pour tenir bon, Ă un aller licencieux et effrenĂ©. On sçait qu'il est encore reprochĂ© Ă ces deux grands personages, Octavius et Caton, aux guerres civiles, l'un de Sylla, l'autre de CĂŠsar, d'avoir plustost laissĂ© encourir toutes extremitez Ă leur patrie, que de la secourir aux despens de ses loix, et que de rien remuer. Car Ă la veritĂ© en ces dernieres necessitez, oĂÂč il n'y a plus que tenir, il seroit Ă l'avanture plus sagement fait, de baisser la teste et prester un peu au coup, que s'ahurtant outre la possibilitĂ© Ă ne rien relascher, donner occasion Ă la violance de fouler tout aux pieds et vaudroit mieux faire vouloir aux loix ce qu'elles peuvent, puis qu'elles ne peuvent ce qu'elles veulent. Ainsi fit celuy qui ordonna qu'elles dormissent vingt et quatres heures Et celuy qui remua pour cette fois un jour du calendrier Et cet autre qui du mois de Juin fit le second May. Les Lacedemoniens mesmes, tant religieux observateurs des ordonnances de leur paĂÂŻs, estans pressez de leur loy, qui defendoit d'eslire par deux fois Admiral un mesme personnage, et de l'autre part leurs affaires requerans de toute necessitĂ©, que Lysander prinst de rechef cette charge, ils firent bien un Aracus Admiral, mais Lysander surintendant de la marine. Et de mesme subtilitĂ© un de leurs Ambassadeurs estant envoyĂ© vers les Atheniens, pour obtenir le changement de quelqu'ordonnance, et Pericles luy alleguant qu'il estoit defendu d'oster le tableau, oĂÂč une loy estoit une fois posee, luy conseilla de le tourner seulement, d'autant que cela n'estoit pas defendu. C'est ce dequoy Plutarque loĂÂŒe Philopoemen, qu'estant nĂ© pour commander, il sçavoit non seulement commander selon les loix, mais aux loix mesmes, quand la necessitĂ© publique le requeroit. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXIII Divers evenemens de mesme Conseil JACQUES AMIOT, grand Aumosnier de France, me recita un jour cette histoire Ă l'honneur d'un Prince des nostres et nostre estoit-il Ă tres-bonnes enseignes, encore que son origine fust estrangere que durant nos premiers troubles au siege de RoĂÂŒan, ce Prince ayant estĂ© adverti par la Royne mere du Roy d'une entreprise qu'on faisoit sur sa vie, et instruit particulierement par ses lettres, de celuy qui la devoit conduire Ă chef, qui estoit un gentil-homme Angevin ou Manceau, frequentant lors ordinairement pour cet effet, la maison de ce Prince il ne communiqua Ă personne cet advertissement mais se promenant l'endemain au mont saincte Catherine, d'oĂÂč se faisoit nostre baterie Ă Rouan car c'estoit au temps que nous la tenions assiegee ayant Ă ses costez le dit seigneur grand Aumosnier et un autre Evesque, il apperçeut ce gentil-homme, qui luy avoit estĂ© remarquĂ©, et le fit appeller. Comme il fut en sa presence, il luy dit ainsi, le voyant desja pallir et fremir des alarmes de sa conscience Monsieur de tel lieu, vous vous doutez bien de ce que je vous veux, et vostre visage le monstre. vous n'avez rien Ă me cacher car je suis instruict de vostre affaire si avant, que vous ne feriez qu'empirer vostre marchĂ©, d'essayer Ă le couvrir. Vous sçavez bien telle chose et telle qui estoyent les tenans et aboutissans des plus secretes pieces de cette menee ne faillez sur vostre vie Ă me confesser la veritĂ© de tout ce dessein. Quand ce pauvre homme se trouva pris et convaincu car le tout avoit estĂ© descouvert Ă la Royne par l'un des complices il n'eut qu'Ă joindre les mains et requerir la grace et misericorde de ce Prince ; aux pieds duquel il se voulut jetter, mais il l'en garda, suyvant ainsi son propos Venez çà , vous ay-je autre-fois fait desplaisir ? ay-je offencĂ© quelqu'un des vostres par haine particuliere ? Il n'y a pas trois semaines que je vous cognois, quelle raison vous a peu mouvoir Ă entreprendre ma mort ? Le gentil-homme respondit Ă cela d'une voix tremblante, que ce n'estoit aucune occasion particuliere qu'il en eust, mais l'interest de la cause generale de son party, et qu'aucuns luy avoient persuadĂ© que ce seroit une execution pleine de pietĂ©, d'extirper en quelque maniere que ce fust, un si puissant ennemy de leur religion. Or suivit ce Prince je vous veux montrer, combien la religion que je tiens est plus douce, que celle dequoy vous faictes profession. La vostre vous a conseillĂ© de me tuer sans m'ouir, n'ayant receu de moy aucune offence ; et la mienne me commande que je vous pardonne, tout convaincu que vous estes de m'avoir voulu tuer sans raison. Allez vous en, retirez vous, que je ne vous voye plus icy et si vous estes sage, prenez doresnavant en voz entreprises des conseillers plus gens de bien que ceux lĂ . L'Empereur Auguste estant en la Gaule, reçeut certain avertissement d'une conjuration que luy brassoit L. Cinna, il delibera de s'en venger ; et manda pour cet effect au lendemain le conseil de ses amis mais la nuict d'entredeux il la passa avec grande inquietude, considerant qu'il avoit Ă faire mourir un jeune homme de bonne maison, et neveu du grand Pompeius et produisoit en se pleignant plusieurs divers discours. Quoy donq, faisoit-il, sera-il dict que je demeureray en crainte et en alarme, et que je lairray mon meurtrier se pourmener cependant Ă son ayse ? S'en ira-il quitte, ayant assailly ma teste, que j'ay sauvĂ©e de tant de guerres civiles, de tant de batailles, par mer et par terre ? et apres avoir estably la paix universelle du monde, sera-il absouz, ayant deliberĂ© non de me meurtrir seulement, mais de me sacrifier ? Car la conjuration estoit faicte de le tuer, comme il feroit quelque sacrifice. Apres cela s'estant tenu coy quelque espace de temps, il recommençoit d'une voix plus forte, et s'en prenoit Ă soy-mesme Pourquoy vis tu, s'il importe Ă tant de gens que tu meures ? n'y aura-il point de fin Ă tes vengeances et Ă tes cruautez ? Ta vie vaut-elle que tant de dommage se face pour la conserver ? Livia sa femme le sentant en ces angoisses Et les conseils des femmes y seront-ils receuz, luy dit elle ? Fais ce que font les medecins, quand les receptes accoustumees ne peuvent servir, ils en essayent de contraires. Par severitĂ© tu n'as jusques Ă cette heure rien profitĂ© Lepidius Ă suivy Savidienus, Murena Lepidus, CĂŠpio Murena, Egnatius CĂŠpio. Commence Ă experimenter comment te succederont la douceur et la clemence. Cinna est convaincu, pardonne luy ; de te nuire desormais, il ne pourra, et profitera Ă ta gloire. Auguste fut bien ayse d'avoir trouvĂ© un advocat de son humeur, et ayant remerciĂ© sa femme et contremandĂ© ses amis, qu'il avoit assignez au Conseil, commanda qu'on fist venir Ă luy Cinna tout seul Et ayant fait sortir tout le monde de sa chambre, et fait donner un siege Ă Cinna, il luy parla en cette maniere En premier lieu je te demande Cinna, paisible audience n'interromps pas mon parler, je te donray temps et loysir d'y respondre. Tu sçais Cinna que t'ayant pris au camp de mes ennemis, non seulement t'estant faict mon ennemy, mais estant nĂ© tel, je te sauvay ; je te mis entre mains tous tes biens, et t'ay en fin rendu si accommodĂ© et si aysĂ©, que les victorieux sont envieux de la condition du vaincu l'office du sacerdoce que tu me demandas, je te l'ottroiay, l'ayant refusĂ© Ă d'autres, desquels les peres avoyent tousjours combatu avec moy t'ayant si fort obligĂ©, tu as entrepris de me tuer. A quoy Cinna s'estant escriĂ© qu'il estoit bien esloignĂ© d'une si meschante pensee Tu ne me tiens pas Cinna ce que tu m'avois promis, suyvit Auguste tu m'avois asseurĂ© que je ne serois pas interrompu ouy, tu as entrepris de me tuer, en tel lieu, tel jour, en telle compagnie, et de telle façon et le voyant transi de ces nouvelles, et en silence, non plus pour tenir le marchĂ© de se taire, mais de la presse de sa conscience Pourquoy, adjousta il, le fais tu ? Est-ce pour estre Empereur ? Vrayement il va bien mal Ă la chose publique, s'il n'y a que moy, qui t'empesche d'arriver Ă l'Empire. Tu ne peux pas seulement deffendre ta maison, et perdis dernierement un procĂ©s par la faveur d'un simple libertin. Quoy ? n'as tu moyen ny pouvoir en autre chose qu'Ă entreprendre CĂŠsar ? Je le quitte, s'il n'y a que moy qui empesche tes esperances. Penses-tu, que Paulus, que Fabius, que les Cosseens et Serviliens te souffrent ? et une si grande trouppe de nobles, non seulement nobles de nom, mais qui par leur vertu honnorent leur noblesse ? Apres plusieurs autres propos car il parla Ă luy plus de deux heures entieres Or va, luy dit-il, je te donne, Cinna, la vie Ă traistre et Ă parricide, que je te donnay autres-fois Ă ennemy que l'amitiĂ© commence de ce jourd'huy entre nous essayons qui de nous deux de meilleure foy, moy t'aye donnĂ© ta vie, ou tu l'ayes receuĂ. Et se despartit d'avec luy en cette maniere. Quelque temps apres il luy donna le consulat, se pleignant dequoy il ne le luy avoit osĂ© demander. Il l'eut depuis pour fort amy, et fut seul faict par luy heritier de ses biens. Or depuis cet accident, qui advint Ă Auguste au quarantiesme an de son aage, il n'y eut jamais de conjuration ny d'entreprise contre luy, et receut une juste recompense de cette sienne clemence. Mais il n'en advint pas de mesmes au nostre car sa douceur ne le sceut garentir, qu'il ne cheust depuis aux lacs de pareille trahison. Tant c'est chose vaine et frivole que l'humaine prudence et au travers de tous nos projects, de nos conseils et precautions, la fortune maintient tousjours la possession des evenemens. Nous appellons les medecins heureux, quand ils arrivent Ă quelque bonne fin comme s'il n'y avoit que leur art, qui ne se peust maintenir d'elle mesme, et qui eust les fondemens trop frailes, pour s'appuyer de sa propre force et comme s'il n'y avoit qu'elle, qui ayt besoin que la fortune preste la main Ă ses operations. Je croy d'elle tout le pis ou le mieux qu'on voudra car nous n'avons, Dieu mercy, nul commerce ensemble. Je suis au rebours des autres car je la mesprise bien tousjours, mais quand je suis malade, au lieu d'entrer en composition, je commence encore Ă la haĂÂŻr et Ă la craindre et respons Ă ceux qui me pressent de prendre medecine, qu'ils attendent au moins que je sois rendu Ă mes forces et Ă ma santĂ©, pour avoir plus de moyen de soustenir l'effort et le hazart de leur breuvage. Je laisse faire nature, et presuppose qu'elle se soit pourveue de dents et de griffes, pour se deffendre des assaux qui luy viennent, et pour maintenir cette contexture, dequoy elle fuit la dissolution. Je crain au lieu de l'aller secourir, ainsi comme elle est aux prises bien estroites et bien jointes avec la maladie, qu'on secoure son adversaire au lieu d'elle, et qu'on la recharge de nouveaux affaires. Or je dy que non en la medecine seulement, mais en plusieurs arts plus certaines, la fortune y a bonne part. Les saillies poĂtiques, qui emportent leur autheur, et le ravissent hors de soy, pourquoy ne les attribuerons nous Ă son bon heur, puis qu'il confesse luy mesme qu'elles surpassent sa suffisance et ses forces, et les recognoit venir d'ailleurs que de soy, et ne les avoir aucunement en sa puissance non plus que les orateurs ne disent avoir en la leur ces mouvemens et agitations extraordinaires, qui les poussent au delĂ de leur dessein ? Il en est de mesmes en la peinture, qu'il eschappe par fois des traits de la main du peintre surpassans sa conception et sa science, qui le tirent luy mesmes en admiration, et qui l'estonnent. Mais la fortune montre bien encores plus evidemment, la part qu'elle a en tous ces ouvrages, par les graces et beautez qui s'y treuvent, non seulement sans l'intention, mais sans la cognoissance mesme de l'ouvrier. Un suffisant lecteur descouvre souvent Ă©s escrits d'autruy, des perfections autres que celles que l'autheur y a mises et apperceuĂs, et y preste des sens et des visages plus riches. Quant aux entreprises militaires, chacun void comment la fortune y a bonne part En nos conseils mesmes et en nos deliberations, il faut certes qu'il y ayt du sort et du bonheur meslĂ© parmy car tout ce que nostre sagesse peut, ce n'est pas grand chose Plus elle est aigue et vive, plus elle trouve en soy de foiblesse, et se deffie d'autant plus d'elle mesme. Je suis de l'advis de Sylla et quand je me prens garde de pres aux plus glorieux exploicts de la guerre, je voy, ce me semble, que ceux qui les conduisent, n'y employent la deliberation et le conseil, que par acquit ; et que la meilleure part de l'entreprinse, ils l'abandonnent Ă la fortune ; et sur la fiance qu'ils ont Ă son secours, passent Ă tous les coups au delĂ des bornes de tout discours. Il survient des allegresses fortuites, et des fureurs estrangeres parmy leurs deliberations, qui les poussent le plus souvent Ă prendre le party le moins fondĂ© en apparence, et qui grossissent leur courage au dessus de la raison. D'oĂÂč il est advenu Ă plusieurs grands Capitaines anciens, pour donner credit Ă ces conseils temeraires, d'alleguer Ă leurs gens, qu'ils y estoyent conviez par quelque inspiration, par quelque signe et prognostique. Voyla pourquoy en cette incertitude et perplexitĂ©, que nous apporte l'impuissance de voir et choisir ce qui est le plus commode, pour les difficultez que les divers accidens et circonstances de chaque chose tirent le plus seur, quand autre consideration ne nous y convieroit, est Ă mon advis de se rejetter au party, oĂÂč il y a plus d'honnestetĂ© et de justice et puis qu'on est en doute du plus court chemin, tenir tousjours le droit. Comme en ces deux exemples, que je vien de proposer, il n'y a point de doubte, qu'il ne fust plus beau et plus genereux Ă celuy qui avoit receu l'offence, de la pardonner, que s'il eust fait autrement. S'il en est mes-advenu au premier, il ne s'en faut pas prendre Ă ce sien bon dessein et ne sçait on, quand il eust pris le party contraire, s'il eust eschapĂ© la fin, Ă laquelle son destin l'appelloit ; et si eust perdu la gloire d'une telle humanitĂ©. Il se void dans les histoires, force gens, en cette crainte ; d'oĂÂč la plus part ont suivy le chemin de courir au devant des conjurations, qu'on faisoit contre eux, par vengeance et par supplices mais j'en voy fort peu ausquels ce remede ayt servy ; tesmoing tant d'Empereurs Romains. Celuy qui se trouve en ce danger, ne doit pas beaucoup esperer ny de sa force, ny de sa vigilance. Car combien est-il mal aisĂ© de se garentir d'un ennemy, qui est couvert du visage du plus officieux amy que nous ayons ? et de cognoistre les volontez et pensemens interieurs de ceux qui nous assistent ? Il a beau employer des nations estrangeres pour sa garde, et estre tousjours ceint d'une haye d'hommes armez Quiconque aura sa vie Ă mespris, se rendra tousjours maistre de celle d'autruy. Et puis ce continuel soupçon, qui met le Prince en doute de tout le monde, luy doit servir d'un merveilleux tourment. Pourtant Dion estant adverty que Callippus espioit les moyens de le faire mourir, n'eut jamais le coeur d'en informer, disant qu'il aymoit mieux mourir que vivre en cette misere, d'avoir Ă se garder non de ses ennemys seulement, mais aussi de ses amis. Ce qu'Alexandre representa bien plus vivement par effect, et plus roidement, quand ayant eu advis par une lettre de Parmenion, que Philippus son plus cher medecin estoit corrompu par l'argent de Darius pour l'empoisonner ; en mesme temps qu'il donnoit Ă lire sa lettre Ă Philippus, il avala le bruvage qu'il luy avoit presentĂ©. Fut-ce pas exprimer cette resolution, que si ses amis le vouloient tuer, il consentoit qu'ils le peussent faire ? Ce Prince est le souverain patron des actes hazardeux mais je ne sçay s'il y a traict en sa vie, qui ayt plus de fermetĂ© que cestui-cy, ny une beautĂ© illustre par tant de visages. Ceux qui preschent aux princes la deffiance si attentive, soubs couleur de leur prescher leur seurtĂ©, leur preschent leur ruine et leur honte. Rien de noble ne se faict sans hazard. J'en sçay un de courage tres-martial de sa complexion et entreprenant, de qui tous les jours on corrompt la bonne fortune par telles persuasions Qu'il se resserre entre les siens, qu'il n'entende Ă aucune reconciliation de ses anciens ennemys, se tienne Ă part, et ne se commette entre mains plus fortes, quelque promesse qu'on luy face, quelque utilitĂ© qu'il y voye. J'en sçay un autre, qui a inesperĂ©ment avancĂ© sa fortune, pour avoir pris conseil tout contraire. La hardiesse dequoy ils cerchent si avidement la gloire, se represente, quand il est besoin, aussi magnifiquement en pourpoint qu'en armes en un cabinet, qu'en un camp le bras pendant, que le bras levĂ©. La prudence si tendre et circonspecte, est mortelle ennemye de hautes executions. Scipion sceut, pour pratiquer la volontĂ© de Syphax, quittant son armĂ©e, et abandonnant l'Espaigne, douteuse encore sous sa nouvelle conqueste, passer en Afrique, dans deux simples vaisseaux, pour se commettre en terre ennemie, Ă la puissance d'un Roy barbare, Ă une foy incogneue, sans obligation, sans hostage, sous la seule seuretĂ© de la grandeur de son propre courage, de son bon heur, et de la promesse de ses hautes esperances. Habita fides ipsam plerumque fidem obligat. A une vie ambitieuse et fameuse, il faut au rebours, prester peu, et porter la bride courte aux souspeçons La crainte et la deffiance attirent l'offence et la convient. Le plus deffiant de nos Roys establit ses affaires, principallement pour avoir volontairement abandonnĂ© et commis sa vie, et sa libertĂ©, entre les mains de ses ennemis montrant avoir entiere fiance d'eux, afin qu'ils la prinssent de luy. A ses legions mutinĂ©es et armĂ©es contre luy, CĂŠsar opposoit seulement l'authoritĂ© de son visage, et la fiertĂ© de ses paroles ; et se fioit tant Ă soy et Ă sa fortune, qu'il ne craingnoit point de l'abandonner et commettre Ă une armĂ©e seditieuse et rebelle. Stetit aggere fulti Cespitis, intrepidus vultu, meruitque timeri Nil metuens. Mais il est bien vray, que cette forte asseurance ne se peut representer bien entiere, et naĂÂŻfve, que par ceux ausquels l'imagination de la mort, et du pis qui peut advenir apres tout, ne donne point d'effroy car de la presenter tremblante encore, doubteuse et incertaine, pour le service d'une importante reconciliation, ce n'est rien faire qui vaille. C'est un excellent moyen de gaigner le coeur et volontĂ© d'autruy, de s'y aller soubsmettre et fier, pourveu que ce soit librement, et sans contrainte d'aucune necessitĂ©, et que ce soit en condition, qu'on y porte une fiance pure et nette ; le front au moins deschargĂ© de tout scrupule. Je vis en mon enfance, un Gentil-homme commandant Ă une grande ville empressĂ© Ă l'esmotion d'un peuple furieux Pour esteindre ce commencement du trouble, il print party de sortir d'un lieu tres-asseurĂ© oĂÂč il estoit, et se rendre Ă cette tourbe mutine d'oĂÂč mal luy print, et y fut miserablement tuĂ©. Mais il ne me semble pas que sa faute fust tant d'estre sorty, ainsi qu'ordinairement on le reproche Ă sa memoire, comme ce fut d'avoir pris une voye de soubmission et de mollesse et d'avoir voulu endormir cette rage, plustost en suivant qu'en guidant, et en requerant plustost qu'en remontrant et estime que une gracieuse severitĂ©, avec un commandement militaire, plein de securitĂ©, et de confiance, convenable Ă son rang, et Ă la dignitĂ© de sa charge, luy eust mieux succedĂ©, au moins avec plus d'honneur, et de bien-seance. Il n'est rien moins esperable de ce monstre ainsin agitĂ©, que l'humanitĂ© et la douceur ; il recevra bien plustost la reverence et la crainte. Je luy reprocherois aussi, qu'ayant pris une resolution plustost brave Ă mon grĂ©, que temeraire, de se jetter foible et en pourpoint, emmy cette mer tempestueuse d'hommes insensez, il la devoit avaller toute, et n'abandonner ce personnage. LĂ oĂÂč il luy advint apres avoir recogneu le danger de pres, de saigner du nez et d'alterer encore depuis cette contenance dĂ©mise et flatteuse, qu'il avoit entreprinse, en une contenance effraiĂ©e chargeant sa voix et ses yeux d'estonnement et de penitence cerchant Ă conniller et Ă se desrober, il les enflamma et appella sur soy. On deliberoit de faire une montre generalle de diverses trouppes en armes, c'est le lieu des vengeances secrettes ; et n'est point oĂÂč en plus grande seuretĂ© on les puisse exercer il y avoit publiques et notoires apparences, qu'il n'y faisoit pas fort bon pour aucuns, ausquels touchoit la principalle et necessaire charge de les recognoistre. Il s'y proposa divers conseils, comme en chose difficile, et qui avoit beaucoup de poids et de suitte Le mien fut, qu'on evitast sur tout de donner aucun tesmoignage de ce doubte, et qu'on s'y trouvast et meslast parmy les files, la teste droicte, et le visage ouvert ; et qu'au lieu d'en retrancher aucune chose Ă quoy les autres opinions visoyent le plus au contraire, l'on sollicitast les capitaines d'advertir les soldats de faire leurs salves belles et gaillardes en l'honneur des assistans, et n'espargner leur poudre. Cela servit de gratification envers ces troupes suspectes, et engendra dĂ©s lors en avant une mutuelle et utile confidence. La voye qu'y tint Julius CĂŠsar, je trouve que c'est la plus belle, qu'on y puisse prendre. Premierement il essaya par clemence, Ă se faire aymer de ses ennemis mesmes, se contentant aux conjurations qui luy estoient descouvertes, de declarer simplement qu'il en estoit adverti Cela faict, il print une tres-noble resolution, d'attendre sans effroy et sans solicitude, ce qui luy en pourroit advenir, s'abandonnant et se remettant Ă la garde des dieux et de la fortune. Car certainement c'est l'estat oĂÂč il estoit quand il fut tuĂ©. Un estranger ayant dict et publiĂ© par tout qu'il pourroit instruire Dionysius Tyran de Syracuse, d'un moyen de sentir et descouvrir en toute certitude, les parties que ses subjets machineroient contre luy, s'il luy vouloit donner une bonne piece d'argent, Dionysius en estant adverty, le fit appeller Ă soy, pour s'esclaircir d'un art si necessaire Ă sa conservation cet estranger luy dict, qu'il n'y avoit pas d'autre art, sinon qu'il luy fist delivrer un talent, et se ventast d'avoir apris de luy un singulier secret. Dionysius trouva cette invention bonne, et luy fit compter six cens escus. Il n'estoit pas vray-semblable ; qu'il eust donnĂ© si grande somme Ă un homme incogneu, qu'en recompense d'un tres-utile apprentissage, et servoit cette reputation Ă tenir ses ennemis en crainte. Pourtant les Princes sagement publient les advis qu'ils reçoivent des menĂ©es qu'on dresse contre leur vie ; pour faire croire qu'ilz sont bien advertis, et qu'il ne se peut rien entreprendre dequoy ils ne sentent le vent. Le Duc d'Athenes fit plusieurs sottises en l'establissement de sa fresche tyrannie sur Florence mais cette-cy la plus notable, qu'ayant receu le premier advis des monopoles que ce peuple dressoit contre luy, par Mattheo dit Morozo, complice d'icelles il le fit mourir, pour supprimer cet advertissement, et ne faire sentir, qu'aucun en la ville s'ennuĂÂŻast de sa domination. Il me souvient avoir leu autrefois l'histoire de quelque Romain, personnage de dignitĂ©, lequel fuyant la tyrannie du Triumvirat, avoit eschappĂ© mille fois les mains de ceux qui le poursuivoyent, par la subtilitĂ© de ses inventions Il advint un jour, qu'une troupe de gens de cheval, qui avoit charge de le prendre, passa tout joignant un halier, ou il s'estoit tapy, et faillit de le descouvrir Mais luy sur ce point lĂ , considerant la peine et les difficultez, ausquelles il avoit desja si long temps durĂ©, pour se sauver des continuelles et curieuses recherches, qu'on faisoit de luy par tout ; le peu de plaisir qu'il pouvoit esperer d'une telle vie, et combien il luy valoit mieux passer une fois le pas, que demeurer tousjours en ceste transe, luy-mesme les r'appella, et leur trahit sa cachette, s'abandonnant volontairement Ă leur cruautĂ©, pour oster eux et luy d'une plus longue peine. D'appeller les mains ennemies, c'est un conseil un peu gaillard si croy-je, qu'encore vaudroit-il mieux le prendre, que de demeurer en la fievre continuelle d'un accident, qui n'a point de remede. Mais puis que les provisions qu'on y peut apporter sont pleines d'inquietude, et d'incertitude, il vaut mieux d'une belle asseurance se preparer Ă tout ce qui en pourra advenir ; et tirer quelque consolation de ce qu'on n'est pas asseurĂ© qu'il advienne. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXIV Du pedantisme JE me suis souvent despitĂ© en mon enfance, de voir Ă©s comedies Italiennes, tousjours un pedante pour badin, et le surnom de magister, n'avoir guere plus honorable signification parmy nous. Car leur estant donnĂ© en gouvernement, que pouvois-je moins faire que d'estre jaloux de leur reputation ? Je cherchois bien de les excuser par la disconvenance naturelle qu'il y a entre le vulgaire, et les personnes rares et excellentes en jugement, et en sçavoir d'autant qu'ils vont un train entierement contraire les uns des autres. Mais en cecy perdois-je mon latin que les plus galans hommes c'estoient ceux qui les avoyent le plus Ă mespris, tesmoing nostre bon du Bellay Mais je hay par sur tout un sçavoir pedantesque. Et est cette coustume ancienne car Plutarque dit que Grec et Escolier, estoient mots de reproche entre les Romains, et de mespris. Depuis avec l'aage j'ay trouvĂ© qu'on avoit une grandissime raison, et que magis magnos clericos, non sunt magis magnos sapientes. Mais d'oĂÂč il puisse advenir qu'une ame riche de la cognoissance de tant de choses, n'en devienne pas plus vive, et plus esveillĂ©e ; et qu'un esprit grossier et vulgaire puisse loger en soy, sans s'amender, les discours et les jugemens des plus excellens esprits, que le monde ait portĂ©, j'en suis encore en doute. A recevoir tant de cervelles estrangeres, et si fortes, et si grandes, il est necessaire me disoit une fille, la premiere de nos Princesses, parlant de quelqu'un que la sienne se foule, se contraigne et rappetisse, pour faire place aux autres. Je dirois volontiers, que comme les plantes s'estouffent de trop d'humeur, et les lampes de trop d'huile, aussi faict l'action de l'esprit par trop d'estude et de matiere lequel occupĂ© et embarassĂ© d'une grande diversitĂ© de choses, perde le moyen de se demesler. Et que cette charge le tienne courbe et croupy. Mais il en va autrement, car nostre ame s'eslargit d'autant plus qu'elle se remplit. Et aux exemples des vieux temps, il se voit tout au rebours, des suffisans hommes aux maniemens des choses publiques, des grands capitaines, et grands conseillers aux affaires d'estat, avoir estĂ© ensemble tressçavans. Et quant aux Philosophes retirez de toute occupation publique, ils ont estĂ© aussi quelque fois Ă la veritĂ© mesprisez, par la libertĂ© Comique de leur temps, leurs opinions et façons les rendans ridicules. Les voulez vous faire juges des droits d'un procĂ©s, des actions d'un homme ? Ils en sont bien prests ! Ils cerchent encore s'il y a vie, s'il y a mouvement, si l'homme est autre chose qu'un boeuf que c'est qu'agir et souffrir, quelles bestes ce sont, que loix et justice. Parlent ils du magistrat, ou parlent-ils Ă luy ? c'est d'une libertĂ© irreverente et incivile. Oyent-ils louer un Prince ou un Roy ? c'est un pastre pour eux, oisif comme un pastre, occupĂ© Ă pressurer et tondre ses bestes mais bien plus rudement. En estimez vous quelqu'un plus grand, pour posseder deux mille arpents de terre ? eux s'en moquent, accoustumĂ©s d'embrasser tout le monde, comme leur possession. Vous ventez vous de vostre noblesse, pour compter sept ayeulx riches ? ils vous estiment de peu ne concevans l'image universelle de nature, et combien chascun de nous a eu de predecesseurs, riches, pauvres, Roys, valets, Grecs, Barbares. Et quand vous seriez cinquantiesme descendant de Hercules, ils vous trouvent vain, de faire valoir ce present de la fortune. Ainsi les desdeignoit le vulgaire, comme ignorants les premieres choses et communes, et comme presomptueux et insolents. Mais cette peinture Platonique est bien esloignĂ©e de celle qu'il faut Ă noz hommes. On envioit ceux-lĂ comme estans au dessus de la commune façon, comme mesprisans les actions publiques, comme ayans dressĂ© une vie particuliere et inimitable, reglĂ©e Ă certains discours hautains et hors d'usage ceux-cy on les desdeigne, comme estans au dessoubs de la commune façon, comme incapables des charges publiques, comme trainans une vie et des meurs basses et viles apres le vulgaire. Odi homines ignava opera, Philosopha sententia. Quant Ă ces Philosophes, dis-je, comme ils estoient grands en science, ils estoient encore plus grands en toute action. Et tout ainsi qu'on dit de ce Geometrien de Syracuse, lequel ayant estĂ© destournĂ© de sa contemplation, pour en mettre quelque chose en pratique, Ă la deffence de son paĂÂŻs, qu'il mit soudain en train des engins espouventables, et des effects surpassans toute creance humaine ; desdaignant toutefois luy mesme toute cette sienne manufacture, et pensant en cela avoir corrompu la dignitĂ© de son art, de laquelle ses ouvrages n'estoient que l'apprentissage et le jouet. Aussi eux, si quelquefois on les a mis Ă la preuve de l'action, on les a veu voler d'une aisle si haulte, qu'il paroissoit bien, leur coeur et leur ame s'estre merveilleusement grossie et enrichie par l'intelligence des choses. Mais aucuns voyants la place du gouvernement politique saisie par hommes incapables, s'en sont reculĂ©s. Et celuy qui demanda Ă Crates, jusques Ă quand il faudroit philosopher, en receut cette responce Jusques Ă tant que ce ne soient plus des asniers, qui conduisent noz armĂ©es. Heraclitus resigna la RoyautĂ© Ă son frere. Et aux Ephesiens, qui luy reprochoient, qu'il passoit son temps Ă joĂÂŒer avec les enfans devant le temple Vaut-il pas mieux faire cecy, que gouverner les affaires en vostre compagnie ? D'autres ayans leur imagination logĂ©e au dessus de la fortune et du monde, trouverent les sieges de la justice, et les thrones mesmes des Roys, bas et viles. Et refusa Empedocles la royautĂ©, que les Agrigentins luy offrirent. Thales accusant quelquefois le soing du mesnage et de s'enrichir, on luy reprocha que c'estoit Ă la mode du renard, pour n'y pouvoir advenir. Il luy print envie par passetemps d'en montrer l'experience, et ayant pour ce coup ravalĂ© son sçavoir au service du proffit et du gain, dressa une trafique, qui dans un an rapporta telles richesses, qu'Ă peine en toute leur vie, les plus experimentez de ce mestier lĂ , en pouvoient faire de pareilles. Ce qu'Aristote recite d'aucuns, qui appelloyent et celuy lĂ , et Anaxagoras, et leurs semblables, sages et non prudents, pour n'avoir assez de soin des choses plus utiles outre ce que je ne digere pas bien cette difference de mots, cela ne sert point d'excuse Ă mes gents, et Ă voir la basse et necessiteuse fortune, dequoy ils se payent, nous aurions plustost occasion de prononcer tous les deux, qu'ils sont, et non sages, et non prudents. Je quitte cette premiere raison, et croy qu'il vaut mieux dire, que ce mal vienne de leur mauvaise façon de se prendre aux sciences et qu'Ă la mode dequoy nous sommes instruicts, il n'est pas merveille, si ny les escoliers, ny les maistres n'en deviennent pas plus habiles, quoy qu'ils s'y facent plus doctes. De vray le soing et la despence de nos peres, ne vise qu'Ă nous meubler la teste de science du jugement et de la vertu, peu de nouvelles. Criez d'un passant Ă nostre peuple O le sçavant homme ! Et d'un autre, O le bon homme ! Il ne faudra pas Ă destourner les yeux et son respect vers le premier. Il y faudroit un tiers crieur O les lourdes testes ! Nous nous enquerons volontiers, Sçait-il du Grec ou du Latin ? escrit-il en vers ou en prose ? mais, s'il est devenu meilleur ou plus advisĂ©, c'estoit le principal, et c'est ce qui demeure derriere. Il falloit s'enquerir qui est mieux sçavant, non qui est plus sçavant. Nous ne travaillons qu'Ă remplir la memoire, et laissons l'entendement et la conscience vuide. Tout ainsi que les oyseaux vont quelquefois Ă la queste du grain, et le portent au bec sans le taster, pour en faire bechĂ©e Ă leurs petits ainsi nos pedantes vont pillotans la science dans les livres, et ne la logent qu'au bout de leurs lĂ©vres, pour la dĂ©gorger seulement, et mettre au vent. C'est merveille combien proprement la sottise se loge sur mon exemple. Est-ce pas faire de mesme, ce que je fay en la plus part de cette composition ? Je m'en vay escornifflant par-cy par-lĂ , des livres, les sentences qui me plaisent ; non pour les garder car je n'ay point de gardoire mais pour les transporter en cettuy-cy ; oĂÂč, Ă vray dire, elles ne sont non plus miennes, qu'en leur premiere place. Nous ne sommes, ce croy-je, sçavants, que de la science presente non de la passĂ©e, aussi peu que de la future. Mais qui pis est, leurs escoliers et leurs petits ne s'en nourrissent et alimentent non plus, ains elle passe de main en main, pour cette seule fin, d'en faire parade, d'en entretenir autruy, et d'en faire des comptes, comme une vaine monnoye inutile Ă tout autre usage et emploite, qu'Ă compter et jetter. Apud alios loqui didicerunt, non ipsi secum. Non est loquendum, sed gubernandum. Nature pour monstrer, qu'il n'y a rien de sauvage en ce qu'elle conduit, faict naistre souvent Ă©s nations moins cultivĂ©es par art, des productions d'esprit, qui luittent les plus artistes productions. Comme sur mon propos, le proverbe Gascon tirĂ© d'une chalemie, est-il delicat, Bouha prou bouha, mas Ă remuda lous dits qu'em. Souffler prou souffler, mais Ă remuer les doits, nous en sommes lĂ . Nous sçavons dire, Cicero dit ainsi, voila les meurs de Platon, ce sont les mots mesmes d'Aristote mais nous que disons nous nous mesmes ? que faisons nous ? que jugeons nous ? Autant en diroit bien un perroquet. Cette façon me faict souvenir de ce riche Romain, qui avoit estĂ© soigneux Ă fort grande despence, de recouvrer des hommes suffisans en tout genre de science, qu'il tenoit continuellement autour de luy, affin que quand il escheoit entre ses amis, quelque occasion de parler d'une chose ou d'autre, ils suppleassent en sa place, et fussent tous prests Ă luy fournir, qui d'un discours, qui d'un vers d'Homere, chacun selon son gibier et pensoit ce sçavoir estre sien, par ce qu'il estoit en la teste de ses gens. Et comme font aussi ceux, desquels la suffisance loge en leurs somptueuses librairies. J'en cognoy, Ă qui quand je demande ce qu'il sçait, il me demande un livre pour le monstrer et n'oseroit me dire, qu'il a le derriere galeux, s'il ne va sur le champ estudier en son lexicon que c'est que galeux, et que c'est que derriere. Nous prenons en garde les opinions et le sçavoir d'autruy, et puis c'est tout il les faut faire nostres. Nous semblons proprement celuy, qui ayant besoing de feu, en iroit querir chez son voisin, et y en ayant trouvĂ© un beau et grand, s'arresteroit lĂ Ă se chauffer, sans plus se souvenir d'en raporter chez soy. Que nous sert-il d'avoir la panse pleine de viande, si elle ne se digere, si elle ne se transforme en nous ? si elle ne nous augmente et fortifie ? Pensons nous que Lucullus, que les lettres rendirent et formerent si grand capitaine sans experience, les eust prises Ă nostre mode ? Nous nous laissons si fort aller sur les bras d'autruy, que nous aneantissons nos forces. Me veux-je armer contre la crainte de la mort ? c'est aux despens de Seneca. Veux-je tirer de la consolation pour moy, ou pour un autre ? je l'emprunte de Cicero je l'eusse prise en moy-mesme, si on m'y eust exercĂ©. Je n'ayme point cette suffisance relative et mendiĂ©e. Quand bien nous pourrions estre sçavans du sçavoir d'autruy, au moins sages ne pouvons nous estre que de nostre propre sagesse. Ex quo Ennius Nequidquam sapere sapientem, qui ipse sibi prodesse non quiret. si cupidus, si Vanus, et Euganea quantumvis vilior agna. Non enim paranda nobis solum, sed fruenda sapientia est. Dionysius se moquoit des Grammariens, qui ont soin de s'enquerir des maux d'Ulysses, et ignorent les propres des musiciens, qui accordent leurs fleutes, et n'accordent pas leurs moeurs des orateurs qui estudient Ă dire justice, non Ă la faire. Si nostre ame n'en va un meilleur bransle, si nous n'en avons le jugement plus sain, j'aymerois aussi cher que mon escolier eut passĂ© le temps Ă joĂÂŒer Ă la paume, au moins le corps en seroit plus allegre. Voyez le revenir de lĂ , apres quinze ou seize ans employez, il n'est rien si mal propre Ă mettre en besongne, tout ce que vous y recognoissez d'avantage, c'est que son Latin et son Grec l'ont rendu plus sot et presumptueux qu'il n'estoit party de la maison. Il en devoit rapporter l'ame pleine, il ne l'en rapporte que bouffie et l'a seulement enflĂ©e, en lieu de la grossir. Ces maistres icy, comme Platon dit des Sophistes, leurs germains, sont de tous les hommes, ceux qui promettent d'estre les plus utiles aux hommes, et seuls entre tous les hommes, qui non seulement n'amendent point ce qu'on leur commet, comme faict un charpentier et un masson mais l'empirent, et se font payer de l'avoir empirĂ©. Si la loy que Protagoras proposoit Ă ses disciples, estoit suivie ou qu'ils le payassent selon son mot, ou qu'ils jurassent au temple, combien ils estimoient le profit qu'ils avoient receu de sa discipline, et selon iceluy satisfissent sa peine mes pedagogues se trouveroient chouez, s'estans remis au serment de mon experience. Mon vulgaire Perigordin appelle fort plaisamment Lettre ferits, ces sçavanteaux, comme si vous disiez Lettre-ferus, ausquels les lettres ont donnĂ© un coup de marteau, comme on dit. De vray le plus souvent ils semblent estre ravalez, mesmes du sens commun. Car le paĂÂŻsant et le cordonnier vous leur voyez aller simplement et naĂÂŻvement leur train, parlant de ce qu'ils sçavent ceux-cy pour se vouloir eslever et gendarmer de ce sçavoir, qui nage en la superficie de leur cervelle, vont s'embarrassant, et empetrant sans cesse. Il leur eschappe de belles parolles, mais qu'un autre les accommode ils cognoissent bien Galien, mais nullement le malade ils vous ont des-ja rempli la teste de loix, et si n'ont encore conçeu le neud de la cause ils sçavent la Theorique de toutes choses, cherchez qui la mette en practique. J'ay veu chez moy un mien amy, par maniere de passetemps, ayant affaire Ă un de ceux-cy, contrefaire un jargon de Galimatias, propos sans suitte, tissu de pieces rapportĂ©es, sauf qu'il estoit souvent entrelardĂ© de mots propres Ă leur dispute, amuser ainsi tout un jour ce sot Ă debattre, pensant tousjours respondre aux objections qu'on luy faisoit. Et si estoit homme de lettres et de reputation, et qui avoit une belle robbe. Vos ĂÂŽ patritius sanguis quos vivere par est Occipiti cĂŠco, posticĂŠ occurrite sannĂŠ. Qui regardera de bien pres Ă ce genre de gens, qui s'estend bien loing, il trouvera comme moy, que le plus souvent ils ne s'entendent, ny autruy, et qu'ils ont la souvenance assez pleine, mais le jugement entierement creux sinon que leur nature d'elle mesme le leur ait autrement façonnĂ©. Comme j'ay veu Adrianus Turnebus, qui n'ayant faict autre profession que de lettres, en laquelle c'estoit, Ă mon opinion, le plus grand homme, qui fust il y a mil ans, n'ayant toutesfois rien de pedantesque que le port de sa robbe, et quelque façon externe, qui pouvoit n'estre pas civilisĂ©e Ă la courtisane qui sont choses de neant. Et hay nos gens qui supportent plus mal-aysement une robbe qu'une ame de travers et regardent Ă sa reverence, Ă son maintien et Ă ses bottes, quel homme il est. Car au dedans c'estoit l'ame la plus polie du monde. Je l'ay souvent Ă mon escient jettĂ© en propos eslongnez de son usage, il y voyoit si cler, d'une apprehension si prompte, d'un jugement si sain, qu'il sembloit, qu'il n'eust jamais faict autre mestier que la guerre, et affaires d'Estat. Ce sont natures belles et fortes queis arte benigna Et meliore luto finxit prĂŠcordia Titan, qui se maintiennent au travers d'une mauvaise institution. Or ce n'est pas assez que nostre institution ne nous gaste pas, il faut qu'elle nous change en mieux. Il y a aucuns de noz Parlemens, quand ils ont Ă recevoir des officiers, qui les examinent seulement sur la science les autres y adjoustent encores l'essay du sens, en leur presentant le jugement de quelque cause. Ceux-cy me semblent avoir un beaucoup meilleur stile Et encore que ces deux pieces soyent necessaires, et qu'il faille qu'elles s'y trouvent toutes deux si est-ce qu'Ă la veritĂ© celle du sçavoir est moins prisable, que celle du jugement ; cette-cy se peut passer de l'autre, et non l'autre de cette-cy. Car comme dict ce vers Grec, A quoy faire la science, si l'entendement n'y est ? Pleust Ă Dieu que pour le bien de nostre justice ces compagnies lĂ se trouvassent aussi bien fournies d'entendement et de conscience, comme elles sont encore de science. Non vitĂŠ, sed scholĂŠ discimus. Or il ne faut pas attacher le sçavoir Ă l'ame, il l'y faut incorporer il ne l'en faut pas arrouser, il l'en faut teindre ; et s'il ne la change, et meliore son estat imparfaict, certainement il vaut beaucoup mieux le laisser lĂ . C'est un dangereux glaive, et qui empesche et offence son maistre s'il est en main foible, et qui n'en sçache l'usage ut fuerit melius non didicisse. A l'adventure est ce la cause, que et nous, et la Theologie ne requerons pas beaucoup de science aux femmes, et que François Duc de Bretaigne filz de Jean V. comme on luy parla de son mariage avec Isabeau fille d'Escosse, et qu'on luy adjousta qu'elle avoit estĂ© nourrie simplement et sans aucune instruction de lettres, respondit, qu'il l'en aymoit mieux, et qu'une femme estoit assez sçavante, quand elle sçavoit mettre difference entre la chemise et le pourpoint de son mary. Aussi ce n'est pas si grande merveille, comme on crie, que nos ancestres n'ayent pas faict grand estat des lettres, et qu'encores aujourd'huy elles ne se trouvent que par rencontre aux principaux conseils de nos Roys et si cette fin de s'en enrichir, qui seule nous est aujourd'huy proposĂ©e par le moyen de la Jurisprudence, de la Medecine, du pedantisme, et de la Theologie encore, ne les tenoit en credit, vous les verriez sans doubte aussi marmiteuses qu'elles furent onques. Quel dommage, si elles ne nous apprennent ny Ă bien penser, ny Ă bien faire ? Postquam docti prodierunt, boni desunt. Toute autre science, est dommageable Ă celuy qui n'a la science de la bontĂ©. Mais la raison que je cherchoys tantost, seroit elle point aussi de lĂ , que nostre estude en France n'ayant quasi autre but que le proufit, moins de ceux que nature a faict naistre Ă plus genereux offices que lucratifs, s'adonnants aux lettres, ou si courtement retirez avant que d'en avoir pris appetit, Ă une profession qui n'a rien de commun avec les livres il ne reste plus ordinairement, pour s'engager tout a faict a l'estude, que les gents de basse fortune, qui y questent des moyens Ă vivre. Et de ces gents-lĂ , les ames estans et par nature, et par institution domestique et exemple, du plus bas aloy, rapportent faucement le fruit de la science. Car elle n'est pas pour donner jour Ă l'ame qui n'en a point ny pour faire voir un aveugle. Son mestier est, non de luy fournir de veuĂ, mais de la luy dresser, de luy regler ses allures, pourveu qu'elle aye de soy les pieds, et les jambes droites et capables. C'est une bonne drogue que la science, mais nulle drogue n'est assĂ©s forte, pour se preserver sans alteration et corruption, selon le vice du vase qui l'estuye. Tel a la veuĂ claire, qui ne l'a pas droitte et par consequent void le bien, et ne le suit pas et void la science, et ne s'en sert pas. La principale ordonnance de Platon en sa republique, c'est donner Ă ses citoyens selon leur nature, leur charge. Nature peut tout, et fait tout. Les boiteux sont mal propres aux exercices du corps, et aux exercices de l'esprit les ames boiteuses. Les bastardes et vulgaires sont indignes de la philosophie. Quand nous voyons un homme mal chaussĂ©, nous disons que ce n'est pas merveille, s'il est chaussetier. De mesme il semble, que l'experience nous offre souvent, un medecin plus mal medecinĂ©, un Theologien moins reformĂ©, et coustumierement un sçavant moins suffisant qu'un autre. Aristo Chius avoit anciennement raison de dire, que les philosophes nuisoient aux auditeurs d'autant que la plus part des ames ne se trouvent propres Ă faire leur profit de telle instruction qui, si elle ne se met Ă bien, se met Ă mal asotos ex Aristippi, acerbos ex Zenonis schola exire. En cette belle institution que Xenophon preste aux Perses, nous trouvons qu'ils apprenoient la vertu Ă leurs enfans, comme les autres nations font les lettres. Platon dit que le fils aisnĂ© en leur succession royale, estoit ainsi nourry. Apres sa naissance, on le donnoit, non Ă des femmes, mais Ă des eunuches de la premiere authoritĂ© autour des Roys, Ă cause de leur vertu. Ceux-cy prenoient charge de luy rendre le corps beau et sain et apres sept ans le duisoient Ă monter Ă cheval, et aller Ă la chasse. Quand il estoit arrivĂ© au quatorziesme, ils le deposoient entre les mains de quatre le plus sage, le plus juste, le plus temperant, le plus vaillant de la nation. Le premier luy apprenoit la religion le second, Ă estre tousjours veritable le tiers, Ă se rendre maistre des cupiditĂ©s le quart, Ă ne rien craindre. C'est chose digne de tres-grande consideration, que en cette excellente police de Lycurgus, et Ă la veritĂ© monstrueuse par sa perfection, si songneuse pourtant de la nourriture des enfans, comme de sa principale charge, et au giste mesmes des Muses, il s'y face si peu de mention de la doctrine comme si cette genereuse jeunesse desdaignant tout autre joug que de la vertu, on luy aye deu fournir, au lieu de nos maistres de science, seulement des maistres de vaillance, prudence et justice. Exemple que Platon a suivy en ses loix. La façon de leur discipline, c'estoit leur faire des questions sur le jugement des hommes, et de leurs actions et s'ils condamnoient et loĂÂŒoient, ou ce personnage, ou ce faict, il falloit raisonner leur dire, et par ce moyen ils aiguisoient ensemble leur entendement, et apprenoient le droit. Astyages en Xenophon, demande Ă Cyrus compte de sa derniere leçon ; C'est, dit-il, qu'en nostre escole un grand garçon ayant un petit saye, le donna Ă l'un de ses compagnons de plus petite taille, et luy osta son saye, qui estoit plus grand nostre precepteur m'ayant fait juge de ce different ; je jugeay qu'il falloit laisser les choses en cet estat, et que l'un et l'autre sembloit estre mieux accommodĂ© en ce point sur quoy il me remontra que j'avois mal fait. car je m'estois arrestĂ© Ă considerer la bien seance, et il falloit premierement avoir proveu Ă la justice, qui vouloit que nul ne fust forcĂ© en ce qui luy appartenoit. Et dit qu'il en fut fouĂtĂ©, tout ainsi que nous sommes en nos villages, pour avoir oubliĂ© le premier Aoriste de . Mon regent me feroit une belle harangue in genere demonstrativo, avant qu'il me persuadast que son escole vaut cette-lĂ . Ils ont voulu coupper chemin et puis qu'il est ainsi que les sciences, lors mesmes qu'on les prent de droit fil, ne peuvent que nous enseigner la prudence, la preud'hommie et la resolution, ils ont voulu d'arrivĂ©e mettre leurs enfans au propre des effects, et les instruire non par ouĂÂŻr dire, mais par l'essay de l'action, en les formant et moulant vifvement, non seulement de preceptes et parolles, mais principalement d'exemples et d'oeuvres afin que ce ne fust pas une science en leur ame, mais sa complexion et habitude que ce ne fust pas un acquest, mais une naturelle possession. A ce propos, on demandoit Ă Agesilaus ce qu'il seroit d'advis, que les enfans apprinsent Ce qu'ils doivent faire estans hommes, respondit-il. Ce n'est pas merveille, si une telle institution a produit des effects si admirables. On alloit, dit-on, aux autres villes de Grece chercher des Rhetoriciens, des peintres, et des Musiciens mais en Lacedemone des legislateurs, des magistrats, et Empereurs d'armĂ©e Ă Athenes on aprenoit Ă bien dire, et icy Ă bien faire lĂ Ă se desmesler d'un argument sophistique, et Ă rabattre l'imposture des mots captieusement entrelassez ; icy Ă se desmesler des appats de la voluptĂ©, et Ă rabatre d'un grand courage les menasses de la fortune et de la mort ceux-lĂ s'embesongnoient apres les parolles, ceux-cy apres les choses lĂ c'estoit une continuelle exercitation de la langue, icy une continuelle exercitation de l'ame. Parquoy il n'est pas estrange, si Antipater leur demandant cinquante enfans pour ostages, ils respondirent tout au rebours de ce que nous ferions, qu'ils aymoient mieux donner deux fois autant d'hommes faicts ; tant ils estimoient la perte de l'education de leur pays. Quand Agesilaus convie Xenophon d'envoyer nourrir ses enfans Ă Sparte, ce n'est pas pour y apprendre la Rhetorique, ou Dialectique mais pour apprendre ce dit-il la plus belle science qui soit, asçavoir la science d'obeir et de commander. Il est tres-plaisant, de voir Socrates, Ă sa mode se moquant de Hippias, qui luy recite, comment il a gaignĂ©, specialement en certaines petites villettes de la Sicile, bonne somme d'argent, Ă regenter et qu'Ă Sparte il n'a gaignĂ© pas un sol. Que ce sont gents idiots, qui ne sçavent ny mesurer ny compter ne font estat ny de Grammaire ny de rythme s'amusans seulement Ă sçavoir la suitte des Roys, establissement et decadence des estats, et tel fatras de comptes. Et au bout de cela, Socrates luy faisant advouĂr par le menu, l'excellence de leur forme de gouvernement publique, l'heur et vertu de leur vie privĂ©e, luy laisse deviner la conclusion de l'inutilitĂ© de ses arts. Les exemples nous apprennent, et en cette martiale police, et en toutes ses semblables, que l'estude des sciences amollit et effemine les courages, plus qu'il ne les fermit et aguerrit. Le plus fort estat, qui paroisse pour le present au monde, est celuy des Turcs, peuples egalement duicts Ă l'estimation des armes, et mespris des lettres. Je trouve Rome plus vaillante avant qu'elle fust sçavante. Les plus belliqueuses nations en nos jours, sont les plus grossieres et ignorantes. Les Scythes, les Parthes, Tamburlan, nous servent Ă cette preuve. Quand les Gots ravagerent la Grece, ce qui sauva toutes les librairies d'estre passĂ©es au feu, ce fut un d'entre eux, qui sema cette opinion, qu'il failloit laisser ce meuble entier aux ennemis propre Ă les destourner de l'exercice militaire, et amuser Ă des occupations sedentaires et oysives. Quand nostre Roy, Charles huictieme, quasi sans tirer l'espee du fourreau, se veid maistre du Royaume de Naples, et d'une bonne partie de la Toscane, les seigneurs de sa suitte, attribuerent cette inesperee facilitĂ© de conqueste, Ă ce que les Princes et la noblesse d'Italie s'amusoient plus Ă se rendre ingenieux et sçavans, que vigoureux et guerriers. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXV. De l'institution des enfans A Madame Diane de Foix, Contesse de Gurson. JE ne vis jamais pere, pour bossĂ© ou teigneux que fust son fils, qui laissast de l'advoĂÂŒer non pourtant, s'il n'est du tout enyvrĂ© de cet'affection, qu'il ne s'apperçoive de sa defaillance mais tant y a qu'il est sien. Aussi moy, je voy mieux que tout autre, que ce ne sont icy que resveries d'homme, qui n'a goustĂ© des sciences que la crouste premiere en son enfance, et n'en a retenu qu'un general et informe visage un peu de chaque chose, et rien du tout, Ă la Françoise. Car en somme, je sçay qu'il y a une Medecine, une Jurisprudence, quatre parties en la Mathematique, et grossierement ce Ă quoy elles visent. Et Ă l'adventure encore sçay-je la pretention des sciences en general, au service de nostre vie mais d'y enfonçer plus avant, de m'estre rongĂ© les ongles Ă l'estude d'Aristote monarque de la doctrine moderne, ou opiniatrĂ© apres quelque science, je ne l'ay jamais faict ny n'est art dequoy je peusse peindre seulement les premiers lineaments. Et n'est enfant des classes moyennes, qui ne se puisse dire plus sçavant que moy qui n'ay seulement pas dequoy l'examiner sur sa premiere leçon. Et si l'on m'y force, je suis contraint assez ineptement, d'en tirer quelque matiere de propos universel, sur quoy j'examine son jugement naturel. leçon, qui leur est autant incognue, comme Ă moy la leur. Je n'ay dressĂ© commerce avec aucun livre solide, sinon Plutarche et Seneque, ou je puyse comme les DanaĂÂŻdes, remplissant et versant sans cesse. J'en attache quelque chose Ă ce papier, Ă moy, si peu que rien. L'Histoire c'est mon gibier en matiere de livres, ou la poĂsie, que j'ayme d'une particuliere inclination car, comme disoit Cleanthes, tout ainsi que la voix contrainte dans l'Ă©troit canal d'une trompette sort plus aigue et plus forte ainsi me semble il que la sentence pressee aux pieds nombreux de la poĂsie, s'eslance bien plus brusquement, et me fiert d'une plus vive secousse. Quant aux facultez naturelles qui sont en moy, dequoy c'est icy l'essay, je les sens flechir sous la charge mes conceptions et mon jugement ne marche qu'Ă tastons, chancelant, bronchant et chopant et quand je suis allĂ© le plus avant que je puis, si ne me suis-je aucunement satisfaict Je voy encore du paĂÂŻs au delĂ mais d'une veĂÂŒe trouble, et en nuage, que je ne puis demesler Et entreprenant de parler indifferemment de tout ce qui se presente Ă ma fantasie, et n'y employant que mes propres et naturels moyens, s'il m'advient, comme il faict souvent, de rencontrer de fortune dans les bons autheurs ces mesmes lieux, que j'ay entrepris de traiter, comme je vien de faire chez Plutarque tout presentement, son discours de la force de l'imagination Ă me recognoistre au prix de ces gens lĂ , si foible et si chetif, si poisant et si endormy, je me fay pitiĂ©, ou desdain Ă moy mesmes. Si me gratifie-je de cecy, que mes opinions ont cet honneur de rencontrer souvent aux leurs, et que je vays au moins de loing apres, disant que voire. Aussi que j'ay cela, que chacun n'a pas, de cognoistre l'extreme difference d'entre-eux et moy Et laisse ce neant-moins courir mes inventions ainsi foibles et basses, comme je les ay produites, sans en replastrer et recoudre les defaux que cette comparaison m'y a descouvert Il faut avoir les reins bien fermes pour entreprendre de marcher front Ă front avec ces gens lĂ . Les escrivains indiscrets de nostre siecle, qui parmy leurs ouvrages de neant, vont semant des lieux entiers des anciens autheurs, pour se faire honneur, font le contraire. Car cett'infinie dissemblance de lustres rend un visage si pasle, si terni, et si laid Ă ce qui est leur, qu'ils y perdent beaucoup plus qu'ils n'y gaignent. C'estoient deux contraires fantasies. Le philosophe Chrysippus mesloit Ă ses livres, non les passages seulement, mais des ouvrages entiers d'autres autheurs et en un la MedĂ©e d'Eurypides et disoit Apollodorus, que, qui en retrancheroit ce qu'il y avoit d'estranger, son papier demeureroit en blanc. Epicurus au rebours, en trois cents volumes qu'il laissa, n'avoit pas mis une seule allegation. Il m'advint l'autre jour de tomber sur un tel passage j'avois trainĂ© languissant apres des parolles Françoises, si exangues, si descharnees, et si vuides de matiere et de sens, que ce n'estoient voirement que parolles Françoises au bout d'un long et ennuyeux chemin, je vins Ă rencontrer une piece haute, riche et eslevee jusques aux nĂÂŒes Si j'eusse trouvĂ© la pente douce, et la montee un peu alongee, cela eust estĂ© excusable c'estoit un precipice si droit et si coupĂ© que des six premieres parolles je cogneuz que je m'envolois en l'autre monde de lĂ je descouvris la fondriere d'oĂÂč je venois, si basse et si profonde, que je n'eus oncques puis le coeur de m'y ravaler. Si j'estoffois l'un de mes discours de ces riches despouilles, il esclaireroit par trop la bestise des autres. Reprendre en autruy mes propres fautes, ne me semble non plus incompatible, que de reprendre, comme je fay souvent, celles d'autruy en moy. Il les faut accuser par tout, et leur oster tout lieu de franchise. Si sçay je, combien audacieusement j'entreprens moy-mesmes Ă tous coups, de m'egaler Ă mes larrecins, d'aller pair Ă pair quand et eux non sans une temeraire esperance, que je puisse tromper les yeux des juges Ă les discerner. Mais c'est autant par le benefice de mon application, que par le benefice de mon invention et de ma force. Et puis, je ne luitte point en gros ces vieux champions lĂ , et corps Ă corps c'est par reprinses, menues et legeres attaintes. Je ne m'y aheurte pas je ne fay que les taster et ne vay point tant, comme je marchande d'aller. Si je leur pouvoy tenir palot, je serois honneste homme car je ne les entreprens, que par oĂÂč ils sont les plus roides. De faire ce que j'ay decouvert d'aucuns, se couvrir des armes d'autruy, jusques Ă ne montrer pas seulement le bout de ses doigts conduire son dessein comme il est aysĂ© aux sçavans en une matiere commune sous les inventions anciennes, rappiecees par cy par lĂ Ă ceux qui les veulent cacher et faire propres, c'est premierement injustice et laschetĂ©, que n'ayans rien en leur vaillant, par oĂÂč se produire, ils cherchent Ă se presenter par une valeur purement estrangere et puis, grande sottise, se contentant par piperie de s'acquerir l'ignorante approbation du vulgaire, se descrier envers les gents d'entendement, qui hochent du nez cette incrustation empruntee desquels seuls la louange a du poids. De ma part il n'est rien que je vueille moins faire. Je ne dis les autres, sinon pour d'autant plus me dire. Cecy ne touche pas les centons, qui se publient pour centons et j'en ay veu de tres-ingenieux en mon temps entre-autres un, sous le nom de Capilupus outre les anciens. Ce sont des esprits, qui se font veoir, et par ailleurs, et par lĂ , comme Lipsius en ce docte et laborieux tissu de ses Politiques. Quoy qu'il en soit, veux-je dire, et quelles que soient ces inepties, je n'ay pas deliberĂ© de les cacher, non plus qu'un mien pourtraict chauve et grisonnant, oĂÂč le peintre auroit mis non un visage parfaict, mais le mien. Car aussi ce sont icy mes humeurs et opinions Je les donne, pour ce qui est en ma creance, non pour ce qui est Ă croire. Je ne vise icy qu'Ă decouvrir moy-mesmes, qui seray par adventure autre demain, si nouvel apprentissage me change. Je n'ay point l'authoritĂ© d'estre creu, ny ne le desire, me sentant trop mal instruit pour instruire autruy. Quelcun doncq'ayant veu l'article precedant, me disoit chez moy l'autre jour, que je me devoys estre un petit estendu sur le discours de l'institution des enfans. Or Madame si j'avoy quelque suffisance en ce subject, je ne pourroy la mieux employer que d'en faire un present Ă ce petit homme, qui vous menasse de faire tantost une belle sortie de chez vous vous estes trop genereuse pour commencer autrement que par un masle Car ayant eu tant de part Ă la conduite de vostre mariage, j'ay quelque droit et interest Ă la grandeur et prosperitĂ© de tout ce qui en viendra outre ce que l'ancienne possession que vous avez sur ma servitude, m'oblige assez Ă desirer honneur, bien et advantage Ă tout ce qui vous touche Mais Ă la veritĂ© je n'y entens sinon cela, que la plus grande difficultĂ© et importante de l'humaine science semble estre en cet endroit, oĂÂč il se traitte de la nourriture et institution des enfans. Tout ainsi qu'en l'agriculture, les façons, qui vont devant le planter, sont certaines et aysees, et le planter mesme. Mais depuis que ce qui est plantĂ©, vient Ă prendre vie Ă l'eslever, il y a une grande varietĂ© de façons, et difficultĂ© pareillement aux hommes, il y a peu d'industrie Ă les planter mais depuis qu'ils sont naiz, on se charge d'un soing divers, plein d'embesoignement et de crainte, Ă les dresser et nourrir. La montre de leurs inclinations est si tendre en ce bas aage, et si obscure, les promesses si incertaines et fauces, qu'il est mal-aisĂ© d'y establir aucun solide jugement. Voyez Cimon, voyez Themistocles et mille autres, combien ils se sont disconvenuz Ă eux mesmes. Les petits des ours, et des chiens, montrent leur inclination naturelle ; mais les hommes se jettans incontinent en des accoustumances, en des opinions, en des loix, se changent ou se deguisent facilement. Si est-il difficile de forcer les propensions naturelles D'oĂÂč il advient que par faute d'avoir bien choisi leur route, pour neant se travaille on souvent, et employe lon beaucoup d'aage, Ă dresser des enfans aux choses, ausquelles ils ne peuvent prendre pied. Toutesfois en cette difficultĂ© mon opinion est, de les acheminer tousjours aux meilleures choses et plus profitables ; et qu'on se doit peu appliquer Ă ces legeres divinations et prognostiques, que nous prenons des mouvemens de leur enfance. Platon en sa RĂ©publique, me semble leur donner trop d'autoritĂ©. Madame c'est un grand ornement que la science, et un util de merveilleux service, notamment aux personnes eslevees en tel degrĂ© de fortune, comme vous estes. A la veritĂ© elle n'a point son vray usage en mains viles et basses. Elle est bien plus fiere, de prester ses moyens Ă conduire une guerre, Ă commander un peuple, Ă pratiquer l'amitiĂ© d'un prince, ou d'une nation estrangere, qu'Ă dresser un argument dialectique, ou Ă plaider un appel, ou ordonner une masse de pillules. Ainsi Madame, par ce que je croy que vous n'oublierez pas cette partie en l'institution des vostres, vous qui en avez savourĂ© la douceur, et qui estes d'une race lettree car nous avons encore les escrits de ces anciens Comtes de Foix, d'oĂÂč monsieur le Comte vostre mary et vous, estes descendus et François monsieur de Candale, vostre oncle, en faict naistre tous les jours d'autres, qui estendront la cognoissance de cette qualitĂ© de vostre famille, Ă plusieurs siecles je vous veux dire lĂ dessus une seule fantasie, que j'ay contraire au commun usage C'est tout ce que je puis conferer Ă vostre service en cela. La charge du gouverneur, que vous luy donrez, du chois duquel depend tout l'effect de son institution, elle a plusieurs autres grandes parties, mais je n'y touche point, pour n'y sçavoir rien apporter qui vaille et de cet article, sur lequel je me mesle de luy donner advis, il m'en croira autant qu'il y verra d'apparence. A un enfant de maison, qui recherche les lettres, non pour le gaing car une fin si abjecte, est indigne de la grace et faveur des Muses, et puis elle regarde et depend d'autruy ny tant pour les commoditez externes, que pour les sienes propres, et pour s'en enrichir et parer au dedans, ayant plustost envie d'en reussir habil'homme, qu'homme sçavant, je voudrois aussi qu'on fust soigneux de luy choisir un conducteur, qui eust plustost la teste bien faicte, que bien pleine et qu'on y requist tous les deux, mais plus les moeurs et l'entendement que la science et qu'il se conduisist en sa charge d'une nouvelle maniere. On ne cesse de criailler Ă nos oreilles, comme qui verseroit dans un antonnoir ; et nostre charge ce n'est que redire ce qu'on nous a dit. Je voudrois qu'il corrigeast cette partie ; et que de belle arrivee, selon la portee de l'ame, qu'il a en main, il commençast Ă la mettre sur la montre, luy faisant gouster les choses, les choisir, et discerner d'elle mesme. Quelquefois luy ouvrent le chemin, quelquefois le luy laissent ouvrir. Je ne veux pas qu'il invente, et parle seul je veux qu'il escoute son disciple parler Ă son tour. Socrates, et depuis Arcesilaus, faisoient premierement parler leurs disciples, et puis ils parloient Ă eux. Obest plerumque iis, qui discere volunt, auctoritas eorum, qui docent. Il est bon qu'il le face trotter devant luy, pour juger de son train et juger jusques Ă quel point il se doibt ravaller, pour s'accommoder Ă sa force. A faute de cette proportion, nous gastons tout. Et de la sçavoir choisir, et s'y conduire bien mesurĂ©ment, c'est une des plus ardues besongnes que je sache Et est l'effect d'une haute ame et bien forte, sçavoir condescendre Ă ses allures pueriles, et les guider. Je marche plus ferme et plus seur, Ă mont qu'Ă val. Ceux qui, comme nostre usage porte, entreprenent d'une mesme leçon et pareille mesure de conduite, regenter plusieurs esprits de si diverses mesures et formes ce n'est pas merveille, si en tout un peuple d'enfants, ils en rencontrent Ă peine deux ou trois, qui rapportent quelque juste fruit de leur discipline. Qu'il ne luy demande pas seulement compte des mots de sa leçon, mais du sens et de la substance. Et qu'il juge du profit qu'il aura fait, non par le tesmoignage de sa memoire, mais de sa vie. Que ce qu'il viendra d'apprendre, il le luy face mettre en cent visages, et accommoder Ă autant de divers subjets, pour voir s'il l'a encore bien pris et bien faict sien, prenant l'instruction Ă son progrez, des pĂŠdagogismes de Platon. C'est tesmoignage de cruditĂ© et indigestion que de regorger la viande comme on l'a avallee l'estomach n'a pas faict son operation, s'il n'a faict changer la façon et la forme, Ă ce qu'on luy avoit donnĂ© Ă cuire. Nostre ame ne branle qu'Ă credit, liee et contrainte Ă l'appetit des fantasies d'autruy, serve et captivee soubs l'authoritĂ© de leur leçon. On nous a tant assubjectis aux cordes, que nous n'avons plus de franches alleures nostre vigueur et libertĂ© est esteinte. Nunquam tutelĂŠ suĂŠ fiunt. Je vy privĂ©ment Ă Pise un honneste homme, mais si Aristotelicien, que le plus general de ses dogmes est Que la touche et regle de toutes imaginations solides, et de toute veritĂ©, c'est la conformitĂ© Ă la doctrine d'Aristote que hors de lĂ , ce ne sont que chimeres et inanitĂ© qu'il a tout veu et tout dict. Cette sienne proposition, pour avoir estĂ© un peu trop largement et iniquement interpretee, le mit autrefois et tint long temps en grand accessoire Ă l'inquisition Ă Rome. Qu'il luy face tout passer par l'estamine, et ne loge rien en sa teste par simple authoritĂ©, et Ă credit. Les principes d'Aristote ne luy soyent principes, non plus que ceux des Stoiciens ou Epicuriens Qu'on luy propose cette diversitĂ© de jugemens, il choisira s'il peut sinon il en demeurera en doubte. Che non men che saper dubbiar m'aggrada. Car s'il embrasse les opinions de Xenophon et de Platon, par son propre discours, ce ne seront plus les leurs, ce seront les siennes. Qui suit un autre, il ne suit rien Il ne trouve rien voire il ne cerche rien. Non sumus sub rege, sibi quisque se vindicet. Qu'il sache, qu'il sçait, au moins. Il faut qu'il imboive leurs humeurs, non qu'il apprenne leurs preceptes Et qu'il oublie hardiment s'il veut, d'oĂÂč il les tient, mais qu'il se les sache approprier. La veritĂ© et la raison sont communes Ă un chacun, et ne sont non plus Ă qui les a dites premierement, qu'Ă qui les dit apres. Ce n'est non plus selon Platon, que selon moy puis que luy et moy l'entendons et voyons de mesme. Les abeilles pillotent deçà delĂ les fleurs, mais elles en font apres le miel, qui est tout leur ; ce n'est plus thin, ny marjolaine Ainsi les pieces empruntees d'autruy, il les transformera et confondra, pour en faire un ouvrage tout sien Ă sçavoir son jugement, son institution, son travail et estude ne vise qu'Ă le former. Qu'il cele tout ce dequoy il a estĂ© secouru, et ne produise que ce qu'il en a faict. Les pilleurs, les emprunteurs, mettent en parade leurs bastiments, leurs achapts, non pas ce qu'ils tirent d'autruy. Vous ne voyez pas les espices d'un homme de parlement vous voyez les alliances qu'il a gaignees, et honneurs Ă ses enfants. Nul ne met en compte publique sa recette chacun y met son acquest. Le guain de nostre estude, c'est en estre devenu meilleur et plus sage. C'est disoit Epicharmus l'entendement qui voyt et qui oyt c'est l'entendement qui approfite tout, qui dispose tout, qui agit, qui domine et qui regne toutes autres choses sont aveugles, sourdes et sans ame. Certes nous le rendons servile et coĂÂŒard, pour ne luy laisser la libertĂ© de rien faire de soy. Qui demanda jamais Ă son disciple ce qu'il luy semble de la Rhetorique et de la Grammaire, de telle ou telle sentence de Ciceron ? On nous les placque en la memoire toutes empennees, comme des oracles, oĂÂč les lettres et les syllabes sont de la substance de la chose. Sçavoir par coeur n'est pas sçavoir c'est tenir ce qu'on a donnĂ© en garde Ă sa memoire. Ce qu'on sçait droittement, on en dispose, sans regarder au patron, sans tourner les yeux vers son livre. Fascheuse suffisance, qu'une suffisance pure livresque ! Je m'attens qu'elle serve d'ornement, non de fondement suivant l'advis de Platon, qui dit, la fermetĂ©, la foy, la sinceritĂ©, estre la vraye philosophie les autres sciences, et qui visent ailleurs, n'estre que fard. Je voudrois que lePaluĂl ou Pompee, ces beaux danseurs de mon temps, apprinsent des caprioles Ă les voir seulement faire, sans nous bouger de nos places, comme ceux-cy veulent instruire nostre entendement, sans l'esbranler ou qu'on nous apprinst Ă manier un cheval, ou une pique, ou un Luth, ou la voix, sans nous y exercer comme ceux icy nous veulent apprendre Ă bien juger, et Ă bien parler, sans nous exercer Ă parler ny Ă juger. Or Ă cet apprentissage tout ce qui se presente Ă nos yeux, sert de livre suffisant la malice d'un page, la sottise d'un valet, un propos de table, ce sont autant de nouvelles matieres. A cette cause le commerce des hommes y est merveilleusement propre, et la visite des pays estrangers non pour en rapporter seulement, Ă la mode de nostre noblesse Françoise, combien de pas a Santa rotonda, ou la richesse de calessons de la Signora Livia, ou comme d'autres, combien le visage de Neron, de quelque vieille ruyne de lĂ , est plus long ou plus large, que celuy de quelque pareille medaille. Mais pour en rapporter principalement les humeurs de ces nations et leurs façons et pour frotter et limer nostre cervelle contre celle d'autruy, je voudrois qu'on commençast Ă le promener dĂ©s sa tendre enfance et premierement, pour faire d'une pierre deux coups, par les nations voisines, oĂÂč le langage est plus esloignĂ© du nostre, et auquel si vous ne la formez de bon'heure, la langue ne se peut plier. Aussi bien est-ce une opinion receuĂ d'un chacun, que ce n'est pas raison de nourrir un enfant au giron de ses parens Cette amour naturelle les attendrit trop, et relasche voire les plus sages ils ne sont capables ny de chastier ses fautes, ny de le voir nourry grossierement comme il faut, et hasardeusement. Ils ne le sçauroient souffrir revenir suant et poudreux de son exercice, boire chaud, boire froid, ny le voir sur un cheval rebours, ny contre un rude tireur le floret au poing, ou la premiere harquebuse. Car il n'y a remede, qui en veut faire un homme de bien, sans doubte il ne le faut espargner en cette jeunesse et faut souvent choquer les regles de la medecine vitamque sub dio et trepidis agat in rebus. Ce n'est pas assez de luy roidir l'ame, il luy faut aussi roidir les muscles, elle est trop pressee, si elle n'est secondee et a trop Ă faire, de seule fournir Ă deux offices. Je sçay combien ahanne la mienne en compagnie d'un corps si tendre, si sensible, qui se laisse si fort aller sur elle. Et apperçoy souvent en ma leçon, qu'en leurs escrits, mes maistres font valoir pour magnanimitĂ© et force de courage, des exemples, qui tiennent volontiers plus de l'espessissure de la peau et durtĂ© des os. J'ay veu des hommes, des femmes et des enfants, ainsi nays, qu'une bastonade leur est moins qu'Ă moy une chiquenaude ; qui ne remuent ny langue ny sourcil, aux coups qu'on leur donne. Quand les Athletes contrefont les Philosophes en patience, c'est plustost vigueur de nerfs que de coeur. Or l'accoustumance Ă porter le travail, est accoustumance Ă porter la douleur labor collum obducit dolori. Il le faut rompre Ă la peine, et aspretĂ© des exercices, pour le dresser Ă la peine, et aspretĂ© de la dislocation, de la colique, du caustere et de la geaule aussi, et de la torture. Car de ces derniers icy, encore peut-il estre en prinse, qui regardent les bons, selon le temps, comme les meschants. Nous en sommes Ă l'espreuve. Quiconque combat les loix, menace les gents de bien d'escourgees et de la corde. Et puis, l'authoritĂ© du gouverneur, qui doit estre souveraine sur luy, s'interrompt et s'empesche par la presence des parents. Joint que ce respect que la famille luy porte, la cognoissance des moyens et grandeurs de sa maison, ce ne sont Ă mon opinion pas legeres incommoditez en cet aage. En cette escole du commerce des hommes, j'ay souvent remarquĂ© ce vice, qu'au lieu de prendre cognoissance d'autruy, nous ne travaillons qu'Ă la donner de nous et sommes plus en peine d'emploiter nostre marchandise, que d'en acquerir de nouvelle. Le silence et la modestie sont qualitez tres-commodes Ă la conversation. On dressera cet enfant Ă estre espargnant et mesnager de sa suffisance, quand il l'aura acquise, Ă ne se formalizer point des sottises et fables qui se diront en sa presence car c'est une incivile importunitĂ© de choquer tout ce qui n'est pas de nostre appetit. Qu'il se contente de se corriger soy mesme. Et ne semble pas reprocher Ă autruy, tout ce qu'il refuse Ă faire ny contraster aux moeurs publiques. Licet sapere sine pompa, sine invidia. Fuie ces images regenteuses du monde, et inciviles et cette puerile ambition, de vouloir paroistre plus fin, pour estre autre ; et comme si ce fust marchandise malaizee, que reprehensions et nouvelletez, vouloir tirer de lĂ , nom de quelque peculiere valeur. Comme il n'affiert qu'aux grands PoĂtes, d'user des licences de l'art aussi n'est-il supportable, qu'aux grandes ames et illustres de se privilegier au dessus de la coustume. Siquid Socrates et Aristippus contra morem et consuetudinem fecerunt, idem sibi ne arbitretur licere magnis enim illi et divinis bonis hanc licentiam assequebantur. On luy apprendra de n'entrer en discours et contestation, que lĂ oĂÂč il verra un champion digne de sa lute et lĂ mesmes Ă n'emploier pas tous les tours qui luy peuvent servir, mais ceux-lĂ seulement qui luy peuvent le plus servir. Qu'on le rende delicat au chois et triage de ses raisons, et aymant la pertinence, et par consequent la briefvetĂ©. Qu'on l'instruise sur tout Ă se rendre, et Ă quitter les armes Ă la veritĂ©, tout aussi tost qu'il l'appercevra soit qu'elle naisse Ă©s mains de son adversaire, soit qu'elle naisse en luy-mesmes par quelque ravisement. Car il ne sera pas mis en chaise pour dire un rolle prescript, il n'est engagĂ© Ă aucune cause, que par ce qu'il l'appreuve. Ny ne sera du mestier, oĂÂč se vend Ă purs deniers contans, la libertĂ© de se pouvoir repentir et recognoistre. Neque, ut omnia, quĂŠ prĂŠscripta et imperata sint, defendat, necessitate ulla cogitur. Si son gouverneur tient de mon humeur, il luy formera la volontĂ© Ă estre tres-loyal serviteur de son Prince, et tres-affectionnĂ©, et tres-courageux mais il luy refroidira l'envie de s'y attacher autrement que par un devoir publique. Outre plusieurs autres inconvenients, qui blessent nostre libertĂ©, par ces obligations particulieres, le jugement d'un homme gagĂ© et achettĂ©, ou il est moins entier et moins libre, ou il est tachĂ© et d'imprudence et d'ingratitude. Un pur Courtisan ne peut avoir ny loy ny volontĂ©, de dire et penser que favorablement d'un maistre, qui parmi tant de milliers d'autres subjects, l'a choisi pour le nourrir et elever de sa main. Cette faveur et utilitĂ© corrompent non sans quelque raison, sa franchise, et l'esblouissent. Pourtant void on coustumierement, le langage de ces gens lĂ , divers Ă tout autre langage, en un estat, et de peu de foy en telle matiere. Que sa conscience et sa vertu reluisent en son parler, et n'ayent que la raison pour conduite. Qu'on luy face entendre, que de confesser la faute qu'il descouvrira en son propre discours, encore qu'elle ne soit apperceuĂ que par luy, c'est un effet de jugement et de sinceritĂ©, qui sont les principales parties qu'il cherche. Que l'opiniatrer et contester, sont qualitez communes plus apparentes aux plus basses ames. Que se r'adviser et se corriger, abandonner un mauvais party, sur le cours de son ardeur, ce sont qualitez rares, fortes, et philosophiques. On l'advertira, estant en compagnie, d'avoir les yeux par tout car je trouve que les premiers sieges sont communement saisis par les hommes moins capables, et que les grandeurs de fortune ne se trouvent gueres meslees Ă la suffisance. J'ay veu ce pendant qu'on s'entretenoit au haut bout d'une table, de la beautĂ© d'une tapisserie, ou du goust de la malvoisie, se perdre beaucoup de beaux traicts Ă l'autre bout. Il sondera la portee d'un chacun un bouvier, un masson, un passant, il faut tout mettre en besongne, et emprunter chacun selon sa marchandise car tout sert en mesnage la sottise mesmes, et foiblesse d'autruy luy sera instruction. A contreroller les graces et façons d'un chacun, il s'engendrera envie des bonnes, et mespris des mauvaises. Qu'on luy mette en fantasie une honneste curiositĂ© de s'enquerir de toutes choses tout ce qu'il y aura de singulier autour de luy, il le verra un bastiment, une fontaine, un homme, le lieu d'une battaille ancienne, le passage de CĂŠsar ou de Charlemaigne. QuĂŠ tellus sit lenta gelu, quĂŠ putris ab ĂŠstu, Ventus in Italiam quis bene vela ferat. Il s'enquerra des moeurs, des moyens et des alliances de ce Prince, et de celuy-lĂ . Ce sont choses tres-plaisantes Ă apprendre, et tres-utiles Ă sçavoir. En cette practique des hommes, j'entens y comprendre, et principalement, ceux qui ne vivent qu'en la memoire des livres. Il praticquera par le moyen des histoires, ces grandes ames des meilleurs siecles. C'est un vain estude qui veut mais qui veut aussi c'est un estude de fruit estimable et le seul estude, comme dit Platon, que les Lacedemoniens eussent reservĂ© Ă leur part. Quel profit ne fera-il en ceste part lĂ , Ă la lecture des vies de nostre Plutarque ? Mais que mon guide se souvienne oĂÂč vise sa charge ; et qu'il n'imprime pas tant Ă son disciple, la date de la ruine de Carthage, que les moeurs de Hannibal et de Scipion ny tant oĂÂč mourut Marcellus, que pourquoy il fut indigne de son devoir, qu'il mourust lĂ . Qu'il ne luy apprenne pas tant les histoires, qu'Ă en juger. C'est Ă mon grĂ©, entre toutes, la matiere Ă laquelle nos esprits s'appliquent de plus diverse mesure. J'ay leu en Tite Live cent choses que tel n'y a pas leu. Plutarche y en a leu cent ; outre ce que j'y ay sçeu lire et Ă l'adventure outre ce que l'autheur y avoit mis. A d'aucuns c'est un pur estude grammairien Ă d'autres, l'anatomie de la Philosophie, par laquelle les plus abstruses parties de nostre nature se penetrent. Il y a dans Plutarque beaucoup de discours estendus tres-dignes d'estre sçeus car Ă mon grĂ© c'est le maistre ouvrier de telle besongne mais il y en a mille qu'il n'a que touchĂ© simplement il guigne seulement du doigt par oĂÂč nous irons, s'il nous plaist, et se contente quelquefois de ne donner qu'une atteinte dans le plus vif d'un propos. Il les faut arracher de lĂ , et mettre en place marchande. Comme ce sien mot, Que les habitans d'Asie servoient Ă un seul, pour ne sçavoir prononcer une seule syllabe, qui est, Non, donna peut estre, la matiere, et l'occasion Ă la Boeotie, de sa Servitude volontaire. Cela mesme de luy voir trier une legiere action en la vie d'un homme, ou un mot, qui semble ne porter pas cela, c'est un discours. C'est dommage que les gens d'entendement, ayment tant la briefvetĂ© sans doubte leur reputation en vaut mieux, mais nous en valons moins Plutarque ayme mieux que nous le vantions de son jugement, que de son sçavoir il ayme mieux nous laisser desir de soy, que satietĂ©. Il sçavoit qu'Ă©s choses bonnes mesmes on peut trop dire, et que Alexandridas reprocha justement, Ă celuy qui tenoit aux Ephores des bons propos, mais trop longs O estranger, tu dis ce qu'il faut, autrement qu'il ne faut. Ceux qui ont le corps gresle, le grossissent d'embourrures ceux qui ont la matiere exile, l'enflent de paroles. Il se tire une merveilleuse clartĂ© pour le jugement humain, de la frequentation au monde. Nous sommes tous contraints et amoncellez en nous, et avons la veuĂ racourcie Ă la longueur de nostre nez. On demandoit Ă Socrates d'oĂÂč il estoit, il ne respondit pas, d'Athenes, mais, du monde. Luy qui avoit imagination plus plaine et plus estanduĂ, embrassoit l'univers, comme sa ville, jettoit ses cognoissances, sa societĂ© et ses affections Ă tout le genre humain non pas comme nous, qui ne regardons que sous nous. Quand les vignes gelent en mon village, mon prebstre en argumente l'ire de Dieu sur la race humaine, et juge que la pepie en tienne des-ja les Cannibales. A voir nos guerres civiles, qui ne crie que cette machine se bouleverse, et que le jour du jugement nous prent au collet sans s'aviser que plusieurs pires choses se sont veuĂs, et que les dix mille parts du monde ne laissent pas de galler le bon temps cependant ? Moy, selon leur licence et impunitĂ©, admire de les voir si douces et molles. A qui il gresle sur la teste, tout l'hemisphere semble estre en tempeste et orage Et disoit le SavoĂÂŻard, que si ce sot de Roy de France, eut sçeu bien conduire sa fortune, il estoit homme pour devenir maistre d'hostel de son Duc. Son imagination ne conçevoit autre plus eslevee grandeur, que celle de son maistre. Nous sommes insensiblement touts en cette erreur erreur de grande suitte et prejudice. Mais qui se presente comme dans un tableau, cette grande image de nostre mere nature, en son entiere majestĂ© qui lit en son visage, une si generale et constante varietĂ© qui se remarque lĂ dedans, et non soy, mais tout un royaume, comme un traict d'une pointe tres-delicate, celuy-lĂ seul estime les choses selon leur juste grandeur. Ce grand monde, que les uns multiplient encore comme especes soubs un genre, c'est le miroĂÂŒer, oĂÂč il nous faut regarder, pour nous cognoistre de bon biais. Somme je veux que ce soit le livre de mon escolier. Tant d'humeurs, de sectes, de jugemens, d'opinions, de loix, et de coustumes, nous apprennent Ă juger sainement des nostres, et apprennent nostre jugement Ă recognoistre son imperfection et sa naturelle foiblesse qui n'est pas un legier apprentissage. Tant de remuements d'estat, et changements de fortune publique, nous instruisent Ă ne faire pas grand miracle de la nostre. Tant de noms, tant de victoires et conquestes ensevelies soubs l'oubliance, rendent ridicule l'esperance d'eterniser nostre nom par la prise de dix argoulets, et d'un pouillier, qui n'est cognu que de sa cheute. L'orgueil et la fieretĂ© de tant de pompes estrangeres, la majestĂ© si enflee de tant de cours et de grandeurs, nous fermit et asseure la veĂÂŒe, Ă soustenir l'esclat des nostres, sans siller les yeux. Tant de milliasses d'hommes enterrez avant nous, nous encouragent Ă ne craindre d'aller trouver si bonne compagnie en l'autre monde ainsi du reste. Nostre vie, disoit Pythagoras, retire Ă la grande et populeuse assemblee des jeux Olympiques. Les uns exercent le corps, pour en acquerir la gloire des jeux d'autres y portent des marchandises Ă vendre, pour le gain. Il en est et qui ne sont pas les pires lesquels n'y cherchent autre fruict, que de regarder comment et pourquoy chasque chose se faict et estre spectateurs de la vie des autres hommes, pour en juger et reigler la leur. Aux exemples se pourront proprement assortir tous les plus profitables discours de la philosophie, Ă laquelle se doivent toucher les actions humaines, comme Ă leur reigle. On luy dira, quid fas optare, quid asper Utile nummus habet, patriĂŠ charisque propinquis Quantum elargiri deceat, quem te Deus esse Jussit, et humana qua parte locatus es in re, Quid sumus, aut quidnam victuri gignimur ; Que c'est que sçavoir et ignorer, qui doit estre le but de l'estude que c'est que vaillance, temperance, et justice ce qu'il y a Ă dire entre l'ambition et l'avarice la servitude et la subjection, la licence et la libertĂ© Ă quelles marques on congnoit le vray et solide contentement jusques oĂÂč il faut craindre la mort, la douleur et la honte. Et quo quemque modo fugiatque feratque laborem. Quels ressors nous meuvent, et le moyen de tant divers branles en nous. Car il me semble que les premiers discours, dequoy on luy doit abreuver l'entendement, ce doivent estre ceux, qui reglent ses moeurs et son sens, qui luy apprendront Ă se cognoistre, et Ă sçavoir bien mourir et bien vivre. Entre les arts liberaux, commençons par l'art qui nous faict libres. Elles servent toutes voirement en quelque maniere Ă l'instruction de nostre vie, et Ă son usage comme toutes autres choses y servent en quelque maniere aussi. Mais choisissons celle qui y sert directement et professoirement. Si nous sçavions restraindre les appartenances de nostre vie Ă leurs justes et naturels limites, nous trouverions, que la meilleure part des sciences, qui sont en usage, est hors de nostre usage. Et en celles mesmes qui le sont, qu'il y a des estendues et enfonceures tres-inutiles, que nous ferions mieux de laisser lĂ et suivant l'institution de Socrates, borner le cours de nostre estude en icelles, oĂÂč faut l'utilitĂ©. sapere aude, Incipe vivendi qui rectĂš prorogat horam, Rusticus expectat dum defluat amnis, at ille Labitur, et labetur in omne volubilis ĂŠvum C'est une grande simplesse d'aprendre Ă nos enfans, Quid moveant pisces, animosĂ que signaleonis, Lotus Et Hesperia quid capricornus aqua. La science des astres et le mouvement de la huictiesme sphere, avant que les leurs propres. Anaximenes escrivant Ă Pythagoras De quel sens puis je m'amuser aux secrets des estoilles, ayant la mort ou la servitude tousjours presente aux yeux ? Car lors les Roys de Perse preparoient la guerre contre son pays. Chacun doit dire ainsi. Estant battu d'ambition, d'avarice, de temeritĂ©, de superstition et ayant au dedans tels autres ennemis de la vie iray-je songer au bransle du monde ? Apres qu'on luy aura appris ce qui sert Ă le faire plus sage et meilleur, on l'entretiendra que c'est que Logique, Physique, Geometrie, Rhetorique et la science qu'il choisira, ayant desja le jugement formĂ©, il en viendra bien tost Ă bout. Sa leçon se fera tantost par devis, tantost par livre tantost son gouverneur luy fournira de l'autheur mesme propre Ă cette fin de son institution tantost il luy en donnera la moelle, et la substance toute maschee. Et si de soy mesme il n'est assez familier des livres, pour y trouver tant de beaux discours qui y sont, pour l'effect de son dessein, on luy pourra joindre quelque homme de lettres, qui Ă chaque besoing fournisse les munitions qu'il faudra, pour les distribuer et dispenser Ă son nourrisson. Et que cette leçon ne soit plus aisee, et naturelle que celle de Gaza, qui y peut faire doute ? Ce sont lĂ preceptes espineux et mal plaisans, et des mots vains et descharnez, oĂÂč il n'y a point de prise, rien qui vous esveille l'esprit en cette cy l'ame trouve oĂÂč mordre, oĂÂč se paistre. Ce fruict est plus grand sans comparaison, et si sera plustost meury. C'est grand cas que les choses en soyent lĂ en nostre siecle, que la philosophie soit jusques aux gens d'entendement, un nom vain et fantastique, qui se treuve de nul usage, et de nul pris par opinion et par effect. Je croy que ces ergotismes en sont cause, qui ont saisi ses avenues. On a grand tort de la peindre inaccessible aux enfans, et d'un visage renfroignĂ©, sourcilleux et terrible qui me l'a masquee de ce faux visage pasle et hideux ? Il n'est rien plus gay, plus gaillard, plus enjouĂ©, et Ă peu que je ne die follastre. Elle ne presche que feste et bon temps Une mine triste et transie, montre que ce n'est pas lĂ son giste. Demetrius le Grammairien rencontrant dans le temple de Delphes une troupe de philosophes assis ensemble, il leur dit Ou je me trompe, ou Ă vous voir la contenance si paisible et si gaye, vous n'estes pas en grand discours entre vous. A quoy l'un deux, Heracleon le Megarien, respondit C'est Ă faire Ă ceux qui cherchent si le futur du verbe a double , ou qui cherchent la derivation des comparatifs et , et des superlatifs et , qu'il faut rider le front s'entretenant de leur science mais quant aux discours de la philosophie, ils ont accoustumĂ© d'esgayer et resjouĂÂŻr ceux qui les traictent, non les renfroigner et contrister. Deprendas animi tormenta latentis in ĂŠgro Corpore, deprendas et gaudia, sumit utrumque Inde habitum facies. L'ame qui loge la philosophie, doit par sa santĂ© rendre sain encores le corps elle doit faire luyre jusques au dehors son repos, et son aise doit former Ă son moule le port exterieur, et l'armer par consequent d'une gratieuse fiertĂ©, d'un maintien actif, et allaigre, et d'une contenance contante et debonnaire. La plus expresse marque de la sagesse, c'est une esjouissance constante son estat est comme des choses au dessus de la lune, tousjours serein. C'est Baroco et Baralipton, qui rendent leurs supposts ainsi crotez et enfumez ; ce n'est pas elle, ils ne la cognoissent que par ouyr dire. Comment ? elle faict estat de sereiner les tempestes de l'ame, et d'apprendre la faim et les fiebvres Ă rire non par quelques Epicycles imaginaires, mais par raisons naturelles et palpables. Elle a pour son but, la vertu qui n'est pas, comme dit l'eschole, plantĂ©e Ă la teste d'un mont coupĂ©, rabotteux et inaccessible. Ceux qui l'ont approchĂ©e, la tiennent au rebours, logĂ©e dans une belle plaine fertile et fleurissante d'oĂÂč elle void bien souz soy toutes choses ; mais si peut on y arriver, qui en sçait l'addresse, par des routtes ombrageuses, gazonnĂ©es, et doux fleurantes ; plaisamment, et d'une pante facile et polie, comme est celle des voutes celestes. Pour n'avoir hantĂ© cette vertu supreme, belle, triumphante, amoureuse, delicieuse pareillement et courageuse, ennemie professe et irreconciliable d'aigreur, de desplaisir, de crainte, et de contrainte, ayant pour guide nature, fortune et voluptĂ© pour compagnes ils sont allez selon leur foiblesse, faindre cette sotte image, triste, querelleuse, despite, menaceuse, mineuse, et la placer sur un rocher Ă l'escart, emmy des ronces fantosme Ă estonner les gents. Mon gouverneur qui cognoist devoir remplir la volontĂ© de son disciple, autant ou plus d'affection, que de reverence envers la vertu, luy sçaura dire, que les poĂtes suivent les humeurs communes et luy faire toucher au doigt, que les dieux ont mis plustost la sueur aux advenues des cabinetz de Venus que de Pallas. Et quand il commencera de se sentir, luy presentant Bradamant ou Angelique, pour maistresse Ă joĂÂŒir et d'une beautĂ© naĂÂŻve, active, genereuse, non hommasse, mais virile, au prix d'une beautĂ© molle, affettĂ©e, delicate, artificielle ; l'une travestie en garçon, coiffĂ©e d'un morrion luisant l'autre vestue en garce, coiffĂ©e d'un attiffet emperlĂ© il jugera masle son amour mesme, s'il choisit tout diversement Ă cet effeminĂ© pasteur de Phrygie. Il luy fera cette nouvelle leçon, que le prix et hauteur de la vraye vertu, est en la facilitĂ©, utilitĂ© et plaisir de son exercice si esloignĂ© de difficultĂ©, que les enfans y peuvent comme les hommes, les simples comme les subtilz. Le reglement c'est son util, non pas la force. Socrates son premier mignon, quitte Ă escient sa force, pour glisser en la naĂÂŻvetĂ© et aisance de son progrĂ©s. C'est la mere nourrice des plaisirs humains. En les rendant justes, elle les rend seurs et purs. Les moderant, elle les tient en haleine et en appetit. Retranchant ceux qu'elle refuse, elle nous aiguise envers ceux qu'elle nous laisse et nous laisse abondamment tous ceux que veut nature et jusques Ă la satietĂ©, sinon jusques Ă la lassetĂ© ; maternellement si d'adventure nous ne voulons dire, que le regime, qui arreste le beuveur avant l'yvresse, le mangeur avant la cruditĂ©, le paillard avant la pelade, soit ennemy de noz plaisirs. Si la fortune commune luy faut, elle luy eschappe ou elle s'en passe, et s'en forge une autre toute sienne non plus flottante et roulante elle sçait estre riche, et puissante, et sçavante, et coucher en des matelats musquez. Elle aime la vie, elle aime la beautĂ©, la gloire, et la santĂ©. Mais son office propre et particulier, c'est sçavoir user de ces biens lĂ reglĂ©ement, et les sçavoir perdre constamment office bien plus noble qu'aspre, sans lequel tout cours de vie est desnaturĂ©, turbulent et difforme et y peut-on justement attacher ces escueils, ces haliers, et ces monstres. Si ce disciple se rencontre de si diverse condition, qu'il aime mieux ouyr une fable, que la narration d'un beau voyage, ou un sage propos, quand il l'entendra Qui au son du tabourin, qui arme la jeune ardeur de ses compagnons, se destourne Ă un autre, qui l'appelle au jeu des batteleurs. Qui par souhait ne trouve plus plaisant et plus doux, revenir poudreux et victorieux d'un combat, que de la paulme ou du bal, avec le prix de cet exercice je n'y trouve autre remede, sinon qu'on le mette patissier dans quelque bonne ville fust il fils d'un Duc suivant le precepte de Platon, qu'il faut colloquer les enfans, non selon les facultez de leur pere, mais selon les facultez de leur ame. Puis que la Philosophie est celle qui nous instruict Ă vivre, et que l'enfance y a sa leçon, comme les autres aages, pourquoy ne la luy communique lon ? Udum et molle lutum est, nunc nunc properandus, et acri Fingendus sine fine rota. On nous apprent Ă vivre, quand la vie est passĂ©e. Cent escoliers ont pris la verolle avant que d'estre arrivez Ă leur leçon d'Aristote de la temperance. Cicero disoit, que quand il vivroit la vie de deux hommes, il ne prendroit pas le loisir d'estudier les PoĂtes Lyriques. Et je trouve ces ergotistes plus tristement encores inutiles. Nostre enfant est bien plus pressĂ© il ne doit au paidagogisme que les premiers quinze ou seize ans de sa vie le demeurant est deu Ă l'action. Employons un temps si court aux instructions necessaires. Ce sont abus, ostez toutes ces subtilitez espineuses de la Dialectique, dequoy nostre vie ne se peut amender, prenez les simples discours de la philosophie, sçachez les choisir et traitter Ă point, ils sont plus aisez Ă concevoir qu'un conte de Boccace. Un enfant en est capable au partir de la nourrisse, beaucoup mieux que d'apprendre Ă lire ou escrire. La philosophie a des discours pour la naissance des hommes, comme pour la decrepitude. Je suis de l'advis de Plutarque, qu'Aristote n'amusa pas tant son grand disciple Ă l'artifice de composer syllogismes, ou aux principes de Geometrie, comme Ă l'instruire des bons preceptes, touchant la vaillance, proĂÂŒesse, la magnanimitĂ© et temperance, et l'asseurance de ne rien craindre et avec cette munition, il l'envoya encores enfant subjuguer l'Empire du monde Ă tout 30000. hommes de pied, 4000. chevaulx, et quarante deux mille escuz seulement. Les autres arts et sciences, dit-il, Alexandre les honoroit bien, et loĂÂŒoit leur excellence et gentilesse, mais pour plaisir qu'il y prist, il n'estoit pas facile Ă se laisser surprendre Ă l'affection de les vouloir exercer. Petite hinc juvenĂ©sque senĂ©sque Finem animo certum, miserique viatica canis. C'est ce que disoit Epicurus au commencement de sa lettre Ă Meniceus Ny le plus jeune refuie Ă Philosopher, ny le plus vieil s'y lasse. Qui fait autrement, il semble dire, ou qu'il n'est pas encores saison d'heureusement vivre ou qu'il n'en est plus saison. Pour tout cecy, je ne veux pas qu'on emprisonne ce garçon, je ne veux pas qu'on l'abandonne Ă la colere et humeur melancholique d'un furieux maistre d'escole je ne veux pas corrompre son esprit, Ă le tenir Ă la gehenne et au travail, Ă la mode des autres, quatorze ou quinze heures par jour, comme un portefaiz Ny ne trouveroys bon, quand par quelque complexion solitaire et melancholique, on le verroit adonnĂ© d'une application trop indiscrette a l'estude des livres, qu'on la luy nourrist. Cela les rend ineptes Ă la conversation civile, et les destourne de meilleures occupations. Et combien ay-je veu de mon temps, d'hommes abestis, par temeraire aviditĂ© de science ? Carneades s'en trouva si affollĂ©, qu'il n'eut plus le loisir de se faire le poil et les ongles. Ny ne veux gaster ses meurs genereuses par l'incivilitĂ© et barbarie d'autruy. La sagesse Françoise a estĂ© anciennement en proverbe, pour une sagesse qui prenoit de bon'heure, et n'avoit gueres de tenue. A la veritĂ© nous voyons encores qu'il n'est rien si gentil que les petits enfans en France mais ordinairement ils trompent l'esperance qu'on en a conceuĂ, et hommes faicts, on n'y voit aucune excellence. J'ay ouy tenir Ă gens d'entendement, que ces colleges oĂÂč on les envoie, dequoy ils ont foison, les abrutissent ainsin. Au nostre, un cabinet, un jardin, la table, et le lict, la solitude, la compagnie, le matin et le vespre, toutes heures luy seront unes toutes places luy seront estude car la philosophie, qui, comme formatrice des jugements et des meurs, sera sa principale leçon, a ce privilege, de se mesler par tout. Isocrates l'orateur estant priĂ© en un festin de parler de son art, chacun trouve qu'il eut raison de respondre Il n'est pas maintenant temps de ce que je sçay faire, et ce dequoy il est maintenant temps, je ne le sçay pas faire Car de presenter des harangues ou des disputes de rhetorique, Ă une compagnie assemblĂ©e pour rire et faire bonne chere, ce seroit un meslange de trop mauvais accord. Et autant en pourroit-on dire de toutes les autres sciences Mais quant Ă la philosophie, en la partie oĂÂč elle traicte de l'homme et de ses devoirs et offices, ç'Ă estĂ© le jugement commun de tous les sages, que pour la douceur de sa conversation, elle ne devoit estre refusĂ©e, ny aux festins, ny aux jeux Et Platon l'ayant invitĂ©e Ă son convive, nous voyons comme elle entretient l'assistence d'une façon molle, et accommodĂ©e au temps et au lieu, quoy que ce soit de ses plus hauts discours et plus salutaires. Ăâ quĂš pauperibus prodest, locupletibus ĂŠque, Et neglecta ĂŠquĂš pueris senibusque nocebit. Ainsi sans doubte il choumera moins, que les autres Mais comme les pas que nous employons Ă nous promener dans une galerie, quoy qu'il y en ait trois fois autant, ne nous lassent pas, comme ceux que nous mettons Ă quelque chemin dessignĂ© aussi nostre leçon se passant comme par rencontre, sans obligation de temps et de lieu, et se meslant Ă toutes noz actions, se coulera sans se faire sentir. Les jeux mesmes et les exercices seront une bonne partie de l'estude la course, la lucte, la musique, la danse, la chasse, le maniement des chevaux et des armes. Je veux que la bien-seance exterieure, et l'entre-gent, et la disposition de la personne se façonne quant et quant l'ame. Ce n'est pas une ame, ce n'est pas un corps qu'on dresse, c'est un homme, il n'en faut pas faire Ă deux. Et comme dit Platon, il ne faut pas les dresser l'un sans l'autre, mais les conduire Ă©galement, comme une couple de chevaux attelez Ă mesme timon. Et Ă l'ouĂÂŻr semble il pas prester plus de temps et de solicitude, aux exercices du corps et estimer que l'esprit s'en exerce quant et quant, et non au contraire ? Au demeurant, cette institution se doit conduire par une severe douceur, non comme il se fait. Au lieu de convier les enfans aux lettres, on ne leur presente Ă la veritĂ©, qu'horreur et cruautĂ© Ostez moy la violence et la force ; il n'est rien Ă mon advis qui abatardisse et estourdisse si fort une nature bien nĂ©e. Si vous avez envie qu'il craigne la honte et le chastiement, ne l'y endurcissez pas Endurcissez le Ă la sueur et au froid, au vent, au soleil et aux hazards qu'il luy faut mespriser Ostez luy toute mollesse et delicatesse au vestir et coucher, au manger et au boire accoustumez le Ă tout que ce ne soit pas un beau garçon et dameret, mais un garçon vert et vigoureux. Enfant, homme, vieil, j'ay tousjours creu et jugĂ© de mesme. Mais entre autres choses, cette police de la plus part de noz colleges, m'a tousjours despleu. On eust failly Ă l'adventure moins dommageablement, s'inclinant vers l'indulgence. C'est une vraye geaule de jeunesse captive. On la rend desbauchĂ©e, l'en punissant avant qu'elle le soit. Arrivez y sur le point de leur office ; vous n'oyez que cris, et d'enfants suppliciez, et de maistres enyvrez en leur cholere. Quelle maniere, pour esveiller l'appetit envers leur leçon, Ă ces tendres ames, et craintives, de les y guider d'une troigne effroyable, les mains armĂ©es de fouets ? Inique et pernicieuse forme. Joint ce que Quintilian en a tres-bien remarquĂ©, que cette imperieuse authoritĂ©, tire des suittes perilleuses et nommĂ©ment Ă nostre façon de chastiement. Combien leurs classes seroient plus decemment jonchĂ©es de fleurs et de feuillĂ©es, que de tronçons d'osiers sanglants ? J'y feroy pourtraire la joye, l'allegresse, et Flora, et les Graces comme fit en son eschole le philosophe Speusippus. OĂÂč est leur profit, que lĂ fust aussi leur esbat. On doit ensucrer les viandes salubres Ă l'enfant et enfieller celles qui luy sont nuisibles. C'est merveille combien Platon se montre soigneux en ses loix, de la gayetĂ© et passetemps de la jeunesse de sa citĂ© et combien il s'arreste Ă leurs courses, jeux, chansons, saults et danses desquelles il dit, que l'antiquitĂ© a donnĂ© la conduitte et le patronnage aux dieux mesmes, Apollon, aux Muses et Minerve. Il s'estend Ă mille preceptes pour ses gymnases. Pour les sciences lettrĂ©es, il s'y amuse fort peu et semble ne recommander particulierement la poĂsie, que pour la musique. Toute estrangetĂ© et particularitĂ© en noz moeurs et conditions est evitable, comme ennemie de societĂ©. Qui ne s'estonneroit de la complexion de Demophon, maistre d'hostel d'Alexandre, qui suoit Ă l'ombre, et trembloit au Soleil ? J'en ay veu fuir la senteur des pommes, plus que les harquebuzades ; d'autres s'effrayer pour une souris d'autres rendre la gorge Ă voir de la cresme d'autres Ă voir brasser un lict de plume comme Germanicus ne pouvoit souffrir ny la veuĂ ny le chant des cocqs. Il y peut avoir Ă l'advanture Ă cela quelque proprietĂ© occulte, mais on l'esteindroit, Ă mon advis, qui s'y prendroit de bon'heure. L'institution a gaignĂ© cela sur moy, il est vray que ce n'a point estĂ© sans quelque soing, que sauf la biere, mon appetit est accommodable indifferemment Ă toutes choses, dequoy on se paist. Le corps est encore souple, on le doit Ă cette cause plier Ă toutes façons et coustumes et pourveu qu'on puisse tenir l'appetit et la volontĂ© soubs boucle, qu'on rende hardiment un jeune homme commode Ă toutes nations et compagnies, voire au desreglement et aux excĂ©s, si besoing est. Son exercitation suive l'usage. Qu'il puisse faire toutes choses, et n'ayme Ă faire que les bonnes. Les philosophes mesmes ne trouvent pas louable en Callisthenes, d'avoir perdu la bonne grace du grand Alexandre son maistre, pour n'avoir voulu boire d'autant Ă luy. Il rira, il follastrera, il se desbauchera avec son prince. Je veux qu'en la desbauche mesme, il surpasse en vigueur et en fermetĂ© ses compagnons, et qu'il ne laisse Ă faire le mal, ny Ă faute de force ny de science, mais Ă faute de volontĂ©. Multum interest, utrum peccare quis nolit, aut nesciat. Je pensois faire honneur Ă un seigneur aussi eslongnĂ© de ces debordemens, qu'il en soit en France, de m'enquerir Ă luy en bonne compagnie, combien de fois en sa vie il s'estoit enyvrĂ©, pour la necessitĂ© des affaires du Roy en Allemagne il le print de cette façon, et me respondit que c'estoit trois fois, lesquelles il recita. J'en sçay, qui Ă faute de cette facultĂ©, se sont mis en grand peine, ayans Ă pratiquer cette nation. J'ay souvent remarquĂ© avec grande admiration la merveilleuse nature d'Alcibiades, de se transformer si aisĂ©ment Ă façons si diverses, sans interest de sa santĂ© ; surpassant tantost la sumptuositĂ© et pompe Persienne, tantost l'austeritĂ© et frugalitĂ© Lacedemonienne ; autant reformĂ© en Sparte, comme voluptueux en Ionie. Omnis Aristippum decuit color, et status et res. Tel voudrois-je former mon disciple, quem duplici panno patientia velat, Mirabor, vitĂŠ via si conversa decebit, Personamque feret non inconcinnus utramque. Voicy mes leçons Celuy-lĂ y a mieux proffitĂ©, qui les fait, que qui les sçait. Si vous le voyez, vous l'oyez si vous l'oyez, vous le voyez. J'a Ă Dieu ne plaise, dit quelqu'un en Platon, que philosopher ce soit apprendre plusieurs choses, et traitter les arts. Hanc amplissimam omnium artium bene vivendi disciplinam, vita magis quam literis persequuti sunt. Leon prince des Phliasiens, s'enquerant Ă Heraclides Ponticus, de quelle science, de quelle art il faisoit profession Je ne sçay, dit-il, ny art, ny science mais je suis Philosophe. On reprochoit Ă Diogenes, comment, estant ignorant, il se mesloit de la Philosophie Je m'en mesle, dit-il, d'autant mieux Ă propos. Hegesias le prioit de luy lire quelque livre Vous estes plaisant, luy respondit-il vous choisissĂ©s les figues vrayes et naturelles, non peintes que ne choisissez vous aussi les exercitations naturelles vrayes, et non escrites ? Il ne dira pas tant sa leçon, comme il la fera. Il la repetera en ses actions. On verra s'il y a de la prudence en ses entreprises s'il y a de la bontĂ©, de la justice en ses deportements s'il a du jugement et de la grace en son parler de la vigeur en ses maladies de la modestie en ses jeux de la temperance en ses voluptez de l'ordre en son oeconomie de l'indifference en son goust, soit chair, poisson, vin ou eau. Qui disciplinam suam non ostentationem scientiĂŠ, sed legem vitĂŠ putet quique obtemperet ipse sibi, et decretis pareat. Le vray miroir de nos discours, est le cours de nos vies. Zeuxidamus respondit Ă un qui luy demanda pourquoy les Lacedemoniens ne redigeoient par escrit les ordonnances de la prouesse, et ne les donnoient Ă lire Ă leurs jeunes gens ; que c'estoit par ce qu'ils les vouloient accoustumer aux faits, non pas aux parolles. Comparez au bout de 15 ou 16 ans, Ă cettuy-cy, un de ces latineurs de college, qui aura mis autant de temps Ă n'apprendre simplement qu'Ă parler. Le monde n'est que babil, et ne vis jamais homme, qui ne die plustost plus, que moins qu'il ne doit toutesfois la moitiĂ© de nostre aage s'en va lĂ . On nous tient quatre ou cinq ans Ă entendre les mots et les coudre en clauses, encores autant Ă en proportionner un grand corps estendu en quatre ou cinq parties, autres cinq pour le moins Ă les sçavoir brefvement mesler et entrelasser de quelque subtile façon. Laissons le Ă ceux qui en font profession expresse. Allant un jour Ă Orleans, je trouvay dans cette plaine au deça de Clery, deux regents qui venoyent Ă Bourdeaux, environ Ă cinquante pas l'un de l'autre plus loing derriere eux, je voyois une trouppe, et un maistre en teste, qui estoit feu Monsieur le Conte de la Rochefoucaut un de mes gens s'enquit au premier de ces regents, qui estoit ce gentil'homme qui venoit apres luy luy qui n'avoit pas veu ce train qui le suivoit, et qui pensoit qu'on luy parlast de son compagnon, respondit plaisamment, Il n'est pas gentil'homme, c'est un grammairien, et je suis logicien. Or nous qui cherchons icy au rebours, de former non un grammairien ou logicien, mais un gentil'homme, laissons les abuser de leur loisir nous avons affaire ailleurs. Mais que nostre disciple soit bien pourveu de choses, les parolles ne suivront que trop il les trainera, si elles ne veulent suivre. J'en oy qui s'excusent de ne se pouvoir exprimer ; et font contenance d'avoir la teste pleine de plusieurs belles choses, mais Ă faute d'eloquence, ne les pouvoir mettre en evidence c'est une baye. Sçavez vous Ă mon advis que c'est que cela ? ce sont des ombrages, qui leur viennent de quelques conceptions informes, qu'ils ne peuvent dĂ©mesler et esclarcir au dedans, ny par consequent produire au dehors Ils ne s'entendent pas encore eux mesmes et voyez les un peu begayer sur le point de l'enfanter, vous jugez que leur travail n'est point Ă l'accouchement, mais Ă la conception, et qu'ils ne font que lecher encores cette matiere imparfaicte. De ma part, je tiens, et Socrates ordonne, que qui a dans l'esprit une vive imagination et claire, il la produira, soit en Bergamasque, soit par mines, s'il est muet Verbaque prĂŠvisam rem non invita sequentur. Et comme disoit celuy-lĂ , aussi poĂtiquement en sa prose, cum res animum occupavere, verba ambiunt. Et cet autre ipsĂŠ res verba rapiunt. Il ne sçait pas ablatif, conjunctif, substantif, ny la grammaire ; ne faict pas son laquais, ou une harangere de Petit pont et si vous entretiendront tout vostre soul, si vous en avez envie, et se desferreront aussi peu, Ă l'adventure, aux regles de leur langage, que le meilleur maistre Ă©s arts de France. Il ne sçait pas la rhetorique, ny pour avant-jeu capter la benevolence du candide lecteur, ny ne luy chaut de le sçavoir. De vray, toute cette belle peinture s'efface aisĂ©ment par le lustre d'une veritĂ© simple et naifve. Ces gentilesses ne servent que pour amuser le vulgaire, incapable de prendre la viande plus massive et plus ferme ; comme Afer montre bien clairement chez Tacitus. Les Ambassadeurs de Samos estoyent venus Ă Cleomenes Roy de Sparte, preparez d'une belle et longue oraison, pour l'esmouvoir Ă la guerre contre le tyran Polycrates apres qu'il les eut bien laissez dire, il leur respondit Quant Ă vostre commencement, et exorde, il ne m'en souvient plus, ny par consequent du milieu ; et quant Ă vostre conclusion, je n'en veux rien faire. Voila une belle responce, ce me semble, et des harangueurs bien camus. Et quoy cet autre ? Les Atheniens estoient Ă choisir de deux architectes, Ă conduire une grande fabrique ; le premier plus affetĂ©, se presenta avec un beau discours premeditĂ© sur le subject de cette besongne, et tiroit le jugement du peuple Ă sa faveur mais l'autre en trois mots Seigneurs Atheniens ce que cettuy a dict, je le feray. Au fort de l'eloquence de Cicero, plusieurs en entroient en admiration, mais Caton n'en faisant que rire Nous avons, disoit-il, un plaisant Consul. Aille devant ou apres une utile sentence, un beau traict est tousjours de saison. S'il n'est pas bien Ă ce qui va devant, ny Ă ce qui vient apres, il est bien en soy. Je ne suis pas de ceux qui pensent la bonne rythme faire le bon poĂme laissez luy allonger une courte syllabe s'il veut, pour cela non force ; si les inventions y rient, si l'esprit et le jugement y ont bien faict leur office voyla un bon poĂte, diray-je, mais un mauvais versificateur, EmunctĂŠ naris, durus componere versus. Qu'on face, dit Horace, perdre Ă son ouvrage toutes ses coustures et mesures, Tempora certa modosque, et quod prius ordine verbum est, Posterius facias, prĂŠponens ultima primis, Invenias etiam disjecti membra poetĂŠ, il ne se dementira point pour cela les pieces mesmes en seront belles. C'est ce que respondit Menander, comme on le tensast, approchant le jour, auquel il avoit promis une comedie, dequoy il n'y avoit encore mis la main Elle est composĂ©e et preste, il ne reste qu'Ă y adjouster les vers. Ayant les choses et la matiere disposĂ©e en l'ame, il mettoit en peu de compte le demeurant. Depuis que Ronsard et du Bellay ont donnĂ© credit Ă nostre poĂsie Françoise, je ne vois si petit apprenti, qui n'enfle des mots, qui ne renge les cadences Ă peu pres, comme eux. Plus sonat quĂ m valet. Pour le vulgaire, il ne fut jamais tant de poĂtes Mais comme il leur a estĂ© bien aisĂ© de representer leurs rythmes, ils demeurent bien aussi court Ă imiter les riches descriptions de l'un, et les delicates inventions de l'autre. Voire mais que fera-il, si on le presse de la subtilitĂ© sophistique de quelque syllogisme ? Le jambon fait boire, le boire desaltere, parquoi le jambon desaltere. Qu'il s'en mocque. Il est plus subtil de s'en mocquer, que d'y respondre. Qu'il emprunte d'Aristippus cette plaisante contrefinesse Pourquoy le deslieray-je, puis que tout liĂ© il m'empesche ? Quelqu'un proposoit contre Cleanthes des finesses dialectiques Ă qui Chrysippus dit, JouĂ toy de ces battelages avec les enfans, et ne destourne Ă cela les pensĂ©es serieuses d'un homme d'aage. Si ces sottes arguties, contorta et aculeata sophismata, luy doivent persuader une mensonge, cela est dangereux mais si elles demeurent sans effect, et ne l'esmeuvent qu'Ă rire, je ne voy pas pourquoy il s'en doive donner garde. Il en est de si sots, qu'ils se destournent de leur voye un quart de lieuĂ, pour courir apres un beau mot aut qui non verba rebus aptat, sed res extrinsecus arcessunt, quibus verba conveniant. Et l'autre Sunt qui alicujus verbi decore placentis vocentur ad id quod non proposuerant scribere. Je tors bien plus volontiers une belle sentence, pour la coudre sur moy, que je ne destors mon fil, pour l'aller querir. Au rebours, c'est aux paroles Ă servir et Ă suivre, et que le Gascon y arrive, si le François n'y peut aller. Je veux que les choses surmontent, et qu'elles remplissent de façon l'imagination de celuy qui escoute, qu'il n'aye aucune souvenance des mots. Le parler que j'ayme, c'est un parler simple et naif, tel sur le papier qu'Ă la bouche un parler succulent et nerveux, court et serrĂ©, non tant delicat et peignĂ©, comme vehement et brusque. HĂŠc demum sapiet dictio, quĂŠ feriet. Plustost difficile qu'ennuieux, esloignĂ© d'affectation desreglĂ©, descousu, et hardy chaque loppin y face son corps non pedantesque, non fratesque, non pleideresque, mais plustost soldatesque, comme Suetone appelle celuy de Julius CĂŠsar. Et si ne sens pas bien, pourquoy il l'en appelle. J'ay volontiers imitĂ© cette desbauche qui se voit en nostre jeunesse, au port de leurs vestemens. Un manteau en escharpe, la cape sur une espaule, un bas mal tendu, qui represente une fiertĂ© desdaigneuse de ces paremens estrangers, et nonchallante de l'art mais je la trouve encore mieux employĂ©e en la forme du parler. Toute affectation, nommĂ©ment en la gayetĂ© et libertĂ© Françoise, est mesadvenante au courtisan. Et en une Monarchie, tout gentil'homme doit estre dressĂ© au port d'un courtisan. Parquoy nous faisons bien de gauchir un peu sur le naĂÂŻf et mesprisant. Je n'ayme point de tissure, oĂÂč les liaisons et les coustures paroissent tout ainsi qu'en un beau corps, il ne faut qu'on y puisse compter les os et les veines. QuĂŠ veritati operam dat oratio, incomposita sit et simplex. Quis accurate loquitur, nisi qui vult putidĂš loqui ? L'eloquence faict injure aux choses, qui nous destourne Ă soy. Comme aux accoustremens, c'est pusillanimitĂ©, de se vouloir marquer par quelque façon particuliere et inusitĂ©e. De mesme au langage, la recherche des frases nouvelles, et des mots peu cogneuz, vient d'une ambition scholastique et puerile. Peusse-je ne me servir que de ceux qui servent aux hales Ă Paris ! Aristophanes le Grammairien n'y entendoit rien, de reprendre en Epicurus la simplicitĂ© de ses mots et la fin de son art oratoire, qui estoit, perspicuitĂ© de langage seulement. L'imitation du parler, par sa facilitĂ©, suit incontinent tout un peuple. L'imitation du juger, de l'inventer, ne va pas si viste. La plus part des lecteurs, pour avoir trouvĂ© une pareille robbe, pensent tresfaucement tenir un pareil corps. La force et les nerfs, ne s'empruntent point les atours et le manteau s'empruntent. La plus part de ceux qui me hantent, parlent de mesmes les Essais mais je ne sçay, s'ils pensent de mesmes. Les Atheniens dit Platon ont pour leur part, le soing de l'abondance et elegance du parler, les Lacedemoniens de la briefvetĂ©, et ceux de Crete, de la fecunditĂ© des conceptions, plus que du langage ceux-cy sont les meilleurs. Zenon disoit qu'il avoit deux sortes de disciples les uns qu'il nommoit , curieux d'apprendre les choses, qui estoient ses mignons les autres , qui n'avoyent soing que du langage. Ce n'est pas Ă dire que ce ne soit une belle et bonne chose que le bien dire mais non pas si bonne qu'on la faict, et suis despit dequoy nostre vie s'embesongne toute Ă cela. Je voudrois premierement bien sçavoir ma langue, et celle de mes voisins, ou j'ay plus ordinaire commerce C'est un bel et grand agencement sans doubte, que le Grec et Latin, mais on l'achepte trop cher. Je diray icy une façon d'en avoir meilleur marchĂ© que de coustume, qui a estĂ© essayĂ©e en moy-mesmes ; s'en servira qui voudra. Feu mon pere, ayant faict toutes les recherches qu'homme peut faire, parmy les gens sçavans et d'entendement, d'une forme d'institution exquise, fut advisĂ© de cet inconvenient, qui estoit en usage et luy disoit-on que cette longueur que nous mettions Ă apprendre les langues qui ne leur coustoient rien, est la seule cause, pourquoy nous ne pouvons arriver Ă la grandeur d'ame et de cognoissance des anciens Grecs et Romains Je ne croy pas que c'en soit la seule cause. Tant y a que l'expedient que mon pere y trouva, ce fut qu'en nourrice, et avant le premier desnouement de ma langue, il me donna en charge Ă un Allemand, qui depuis est mort fameux medecin en France, du tout ignorant de nostre langue, et tres bien versĂ© en la Latine. Cettuy-cy, qu'il avoit fait venir expres, et qui estoit bien cherement gagĂ©, m'avoit continuellement entre les bras. Il en eut aussi avec luy deux autres moindres en sçavoir, pour me suivre, et soulager le premier ceux-cy ne m'entretenoient d'autre langue que Latine. Quant au reste de sa maison, c'estoit une regle inviolable, que ny luy mesme, ny ma mere, ny valet, ny chambriere, ne parloient en ma compagnie, qu'autant de mots de Latin, que chacun avoit appris pour jargonner avec moy. C'est merveille du fruict que chacun y fit mon pere et ma mere y apprindrent assez de Latin pour l'entendre, et en acquirent Ă suffisance, pour s'en servir Ă la necessitĂ©, comme firent aussi les autres domestiques, qui estoient plus attachez Ă mon service. Somme, nous nous latinizames tant, qu'il en regorgea jusques Ă nos villages tout autour, oĂÂč il y a encores, et ont pris pied par l'usage, plusieurs appellations Latines d'artisans et d'utils. Quant Ă moy, j'avois plus de six ans, avant que j'entendisse non plus de François ou de Perigordin, que d'Arabesque et sans art, sans livre, sans grammaire ou precepte, sans fouet, et sans larmes, j'avois appris du Latin, tout aussi pur que mon maistre d'escole le sçavoit car je ne le pouvois avoir meslĂ© ny alterĂ©. Si par essay on me vouloit donner un theme, Ă la mode des colleges ; on le donne aux autres en François, mais Ă moy il me le falloit donner en mauvais Latin, pour le tourner en bon. Et Nicolas Grouchi, qui a escript De comitiis Romanorum, Guillaume Guerente, qui a commentĂ© Aristote, George Bucanan, ce grand poĂte Escossois, Marc Antoine Muret que la France et l'Italie recognoist pour le meilleur orateur du temps mes precepteurs domestiques, m'ont dit souvent, que j'avois ce langage en mon enfance, si prest et si Ă main, qu'ils craignoient Ă m'accoster. Bucanan, que je vis depuis Ă la suitte de feu Monsieur le Mareschal de Brissac, me dit, qu'il estoit apres Ă escrire de l'institution des enfans et qu'il prenoit l'exemplaire de la mienne car il avoit lors en charge ce Conte de Brissac, que nous avons veu depuis si valeureux et si brave. Quant au Grec, duquel je n'ay quasi du tout point d'intelligence, mon pere desseigna me le faire apprendre par art. Mais d'une voie nouvelle, par forme dĂ©bat et d'exercice nous pelotions nos declinaisons, Ă la maniere de ceux qui par certains jeux de tablier apprennent l'Arithmetique et la Geometrie. Car entre autres choses, il avoit estĂ© conseillĂ© de me faire gouster la science et le devoir, par une volontĂ© non forcĂ©e, et de mon propre desir ; et d'eslever mon ame en toute douceur et libertĂ©, sans rigueur et contrainte. Je dis jusques Ă telle superstition, que par ce qu'aucuns tiennent, que cela trouble la cervelle tendre des enfans, de les esveiller le matin en sursaut, et de les arracher du sommeil auquel ils sont plongez beaucoup plus que nous ne sommes tout Ă coup, et par violence, il me faisoit esveiller par le son de quelque instrument, et ne fus jamais sans homme qui m'en servist. Cet exemple suffira pour en juger le reste, et pour recommander aussi et la prudence et l'affection d'un si bon pere Auquel il ne se faut prendre, s'il n'a receuilly aucuns fruits respondans Ă une si exquise culture. Deux choses en furent cause en premier, le champ sterile et incommode. Car quoy que j'eusse la santĂ© ferme et entiere, et quant et quant un naturel doux et traitable, j'estois parmy cela si poisant, mol et endormy, qu'on ne me pouvoit arracher de l'oisivetĂ©, non pas pour me faire jouer. Ce que je voyois, je le voyois bien ; et souz cette complexion lourde, nourrissois des imaginations hardies, et des opinions au dessus de mon aage. L'esprit, je l'avois lent, et qui n'alloit qu'autant qu'on le menoit l'apprehension tardive, l'invention lasche, et apres tout un incroyable defaut de memoire. De tout cela il n'est pas merveille, s'il ne sceut rien tirer qui vaille. Secondement, comme ceux que presse un furieux desir de guerison, se laissent aller Ă toute sorte de conseil, le bon homme, ayant extreme peur de faillir en chose qu'il avoit tant Ă coeur, se laissa en fin emporter Ă l'opinion commune, qui suit tousjours ceux qui vont devant, comme les gruĂs ; et se rengea Ă la coustume, n'ayant plus autour de luy ceux qui luy avoient donnĂ© ces premieres institutions, qu'il avoit apportĂ©es d'Italie et m'envoya environ mes six ans au college de Guienne, tres-florissant pour lors, et le meilleur de France. Et lĂ , il n'est possible de rien adjouster au soing qu'il eut, et Ă me choisir des precepteurs de chambre suffisans, et Ă toutes les autres circonstances de ma nourriture ; en laquelle il reserva plusieurs façons particulieres, contre l'usage des colleges mais tant y a que c'estoit tousjours college. Mon Latin s'abastardit incontinent, duquel depuis par desaccoustumance j'ay perdu tout usage. Et ne me servit cette mienne inaccoustumĂ©e institution, que de me faire enjamber d'arrivĂ©e aux premieres classes Car Ă treize ans, que je sortis du college, j'avois achevĂ© mon cours qu'ils appellent et Ă la veritĂ© sans aucun fruit, que je peusse Ă present mettre en compte. Le premier goust que jeuz aux livres, il me vint du plaisir des fables de la Metamorphose d'Ovide. Car environ l'aage de 7 ou 8 ans, je me desrobois de tout autre plaisir, pour les lire d'autant que cette langue estoit la mienne maternelle ; et que c'estoit le plus aisĂ© livre, que je cogneusse, et le plus accommodĂ© Ă la foiblesse de mon aage, Ă cause de la matiere Car des Lancelots du Lac, des Amadis, des Huons de Bordeaux, et tels fatras de livres, Ă quoy l'enfance s'amuse, je n'en cognoissois pas seulement le nom, ny ne fais encore le corps tant exacte estoit ma discipline. Je m'en rendois plus nonchalant Ă l'estude de mes autres leçons prescrites. LĂ il me vint singulierement Ă propos, d'avoir affaire Ă un homme d'entendement de precepteur, qui sceust dextrement conniver Ă cette mienne desbauche, et autres pareilles. Car par lĂ , j'enfilay tout d'un train Vergile en l'Ăâ neide, et puis Terence, et puis Plaute, et des comedies Italiennes, leurrĂ© tousjours par la douceur du subject. S'il eust estĂ© si fol de rompre ce train, j'estime que je n'eusse rapportĂ© du college que la haine des livres, comme fait quasi toute nostre noblesse. Il s'y gouverna ingenieusement, faisant semblant de n'en voir rien Il aiguisoit ma faim, ne me laissant qu'Ă la desrobĂ©e gourmander ces livres, et me tenant doucement en office pour les autres estudes de la regle. Car les principales parties que mon pere cherchoit Ă ceux Ă qui il donnoit charge de moy, c'estoit la debonnairetĂ© et facilitĂ© de complexion Aussi n'avoit la mienne autre vice, que langueur et paresse. Le danger n'estoit pas que je fisse mal, mais que je ne fisse rien. Nul ne prognostiquoit que je deusse devenir mauvais, mais inutile on y prevoyoit de la faineantise, non pas de la malice. Je sens qu'il en est advenu comme cela. Les plaintes qui me cornent aux oreilles, sont telles Il est oisif, froid aux offices d'amitiĂ©, et de parentĂ© et aux offices publiques, trop particulier, trop desdaigneux. Les plus injurieux mesmes ne disent pas, Pourquoy a il prins, pourquoy n'a-il payĂ© ? mais, Pourquoy ne quitte-il, pourquoy ne donne-il ? Je recevroy Ă faveur, qu'on ne desirast en moy que tels effects de supererogation. Mais ils sont injustes, d'exiger ce que je ne doy pas, plus rigoureusement beaucoup, qu'ils n'exigent d'eux ce qu'ils doivent. En m'y condemnant, ils effacent la gratification de l'action, et la gratitude qui m'en seroit deuĂ. LĂ oĂÂč le bien faire actif, devroit plus peser de ma main, en consideration de ce que je n'en ay de passif nul qui soit. Je puis d'autant plus librement disposer de ma fortune, qu'elle est plus mienne et de moy, que je suis plus mien. Toutesfois si j'estoy grand enlumineur de mes actions, Ă l'adventure rembarrerois-je bien ces reproches ; et Ă quelques uns apprendrois, qu'ils ne sont pas si offensez que je ne face pas assez que dequoy je puisse faire assez plus que je ne fay. Mon ame ne laissoit pourtant en mesme temps d'avoir Ă part soy des remuemens fermes et des jugemens seurs et ouverts autour des objects qu'elle cognoissoit et les digeroit seule, sans aucune communication. Et entre autres choses je croy Ă la veritĂ© qu'elle eust estĂ© du tout incapable de se rendre Ă la force et violence. Mettray-je en compte cette facultĂ© de mon enfance, Une asseurance de visage, et soupplesse de voix et de geste, Ă m'appliquer aux rolles que j'entreprenois ? Car avant l'aage, Alter ab undecimo tum me vix ceperat annus j'ay soustenu les premiers personnages, Ă©s tragedies latines de Bucanan, de Guerente, et de Muret, qui se representerent en nostre college de Guienne avec dignitĂ©. En cela, Andreas Goveanus nostre principal, comme en toutes autres parties de sa charge, fut sans comparaison le plus grand principal de France, et m'en tenoit-on maistre ou ouvrier. C'est un exercice, que je ne meslouĂ point aux jeunes enfans de maison ; et ay veu nos Princes s'y addonner depuis, en personne, Ă l'exemple d'aucuns des anciens, honnestement et louablement. Il estoit loisible, mesme d'en faire mestier, aux gents d'honneur et en Grece, Aristoni tragico actori rem aperit huic et genus et fortuna honesta erant nec ars quia nihil tale apud GrĂŠcos pudori est, ea deformabat. Car j'ay tousjours accusĂ© d'impertinence, ceux qui condemnent ces esbatemens et d'injustice, ceux qui refusent l'entrĂ©e de nos bonnes villes aux comediens qui le valent, et envient au peuple ces plaisirs publiques. Les bonnes polices prennent soing d'assembler les citoyens, et les r'allier, comme aux offices serieux de la devotion, aussi aux exercices et jeux La societĂ© et amitiĂ© s'en augmente, et puis on ne leur sçauroit conceder des passetemps plus reglez, que ceux qui se font en presence d'un chacun, et Ă la veuĂ mesme du magistrat et trouverois raisonnable que le prince Ă ses despens en gratifiast quelquefois la commune, d'une affection et bontĂ© comme paternelle et qu'aux villes populeuses il y eust des lieux destinez et disposez pour ces spectacles quelque divertissement de pires actions et occultes. Pour revenir Ă mon propos, il n'y a tel, que d'allecher l'appetit et l'affection, autrement on ne fait que des asnes chargez de livres on leur donne Ă coups de foĂÂŒet en garde leur pochette pleine de science. Laquelle pour bien faire, il ne faut pas seulement loger chez soy, il la faut espouser. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXVI C'est folie de rapporter le vray et le faux Ă nostre suffisance CE n'est pas Ă l'advanture sans raison, que nous attribuons Ă simplesse et ignorance, la facilitĂ© de croire et de se laisser persuader Car il me semble avoir appris autrefois, que la creance estoit comme une impression, qui se faisoit en nostre ame ; et Ă mesure qu'elle se trouvoit plus molle et de moindre resistance, il estoit plus aysĂ© Ă y empreindre quelque chose. Ut necesse est lancem in libra ponderibus impositis deprimi sic animum perspicuis cedere. D'autant que l'ame est plus vuide, et sans contrepoids, elle se baisse plus facilement souz la charge de la premiere persuasion. VoylĂ pourquoy les enfans, le vulgaire, les femmes et les malades sont plus sujets Ă estre menez par les oreilles. Mais aussi de l'autre part, c'est une sotte presomption, d'aller desdeignant et condamnant pour faux, ce qui ne nous semble pas vray-semblable qui est un vice ordinaire de ceux qui pensent avoir quelque suffisance, outre la commune. J'en faisoy ainsin autrefois, et si j'oyois parler ou des esprits qui reviennent, ou du prognostique des choses futures, des enchantemens, des sorcelleries, ou faire quelque autre conte, oĂÂč je ne peusse pas mordre, Somnia, terrores magicos, miracula, sagas, Nocturnos lemures, portentaque Thessala il me venoit compassion du pauvre peuple abusĂ© de ces folies. Et Ă present je treuve, que j'estoy pour le moins autant Ă plaindre moy mesme Non que l'experience m'aye depuis rien faict voir, au dessus de mes premieres creances ; et si n'a pas tenu Ă ma curiositĂ© mais la raison m'a instruit, que de condamner ainsi resolument une chose pour fausse, et impossible, c'est se donner l'advantage d'avoir dans la teste, les bornes et limites de la volontĂ© de Dieu, et de la puissance de nostre mere nature Et qu'il n'y a point de plus notable folie au monde, que de les ramener Ă la mesure de nostre capacitĂ© et suffisance. Si nous appellons monstres ou miracles, ce oĂÂč nostre raison ne peut aller, combien s'en presente il continuellement Ă nostre veuĂ ? Considerons au travers de quels nuages, et comment Ă tastons on nous meine Ă la cognoissance de la pluspart des choses qui nous sont entre mains certes nous trouverons que c'est plustost accoustumance, que science, qui nous en oste l'estrangetĂ© Jam nemo fessus satiate videndi, Suspicere in cĂŠli dignatur lucida templa, et que ces choses lĂ , si elles nous estoyent presentees de nouveau, nous les trouverions autant ou plus incroyables qu'aucunes autres. si nunc primum mortalibus adsint Ex improviso, ceu sint objecta repente, Nil magis his rebus poterat mirabile dici, Aut minus ante quod auderent fore credere gentes. Celuy qui n'avoit jamais veu de riviere, Ă la premiere qu'il rencontra, il pensa que ce fust l'Ocean et les choses qui sont Ă nostre cognoissance les plus grandes, nous les jugeons estre les extremes que nature face en ce genre. Scilicet et fluvius qui non est maximus, ei est Qui non antĂš aliquem majorem vidit, et ingens Arbor homoque videtur, Et omnia de genere omni Maxima quĂŠ vidit quisque, hĂŠc ingentia fingit. Consuetudine oculorum assuescunt animi, neque admirantur, neque requirunt rationes earum rerum, quas semper vident. La nouvelletĂ© des choses nous incite plus que leur grandeur, Ă en rechercher les causes. Il faut juger avec plus de reverence de cette infinie puissance de nature, et plus de recognoissance de nostre ignorance et foiblesse. Combien y a il de choses peu vray-semblables, tesmoignees par gens dignes de foy, desquelles si nous ne pouvons estre persuadez, au moins les faut-il laisser en suspens car de les condamner impossibles, c'est se faire fort, par une temeraire presumption, de sçavoir jusques oĂÂč va la possibilitĂ©. Si lon entendoit bien la difference qu'il y a entre l'impossible et l'inusitĂ© ; et entre ce qui est contre l'ordre du cours de nature, et contre la commune opinion des hommes, en ne croyant pas temerairement, ny aussi ne descroyant pas facilement on observeroit la regle de Rien trop, commandee par Chilon. Quand on trouve dans Froissard, que le conte de Foix sçeut en Bearn la defaicte du Roy Jean de Castille Ă Juberoth, le lendemain qu'elle fut advenue, et les moyens qu'il en allegue, on s'en peut moquer et de ce mesme que nos Annales disent, que le Pape Honorius le propre jour que le Roy Philippe Auguste mourut Ă Mante, fit faire ses funerailles publiques, et les manda faire par toute l'Italie. Car l'authoritĂ© de ces tesmoings n'a pas Ă l'adventure assez de rang pour nous tenir en bride. Mais quoy ? si Plutarque outre plusieurs exemples, qu'il allegue de l'antiquitĂ©, dit sçavoir de certaine science, que du temps de Domitian, la nouvelle de la bataille perdue par Antonius en Allemaigne Ă plusieurs journees de lĂ , fut publiee Ă Rome, et semee par tout le monde le mesme jour qu'elle avoit estĂ© perduĂ et si CĂŠsar tient, qu'il est souvent advenu que la renommee a devancĂ© l'accident dirons nous pas que ces simples gens lĂ , se sont laissez piper apres le vulgaire, pour n'estre pas clair-voyans comme nous ? Est-il rien plus delicat, plus net, et plus vif, que le jugement de Pline, quand il luy plaist de le mettre en jeu ? rien plus esloignĂ© de vanitĂ© ? je laisse Ă part l'excellence de son sçavoir, duquel je fay moins de conte en quelle partie de ces deux lĂ le surpassons nous ? toutesfois il n'est si petit escolier, qui ne le convainque de mensonge, et qui ne luy vueille faire leçon sur le progrez des ouvrages de nature. Quand nous lisons dans Bouchet les miracles des reliques de Sainct Hilaire, passe son credit n'est pas assez grand pour nous oster la licence d'y contredire mais de condamner d'un train toutes pareilles histoires, me semble singuliere impudence. Ce grand Sainct Augustin tesmoigne avoir veu sur les reliques Sainct Gervais et Protaise Ă Milan, un enfant aveugle recouvrer la veuĂ une femme Ă Carthage estre guerie d'un cancer par le signe de la croix, qu'une femme nouvellement baptisee luy fit Hesperius, un sien familier avoir chassĂ© les esprits qui infestoient sa maison, avec un peu de terre du Sepulchre de nostre Seigneur et cette terre depuis transportee Ă l'Eglise, un Paralytique en avoir estĂ© soudain guery une femme en une procession ayant touchĂ© Ă la chasse S. Estienne, d'un bouquet, et de ce bouquet s'estant frottĂ©e les yeux, avoir recouvrĂ© la veuĂ pieça perduĂ et plusieurs autres miracles, oĂÂč il dit luy mesmes avoir assistĂ©. Dequoy accuserons nous et luy et deux S. Evesques Aurelius et Maximinus, qu'il appelle pour ses recors ? sera-ce d'ignorance, simplesse, facilitĂ©, ou de malice et imposture ? Est-il homme en nostre siecle si impudent, qui pense leur estre comparable, soit en vertu et pietĂ©, soit en sçavoir, jugement et suffisance ? Qui ut rationem nullam afferrent, ipsa autoritate me frangerent. C'est une hardiesse dangereuse et de consequence, outre l'absurde temeritĂ© qu'elle traine quant et soy, de mespriser ce que nous ne concevons pas. Car apres que selon vostre bel entendement, vous avez estably les limites de la veritĂ© et de la mensonge, et qu'il se treuve que vous avez necessairement Ă croire des choses oĂÂč il y a encores plus d'estrangetĂ© qu'en ce que vous niez, vous vous estes des-ja obligĂ© de les abandonner. Or ce qui me semble apporter autant de desordre en nos consciences en ces troubles oĂÂč nous sommes, de la Religion, c'est cette dispensation que les Catholiques font de leur creance. Il leur semble faire bien les moderez et les entenduz, quand ils quittent aux adversaires aucuns articles de ceux qui sont en debat. Mais outre ce, qu'ils ne voyent pas quel advantage c'est Ă celuy qui vous charge, de commancer Ă luy ceder, et vous tirer arriere, et combien cela l'anime Ă poursuivre sa pointe ces articles lĂ qu'ils choisissent pour les plus legers, sont aucunefois tres-importans. Ou il faut se submettre du tout Ă l'authoritĂ© de nostre police ecclesiastique, ou du tout s'en dispenser Ce n'est pas Ă nous Ă establir la part que nous luy devons d'obeissance. Et d'avantage, je le puis dire pour l'avoir essayĂ©, ayant autrefois usĂ© de cette libertĂ© de mon chois et triage particulier, mettant Ă nonchaloir certains points de l'observance de nostre Eglise, qui semblent avoir un visage ou plus vain, ou plus estrange, venant Ă en communiquer aux hommes sçavans, j'ay trouvĂ© que ces choses lĂ ont un fondement massif et tressolide et que ce n'est que bestise et ignorance, qui nous fait les recevoir avec moindre reverence que le reste. Que ne nous souvient il combien nous sentons de contradiction en nostre jugement mesmes ? combien de choses nous servoyent hyer d'articles de foy, qui nous sont fables aujourd'huy ? La gloire et la curiositĂ©, sont les fleaux de nostre ame. Cette cy nous conduit Ă mettre le nez par tout, et celle lĂ nous defend de rien laisser irresolu et indecis. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXVII De l'AmitiĂ©. CONSIDERANT la conduite de la besongne d'un peintre que j'ay, il m'a pris envie de l'ensuivre. Il choisit le plus bel endroit et milieu de chaque paroy, pour y loger un tableau Ă©labourĂ© de toute sa suffisance ; et le vuide tout au tour, il le remplit de crotesques qui sont peintures fantasques, n'ayans grace qu'en la varietĂ© et estrangetĂ©. Que sont-ce icy aussi Ă la veritĂ© que crotesques et corps monstrueux, rappiecez de divers membres, sans certaine figure, n'ayants ordre, suite, ny proportion que fortuite ? Desinit in piscem mulier formosa superne. Je vay bien jusques Ă ce second point, avec mon peintre mais je demeure court en l'autre, et meilleure partie car ma suffisance ne va pas si avant, que d'oser entreprendre un tableau riche, poly et formĂ© selon l'art. Je me suis advisĂ© d'en emprunter un d'Estienne de la Boitie, qui honorera tout le reste de cette besongne. C'est un discours auquel il donna nom La Servitude volontaire mais ceux qui l'ont ignorĂ©, l'ont bien proprement dĂ©puis rebatisĂ©, Le Contre Un. Il l'escrivit par maniere d'essay, en sa premiere jeunesse, Ă l'honneur de la libertĂ© contre les tyrans. Il court pieça Ă©s mains des gens d'entendement, non sans bien grande et meritee recommandation car il est gentil, et plein ce qu'il est possible. Si y a il bien Ă dire, que ce ne soit le mieux qu'il peust faire et si en l'aage que je l'ay cogneu plus avancĂ©, il eust pris un tel desseing que le mien, de mettre par escrit ses fantasies, nous verrions plusieurs choses rares, et qui nous approcheroient bien pres de l'honneur de l'antiquitĂ© car notamment en cette partie des dons de nature, je n'en cognois point qui luy soit comparable. Mais il n'est demeurĂ© de luy que ce discours, encore par rencontre, et croy qu'il ne le veit oncques depuis qu'il luy eschappa et quelques memoires sur cet edict de Janvier fameux par nos guerres civiles, qui trouveront encores ailleurs peut estre leur place. C'est tout ce que j'ay peu recouvrer de ses reliques moy qu'il laissa d'une si amoureuse recommandation, la mort entre les dents, par son testament, heritier de sa Bibliotheque et de ses papiers outre le livret de ses oeuvres que j'ay faict mettre en lumiere Et si suis obligĂ© particulierement Ă cette piece, d'autant qu'elle a servy de moyen Ă nostre premiere accointance. Car elle me fut montree longue espace avant que je l'eusse veu ; et me donna la premiere cognoissance de son nom, acheminant ainsi cette amitiĂ©, que nous avons nourrie, tant que Dieu a voulu, entre nous, si entiere et si parfaicte, que certainement il ne s'en lit guere de pareilles et entre nos hommes il ne s'en voit aucune trace en usage. Il faut tant de rencontre Ă la bastir, que c'est beaucoup si la fortune y arrive une fois en trois siecles. Il n'est rien Ă quoy il semble que nature nous aye plus acheminĂ©s qu'Ă la societĂ©. Et dit Aristote, que les bons legislateurs ont eu plus de soing de l'amitiĂ©, que de la justice. Or le dernier point de sa perfection est cetuy-cy. Car en general toutes celles que la voluptĂ©, ou le profit, le besoin publique ou privĂ©, forge et nourrit, en sont d'autant moins belles et genereuses, et d'autant moins amitiez, qu'elles meslent autre cause et but et fruit en l'amitiĂ© qu'elle mesme. Ny ces quatre especes anciennes, naturelle, sociale, hospitaliere, venerienne, particulierement n'y conviennent, ny conjointement. Des enfans aux peres, c'est plustost respect L'amitiĂ© se nourrit de communication, qui ne peut se trouver entre eux, pour la trop grande disparitĂ©, et offenceroit Ă l'adventure les devoirs de nature car ny toutes les secrettes pensees des peres ne se peuvent communiquer aux enfans, pour n'y engendrer une messeante privautĂ© ny les advertissemens et corrections, qui est un des premiers offices d'amitiĂ©, ne se pourroient exercer des enfans aux peres. Il s'est trouvĂ© des nations, oĂÂč par usage les enfans tuoyent leurs peres et d'autres, oĂÂč les peres tuoyent leurs enfans, pour eviter l'empeschement qu'ils se peuvent quelquesfois entreporter et naturellement l'un depend de la ruine de l'autre Il s'est trouvĂ© des philosophes desdaignans cette cousture naturelle, tesmoing Aristippus qui quand on le pressoit de l'affection qu'il devoit Ă ses enfans pour estre sortis de luy, il se mit Ă cracher, disant, que cela en estoit aussi bien sorty que nous engendrions bien des pouz et des vers. Et cet autre que Plutarque vouloit induire Ă s'accorder avec son frere Je n'en fais pas, dit-il, plus grand estat, pour estre sorty de mesme trou. C'est Ă la veritĂ© un beau nom, et plein de dilection que le nom de frere, et Ă cette cause en fismes nous luy et moy nostre alliance mais ce meslange de biens, ces partages, et que la richesse de l'un soit la pauvretĂ© de l'autre, cela detrampe merveilleusement et relasche cette soudure fraternelle Les freres ayants Ă conduire le progrez de leur avancement, en mesme sentier et mesme train, il est force qu'ils se heurtent et choquent souvent. D'avantage, la correspondance et relation qui engendre ces vrayes et parfaictes amitiez, pourquoy se trouvera elle en ceux cy ? Le pere et le fils peuvent estre de complexion entierement eslongnee, et les freres aussi C'est mon fils, c'est mon parent mais c'est un homme farouche, un meschant, ou un sot. Et puis, Ă mesure que ce sont amitiez que la loy et l'obligation naturelle nous commande, il y a d'autant moins de nostre choix et libertĂ© volontaire Et nostre libertĂ© volontaire n'a point de production qui soit plus proprement sienne, que celle de l'affection et amitiĂ©. Ce n'est pas que je n'aye essayĂ© de ce costĂ© lĂ , tout ce qui en peut estre, ayant eu le meilleur pere qui fut onques, et le plus indulgent, jusques Ă son extreme vieillesse et estant d'une famille fameuse de pere en fils, et exemplaire en cette partie de la concorde fraternelle et ipse Notus in fratres animi paterni. D'y comparer l'affection envers les femmes, quoy qu'elle naisse de nostre choix, on ne peut ny la loger en ce rolle. Son feu, je le confesse, neque enim est dea nescia nostri QuĂŠ dulcem curis miscet amaritiem, est plus actif, plus cuisant, et plus aspre. Mais c'est un feu temeraire et volage, ondoyant et divers, feu de fiebvre, subject Ă accez et remises, et qui ne nous tient qu'Ă un coing. En l'amitiĂ©, c'est une chaleur generale et universelle, temperee au demeurant et Ă©gale, une chaleur constante et rassize, toute douceur et pollissure, qui n'a rien d'aspre et de poignant. Qui plus est en l'amour ce n'est qu'un desir forcenĂ© apres ce qui nous fuit, Come segue la lepre il cacciatore Al freddo, al caldo, alla montagna, al lito, Ne piu l'estima poi, che presa vede, Et sol dietro Ă chi fugge affreta il piede. Aussi tost qu'il entre aux termes de l'amitiĂ©, c'est Ă dire en la convenance des volontez, il s'esvanouist et s'alanguist la jouĂÂŻssance le perd, comme ayant la fin corporelle et sujette Ă sacietĂ©. L'amitiĂ© au rebours, est jouye Ă mesure qu'elle est desiree, ne s'esleve, se nourrit, ny ne prend accroissance qu'en la jouyssance, comme estant spirituelle, et l'ame s'affinant par l'usage. Sous cette parfaicte amitiĂ©, ces affections volages ont autresfois trouvĂ© place chez moy, affin que je ne parle de luy, qui n'en confesse que trop par ses vers. Ainsi ces deux passions sont entrees chez moy en cognoissance l'une de l'autre, mais en comparaison jamais la premiere maintenant sa route d'un vol hautain et superbe, et regardant desdaigneusement cette cy passer ses pointes bien loing au dessoubs d'elle. Quant au mariage, outre ce que c'est un marchĂ© qui n'a que l'entree libre, sa duree estant contrainte et forcee, dependant d'ailleurs que de nostre vouloir et marchĂ©, qui ordinairement se fait Ă autres fins il y survient mille fusees estrangeres Ă desmeler parmy, suffisantes Ă rompre le fil et troubler le cours d'une vive affection lĂ oĂÂč en l'amitiĂ©, il n'y a affaire ny commerce que d'elle mesme. Joint qu'Ă dire vray, la suffisance ordinaire des femmes, n'est pas pour respondre Ă cette conference et communication, nourrisse de cette saincte cousture ny leur ame ne semble assez ferme pour soustenir l'estreinte d'un neud si pressĂ©, et si durable. Et certes sans cela, s'il se pouvoit dresser une telle accointance libre et volontaire, oĂÂč non seulement les ames eussent cette entiere jouyssance, mais encores oĂÂč les corps eussent part Ă l'alliance, oĂÂč l'homme fust engagĂ© tout entier il est certain que l'amitiĂ© en seroit plus pleine et plus comble mais ce sexe par nul exemple n'y est encore peu arriver, et par les escholes anciennes en est rejettĂ©. Et cette autre licence Grecque est justement abhorree par nos moeurs. Laquelle pourtant, pour avoir selon leur usage, une si necessaire disparitĂ© d'aages, et difference d'offices entre les amants, ne respondoit non plus assez Ă la parfaicte union et convenance qu'icy nous demandons. Quis est enim iste amor amicitiĂŠ ? cur neque deformem adolescentem quisquam amat, neque formosum senem ? Car la peinture mesme qu'en faict l'Academie ne me desadvoĂÂŒera pas, comme je pense, de dire ainsi de sa part Que cette premiere fureur, inspiree par le fils de Venus au coeur de l'amant, sur l'object de la fleur d'une tendre jeunesse, Ă laquelle ils permettent tous les insolents et passionnez efforts, que peut produire une ardeur immoderee, estoit simplement fondee en une beautĂ© externe fauce image de la generation corporelle Car en l'esprit elle ne pouvoit, duquel la montre estoit encore cachee qui n'estoit qu'en sa naissance, et avant l'aage de germer. Que si cette fureur saisissoit un bas courage, les moyens de sa poursuitte c'estoient richesses, presents, faveur Ă l'avancement des dignitez et telle autre basse marchandise, qu'ils reprouvent. Si elle tomboit en un courage plus genereux, les entremises estoient genereuses de mesmes Instructions philosophiques, enseignements Ă reverer la religion, obeĂÂŻr aux loix, mourir pour le bien de son paĂÂŻs exemples de vaillance, prudence, justice. S'estudiant l'amant de se rendre acceptable par la bonne grace et beautĂ© de son ame, celle de son corps estant pieça fanĂ©e et esperant par cette societĂ© mentale, establir un marchĂ© plus ferme et durable. Quand cette poursuitte arrivoit Ă l'effect, en sa saison car ce qu'ils ne requierent point en l'amant, qu'il apportast loysir et discretion en son entreprise ; ils requierent exactement en l'aimĂ© d'autant qu'il luy falloit juger d'une beautĂ© interne, de difficile cognoissance, et abstruse descouverte lors naissoit en l'aymĂ© le desir d'une conception spirituelle, par l'entremise d'une spirituelle beautĂ©. Cette cy estoit icy principale la corporelle, accidentale et seconde tout le rebours de l'amant. A cette cause preferent ils l'aymĂ© et verifient, que les Dieux aussi le preferent et tansent grandement le poĂte Ăâ schylus, d'avoir en l'amour d'Achilles et de Patroclus, donnĂ© la part de l'amant Ă Achilles, qui estoit en la premiere et imberbe verdeur de son adolescence, et le plus beau des Grecs. Apres cette communautĂ© generale, la maistresse et plus digne partie d'icelle, exerçant ses offices, et predominant ils disent, qu'il en provenoit des fruicts tres-utiles au privĂ© et au public. Que c'estoit la force des paĂÂŻs, qui en recevoient l'usage et la principale defense de l'equitĂ© et de la libertĂ©. Tesmoin les salutaires amours de Hermodius et d'Aristogiton. Pourtant la nomment ils sacree et divine, et n'est Ă leur compte, que la violence des tyrans, et laschetĂ© des peuples, qui luy soit adversaire en fin, tout ce qu'on peut donner Ă la faveur de l'Academie, c'est dire, que c'estoit un amour se terminant en amitiĂ© chose qui ne se rapporte pas mal Ă la definition Stoique de l'amour Amorem conatum esse amicitiĂŠ faciendĂŠ ex pulcritudinis specie. Je revien Ă ma description, de façon plus equitable et plus equable. Omnino amicitiĂŠ, corroboratis jam, confirmatisque ingeniis et ĂŠtatibus, judicandĂŠ sunt. Au demeurant, ce que nous appellons ordinairement amis et amitiez, ce ne sont qu'accoinctances et familiaritez nouees par quelque occasion ou commoditĂ©, par le moyen de laquelle nos ames s'entretiennent. En l'amitiĂ© dequoy je parle, elles se meslent et confondent l'une en l'autre, d'un meslange si universel, qu'elles effacent, et ne retrouvent plus la cousture qui les a joinctes. Si on me presse de dire pourquoy je l'aymoys, je sens que cela ne se peut exprimer, qu'en respondant Par ce que c'estoit luy, par ce que c'estoit moy. Il y a au delĂ de tout mon discours, et de ce que j'en puis dire particulierement, je ne sçay quelle force inexplicable et fatale, mediatrice de cette union. Nous nous cherchions avant que de nous estre veus, et par des rapports que nous oyĂÂŻons l'un de l'autre qui faisoient en nostre affection plus d'effort, que ne porte la raison des rapports je croy par quelque ordonnance du ciel. Nous nous embrassions par noz noms. Et Ă nostre premiere rencontre, qui fut par hazard en une grande feste et compagnie de ville, nous nous trouvasmes si prins, si cognus, si obligez entre nous, que rien des lors ne nous fut si proche, que l'un Ă l'autre. Il escrivit une Satyre Latine excellente, qui est publiee par laquelle il excuse et explique la precipitation de nostre intelligence, si promptement parvenue Ă sa perfection. Ayant si peu Ă durer, et ayant si tard commencĂ© car nous estions tous deux hommes faicts et luy plus de quelque annee elle n'avoit point Ă perdre temps. Et n'avoit Ă se regler au patron des amitiez molles et regulieres, aus quelles il faut tant de precautions de longue et preallable conversation. Cette cy n'a point d'autre idee que d'elle mesme, et ne se peut rapporter qu'Ă soy. Ce n'est pas une speciale consideration, ny deux, ny trois, ny quatre, ny mille c'est je ne sçay quelle quinte-essence de tout ce meslange, qui ayant saisi toute ma volontĂ©, l'amena se plonger et se perdre dans la sienne, qui ayant saisi toute sa volontĂ©, l'amena se plonger et se perdre en la mienne d'une faim, d'une concurrence pareille. Je dis perdre Ă la veritĂ©, ne nous reservant rien qui nous fust propre, ny qui fust ou sien ou mien. Quand LĂŠlius en presence des Consuls Romains, lesquels apres la condemnation de Tiberius Gracchus, poursuivoient tous ceux qui avoient estĂ© de son intelligence, vint Ă s'enquerir de Caius Blosius qui estoit le principal de ses amis combien il eust voulu faire pour luy, et qu'il eust respondu Toutes choses. Comment toutes choses ? suivit-il, et quoy, s'il t'eust commandĂ© de mettre le feu en nos temples ? Il ne me l'eust jamais commandĂ©, repliqua Blosius. Mais s'il l'eust fait ? adjousta LĂŠlius J'y eusse obey, respondit-il. S'il estoit si parfaictement amy de Gracchus, comme disent les histoires, il n'avoit que faire d'offenser les Consuls par cette derniere et hardie confession et ne se devoit departir de l'asseurance qu'il avoit de la volontĂ© de Gracchus. Mais toutesfois ceux qui accusent cette responce comme seditieuse, n'entendent pas bien ce mystere et ne presupposent pas comme il est, qu'il tenoit la volontĂ© de Gracchus en sa manche, et par puissance et par cognoissance. Ils estoient plus amis que citoyens, plus amis qu'amis ou que ennemis de leur paĂÂŻs, qu'amis d'ambition et de trouble. S'estans parfaittement commis, l'un Ă l'autre, ils tenoient parfaittement les renes de l'inclination l'un de l'autre et faictes guider cet harnois, par la vertu et conduitte de la raison comme aussi est il du tout impossible de l'atteler sans cela la responce de Blosius est telle, qu'elle devoit estre. Si leurs actions se demancherent, ils n'estoient ny amis, selon ma mesure, l'un de l'autre, ny amis Ă eux mesmes. Au demeurant cette response ne sonne non plus que feroit la mienne, Ă qui s'enquerroit Ă moy de cette façon Si vostre volontĂ© vous commandoit de tuer vostre fille, la tueriez vous ? et que je l'accordasse car cela ne porte aucun tesmoignage de consentement Ă ce faire par ce que je ne suis point en doute de ma volontĂ©, et tout aussi peu de celle d'un tel amy. Il n'est pas en la puissance de tous les discours du monde, de me desloger de la certitude, que j'ay des intentions et jugemens du mien aucune de ses actions ne me sçauroit estre presentee, quelque visage qu'elle eust, que je n'en trouvasse incontinent le ressort. Nos ames ont chariĂ© si uniment ensemble elles se sont considerees d'une si ardante affection, et de pareille affection descouvertes jusques au fin fond des entrailles l'une Ă l'autre que non seulement je cognoissoy la sienne comme la mienne, mais je me fusse certainement plus volontiers fiĂ© Ă luy de moy, qu'Ă moy. Qu'on ne me mette pas en ce rang ces autres amitiez communes j'en ay autant de cognoissance qu'un autre, et des plus parfaictes de leur genre Mais je ne conseille pas qu'on confonde leurs regles, on s'y tromperoit. Il faut marcher en ces autres amitiez, la bride Ă la main, avec prudence et precaution la liaison n'est pas nouĂ©e en maniere, qu'on n'ait aucunement Ă s'en deffier. Aymez le disoit Chilon comme ayant quelque jour Ă le haĂÂŻr haĂÂŻssez le, comme ayant Ă l'aymer. Ce precepte qui est si abominable en cette souveraine et maistresse amitiĂ©, il est salubre en l'usage des amitiez ordinaires et coustumieres A l'endroit desquelles il faut employer le mot qu'Aristote avoit tres familier, O mes amys, il n'y a nul amy. En ce noble commerce, les offices et les bien-faicts nourrissiers des autres amitiez, ne meritent pas seulement d'estre mis en compte cette confusion si pleine de nos volontez en est cause car tout ainsi que l'amitiĂ© que je me porte, ne reçoit point augmentation, pour le secours que je me donne au besoin, quoy que dient les Stoiciens et comme je ne me sçay aucun grĂ© du service que je me fay aussi l'union de tels amis estant veritablement parfaicte, elle leur faict perdre le sentiment de tels devoirs, et haĂÂŻr et chasser d'entre eux, ces mots de division et de difference, bien-faict, obligation, recognoissance, priere, remerciement, et leurs pareils. Tout estant par effect commun entre eux, volontez, pensemens, jugemens, biens, femmes, enfans, honneur et vie et leur convenance n'estant qu'une ame en deux corps, selon la tres-propre definition d'Aristote, ils ne se peuvent ny prester ny donner rien. Voila pourquoy les faiseurs de loix, pour honnorer le mariage de quelque imaginaire ressemblance de cette divine liaison, defendent les donations entre le mary et la femme. Voulans inferer par lĂ , que tout doit estre Ă chacun d'eux, et qu'ils n'ont rien Ă diviser et partir ensemble. Si en l'amitiĂ© dequoy je parle, l'un pouvoit donner Ă l'autre, ce seroit celuy qui recevroit le bien-fait, qui obligeroit son compagnon. Car cherchant l'un et l'autre, plus que toute autre chose, de s'entre-bien faire, celuy qui en preste la matiere et l'occasion, est celuylĂ qui faict le liberal, donnant ce contentement Ă son amy, d'effectuer en son endroit ce qu'il desire le plus. Quand le Philosophe Diogenes avoit faute d'argent, il disoit, qu'il le redemandoit Ă ses amis, non qu'il le demandoit. Et pour montrer comment cela se pratique par effect, j'en reciteray un ancien exemple singulier. Eudamidas Corinthien avoit deux amis, Charixenus Sycionien, et Aretheus Corinthien venant Ă mourir estant pauvre, et ses deux amis riches, il fit ainsi son testament Je legue Ă Aretheus de nourrir ma mere, et l'entretenir en sa vieillesse Ă Charixenus de marier ma fille, et luy donner le doĂÂŒaire le plus grand qu'il pourra et au cas que l'un d'eux vienne Ă defaillir, je substitue en sa part celuy, qui survivra. Ceux qui premiers virent ce testament, s'en moquerent mais ses heritiers en ayants estĂ© advertis, l'accepterent avec un singulier contentement. Et l'un d'eux, Charixenus, estant trespassĂ© cinq jours apres, la substitution estant ouverte en faveur d'Aretheus, il nourrit curieusement cette mere, et de cinq talens qu'il avoit en ses biens, il en donna les deux et demy en mariage Ă une sienne fille unique, et deux et demy pour le mariage de la fille d'Eudamidas, desquelles il fit les nopces en mesme jour. Cet exemple est bien plein si une condition en estoit Ă dire, qui est la multitude d'amis Car cette parfaicte amitiĂ©, dequoy je parle, est indivisible chacun se donne si entier Ă son amy, qu'il ne luy reste rien Ă departir ailleurs au rebours il est marry qu'il ne soit double, triple, ou quadruple, et qu'il n'ait plusieurs ames et plusieurs volontez, pour les conferer toutes Ă ce subjet. Les amitiez communes on les peut dĂ©partir, on peut aymer en cestuy-cy la beautĂ©, en cet autre la facilitĂ© de ses moeurs, en l'autre la liberalitĂ©, en celuy-lĂ la paternitĂ©, en cet autre la fraternitĂ©, ainsi du reste mais cette amitiĂ©, qui possede l'ame, et la regente en toute souverainetĂ©, il est impossible qu'elle soit double. Si deux en mesme temps demandoient Ă estre secourus, auquel courriez vous ? S'ils requeroient de vous des offices contraires, quel ordre y trouveriez vous ? Si l'un commettoit Ă vostre silence chose qui fust utile Ă l'autre de sçavoir, comment vous en desmeleriez vous ? L'unique et principale amitiĂ© descoust toutes autres obligations. Le secret que j'ay jurĂ© ne deceller Ă un autre, je le puis sans parjure, communiquer Ă celuy, qui n'est pas autre, c'est moy. C'est un assez grand miracle de se doubler et n'en cognoissent pas la hauteur ceux qui parlent de se tripler. Rien n'est extreme, qui a son pareil. Et qui presupposera que de deux j'en aime autant l'un que l'autre, et qu'ils s'entr'aiment, et m'aiment autant que je les aime il multiplie en confrairie, la chose la plus une et unie, et dequoy une seule est encore la plus rare Ă trouver au monde. Le demeurant de cette histoire convient tres-bien Ă ce que je disois car Eudamidas donne pour grace et pour faveur Ă ses amis de les employer Ă son besoin il les laisse heritiers de cette sienne liberalitĂ©, qui consiste Ă leur mettre en main les moyens de luy bien-faire. Et sans doubte, la force de l'amitiĂ© se montre bien plus richement en son fait, qu'en celuy d'Aretheus. Somme, ce sont effets inimaginables, Ă qui n'en a goustĂ© et qui me font honnorer Ă merveilles la responce de ce jeune soldat, Ă Cyrus, s'enquerant Ă luy, pour combien il voudroit donner un cheval, par le moyen duquel il venoit de gaigner le prix de la course et s'il le voudroit eschanger Ă un royaume Non certes, Sire mais bien le lairroy je volontiers, pour en aquerir un amy, si je trouvoy homme digne de telle alliance. Il ne disoit pas mal, si je trouvoy. Car on trouve facilement des hommes propres Ă une superficielle accointance mais en cettecy, en laquelle on negotie du fin fons de son courage, qui ne fait rien de reste il est besoin, que touts les ressorts soyent nets et seurs parfaictement. Aux confederations, qui ne tiennent que par un bout, on n'a Ă prouvoir qu'aux imperfections, qui particulierement interessent ce bout lĂ . Il ne peut chaloir de quelle religion soit mon medecin, et mon advocat ; cette consideration n'a rien de commun avec les offices de l'amitiĂ©, qu'ils ne doivent. Et en l'accointance domestique, que dressent avec moy ceux qui me servent, j'en fay de mesmes et m'enquiers peu d'un laquay, s'il est chaste, je cherche s'il est diligent et ne crains pas tant un muletier joueur qu'imbecille ny un cuisinier jureur, qu'ignorant. Je ne me mesle pas de dire ce qu'il faut faire au monde d'autres assĂ©s s'en meslent mais ce que j'y fay, Mihi sic usus est Tibi, ut opus est facto, face. A la familiaritĂ© de la table, j'associe le plaisant, non le prudent Au lict, la beautĂ© avant la bontĂ© et en la societĂ© du discours, la suffisance, voire sans la preud'hommie, pareillement ailleurs. Tout ainsi que cil qui fut rencontrĂ© Ă chevauchons sur un baton, se jouant avec ses enfans, pria l'homme qui l'y surprint, de n'en rien dire, jusques Ă ce qu'il fust pere luy-mesme, estimant que la passion quiluy naistroit lors en l'ame, le rendroit juge equitable d'une telle action. Je souhaiterois aussi parler Ă des gens qui eussent essayĂ© ce que je dis mais sçachant combien c'est chose esloignee du commun usage qu'une telle amitiĂ©, et combien elle est rare, je ne m'attens pas d'en trouver aucun bon juge. Car les discours mesmes que l'antiquitĂ© nous a laissĂ© sur ce subject, me semblent lasches au prix du sentiment que j'en ay Et en ce poinct les effects surpassent les preceptes mesmes de la philosophie. Nil ego contulerim jucundo sanus amico. L'ancien Menander disoit celuy-lĂ heureux, qui avoit peu rencontrer seulement l'ombre d'un amy il avoit certes raison de le dire, mesmes s'il en avoit tastĂ© Car Ă la veritĂ© si je compare tout le reste de ma vie, quoy qu'avec la grace de Dieu je l'aye passee douce, aisee, et sauf la perte d'un tel amy, exempte d'affliction poisante, pleine de tranquillitĂ© d'esprit, ayant prins en payement mes commoditez naturelles et originelles, sans en rechercher d'autres si je la compare, dis-je, toute, aux quatre annees, qu'il m'a estĂ© donnĂ© de jouyr de la douce compagnie et societĂ© de ce personnage, ce n'est que fumee, ce n'est qu'une nuict obscure et ennuyeuse. Depuis le jour que je le perdy, quem semper acerbum, Semper honoratum sic Dii voluistis habebo, je ne fay que trainer languissant et les plaisirs mesmes qui s'offrent Ă moy, au lieu de me consoler, me redoublent le regret de sa perte. Nous estions Ă moitiĂ© de tout il me semble que je luy desrobe sa part, Nec fas esse ulla me voluptate hic frui Decrevi, tantisper dum ille abest meus particeps. J'estois desja si faict et accoustumĂ© Ă estre deuxiesme par tout, qu'il me semble n'estre plus qu'Ă demy. Illam meĂŠ si partem animĂŠ tulit Maturior vis, quid moror altera, Nec charus ĂŠque nec superstes Integer ? Ille dies utramque Duxit ruinam. Il n'est action ou imagination, oĂÂč je ne le trouve Ă dire, comme si eust-il bien faict Ă moy car de mesme qu'il me surpassoit d'une distance infinie en toute autre suffisance et vertu, aussi faisoit-il au devoir de l'amitiĂ©. Quis desiderio sit pudor aut modus Tam chari capitis ? O misero frater adempte mihi ! Omnia tecum unĂ perierunt gaudia nostra, QuĂŠ tuus in vita dulcis alebat amor. Tu mea, tu moriens fregisti commoda frater, Tecum una tota est nostra sepulta anima, Cujus ego interitu tota de mente fugavi HĂŠc studia, atque omnes delicias animi. Alloquar ? audiero nunquam tua verba loquentem ? Nunquam ego te vita frater amabilior, Aspiciam posthac ? at certĂš semper amabo. Mais oyons un peu parler ce garson de seize ans. Parce que j'ay trouvĂ© que cet ouvrage a estĂ© depuis mis en lumiere, et Ă mauvaise fin, par ceux qui cherchent Ă troubler et changer l'estat de nostre police, sans se soucier s'ils l'amenderont, qu'ils ont meslĂ© Ă d'autres escrits de leur farine, je me suis dĂ©dit de le loger icy. Et affin que la memoire de l'autheur n'en soit interessee en l'endroit de ceux qui n'ont peu cognoistre de pres ses opinions et ses actions je les advise que ce subject fut traictĂ© par luy en son enfance, par maniere d'exercitation seulement, comme subject vulgaire et tracassĂ© en mil endroits des livres. Je ne fay nul doubte qu'il ne creust ce qu'il escrivoit car il estoit assez conscientieux, pour ne mentir pas mesmes en se jouant et sçay d'avantage que s'il eust eu Ă choisir, il eust mieux aymĂ© estre nay Ă Venise qu'Ă Sarlac ; et avec raison Mais il avoit un'autre maxime souverainement empreinte en son ame, d'obeyr et de se soubmettre tres-religieusement aux loix, sous lesquelles il estoit nay. Il ne fut jamais un meilleur citoyen, ny plus affectionnĂ© au repos de son paĂÂŻs, ny plus ennemy des remuĂments et nouvelletez de son temps il eust bien plustost employĂ© sa suffisance Ă les esteindre, qu'Ă leur fournir dequoy les Ă©mouvoir d'avantage il avoit son esprit moulĂ© au patron d'autres siecles que ceux-cy. Or en eschange de cest ouvrage serieux j'en substitueray un autre, produit en cette mesme saison de son aage, plus gaillard et plus enjouĂ©. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXVIII Vingt et neuf sonnets d'Estienne de la BoĂtie A Madame de Grammont Contesse de Guissen. MADAME, je ne vous offre rien du mien, ou par ce qu'il est desja vostre, ou pour ce que je n'y trouve rien digne de vous. Mais j'ay voulu que ces vers en quelque lieu qu'ils se vissent, portassent vostre nom en teste, pour l'honneur que ce leur sera d'avoir pour guide cette grande Corisande d'Andoins. Ce present m'a semblĂ© vous estre propre, d'autant qu'il est peu de dames en France, qui jugent mieux, et se servent plus Ă propos que vous, de la poĂsie et puis qu'il n'en est point qui la puissent rendre vive et animee, comme vous faites par ces beaux et riches accords, dequoy parmy un milion d'autres beautez, nature vous a estrenee Madame ces vers meritent que vous les cherissiez car vous serez de mon advis, qu'il n'en est point sorty de Gascongne, qui eussent plus d'invention et de gentillesse, et qui tesmoignent estre sortis d'une plus riche main. Et n'entrez pas en jalousie, dequoy vous n'avez que le reste de ce que pieça j'en ay faict imprimer sous le nom de monsieur de Foix, vostre bon parent car certes ceux-cy ont je ne sçay quoy de plus vif et de plus bouillant comme il les fit en sa plus verte jeunesse, et eschauffĂ© d'une belle et noble ardeur que je vous diray, Madame, un jour Ă l'oreille. Les autres furent faits depuis, comme il estoit Ă la poursuitte de son mariage, en faveur de sa femme, et sentant desja je ne sçay quelle froideur maritale. Et moy je suis de ceux qui tiennent, que la poĂsie ne rid point ailleurs, comme elle faict en un subject folatre et desreglĂ©. Ces vingt neuf sonnetz d'Estienne de la BoĂtie qui estoient mis en ce lieu ont estĂ© despuis imprimez avec ses oeuvres. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXIX De la Moderation COMME si nous avions l'attouchement infect, nous corrompons par nostre maniement les choses qui d'elles mesmes sont belles et bonnes. Nous pouvons saisir la vertu, de façon qu'elle en deviendra vicieuse si nous l'embrassons d'un desir trop aspre et violant. Ceux qui disent qu'il n'y a jamais d'exces en la vertu, d'autant que ce n'est plus vertu, si l'exces y est, se jouent des paroles. Insani sapiens nomen ferat, ĂŠquis iniqui, Ultra quam satis est, virtutem si petat ipsam. C'est une subtile consideration de la philosophie. On peut et trop aymer la vertu, et se porter excessivement en une action juste. A ce biaiz s'accommode la voix divine, Ne soyez pas plus sages qu'il ne faut, mais soyez sobrement sages. J'ay veu tel grand, blesser la reputation de sa religion, pour se montrer religieux outre tout exemple des hommes de sa sorte. J'ayme des natures temperees et moyennes. L'immoderation vers le bien mesme, si elle ne m'offense, elle m'estonne, et me met en peine de la baptizer. Ny la mere de Pausanias, qui donna la premiere instruction, et porta la premiere pierre Ă la mort de son fils Ny le dictateur Posthumius, qui feit mourir le sien, que l'ardeur de jeunesse avoit heureusement poussĂ© sur les ennemis, un peu avant son reng, ne me semble si juste, comme estrange. Et n'ayme ny Ă conseiller, ny Ă suivre une vertu si sauvage et si chere. L'archer qui outrepasse le blanc, faut comme celuy, qui n'y arrive pas. Et les yeux me troublent Ă monter Ă coup, vers une grande lumiere Ă©galement comme Ă devaller Ă l'ombre. Calliclez en Platon dit, l'extremitĂ© de la philosophie estre dommageable et conseille de ne s'y enfoncer outre les bornes du profit Que prinse avec moderation, elle est plaisante et commode mais qu'en fin elle rend un homme sauvage et vicieux desdaigneux des religions, et loix communes ennemy de la conversation civile ennemy des voluptez humaines incapable de toute administration politique, et de secourir autruy, et de se secourir soy-mesme propre Ă estre impunement soufflettĂ©. Il dit vray car en son exces, elle esclave nostre naturelle franchise et nous desvoye par une importune subtilitĂ©, du beau et plain chemin, que nature nous trace. L'amitiĂ© que nous portons Ă nos femmes, elle est tres-legitime la Theologie ne laisse pas de la brider pourtant, et de la restraindre. Il me semble avoir leu autresfois chez S. Thomas, en un endroit oĂÂč il condamne les mariages des parans Ă©s degrez deffendus, cette raison parmy les autres Qu'il y a danger que l'amitiĂ© qu'on porte Ă une telle femme soit immoderĂ©e car si l'affection maritale s'y trouve entiere et parfaicte, comme elle doit ; et qu'on la surcharge encore de celle qu'on doit Ă la parentele, il n'y a point de doubte, que ce surcroist n'emporte un tel mary hors les barrieres de la raison. Les sciences qui reglent les moeurs des hommes, comme la Theologie et la Philosophie, elles se meslent de tout. Il n'est action si privĂ©e et secrette, qui se desrobbe de leur cognoissance et jurisdiction. Bien apprentis sont ceux qui syndiquent leur libertĂ©. Ce sont les femmes qui communiquent tant qu'on veut leurs pieces Ă garçonner Ă medeciner, la honte le deffend. Je veux donc de leur part apprendre cecy aux maris, s'il s'en trouve encore qui y soient trop acharnez c'est que les plaisirs mesmes qu'ils ont Ă l'accointance de leurs femmes, sont reprouvez, si la moderation n'y est observĂ©e et qu'il y a dequoy faillir en licence et desbordement en ce subject lĂ , comme en un subject illegitime. Ces encheriments deshontez, que la chaleur premiere nous suggere en ce jeu, sont non indecemment seulement, mais dommageablement employez envers noz femmes. Qu'elles apprennent l'impudence au moins d'une autre main. Elles sont tousjours assĂ©s esveillĂ©es pour nostre besoing. Je ne m'y suis servy que de l'instruction naturelle et simple. C'est une religieuse liaison et devote que le mariage voyla pourquoy le plaisir qu'on en tire, ce doit estre un plaisir retenu, serieux et meslĂ© Ă quelque severitĂ© ce doit estre une voluptĂ© aucunement prudente et conscientieuse. Et par ce que sa principale fin c'est la generation, il y en a qui mettent en doubte, si lors que nous sommes sans l'esperance de ce fruict, comme quand elles sont hors d'aage, ou enceintes, il est permis d'en rechercher l'embrassement. C'est un homicide Ă la mode de Platon. Certaines nations et entre autres la Mahumetane abominent la conjonction avec les femmes enceintes. Plusieurs aussi avec celles qui ont leurs flueurs. Zenobia ne recevoit son mary que pour une charge ; et cela fait elle le laissoit courir tout le temps de sa conception, luy donnant lors seulement loy de recommencer brave et genereux exemple de mariage. C'est de quelque poĂte disetteux et affamĂ© de ce deduit, que Platon emprunta cette narration Que Juppiter fit Ă sa femme une si chaleureuse charge un jour ; que ne pouvant avoir patience qu'elle eust gaignĂ© son lict, il la versa sur le plancher et par la vehemence du plaisir, oublia les resolutions grandes et importantes, qu'il venoit de prendre avec les autres dieux en sa cour celeste se ventant qu'il l'avoit trouvĂ© aussi bon ce coup lĂ , que lors que premierement il la depucella Ă cachette de leurs parents. Les Roys de Perse appelloient leurs femmes Ă la compagnie de leurs festins, mais quand le vin venoit Ă les eschauffer en bon escient, et qu'il falloit tout Ă fait, lascher la bride Ă la voluptĂ©, ils les r'envoioient en leur privĂ© ; pour ne les faire participantes de leurs appetits immoderez ; et faisoient venir en leur lieu, des femmes, ausquelles ils n'eussent point cette obligation de respect. Tous plaisirs et toutes gratifications ne sont pas bien logĂ©es en toutes gens Epaminondas avoit fait emprisonner un garçon desbauchĂ© ; Pelopidas le pria de le mettre en libertĂ© en sa faveur, il l'en refusa, et l'accorda Ă une sienne garse, qui aussi l'en pria disant, que c'estoit une gratification deuĂ Ă une amie, non Ă un capitaine. Sophocles estant compagnon en la Preture avec Pericles, voyant de cas de fortune passer un beau garçon O le beau garçon que voyla ! feit-il Ă Pericles. Cela seroit bon Ă un autre qu'Ă un Preteur, luy dit Pericles ; qui doit avoir non les mains seulement, mais aussi les yeux chastes. Ăâ lius Verus l'Empereur respondit Ă sa femme comme elle se plaignoit, dequoy il se laissoit aller Ă l'amour d'autres femmes ; qu'il le faisoit par occasion conscientieuse, d'autant que le mariage estoit un nom d'honneur et dignitĂ©, non de folastre et lascive concupiscence. Et nostre histoire Ecclesiastique a conservĂ© avec honneur la memoire de cette femme, qui repudia son mary, pour ne vouloir seconder et soustenir ses attouchemens trop insolens et desbordez. Il n'est en somme aucune si juste voluptĂ©, en laquelle l'excez et l'intemperance ne nous soit reprochable. Mais Ă parler en bon escient, est-ce pas un miserable animal que l'homme ? A peine est-il en son pouvoir par sa condition naturelle, de gouster un seul plaisir entier et pur, encore se met-il en peine de le retrancher par discours il n'est pas assez chetif, si par art et par estude il n'augmente sa misere, FortunĂŠ miseras auximus arte vias. La sagesse humaine faict bien sottement l'ingenieuse, de s'exercer Ă rabattre le nombre et la douceur des voluptez, qui nous appartiennent comme elle faict favorablement et industrieusement, d'employer ses artifices Ă nous peigner et farder les maux, et en alleger le sentiment. Si j'eusse estĂ© chef de part, j'eusse prins autre voye plus naturelle qui est Ă dire, vraye, commode et saincte et me fusse peut estre rendu assez fort pour la borner. Quoy que noz medecins spirituels et corporels, comme par complot faict entre eux, ne trouvent aucune voye Ă la guerison, ny remede aux maladies du corps et de l'ame, que par le tourment, la douleur et la peine. Les veilles, les jeusnes, les haires, les exils lointains et solitaires, les prisons perpetuelles, les verges et autres afflictions, ont estĂ© introduites pour cela Mais en telle condition, que ce soyent veritablement afflictions, et qu'il y ait de l'aigreur poignante Et qu'il n'en advienne point comme Ă un Gallio, lequel ayant estĂ© envoyĂ© en exil en l'isle de Lesbos, on fut adverty Ă Rome qu'il s'y donnoit du bon temps, et que ce qu'on luy avoit enjoint pour peine, luy tournoit Ă commoditĂ© Parquoy ils se raviserent de le r'appeller pres de sa femme, et en sa maison ; et luy ordonnerent de s'y tenir, pour accommoder leur punition Ă son ressentiment. Car Ă qui le jeusne aiguiseroit la santĂ© et l'allegresse, Ă qui le poisson seroit plus appetissant que la chair, ce ne seroit plus recepte salutaire non plus qu'en l'autre medecine, les drogues n'ont point d'effect Ă l'endroit de celuy qui les prent avec appetit et plaisir. L'amertume et la difficultĂ© sont circonstances servants Ă leur operation. Le naturel qui accepteroit la rubarbe comme familiere, en corromproit l'usage il faut que ce soit chose qui blesse nostre estomac pour le guerir et icy faut la regle commune, que les choses se guerissent par leurs contraires car le mal y guerit le mal. Cette impression se rapporte aucunement Ă cette autre si ancienne, de penser gratifier au Ciel et Ă la nature par nostre massacre et homicide, qui fut universellement embrassĂ©e en toutes religions. Encore du temps de noz peres, Amurat en la prinse de l'Isthme, immola six cens jeunes hommes Grecs Ă l'ame de son pere afin que ce sang servist de propitiation Ă l'expiation des pechez du trespassĂ©. Et en ces nouvelles terres descouvertes en nostre aage, pures encore et vierges au prix des nostres, l'usage en est aucunement receu par tout. Toutes leurs Idoles s'abreuvent de sang humain, non sans divers exemples d'horrible cruautĂ©. On les brule vifs, et demy rostis on les retire du brasier, pour leur arracher le coeur et les entrailles. A d'autres, voire aux femmes, on les escorche vifves, et de leur peau ainsi sanglante en revest on et masque d'autres. Et non moins d'exemples de constance et resolution. Car ces pauvres gens sacrifiables, vieillars, femmes, enfans, vont quelques jours avant, questans eux mesmes les aumosnes pour l'offrande de leur sacrifice, et se presentent Ă la boucherie chantans et dançans avec les assistans. Les ambassadeurs du Roy de Mexico, faisans entendre Ă Fernand Cortez la grandeur de leur maistre ; apres luy avoir dict, qu'il avoit trente vassaux, desquels chacun pouvoit assembler cent mille combatans, et qu'il se tenoit en la plus belle et forte ville qui fust soubs le Ciel, luy adjousterent, qu'il avoit Ă sacrifier aux Dieux cinquante mille hommes par an. De vray, ils disent qu'il nourrissoit la guerre avec certains grands peuples voisins, non seulement pour l'exercice de la jeunesse du paĂÂŻs, mais principallement pour avoir dequoy fournir Ă ses sacrifices, par des prisonniers de guerre. Ailleurs, en certain bourg, pour la bien-venue dudit Cortez, ils sacrifierent cinquante hommes tout Ă la fois. Je diray encore ce compte Aucuns de ces peuples ayants estĂ© battuz par luy, envoyerent le recognoistre et rechercher d'amitiĂ© les messagers luy presenterent trois sortes de presens, en cette maniere Seigneur voyla cinq esclaves si tu Ă©s un Dieu fier, qui te paisses de chair et de sang, mange les, et nous t'en amerrons d'avantage si tu Ă©s un Dieu debonnaire, voyla de l'encens et des plumes si tu Ă©s homme, prens les oiseaux et les fruicts que voicy. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXX Des Cannibales QUAND le Roy Pyrrhus passa en Italie, apres qu'il eut recongneu l'ordonnance de l'armĂ©e que les Romains luy envoyoient au devant ; Je ne sçay, dit-il, quels barbares sont ceux-cy car les Grecs appelloyent ainsi toutes les nations estrangeres mais la disposition de cette armĂ©e que je voy, n'est aucunement barbare. Autant en dirent les Grecs de celle que Flaminius fit passer en leur paĂÂŻs et Philippus voyant d'un tertre, l'ordre et distribution du camp Romain, en son Royaume, sous Publius Sulpicius Galba. Voila comment il se faut garder de s'attacher aux opinions vulgaires, et les faut juger par la voye de la raison, non par la voix commune. J'ay eu long temps avec moy un homme qui avoit demeurĂ© dix ou douze ans en cet autre monde, qui a estĂ© descouvert en nostre siecle, en l'endroit ou Vilegaignon print terre, qu'il surnomma la France Antartique. Cette descouverte d'un paĂÂŻs infiny, semble de grande consideration. Je ne sçay si je me puis respondre, qu'il ne s'en face Ă l'advenir quelqu'autre, tant de personnages plus grands que nous ayans estĂ© trompez en cette-cy. J'ay peur que nous ayons les yeux plus grands que le ventre, et plus de curiositĂ©, que nous n'avons de capacitĂ© Nous embrassons tout, mais nous n'estreignons que du vent. Platon introduit Solon racontant avoir appris des Prestres de la ville de SaĂÂŻs en Ăâ gypte, que jadis et avant le deluge, il y avoit une grande Isle nommĂ©e Atlantide, droict Ă la bouche du destroit de Gibaltar, qui tenoit plus de paĂÂŻs que l'Afrique et l'Asie toutes deux ensemble et que les Roys de cette contrĂ©e lĂ , qui ne possedoient pas seulement cette Isle, mais s'estoyent estendus dans la terre ferme si avant, qu'ils tenoyent de la largeur d'Afrique, jusques en Ăâ gypte, et de la longueur de l'Europe, jusques en la Toscane, entreprindrent d'enjamber jusques sur l'Asie, et subjuguer toutes les nations qui bordent la mer MediterranĂ©e, jusques au golfe de la mer Majour et pour cet effect, traverserent les Espaignes, la Gaule, l'Italie jusques en la Grece, oĂÂč les Atheniens les soustindrent mais que quelque temps apres, et les Atheniens et eux et leur Isle furent engloutis par le deluge. Il est bien vray-semblable, que cet extreme ravage d'eau ait faict des changemens estranges aux habitations de la terre comme on tient que la mer a retranchĂ© la Sicile d'avec l'Italie HĂŠc loca vi quondam, et vasta convulsa ruina, Dissiluisse ferunt, cĂÂčm protinus utraque tellus Una foret. Chypre d'avec la Surie ; l'Isle de Negrepont, de la terre ferme de la Boeoce et joint ailleurs les terres qui estoient divisĂ©es, comblant de limon et de sable les fosses d'entre-deux. sterilisque diu palus aptaque remis Vicinas urbe alit, et grave sentit aratrum. Mais il n'y a pas grande apparence, que cette Isle soit ce monde nouveau, que nous venons de descouvrir car elle touchoit quasi l'Espaigne, et ce seroit un effect incroyable d'inundation, de l'en avoir reculĂ©e comme elle est, de plus de douze cens lieuĂs Outre ce que les navigations des modernes ont des-ja presque descouvert, que ce n'est point une isle, ains terre ferme, et continente avec l'Inde Orientale d'un costĂ©, et avec les terres, qui sont soubs les deux poles d'autre part ou si elle en est separĂ©e, que c'est d'un si petit destroit et intervalle, qu'elle ne merite pas d'estre nommĂ©e Isle, pour cela. Il semble qu'il y aye des mouvemens naturels les uns, les autres fievreux en ces grands corps, comme aux nostres. Quand je considere l'impression que ma riviere de Dordoigne faict de mon temps, vers la rive droicte de sa descente ; et qu'en vingt ans elle a tant gaignĂ©, et desrobĂ© le fondement Ă plusieurs bastimens, je vois bien que c'est une agitation extraordinaire car si elle fust tousjours allĂ©e ce train, ou deust aller Ă l'advenir, la figure du monde seroit renversĂ©e Mais il leur prend des changements Tantost elles s'espandent d'un costĂ©, tantost d'un autre, tantost elles se contiennent. Je ne parle pas des soudaines inondations dequoy nous manions les causes. En Medoc, le long de la mer, mon frere Sieur d'Arsac, voit une sienne terre, ensevelie soubs les sables, que la mer vomit devant elle le feste d'aucuns bastimens paroist encore ses rentes et domaines se sont eschangez en pasquages bien maigres. Les habitans disent que depuis quelque temps, la mer se pousse si fort vers eux, qu'ils ont perdu quatre lieuĂs de terre Ces sables sont ses fourriers. Et voyons de grandes montjoies d'arenes mouvantes, qui marchent une demie lieuĂ devant elle, et gaignent paĂÂŻs. L'autre tesmoignage de l'antiquitĂ©, auquel on veut rapporter cette descouverte, est dans Aristote, au moins si ce petit livret Des merveilles inouyes est Ă luy. Il raconte lĂ , que certains Carthaginois s'estants jettez au travers de la mer Atlantique, hors le destroit de Gibaltar, et navigĂ© long temps, avoient descouvert en fin une grande isle fertile, toute revestuĂ de bois, et arrousĂ©e de grandes et profondes rivieres, fort esloignĂ©e de toutes terres fermes et qu'eux, et autres depuis, attirez par la bontĂ© et fertilitĂ© du terroir, s'y en allerent avec leurs femmes et enfans, et commencerent Ă s'y habituer. Les Seigneurs de Carthage, voyans que leur pays se dĂ©peuploit peu Ă peu, firent deffence expresse sur peine de mort, que nul n'eust plus Ă aller lĂ , et en chasserent ces nouveaux habitans, craignants, Ă ce qu'on dit, que par succession de temps ils ne vinsent Ă multiplier tellement qu'ils les supplantassent eux mesmes, et ruinassent leur estat. Cette narration d'Aristote n'a non plus d'accord avec nos terres neufves. Cet homme que j'avoy, estoit homme simple et grossier, qui est une condition propre Ă rendre veritable tesmoignage Car les fines gens remarquent bien plus curieusement, et plus de choses, mais ils les glosent et pour faire valoir leur interpretation, et la persuader, ils ne se peuvent garder d'alterer un peu l'Histoire Ils ne vous representent jamais les choses pures ; ils les inclinent et masquent selon le visage qu'ils leur ont veu et pour donner credit Ă leur jugement, et vous y attirer, prestent volontiers de ce costĂ© lĂ Ă la matiere, l'allongent et l'amplifient. Ou il faut un homme tres-fidelle, ou si simple, qu'il n'ait pas dequoy bastir et donner de la vray-semblance Ă des inventions fauces ; et qui n'ait rien espousĂ©. Le mien estoit tel et outre cela il m'a faict voir Ă diverses fois plusieurs mattelots et marchans, qu'il avoit cogneuz en ce voyage. Ainsi je me contente de cette information, sans m'enquerir de ce que les Cosmographes en disent. Il nous faudroit des topographes, qui nous fissent narration particuliere des endroits oĂÂč ils ont estĂ©. Mais pour avoir cet avantage sur nous, d'avoir veu la Palestine, ils veulent jouĂÂŻr du privilege de nous conter nouvelles de tout le demeurant du monde. Je voudroye que chacun escrivist ce qu'il sçait, et autant qu'il en sçait non en cela seulement, mais en tous autres subjects Car tel peut avoir quelque particuliere science ou experience de la nature d'une riviere, ou d'une fontaine, qui ne sçait au reste, que ce que chacun sçait Il entreprendra toutesfois, pour faire courir ce petit loppin, d'escrire toute la Physique. De ce vice sourdent plusieurs grandes incommoditez. Or je trouve, pour revenir Ă mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette nation, Ă ce qu'on m'en a rapportĂ© sinon que chacun appelle barbarie, ce qui n'est pas de son usage. Comme de vray nous n'avons autre mire de la veritĂ©, et de la raison, que l'exemple et idĂ©e des opinions et usances du paĂÂŻs oĂÂč nous sommes. LĂ est tousjours la parfaicte religion, la parfaicte police, parfaict et accomply usage de toutes choses. Ils sont sauvages de mesmes, que nous appellons sauvages les fruicts, que nature de soy et de son progrez ordinaire a produicts lĂ oĂÂč Ă la veritĂ© ce sont ceux que nous avons alterez par nostre artifice, et destournez de l'ordre commun, que nous devrions appeller plustost sauvages. En ceux lĂ sont vives et vigoureuses, les vrayes, et plus utiles et naturelles, vertus et proprietez ; lesquelles nous avons abbastardies en ceux-cy, les accommodant au plaisir de nostre goust corrompu. Et si pourtant la saveur mesme et delicatesse se trouve Ă nostre goust mesme excellente Ă l'envi des nostres, en divers fruits de ces contrĂ©es lĂ , sans culture ce n'est pas raison que l'art gaigne le poinct d'honneur sur nostre grande et puissante mere nature. Nous avons tant rechargĂ© la beautĂ© et richesse de ses ouvrages par noz inventions, que nous l'avons du tout estouffĂ©e. Si est-ce que par tout oĂÂč sa puretĂ© reluit, elle fait une merveilleuse honte Ă noz vaines et frivoles entreprinses. Et veniunt hederĂŠ sponte sua melius, Surgit et in solis formosior arbutus antris, Et volucres nulla dulcius arte canunt. Tous nos efforts ne peuvent seulement arriver Ă representer le nid du moindre oyselet, sa contexture, sa beautĂ©, et l'utilitĂ© de son usage non pas la tissure de la chetive araignĂ©e. Toutes choses, dit Platon, sont produites ou par la nature, ou par la fortune, ou par l'art. Les plus grandes et plus belles par l'une ou l'autre des deux premieres les moindres et imparfaictes par la derniere. Ces nations me semblent donc ainsi barbares, pour avoir receu fort peu de façon de l'esprit humain, et estre encore fort voisines de leur naifvetĂ© originelle. Les loix naturelles leur commandent encores, fort peu abbastardies par les nostres Mais c'est en telle puretĂ©, qu'il me prend quelque fois desplaisir, dequoy la cognoissance n'en soit venuĂ plustost, du temps qu'il y avoit des hommes qui en eussent sçeu mieux juger que nous. Il me desplaist que Lycurgus et Platon ne l'ayent euĂ car il me semble que ce que nous voyons par experience en ces nations lĂ , surpasse non seulement toutes les peintures dequoy la poĂsie a embelly l'aage dorĂ©, et toutes ses inventions Ă feindre une heureuse condition d'hommes mais encore la conception et le desir mesme de la philosophie. Ils n'ont peu imaginer une naifvetĂ© si pure et simple, comme nous la voyons par experience ny n'ont peu croire que nostre societĂ© se peust maintenir avec si peu d'artifice, et de soudeure humaine. C'est une nation, diroy-je Ă Platon, en laquelle il n'y a aucune espece de trafique ; nulle cognoissance de lettres ; nulle science de nombres ; nul nom de magistrat, ny de superioritĂ© politique ; nul usage de service, de richesse, ou de pauvretĂ© ; nuls contrats ; nulles successions ; nuls partages ; nulles occupations, qu'oysives ; nul respect de parentĂ©, que commun ; nuls vestemens ; nulle agriculture ; nul metal ; nul usage de vin ou de bled. Les paroles mesmes, qui signifient la mensonge, la trahison, la dissimulation, l'avarice, l'envie, la detraction, le pardon, inouyes. Combien trouveroit il la republique qu'il a imaginĂ©e, esloignĂ©e de cette perfection ? Hos natura modos primĂÂčm dedit. Au demeurant, ils vivent en une contrĂ©e de paĂÂŻs tres-plaisante, et bien temperĂ©e de façon qu'Ă ce que m'ont dit mes tesmoings, il est rare d'y voir un homme malade et m'ont asseurĂ©, n'en y avoir veu aucun tremblant, chassieux, edentĂ©, ou courbĂ© de vieillesse. Ils sont assis le long de la mer, et fermez du costĂ© de la terre, de grandes et hautes montaignes, ayans entre-deux, cent lieuĂs ou environ d'estendue en large. Ils ont grande abondance de poisson et de chairs, qui n'ont aucune ressemblance aux nostres ; et les mangent sans autre artifice, que de les cuire. Le premier qui y mena un cheval, quoy qu'il les eust pratiquez Ă plusieurs autres voyages, leur fit tant d'horreur en cette assiette, qu'ils le tuerent Ă coups de traict, avant que le pouvoir recognoistre. Leurs bastimens sont fort longs, et capables de deux ou trois cents ames, estoffez d'escorse de grands arbres, tenans Ă terre par un bout, et se soustenans et appuyans l'un contre l'autre par le feste, Ă la mode d'aucunes de noz granges, desquelles la couverture pend jusques Ă terre, et sert de flanq. Ils ont du bois si dur qu'ils en coupent et en font leurs espĂ©es, et des grils Ă cuire leur viande. Leurs licts sont d'un tissu de cotton, suspenduz contre le toict, comme ceux de noz navires, Ă chacun le sien car les femmes couchent Ă part des maris. Ils se levent avec le Soleil, et mangent soudain apres s'estre levez, pour toute la journĂ©e car ils ne font autre repas que celuy-lĂ . Ils ne boivent pas lors, comme Suidas dit, de quelques autres peuples d'Orient, qui beuvoient hors du manger ils boivent Ă plusieurs fois sur jour, et d'autant. Leur breuvage est faict de quelque racine, et est de la couleur de noz vins clairets. Ils ne le boivent que tiede Ce breuvage ne se conserve que deux ou trois jours il a le goust un peu picquant, nullement fumeux, salutaire Ă l'estomach, et laxatif Ă ceux qui ne l'ont accoustumĂ© c'est une boisson tres-aggreable Ă qui y est duit. Au lieu du pain ils usent d'une certaine matiere blanche, comme du coriandre confit. J'en ay tastĂ©, le goust en est doux et un peu fade. Toute la journĂ©e se passe Ă dancer. Les plus jeunes vont Ă la chasse des bestes, Ă tout des arcs. Une partie des femmes s'amusent cependant Ă chauffer leur breuvage, qui est leur principal office. Il y a quelqu'un des vieillards, qui le matin avant qu'ils se mettent Ă manger, presche en commun toute la grangĂ©e, en se promenant d'un bout Ă autre, et redisant une mesme clause Ă plusieurs fois, jusques Ă ce qu'il ayt achevĂ© le tour car ce sont bastimens qui ont bien cent pas de longueur il ne leur recommande que deux choses, la vaillance contre les ennemis, et l'amitiĂ© Ă leurs femmes. Et ne faillent jamais de remarquer cette obligation, pour leur refrein, que ce sont elles qui leur maintiennent leur boisson tiede et assaisonnĂ©e. Il se void en plusieurs lieux, et entre autres chez moy, la forme de leurs lits, de leurs cordons, de leurs espĂ©es, et brasselets de bois, dequoy ils couvrent leurs poignets aux combats, et des grandes cannes ouvertes par un bout, par le son desquelles ils soustiennent la cadance en leur dance. Ils sont raz par tout, et se font le poil beaucoup plus nettement que nous, sans autre rasouĂr que de bois, ou de pierre. Ils croyent les ames eternelles ; et celles qui ont bien meritĂ© des dieux, estre logĂ©es Ă l'endroit du ciel oĂÂč le Soleil se leve les maudites, du costĂ© de l'Occident. Ils ont je ne sçay quels Prestres et Prophetes, qui se presentent bien rarement au peuple, ayans leur demeure aux montaignes. A leur arrivĂ©e, il se faict une grande feste et assemblĂ©e solennelle de plusieurs villages, chaque grange, comme je l'ay descrite, faict un village, et sont environ Ă une lieuĂ Françoise l'une de l'autre Ce Prophete parle Ă eux en public, les exhortant Ă la vertu et Ă leur devoir mais toute leur science ethique ne contient que ces deux articles de la resolution Ă la guerre, et affection Ă leurs femmes. Cettuy-cy leur prognostique les choses Ă venir, et les evenemens qu'ils doivent esperer de leurs entreprinses les achemine ou destourne de la guerre mais c'est par tel si que oĂÂč il faut Ă bien deviner, et s'il leur advient autrement qu'il ne leur a predit, il est hachĂ© en mille pieces, s'ils l'attrapent, et condamnĂ© pour faux Prophete. A cette cause celuy qui s'est une fois mescontĂ©, on ne le void plus. C'est don de Dieu, que la divination voyla pourquoy ce devroit estre une imposture punissable d'en abuser. Entre les Scythes, quand les devins avoient failly de rencontre, on les couchoit enforgez de pieds et de mains, sur des charriotes pleines de bruyere, tirĂ©es par des boeufs, en quoy on les faisoit brusler. Ceux qui manient les choses subjettes Ă la conduitte de l'humaine suffisance, sont excusables d'y faire ce qu'ils peuvent. Mais ces autres, qui nous viennent pipant des asseurances d'une facultĂ© extraordinaire, qui est hors de nostre cognoissance faut-il pas les punir, de ce qu'ils ne maintiennent l'effect de leur promesse, et de la temeritĂ© de leur imposture ? Ils ont leurs guerres contre les nations, qui sont au delĂ de leurs montagnes, plus avant en la terre ferme, ausquelles ils vont tous nuds, n'ayants autres armes que des arcs ou des espĂ©es de bois, appointĂ©es par un bout, Ă la mode des langues de noz espieuz. C'est chose esmerveillable que de la fermetĂ© de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et effusion de sang car de routes et d'effroy, ils ne sçavent que c'est. Chacun rapporte pour son trophĂ©e la teste de l'ennemy qu'il a tuĂ©, et l'attache Ă l'entrĂ©e de son logis. Apres avoir long temps bien traitĂ© leurs prisonniers, et de toutes les commoditez, dont ils se peuvent adviser, celuy qui en est le maistre, faict une grande assemblĂ©e de ses cognoissans. Il attache une corde Ă l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient, esloignĂ© de quelques pas, de peur d'en estre offencĂ©, et donne au plus cher de ses amis, l'autre bras Ă tenir de mesme ; et eux deux en presence de toute l'assemblĂ©e l'assomment Ă coups d'espĂ©e. Cela faict ils le rostissent, et en mangent en commun, et en envoyent des loppins Ă ceux de leurs amis, qui sont absens. Ce n'est pas comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisoient anciennement les Scythes, c'est pour representer une extreme vengeance. Et qu'il soit ainsi, ayans apperceu que les Portugais, qui s'estoient r'alliez Ă leurs adversaires, usoient d'une autre sorte de mort contre eux, quand ils les prenoient ; qui estoit, de les enterrer jusques Ă la ceinture, et tirer au demeurant du corps force coups de traict, et les pendre apres ils penserent que ces gens icy de l'autre monde comme ceux qui avoient semĂ© la cognoissance de beaucoup de vices parmy leur voisinage, et qui estoient beaucoup plus grands maistres qu'eux en toute sorte de malice ne prenoient pas sans occasion cette sorte de vengeance, et qu'elle devoit estre plus aigre que la leur, dont ils commencerent de quitter leur façon ancienne, pour suivre cette-cy. Je ne suis pas marry que nous remerquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action, mais ouy bien dequoy jugeans Ă point de leurs fautes, nous soyons si aveuglez aux nostres. Je pense qu'il y a plus de barbarie Ă manger un homme vivant, qu'Ă le manger mort, Ă deschirer par tourmens et par gehennes, un corps encore plein de sentiment, le faire rostir par le menu, le faire mordre et meurtrir aux chiens, et aux pourceaux comme nous l'avons non seulement leu, mais veu de fresche memoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et qui pis est, sous pretexte de pietĂ© et de religion que de le rostir et manger apres qu'il est trespassĂ©. Chrysippus et Zenon chefs de la secte Stoicque, ont bien pensĂ© qu'il n'y avoit aucun mal de se servir de nostre charoigne, Ă quoy que ce fust, pour nostre besoin, et d'en tirer de la nourriture comme nos ancestres estans assiegez par CĂŠsar en la ville d'Alexia, se resolurent de soustenir la faim de ce siege par les corps des vieillars, des femmes, et autres personnes inutiles au combat. Vascones, fama est, alimentis talibus usi Produxere animas. Et les medecins ne craignent pas de s'en servir Ă toute sorte d'usage, pour nostre santĂ© ; soit pour l'appliquer au dedans, ou au dehors Mais il ne se trouva jamais aucune opinion si desreglĂ©e, qui excusast la trahison, la desloyautĂ©, la tyrannie, la cruautĂ©, qui sont noz fautes ordinaires. Nous les pouvons donc bien appeller barbares, eu esgard aux regles de la raison, mais non pas eu esgard Ă nous, qui les surpassons en toute sorte de barbarie. Leur guerre est toute noble et genereuse, et a autant d'excuse et de beautĂ© que cette maladie humaine en peut recevoir elle n'a autre fondement parmy eux, que la seule jalousie de la vertu. Ils ne sont pas en debat de la conqueste de nouvelles terres car ils jouyssent encore de cette ubertĂ© naturelle, qui les fournit sans travail et sans peine, de toutes choses necessaires, en telle abondance, qu'ils n'ont que faire d'agrandir leurs limites. Ils sont encore en cet heureux point, de ne desirer qu'autant que leurs necessitez naturelles leur ordonnent tout ce qui est au delĂ , est superflu pour eux. Ils s'entr'appellent generallement ceux de mesme aage freres enfans, ceux qui sont au dessouz ; et les vieillards sont peres Ă tous les autres. Ceux-cy laissent Ă leurs heritiers en commun, cette pleine possession de biens par indivis, sans autre titre, que celuy tout pur, que nature donne Ă ses creatures, les produisant au monde. Si leurs voisins passent les montagnes pour les venir assaillir, et qu'ils emportent la victoire sur eux, l'acquest du victorieux, c'est la gloire, et l'avantage d'estre demeurĂ© maistre en valeur et en vertu car autrement ils n'ont que faire des biens des vaincus, et s'en retournent Ă leurs pays, oĂÂč ils n'ont faute d'aucune chose necessaire ; ny faute encore de cette grande partie, de sçavoir heureusement jouir de leur condition, et s'en contenter. Autant en font ceux-cy Ă leur tour. Ils ne demandent Ă leurs prisonniers, autre rançon que la confession et recognoissance d'estre vaincus Mais il ne s'en trouve pas un en tout un siecle, qui n'ayme mieux la mort, que de relascher, ny par contenance, ny de parole, un seul point d'une grandeur de courage invincible. Il ne s'en void aucun, qui n'ayme mieux estre tuĂ© et mangĂ©, que de requerir seulement de ne l'estre pas. Ils les traictent en toute libertĂ©, afin que la vie leur soit d'autant plus chere et les entretiennent communĂ©ment des menasses de leur mort future, des tourmens qu'ils y auront Ă souffrir, des apprests qu'on dresse pour cet effect, du detranchement de leurs membres, et du festin qui se fera Ă leurs despens. Tout cela se faict pour cette seule fin, d'arracher de leur bouche quelque parole molle ou rabaissĂ©e, ou de leur donner envie de s'en fuyr ; pour gaigner cet avantage de les avoir espouvantez, et d'avoir faict force Ă leur constance. Car aussi Ă le bien prendre, c'est en ce seul point que consiste la vraye victoire victoria nulla est Quam quĂŠ confessos animo quoque subjugat hostes. Les Hongres tres-belliqueux combattants, ne poursuivoient jadis leur pointe outre avoir rendu l'ennemy Ă leur mercy. Car en ayant arrachĂ© cette confession, ils le laissoyent aller sans offense, sans rançon ; sauf pour le plus d'en tirer parole de ne s'armer des lors en avant contre eux. Assez d'avantages gaignons nous sur nos ennemis, qui sont avantages empruntez, non pas nostres C'est la qualitĂ© d'un porte-faix, non de la vertu, d'avoir les bras et les jambes plus roides c'est une qualitĂ© morte et corporelle, que la disposition c'est un coup de la fortune, de faire broncher nostre ennemy, et de luy esblouyr les yeux par la lumiere du Soleil c'est un tour d'art et de science, et qui peut tomber en une personne lasche et de neant, d'estre suffisant Ă l'escrime. L'estimation et le prix d'un homme consiste au coeur et en la volontĂ© c'est lĂ ou gist son vray honneur la vaillance c'est la fermetĂ©, non pas des jambes et des bras, mais du courage et de l'ame elle ne consiste pas en la valeur de nostre cheval, ny de noz armes, mais en la nostre. Celuy qui tombe obstinĂ© en son courage, si succiderit, de genu pugnat. Qui pour quelque danger de la mort voisine, ne relasche aucun point de son asseurance, qui regarde encores en rendant l'ame, son ennemy d'une veuĂ ferme et desdaigneuse, il est battu, non pas de nous, mais de la fortune il est tuĂ©, non pas vaincu les plus vaillans sont par fois les plus infortunez. Aussi y a-il des pertes triomphantes Ă l'envi des victoires. Ny ces quatre victoires soeurs, les plus belles que le Soleil aye onques veu de ses yeux, de Salamine, de PlatĂ©es, de Mycale, de Sicile, n'oserent onques opposer toute leur gloire ensemble, Ă la gloire de la desconfiture du Roy Leonidas et des siens au pas de Thermopyles. Qui courut jamais d'une plus glorieuse envie, et plus ambitieuse au gain du combat, que le capitaine Ischolas Ă la perte ? Qui plus ingenieusement et curieusement s'est asseurĂ© de son salut, que luy de sa ruine ? Il estoit commis Ă deffendre certain passage du Peloponnese, contre les Arcadiens ; pour quoy faire, se trouvant du tout incapable, veu la nature du lieu, et inegalitĂ© des forces et se resolvant que tout ce qui se presenteroit aux ennemis, auroit de necessitĂ© Ă y demeurer D'autre part, estimant indigne et de sa propre vertu et magnanimitĂ©, et du non Lacedemonien, de faillir Ă sa charge il print entre ces deux extremitĂ©s, un moyen party, de telle sorte Les plus jeunes et dispos de sa troupe, il les conserva Ă la tuition et service de leur paĂÂŻs, et les y renvoya et avec ceux desquels le defaut estoit moindre, il delibera de soustenir ce pas et par leur mort en faire achetter aux ennemis l'entrĂ©e la plus chere, qu'il luy seroit possible comme il advint. Car estant tantost environnĂ© de toutes parts par les Arcadiens apres en avoir faict une grande boucherie, luy et les siens furent touts mis au fil de l'espĂ©e. Est-il quelque trophĂ©e assignĂ© pour les veincueurs, qui ne soit mieux deu Ă ces veincus ? Le vray veincre a pour son roolle l'estour, non pas le salut et consiste l'honneur de la vertu, Ă combattre, non Ă battre. Pour revenir Ă nostre histoire, il s'en faut tant que ces prisonniers se rendent, pour tout ce qu'on leur fait, qu'au rebours pendant ces deux ou trois mois qu'on les garde, ils portent une contenance gaye, ils pressent leurs maistres de se haster de les mettre en cette espreuve, ils les deffient, les injurient, leur reprochent leur laschetĂ©, et le nombre des battailles perduĂs contre les leurs. J'ay une chanson faicte par un prisonnier, oĂÂč il y a ce traict Qu'ils viennent hardiment trĂ©tous, et s'assemblent pour disner de luy, car ils mangeront quant et quant leurs peres et leurs ayeulx, qui ont servy d'aliment et de nourriture Ă son corps ces muscles, dit-il, cette chair et ces veines, ce sont les vostres, pauvres fols que vous estes vous ne recognoissez pas que la substance des membres de vos ancestres s'y tient encore savourez les bien, vous y trouverez le goust de vostre propre chair invention, qui ne sent aucunement la barbarie. Ceux qui les peignent mourans, et qui representent cette action quand on les assomme, ils peignent le prisonnier, crachant au visage de ceux qui le tuent, et leur faisant la mouĂ. De vray ils ne cessent jusques au dernier souspir, de les braver et deffier de parole et de contenance. Sans mentir, au prix de nous, voila des hommes bien sauvages car ou il faut qu'ils le soyent bien Ă bon escient, ou que nous le soyons il y a une merveilleuse distance entre leur forme et la nostre. Les hommes y ont plusieurs femmes, et en ont d'autant plus grand nombre, qu'ils sont en meilleure reputation de vaillance C'est une beautĂ© remarquable en leurs mariages, que la mesme jalousie que nos femmes ont pour nous empescher de l'amitiĂ© et bienvueillance d'autres femmes, les leurs l'ont toute pareille pour la leur acquerir. Estans plus soigneuses de l'honneur de leurs maris, que de toute autre chose, elles cherchent et mettent leur solicitude Ă avoir le plus de compagnes qu'elles peuvent, d'autant que c'est un tesmoignage de la vertu du mary. Les nostres crieront au miracle ce ne l'est pas. C'est une vertu proprement matrimoniale mais du plus haut estage. Et en la Bible, Lea, Rachel, Sara et les femmes de Jacob fournirent leurs belles servantes Ă leurs maris, et Livia seconda les appetits d'Auguste, Ă son interest et la femme du Roy Dejotarus Stratonique, presta non seulement Ă l'usage de son mary, une fort belle jeune fille de chambre, qui la servoit, mais en nourrit soigneusement les enfants et leur feit espaule Ă succeder aux estats de leur pere. Et afin qu'on ne pense point que tout cecy se face par une simple et servile obligation Ă leur usance, et par l'impression de l'authoritĂ© de leur ancienne coustume, sans discours et sans jugement, et pour avoir l'ame si stupide, que de ne pouvoir prendre autre party, il faut alleguer quelques traits de leur suffisance. Outre celuy que je vien de reciter de l'une de leurs chansons guerrieres, j'en ay un'autre amoureuse, qui commence en ce sens Ă Couleuvre arreste toy, arreste toy couleuvre, afin que ma soeur tire sur le patron de ta peinture, la façon et l'ouvrage d'un riche cordon, que je puisse donner Ă m'amie ainsi soit en tout temps ta beautĂ© et ta disposition preferĂ©e Ă tous les autres serpens. Ă» Ce premier couplet, c'est le refrein de la chanson. Or j'ay assez de commerce avec la poĂsie pour juger cecy, que non seulement il n'y a rien de barbarie en cette imagination, mais qu'elle est tout Ă faict Anacreontique. Leur langage au demeurant, c'est un langage doux, et qui a le son aggreable, retirant aux terminaisons Grecques. Trois d'entre eux, ignorans combien couttera un jour Ă leur repos, et Ă leur bon heur, la cognoissance des corruptions de deçà , et que de ce commerce naistra leur ruine, comme je presuppose qu'elle soit des-ja avancĂ©e bien miserables de s'estre laissez pipper au desir de la nouvelletĂ©, et avoir quittĂ© la douceur de leur ciel, pour venir voir le nostre furent Ă RoĂÂŒan, du temps que le feu Roy Charles neufiesme y estoit le Roy parla Ă eux long temps, on leur fit voir nostre façon, nostre pompe, la forme d'une belle ville apres cela, quelqu'un en demanda leur advis, et voulut sçavoir d'eux, ce qu'ils y avoient trouvĂ© de plus admirable ils respondirent trois choses, dont j'ay perdu la troisiesme, et en suis bien marry ; mais j'en ay encore deux en memoire. Ils dirent qu'ils trouvoient en premier lieu fort estrange, que tant de grands hommes portans barbe, forts et armez, qui estoient autour du Roy il est vray-semblable qu'ils parloient des Suisses de sa garde se soubmissent Ă obeir Ă un enfant, et qu'on ne choisissoit plustost quelqu'un d'entre eux pour commander Secondement ils ont une façon de leur langage telle qu'ils nomment les hommes, moitiĂ© les uns des autres qu'ils avoyent apperceu qu'il y avoit parmy nous des hommes pleins et gorgez de toutes sortes de commoditez, et que leurs moitiez estoient mendians Ă leurs portes, dĂ©charnez de faim et de pauvretĂ© ; et trouvoient estrange comme ces moitiez icy necessiteuses, pouvoient souffrir une telle injustice, qu'ils ne prinsent les autres Ă la gorge, ou missent le feu Ă leurs maisons. Je parlay Ă l'un d'eux fort long temps, mais j'avois un truchement qui me suivoit si mal, et qui estoit si empeschĂ© Ă recevoir mes imaginations par sa bestise, que je n'en peus tirer rien qui vaille. Sur ce que je luy demanday quel fruit il recevoit de la superioritĂ© qu'il avoit parmy les siens car c'estoit un Capitaine, et noz matelots le nommoient Roy il me dit, que c'estoit, marcher le premier Ă la guerre De combien d'hommes il estoit suivy ; il me montra une espace de lieu, pour signifier que c'estoit autant qu'il en pourroit en une telle espace, ce pouvoit estre quatre ou cinq mille hommes Si hors la guerre toute son authoritĂ© estoit expirĂ©e ; il dit qu'il luy en restoit cela, que quand il visitoit les villages qui dĂ©pendoient de luy, on luy dressoit des sentiers au travers des hayes de leurs bois, par oĂÂč il peust passer bien Ă l'aise. Tout cela ne va pas trop mal mais quoy ? ils ne portent point de haut de chausses. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXI Qu'il faut sobrement se mesler de juger des ordonnances divines LE vray champ et subject de l'imposture, sont les choses inconnĂÂŒes d'autant qu'en premier lieu l'estrangetĂ© mesme donne credit, et puis n'estants point subjectes Ă nos discours ordinaires, elles nous ostent le moyen de les combattre. A cette cause, dit Platon, est-il bien plus aisĂ© de satisfaire, parlant de la nature des Dieux, que de la nature des hommes par ce que l'ignorance des auditeurs preste une belle et large carriere, et toute libertĂ©, au maniement d'une matiere cachee. Il advient de lĂ , qu'il n'est rien creu si fermement, que ce qu'on sçait le moins, ny gens si asseurez, que ceux qui nous content des fables, comme Alchymistes, Prognostiqueurs, Judiciaires, Chiromantiens, Medecins, id genus omne. Ausquels je joindrois volontiers, si j'osois, un tas de gens, interpretes et contrerolleurs ordinaires des dessains de Dieu, faisans estat de trouver les causes de chasque accident, et de veoir dans les secrets de la volontĂ© divine, les motifs incomprehensibles de ses oeuvres. Et quoy que la varietĂ© et discordance continuelle des evenemens, les rejette de coin en coin, et d'Orient en Occident, ils ne laissent de suivre pourtant leur esteuf, et de mesme creon peindre le blanc et le noir. En une nation Indienne il y a cette loĂÂŒable observance, quand il leur mes-advient en quelque rencontre ou bataille, ils en demandent publiquement pardon au Soleil, qui est leur Dieu, comme d'une action injuste rapportant leur heur ou malheur Ă la raison divine, et luy submettant leur jugement et discours. Suffit Ă un Chrestien croire toutes choses venir de Dieu les recevoir avec recognoissance de sa divine et inscrutable sapience pourtant les prendre en bonne part, en quelque visage qu'elles luy soient envoyees. Mais je trouve mauvais ce que je voy en usage, de chercher Ă fermir et appuyer nostre religion par la prosperitĂ© de nos entreprises. Nostre creance a assez d'autres fondemens, sans l'authoriser par les evenemens Car le peuple accoustumĂ© Ă ces argumens plausibles, et proprement de son goust, il est danger, quand les evenemens viennent Ă leur tour contraires et des-avantageux, qu'il en esbranle sa foy Comme aux guerres oĂÂč nous sommes pour la Religion, ceux qui eurent l'avantage au rencontre de la Rochelabeille, faisans grand feste de cet accident, et se servans de cette fortune, pour certaine approbation de leur party quand ils viennent apres Ă excuser leurs defortunes de Mont-contour et de Jarnac, sur ce que ce sont verges et chastiemens paternels, s'ils n'ont un peuple du tout Ă leur mercy, ils luy font assez aisĂ©ment sentir que c'est prendre d'un sac deux moultures, et de mesme bouche souffler le chaud et le froid. Il vaudroit mieux l'entretenir des vrays fondemens de la veritĂ©. C'est une belle bataille navale qui s'est gaignee ces mois passez contre les Turcs, soubs la conduite de dom Joan d'Austria mais il a bien pleu Ă Dieu en faire autres fois voir d'autres telles Ă nos despens. Somme, il est mal-aisĂ© de ramener les choses divines Ă nostre balance, qu'elles n'y souffrent du deschet. Et qui voudroit rendre raison de ce que Arrius et Leon son Pape, chefs principaux de cette heresie, moururent en divers temps, de morts si pareilles et si estranges car retirez de la dispute par douleur de ventre Ă la garderobe, tous deux y rendirent subitement l'ame et exaggerer cette vengeance divine par la circonstance du lieu, y pourroit bien encore adjouster la mort de Heliogabalus, qui fut aussi tuĂ© en un retraict. Mais quoy ? Irenee se trouve engagĂ© en mesme fortune Dieu nous voulant apprendre, que les bons ont autre chose Ă esperer et les mauvais autre chose Ă craindre, que les fortunes ou infortunes de ce monde il les manie et applique selon sa disposition occulte et nous oste le moyen d'en faire sottement nostre profit. Et se moquent ceux qui s'en veulent prevaloir selon l'humaine raison. Ils n'en donnent jamais une touche, qu'ils n'en reçoivent deux. Sainct Augustin en fait une belle preuve sur ses adversaires. C'est un conflict, qui se decide par les armes de la memoire, plus que par celles de la raison. Il se faut contenter de la lumiere qu'il plaist au Soleil nous communiquer par ses rayons, et qui eslevera ses yeux pour en prendre une plus grande dans son corps mesme, qu'il ne trouve pas estrange, si pour la peine de son outrecuidance il y perd la veuĂ. Quis hominum potest scire consilium Dei ? aut quis poterit cogitare, quid velit Dominus ? Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXII De fuir les voluptez au pris de la vie J'AVOIS bien veu convenir en cecy la pluspart des anciennes opinions Qu'il est heure de mourir lors qu'il y a plus de mal que de bien Ă vivre & que de conserver nostre vie Ă nostre tourment & incommoditĂ©, c'est choquer les regles mesmes de nature, comme disent ces vieilles regles, Mais de pousser le mespris de la mort jusques Ă tel degrĂ©, que de l'employer pour se distraire des honneurs, richesses, grandeurs, & autres faveurs & biens que nous appellons de la fortune comme si la raison n'avoit pas assez affaire Ă nous persuader de les abandonner, sans y adjouster cette nouvelle recharge, je ne l'avois veu ny commander, ny pratiquer jusques lors que ce passage de Seneca me tomba entre mains, auquel conseillant Ă Lucilius, personnage puissant & de grande authoritĂ© autour de l'Empereur, de changer cette vie voluptueuse & pompeuse, & de se retirer de cette ambition du monde, Ă quelque vie solitaire, tranquille & philosophique sur quoy Lucilius alleguoit quelques difficultez Je suis d'advis dit-il que tu quites cette vie lĂ , oĂÂč la vie tout Ă faict bien te conseille-je de suivre la plus douce voye, & de destacher plustost que de rompre ce que tu as mal noĂÂŒĂ© ; pourveu que s'il ne se peut autrement destacher, tu le rompes. Il n'y a homme si coĂÂŒard qui n'ayme mieux tomber une fois, que de demeurer tousjours en bransle. J'eusse trouvĂ© ce conseil sortable Ă la rudesse StoĂÂŻque mais il est plus estrange qu'il soit empruntĂ© d'Epicurus, qui escrit Ă ce propos, choses toutes pareilles Ă Idomeneus. Si est-ce que je pense avoir remarquĂ© quelque traict semblable parmy nos gens, mais avec la moderation Chrestienne. Sainct Hilaire Evesque de Poitiers, ce fameux ennemy de l'heresie Arrienne, estant en Syrie fut adverty qu'Abra sa fille unique, qu'il avoit laissee pardeça avec sa mere, estoit poursuyvie en mariage par les plus apparens Seigneurs du paĂÂŻs, comme fille tres-bien nourrie, belle, riche, & en la fleur de son aage il luy escrivit comme nous voyons qu'elle ostast son affection de tous ces plaisirs & advantages qu'on luy presentoit qu'il luy avoit trouvĂ© en son voyage un party bien plus grand & plus digne, d'un mary de bien autre pouvoir & magnificence, qui luy feroit presens de robes & de joyaux, de prix inestimable. Son dessein estoit de luy faire perdre l'appetit & l'usage des plaisirs mondains, pour la joindre toute Ă Dieu Mais Ă cela, le plus court & plus certain moyen luy semblant estre la mort de sa fille, il ne cessa par voeux, prieres, & oraisons, de faire requeste Ă Dieu de l'oster de ce monde, & de l'appeller Ă soy comme il advint car bien-tost apres son retour, elle luy mourut, dequoy il montra une singuliere joye. Cettuy-cy semble encherir sur les autres, de ce qu'il s'adresse Ă ce moyen de prime face, lequel ils ne prennent que subsidiairement, & puis que c'est Ă l'endroit de sa fille unique. Mais je ne veux obmettre le bout de cette histoire, encore qu'il ne soit pas de mon propos. La femme de Sainct Hilaire ayant entendu par luy, comme la mort de leur fille s'estoit conduite par son dessein & volontĂ©, & combien elle avoit plus d'heur d'estre deslogee de ce monde, que d'y estre, print une si vive apprehension de la beatitude eternelle & celeste, qu'elle solicita son mary avec extreme instance, d'en faire autant pour elle. Et Dieu Ă leurs prieres communes, l'ayant retiree Ă soy, bien tost apres, ce fut une mort embrassĂ©e avec singulier contentement commun. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXIII La fortune se rencontre souvent au train de la raison L'INCONSTANCE du bransle divers de la fortune, fait qu'elle nous doive presenter toute espece de visages. Y a il action de justice plus expresse que celle cy ? Le Duc de Valentinois ayant resolu d'empoisonner Adrian Cardinal de Cornete, chez qui le Pape Alexandre sixiesme son pere, et luy alloyent soupper au Vatican envoya devant, quelque bouteille de vin empoisonnĂ©, et commanda au sommelier qu'il la gardast bien soigneusement le Pape y estant arrivĂ© avant le fils, et ayant demandĂ© Ă boire, ce sommelier, qui pensoit ce vin ne luy avoir estĂ© recommandĂ© que pour sa bontĂ©, en servit au Pape, et le Duc mesme y arrivant sur le point de la collation, et se fiant qu'on n'auroit pas touchĂ© Ă sa bouteille, en prit Ă son tour ; en maniere que le Pere en mourut soudain, et le fils apres avoir estĂ© longuement tourmentĂ© de maladie, fut reservĂ© Ă un'autre pire fortune. Quelquefois il semble Ă point nommĂ© qu'elle se joĂÂŒe Ă nous Le Seigneur d'Estree, lors guidon de Monsieur de Vandosme, et le Seigneur de Liques, Lieutenant de la compagnie du Duc d'Ascot, estans tous deux serviteurs de la soeur du Sieur de Foungueselles, quoy que de divers partis comme il advient aux voisins de la frontiere le Sieur de Licques l'emporta mais le mesme jour des nopces, et qui pis est, avant le coucher, le mariĂ© ayant envie de rompre un bois en faveur de sa nouvelle espouse, sortit Ă l'escarmouche pres de S. Omer, oĂÂč le sieur d'Estree se trouvant le plus fort, le feit son prisonnier et pour faire valoir son advantage, encore fallut-il que la Damoiselle, Conjugis ante coacta novi dimittere collum, Quam veniens una atque altera rursus hyems Noctibus in longis avidum saturasset amorem, luy fist elle mesme requeste par courtoisie de luy rendre son prisonnier comme il fit, la noblesse Françoise, ne refusant jamais rien aux Dames. Semble-il pas que ce soit un sort artiste ? Constantin fils d'Helene fonda l'Empire de Constantinople et tant de siecles apres Constantin fils d'Helene le finit. Quelquefois il luy plaist envier sur nos miracles Nous tenons que le Roy Clovis assiegeant Angoulesme, les murailles cheurent d'elles mesmes par faveur divine Et Bouchet emprunte de quelqu'autheur, que le Roy Robert assiegeant une ville, et s'estant desrobĂ© du siege, pour aller Ă Orleans solennizer la feste Sainct Aignan, comme il estoit en devotion, sur certain point de la Messe, les murailles de la ville assiegee, s'en allerent sans aucun effort en ruine. Elle fit tout Ă contrepoil en nos guerres de Milan car le Capitaine Rense assiegeant pour nous la ville d'Eronne, et ayant faict mettre la mine soubs un grand pan de mur, et le mur en estant brusquement enlevĂ© hors de terre, recheut toutes-fois tout empennĂ©, si droit dans son fondement, que les assiegez n'en vausirent pas moins. Quelquefois elle fait la medecine. Jason Phereus estant abandonnĂ© des medecins, pour une aposteme, qu'il avoit dans la poitrine, ayant envie de s'en dĂ©faire, au moins par la mort, se jetta en une bataille Ă corps perdu dans la presse des ennemis, oĂÂč il fut blessĂ© Ă travers le corps, si Ă point, que son aposteme en creva, et guerit. Surpassa elle pas le peintre Protogenes en la science de son art ? Cettuy-cy ayant parfaict l'image d'un chien las, et recreu Ă son contentement en toutes les autres parties, mais ne pouvant representer Ă son grĂ© l'escume et la bave, despitĂ© contre sa besongne, prit son esponge, et comme elle estoit abreuvee de diverses peintures, la jetta contre, pour tout effacer la fortune porta tout Ă propos le coup Ă l'endroit de la bouche du chien, et y parfournit ce Ă quoy l'art n'avoit peu attaindre. N'adresse elle pas quelquefois nos conseils, et les corrige ? Isabel Royne d'Angleterre, ayant Ă repasser de Zelande en son Royaume, avec une armee, en faveur de son fils contre son mary, estoit perdue, si elle fust arrivee au port qu'elle avoit projettĂ©, y estant attendue par ses ennemis mais la fortune la jetta contre son vouloir ailleurs, oĂÂč elle print terre en toute seuretĂ©. Et cet ancien qui ruant la pierre Ă un chien, en assena et tua sa marastre, eut il-pas raison de prononcer ces vers La fortune a meilleur advis que nous. Icetes avoit prattiquĂ© deux soldats, pour tuer Timoleon, sejournant Ă Adrane en la Sicile. Ils prindrent heure, sur le point qu'il feroit quelque sacrifice. Et se meslans parmy la multitude, comme ils se guignoyent l'un l'autre, que l'occasion estoit propre Ă leur besoigne voicy un tiers, qui d'un grand coup d'espee, en assene l'un par la teste, et le rue mort par terre, et s'en fuit. Le compagnon se tenant pour descouvert et perdu, recourut Ă l'autel, requerant franchise, avec promesse de dire toute la veritĂ©. Ainsi qu'il faisoit le compte de la conjuration, voicy le tiers qui avoit estĂ© attrapĂ©, lequel comme meurtrier, le peuple pousse et saboule au travers la presse, vers Timoleon, et les plus apparents de l'assemblee. LĂ il crie mercy et dit avoir justement tuĂ© l'assassin de son pere verifiant sur le champ, par des tesmoings que son bon sort luy fournit, tout Ă propos, qu'en la ville des Leontins son pere, de vray, avoit estĂ© tuĂ© par celuy sur lequel il s'estoit vengĂ©. On luy ordonna dix mines Attiques, pour avoir eu cet heur, prenant raison de la mort de son pere, de retirer de mort le pere commun des Siciliens. Cette fortune surpasse en reglement, les regles de l'humaine prudence. Pour la fin En ce faict icy, se descouvre il pas une bien expresse application de sa faveur, de bontĂ© et pietĂ© singuliere ? Ignatius Pere et fils, proscripts par les Triumvirs Ă Rome, se resolurent Ă ce genereux office, de rendre leurs vies, entre les mains l'un de l'autre, et en frustrer la cruautĂ© des Tyrans ils se coururent sus, l'espee au poing elle en dressa les pointes, et en fit deux coups esgallement mortels et donna Ă l'honneur d'une si belle amitiĂ©, qu'ils eussent justement la force de retirer encore des playes leurs bras sanglants et armĂ©s, pour s'entrembrasser en cet estat, d'une si forte estrainte, que les bourreaux couperent ensemble leurs deux testes, laissans les corps tousjours pris en ce noble neud ; et les playes jointes, humans amoureusement, le sang et les restes de la vie, l'une de l'autre. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXIV D'un defaut de nos polices FEU mon pere, homme pour n'estre aydĂ© que de l'experience et du naturel, d'un jugement bien net m'a dict autrefois, qu'il avoit desirĂ© mettre en train, qu'il y eust Ă©s villes certain lieu designĂ©, auquel ceux qui auroient besoin de quelque chose, se peussent rendre, et faire enregistrer leur affaire Ă un officier estably pour cet effect comme, je cherche Ă vendre des perles je cherche des perles Ă vendre, tel veut compagnie pour aller Ă Paris ; tel s'enquiert d'un serviteur de telle qualitĂ©, tel d'un maistre ; tel demande un ouvrier qui cecy, qui cela, chacun selon son besoing. Et semble que ce moyen de nous entr'advertir, apporteroit non legere commoditĂ© au commerce publique Car Ă tous coups, il y a des conditions, qui s'entrecherchent, et pour ne s'entr'entendre, laissent les hommes en extreme necessitĂ©. J'entens avec une grande honte de nostre siecle, qu'Ă nostre veuĂ, deux tres-excellens personnages en sçavoir, sont morts en estat de n'avoir pas leur saoul Ă manger Lilius Gregorius Giraldus en Italie, et Sebastianus Castalio en Allemagne Et croy qu'il y a mil'hommes qui les eussent appellez avec tres-advantageuses conditions, ou secourus oĂÂč ils estoient s'ils l'eussent sçeu. Le monde n'est pas si generalement corrompu, que je ne sçache tel homme, qui souhaitteroit de bien grande affection, que les moyens que les siens luy ont mis en main, se peussent employer tant qu'il plaira Ă la fortune qu'il en jouisse, Ă mettre Ă l'abry de la necessitĂ©, les personnages rares et remarquables en quelque espece de valeur, que le mal-heur combat quelquefois jusques Ă l'extremitĂ© et qui les mettroit pour le moins en tel estat, qu'il ne tiendroit qu'Ă faute de bon discours, s'ils n'estoyent contens. En la police oeconomique mon pere avoit cet ordre, que je sçay loĂÂŒer, mais nullement ensuivre. C'est qu'outre le registre des negoces du mesnage, oĂÂč se logent les menus comptes, payements, marchĂ©s, qui ne requierent la main du Notaire, lequel registre, un Receveur a en charge il ordonnoit Ă celuy de ses gents, qui luy servoit Ă escrire, un papier journal, Ă inserer toutes les survenances de quelque remarque, et jour par jour les memoires de l'histoire de sa maison tres-plaisante Ă veoir, quand le temps commence Ă en effacer la souvenance, et tres Ă propos pour nous oster souvent de peine Quand fut entamee telle besoigne, quand achevee quels trains y ont passĂ©, combien arrestĂ© noz voyages, noz absences, mariages, morts la reception des heureuses ou malencontreuses nouvelles changement des serviteurs principaux telles matieres. Usage ancien, que je trouve bon Ă rafraichir, chacun en sa chacuniere et me trouve un sot d'y avoir failly. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXV De l'usage de se vestir OU que je veuille donner, il me faut forcer quelque barriere de la coustume, tant ell'a soigneusement bridĂ© toutes nos avenues. Je devisoy en cette saison frilleuse, si la façon d'aller tout nud de ces nations dernierement trouvees, est une façon forcee par la chaude temperature de l'air, comme nous disons des Indiens, et des Mores, ou si c'est l'originelle des hommes. Les gens d'entendement, d'autant que tout ce qui est soubs le ciel, comme dit la saincte Parole, est subject Ă mesmes loix, ont accoustumĂ© en pareilles considerations Ă celles icy, oĂÂč il faut distinguer les loix naturelles des controuvees, de recourir Ă la generale police du monde, oĂÂč il n'y peut avoir rien de contrefaict. Or tout estant exactement fourny ailleurs de filet et d'Ă©guille, pour maintenir son estre, il est mĂ©creable, que nous soyons seuls produits en estat deffectueux et indigent, et en estat qui ne se puisse maintenir sans secours estranger. Ainsi je tiens que comme les plantes, arbres, animaux, et tout ce qui vit, se treuve naturellement equippĂ© de suffisante couverture, pour se deffendre de l'injure du temps, Proptereaque ferĂš res omnes, aut corio sunt, Aut seta, aut conchis, aut callo, aut cortice tectĂŠ, aussi estions nous mais comme ceux qui esteignent par artificielle lumiere celle du jour, nous avons esteint nos propres moyens, par les moyens empruntez. Et est aisĂ© Ă voir que c'est la coustume qui nous fait impossible ce qui ne l'est pas Car de ces nations qui n'ont aucune cognoissance de vestemens, il s'en trouve d'assises environ soubs mesme ciel, que le nostre, et soubs bien plus rude ciel que le nostre Et puis la plus delicate partie de nous est celle qui se tient tousjours descouverte les yeux, la bouche, le nez, les oreilles Ă noz contadins, comme Ă noz ayeulx, la partie pectorale et le ventre. Si nous fussions nez avec condition de cotillons et de greguesques, il ne faut faire doubte, que nature n'eust armĂ© d'une peau plus espoisse ce qu'elle eust abandonnĂ© Ă la baterie des saisons, comme elle a faict le bout des doigts et plante des pieds. Pourquoy semble il difficile Ă croire ? entre ma façon d'estre vestu, et celle du paĂÂŻsan de mon paĂÂŻs, je trouve bien plus de distance, qu'il n'y a de sa façon, Ă celle d'un homme, qui n'est vestu que de sa peau. Combien d'hommes, et en Turchie sur tout, vont nuds par devotion ! Je ne sçay qui demandoit Ă un de nos gueux, qu'il voyoit en chemise en plein hyver, aussi scarbillat que tel qui se tient ammitonnĂ© dans les martes jusques aux oreilles, comme il pouvoit avoir patience Et vous monsieur, respondit-il, vous avez bien la face descouverte or moy je suis tout face. Les Italiens content du fol du Duc de Florence, ce me semble, que son maistre s'enquerant comment ainsi mal vestu, il pouvoit porter le froid, Ă quoy il estoit bien empeschĂ© luy-mesme Suivez, dit-il, ma recepte de charger sur vous tous vos accoustrements, comme je fay les miens, vous n'en souffrirez non plus que moy. Le Roy Massinissa jusques Ă l'extreme vieillesse, ne peut estre induit Ă aller la teste couverte par froid, orage, et pluye qu'il fist, ce qu'on dit aussi de l'Empereur Severus. Aux batailles donnees entre les Ăâ gyptiens et les Perses, Herodote dit avoir estĂ© remarquĂ© et par d'autres, et par luy, que de ceux qui y demeuroient morts, le test estoit sans comparaison plus dur aux Ăâ gyptiens qu'aux Perses Ă raison que ceux cy portent tousjours leurs testes couvertes de beguins, et puis de turbans ceux la rases des l'enfance et descouvertes. Et le Roy Agesilaus observa jusques Ă sa decrepitude, de porter pareille vesture en hyver qu'en estĂ©. CĂŠsar, dit Suetone, marchoit tousjours devant sa troupe, et le plus souvent Ă pied, la teste descouverte, soit qu'il fist Soleil, ou qu'il pleust, et autant en dit-on de Hannibal, tum vertice nudo Excipere insanos imbres, cĂŠlique ruinam. Un Venitien, qui s'y est tenu long temps, et qui ne fait que d'en venir, escrit qu'au Royaume du Pegu, les autres parties du cops vestues, les hommes et les femmes vont tousjours les pieds nuds, mesme Ă cheval. Et Platon conseille merveilleusement pour la santĂ© de tout le corps, de ne donner aux pieds et Ă la teste autre couverture, que celle que nature y a mise. Celuy que les Polonnois ont choisi pour leur Roy, apres le nostre, qui est Ă la veritĂ© l'un des plus grands Princes de nostre siecle, ne porte jamais gands, ny ne change pour hyver et temps qu'il face, le mesme bonnet qu'il porte au couvert. Comme je ne puis souffrir d'aller deboutonnĂ© et destachĂ©, les laboureurs de mon voisinage se sentiroient entravez de l'estre. Varro tient, que quand on ordonna que nous tinsions la teste descouverte, en presence des Dieux ou du Magistrat, on le fit plus pour nostre santĂ©, et nous fermir contre les injures du temps, que pour compte de la reverence. Et puis que nous sommes sur le froid, et François accoustumez Ă nous biguarrer, non pas moy, car je ne m'habille guiere que de noir ou de blanc, Ă l'imitation de mon pere, adjoustons d'une autre piece, que le Capitaine Martin du Bellay recite, au voyage de Luxembourg, avoir veu les gelees si aspres, que le vin de la munition se coupoit Ă coups de hache et de coignee, se debitoit aux soldats par poix, et qu'ils l'emportoient dans des panniers et Ovide, Nudaque consistunt formam servantia testĂŠ Vina, nec hausta meri, sed data frusta bibunt. Les gelees sont si aspres en l'emboucheure des Palus MĂŠotides, qu'en la mesme place oĂÂč le Lieutenant de Mithridates avoit livrĂ© bataille aux ennemis Ă pied sec, et les y avoit desfaicts, l'estĂ© venu, il y gaigna contre eux encore une bataille navalle. Les Romains souffrirent grand desadvantage au combat qu'ils eurent contre les Carthaginois pres de Plaisance, de ce qu'ils allerent Ă la charge, le sang figĂ©, et les membres contreints de froid lĂ oĂÂč Hannibal avoit faict espandre du feu par tout son ost, pour eschaufer ses soldats et distribuer de l'huyle par les bandes, afin que s'oignants, ils rendissent leurs nerfs plus souples et desgourdis, et encroustassent les pores contre les coups de l'air et du vent gelĂ©, qui couroit lors. La retraitte des Grecs, de Babylone en leurs paĂÂŻs, est fameuse des difficultez et mesaises, qu'ils eurent Ă surmonter. Cette cy en fut, qu'accueillis aux montaignes d'Armenie d'un horrible ravage de neiges, ils en perdirent la cognoissance du paĂÂŻs et des chemins et en estants assiegĂ©s tout court, furent un jour et une nuict, sans boire et sans manger, la plus part de leurs bestes mortes d'entre eux plusieurs morts, plusieurs aveugles du coup du gresil, et lueur de la neige plusieurs estropiĂ©s par les extremitez plusieurs roides transis et immobiles de froid, ayants encore le sens entier. Alexandre veit une nation en laquelle on enterre les arbres fruittiers en hyver pour les defendre de la gelee et nous en pouvons aussi voir. Sur le subject de vestir, le Roy de la Mexique changeoit quatre fois par jour d'accoustremens, jamais ne les reiteroit, employant sa desferre Ă ses continuelles liberalitez et recompenses comme aussi ny pot, ny plat, ny utensile de sa cuisine, et de sa table, ne luy estoient servis Ă deux fois. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXVI Du jeune Caton JE n'ay point cette erreur commune, de juger d'un autre selon que je suis. J'en croy aysĂ©ment des choses diverses Ă moy. Pour me sentir engagĂ© Ă une forme, je n'y oblige pas le monde, comme chascun fait, et croy, et conçoy mille contraires façons de vie et au rebours du commun, reçoy plus facilement la difference, que la ressemblance en nous. Je descharge tant qu'on veut, un autre estre, de mes conditions et principes et le considere simplement en luy mesme, sans relation, l'estoffant sur son propre modelle. Pour n'estre continent, je ne laisse d'advoĂÂŒer sincerement, la continence des Feuillans et des Capuchins, et de bien trouver l'air de leur train. Je m'insinue par imagination fort bien en leur place et les ayme et les honore d'autant plus, qu'ils sont autres que moy. Je desire singulierement, qu'on nous juge chascun Ă part soy et qu'on ne me tire en consequence des communs exemples. Ma foiblesse n'altere aucunement les opinions que je dois avoir de la force et vigueur de ceux qui le meritent. Sunt, qui nihil suadent, quĂ m quod se imitari posse confidunt. Rampant au limon de la terre, je ne laisse pas de remarquer jusques dans les nuĂs la hauteur inimitable d'aucunes ames heroĂÂŻques C'est beaucoup pour moy d'avoir le jugement reglĂ©, si les effects ne le peuvent estre, et maintenir au moins cette maistresse partie, exempte de corruption C'est quelque chose d'avoir la volontĂ© bonne, quand les jambes me faillent. Ce siecle, auquel nous vivons, au moins pour nostre climat, est si plombĂ©, que je ne dis pas l'execution, mais l'imagination mesme de la vertu en est Ă dire et semble que ce ne soit autre chose qu'un jargon de college. virtutem verba putant, ut Lucum ligna quam vereri deberent, etiam si percipere non possent. C'est un affiquet Ă pendre en un cabinet, ou au bout de la langue, comme au bout de l'oreille, pour parement. Il ne se recognoist plus d'action vertueuse celles qui en portent le visage, elles n'en ont pas pourtant l'essence car le profit, la gloire, la crainte, l'accoutumance, et autres telles causes estrangeres nous acheminent Ă les produire. La justice, la vaillance, la debonnairetĂ©, que nous exerçons lors, elles peuvent estre ainsi nommees, pour la consideration d'autruy, et du visage qu'elles portent en public mais chez l'ouvrier, ce n'est aucunement vertu. Il y a une autre fin proposee, autre cause mouvante. Or la vertu n'advoĂÂŒe rien, que ce qui se faict par elle, et pour elle seule. En cette grande bataille de Potidee, que les Grecs sous Pausanias gaignerent contre Mardonius, et les Perses les victorieux suivant leur coustume, venants Ă partir entre eux la gloire de l'exploit, attribuerent Ă la nation Spartiate la precellence de valeur en ce combat. Les Spartiates excellents juges de la vertu, quand ils vindrent Ă decider, Ă quel particulier de leur nation debvoit demeurer l'honneur d'avoir le mieux faict en cette journee, trouverent qu'Aristodemus s'estoit le plus courageusement hazardĂ© mais pourtant ils ne luy en donnerent point de prix, par ce que sa vertu avoit estĂ© incitee du desir de se purger du reproche, qu'il avoit encouru au faict des Thermopyles et d'un appetit de mourir courageusement, pour garantir sa honte passee. Nos jugemens sont encores malades, et suyvent la depravation de nos moeurs Je voy la pluspart des esprits de mon temps faire les ingenieux Ă obscurcir la gloire des belles et genereuses actions anciennes, leur donnant quelque interpretation vile, et leur controuvant des occasions et des causes vaines Grande subtilitĂ© Qu'on me donne l'action la plus excellente et pure, je m'en vois y fournir vraysemblablement cinquante vitieuses intentions. Dieu sçait, Ă qui les veut estendre, quelle diversitĂ© d'images ne souffre nostre interne volontĂ© Ils ne font pas tant malitieusement, que lourdement et grossierement, les ingenieux, Ă tout leur mesdisance. La mesme peine, qu'on prent Ă detracter de ces grands noms, et la mesme licence, je la prendroye volontiers Ă leur prester quelque tour d'espaule pour les hausser. Ces rares figures, et triees pour l'exemple du monde, par le consentement des sages, je ne me feindroy pas de les recharger d'honneur, autant que mon invention pourroit, en interpretation et favorable circonstance. Et il faut croire, que les efforts de nostre invention sont loing au dessous de leur merite. C'est l'office des gents de bien, de peindre la vertu la plus belle qui se puisse. Et ne messieroit pas, quand la passion nous transporteroit Ă la faveur de si sainctes formes. Ce que ceux cy font au contraire, ils le font ou par malice, ou par ce vice de ramener leur creance Ă leur portee, dequoy je viens de parler oĂÂč comme je pense plustost, pour n'avoir pas la veuĂ assez forte et assez nette ny dressee Ă concevoir la splendeur de la vertu en sa puretĂ© naifve Comme Plutarque dit, que de son temps, aucuns attribuoient la cause de la mort du jeune Caton, Ă la crainte qu'il avoit eu de CĂŠsar dequoy il se picque avecques raison Et peut on juger par lĂ , combien il se fust encore plus offencĂ© de ceux qui l'ont attribuee Ă l'ambition. Sottes gents. Il eust bien faict une belle action, genereuse et juste plustost avec ignominie, que pour la gloire. Ce personnage lĂ fut veritablement un patron, que nature choisit, pour montrer jusques oĂÂč l'humaine vertu et fermetĂ© pouvoit atteindre. Mais je ne suis pas icy Ă mesmes pour traicter ce riche argument Je veux seulement faire luiter ensemble, les traicts de cinq poĂtes Latins, sur la louange de Caton, et pour l'interest de Caton et par incident, pour le leur aussi. Or devra l'enfant bien nourry, trouver au prix des autres, les deux premiers trainants. Le troisiesme, plus verd mais qui s'est abattu par l'extravagance de sa force. Il estimera que lĂ il y auroit place Ă un ou deux degrez d'invention encore, pour arriver au quatriesme, sur le point duquel il joindra ses mains par admiration. Au dernier, premier de quelque espace mais laquelle espace, il jurera ne pouvoir estre remplie par nul esprit humain, il s'estonnera, il se transira. Voicy merveilles. Nous avons bien plus de poĂtes, que de juges et interpretes de poĂsie. Il est plus aisĂ© de la faire, que de la cognoistre. A certaine mesure basse, on la peut juger par les preceptes et par art. Mais la bonne, la supreme, la divine, est au dessus des regles et de la raison. Quiconque en discerne la beautĂ©, d'une veuĂ ferme et rassise, il ne la void pas non plus que la splendeur d'un esclair. Elle ne pratique point nostre jugement elle le ravit et ravage. La fureur, qui espoinçonne celuy qui la sçait penetrer, fiert encores un tiers, Ă la luy ouyr traitter et reciter. Comme l'aymant attire non seulement une aiguille, mais infond encores en icelle, sa facultĂ© d'en attirer d'autres et il se void plus clairement aux theatres, que l'inspiration sacree des muses, ayant premierement agitĂ© le poĂte Ă la cholere, au deuil, Ă la hayne, et hors de soy, oĂÂč elles veulent, frappe encore par le poĂte, l'acteur, et par l'acteur, consecutivement tout un peuple. C'est l'enfileure de noz aiguilles, suspendues l'une de l'autre. DĂ©s ma premiere enfance, la poĂsie a eu cela, de me transpercer et transporter. Mais ce ressentiment bien vif, qui est naturellement en moy, a estĂ© diversement maniĂ©, par diversitĂ© de formes, non tant, plus hautes et plus basses car c'estoient tousjours des plus hautes en chasque espece comme differentes en couleur. Premierement, une fluiditĂ© gaye et ingenieuse depuis une subtilitĂ© aiguĂ et relevee. En fin, une force meure et constante. L'exemple le dira mieux. Ovide, Lucain, Vergile. Mais voyla nos gens sur la carriere. Sit Cato dum vivit sane vel CĂŠsare major, dit l'un Et invictum devicta morte Catonem, dit l'autre. Et l'autre, parlant des guerres civiles d'entre CĂŠsar et Pompeius, Victrix causa diis placuit, sed victa Catoni. Et le quatriesme sur les louanges de CĂŠsar Et cuncta terrarum subacta, PrĂŠter atrocem animum Catonis. Et le maistre du coeur, apres avoir Ă©talĂ© les noms des plus grands Romains en sa peinture, finit en cette maniere his dantem jura Catonem. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXVII Comme nous pleurons et rions d'une mesme chose QUAND nous rencontrons dans les histoires, qu'Antigonus sçeut tres-mauvais grĂ© Ă son fils de luy avoir presentĂ© la teste du Roy Pyrrhus son ennemy, qui venoit sur l'heure mesme d'estre tuĂ© combatant contre luy et que l'ayant veuĂ il se print bien fort Ă pleurer Et que le Duc RenĂ© de Lorraine, pleingnit aussi la mort du Duc Charles de Bourgoigne, qu'il venoit de deffaire, et en porta le deuil en son enterrement Et qu'en la bataille d'Auroy que le Comte de Montfort gaigna contre Charles de Blois sa partie, pour le DuchĂ© de Bretaigne le victorieux rencontrant le corps de son ennemy trespassĂ©, en mena grand deuil, il ne faut pas s'escrier soudain, Et cosi aven che l'animo ciascuna Sua passion sotto el contrario manto Ricopre, con la vista hor'chiara, hor bruna. Quand on presenta Ă CĂŠsar la teste de Pompeius, les histoires disent qu'il en destourna sa veuĂ, comme d'un vilain et mal plaisant spectacle. Il y avoit eu entr'eux une si longue intelligence, et societĂ© au maniement des affaires publiques, tant de communautĂ© de fortunes, tant d'offices reciproques et d'alliance, qu'il ne faut pas croire que cette contenance fust toute fauce et contrefaicte, comme estime cet autre tutumque putavit Jam bonus esse socer, lacrymas non sponte cadentes Effudit, gemitĂÂșsque expressit pectore lĂŠto. Car bien qu'Ă la veritĂ© la pluspart de nos actions ne soient que masque et fard, et qu'il puisse quelquefois estre vray, Heredis fletus sub persona risus est, si est-ce qu'au jugement de ces accidens, il faut considerer, comme nos ames se trouvent souvent agitees de diverses passions. Et tout ainsi qu'en nos corps ils disent qu'il y a une assemblee de diverses humeurs, desquelles celle lĂ est maistresse, qui commande le plus ordinairement en nous, selon nos complexions aussi en nostre ame, bien qu'il y ait divers mouvements, qui l'agitent, si faut-il qu'il y en ayt un Ă qui le champ demeure. Mais ce n'est pas avec si entier avantage, que pour la volubilitĂ© et soupplesse de nostre ame, les plus foibles par occasion ne regaignent encores la place, et ne facent une courte charge Ă leur tour. D'oĂÂč nous voyons non seulement les enfans, qui vont tout naifvement apres la nature, pleurer et rire souvent de mesme chose mais nul d'entre nous ne se peut vanter, quelque voyage qu'il face Ă son souhait, qu'encore au dĂ©partir de sa famille, et de ses amis, il ne se sente frissonner le courage et si les larmes ne luy en eschappent tout Ă faict, au moins met-il le pied Ă l'estriĂ© d'un visage morne et contristĂ©. Et quelque gentille flamme qui eschauffe le coeur des filles bien nees, encore les despend on Ă force du col de leurs meres, pour les rendre Ă leur espoux quoy que die ce bon compagnon, Est ne novis nuptis odio Venus, anne parentum Frustrantur falsis gaudia lacrymulis, Ubertim thalami quas intra limina fundunt ? Non, ita me divi, vera gemunt, juverint. Ainsin il n'est pas estrange de plaindre celuy-lĂ mort, qu'on ne voudroit aucunement estre en vie. Quand je tance avec mon valet, je tance du meilleur courage que j'aye ce sont vrayes et non feintes imprecations mais cette fumee passee, qu'il ayt besoing de moy, je luy bien-feray volontiers, je tourne Ă l'instant le fueillet. Quand je l'appelle un badin, un veau je n'entrepren pas de luy coudre Ă jamais ces titres ny ne pense me desdire, pour le nommer honeste homme tantost apres. Nulle qualitĂ© nous embrasse purement et universellement. Si ce n'estoit la contenance d'un fol, de parler seul, il n'est jour ny heure Ă peine, en laquelle on ne m'ouist gronder en moy-mesme, et contre moy, Bren du fat et si n'enten pas, que ce soit ma definition. Qui pour me voir une mine tantost froide, tantost amoureuse envers ma femme, estime que l'une ou l'autre soit feinte, il est un sot. Neron prenant congĂ© de sa mere, qu'il envoioit noyer, sentit toutefois l'Ă©motion de cet adieu maternel et en eust horreur et pitiĂ©. On dit que la lumiere du Soleil, n'est pas d'une piece continuĂ mais qu'il nous Ă©lance si dru sans cesse nouveaux rayons les uns sur les autres, que nous n'en pouvons appercevoir l'entre deux. Largus enim liquidi fons luminis ĂŠtherius sol Inrigat assiduĂš cĂŠlum candore recenti, Suppeditatque novo confestim lumine lumen ; ainsin eslance nostre ame ses pointes diversement et imperceptiblement. Artabanus surprint Xerxes son nepveu, et le tança de la mutation soudaine de sa contenance. Il estoit Ă considerer la grandeur desmesurĂ©e de ses forces, au passage de l'Hellespont, pour l'entreprinse de la Grece. Il luy print premierement un tressaillement d'aise, Ă veoir tant de milliers d'hommes Ă son service, et le tesmoigna par l'allegresse et feste de son visage Et tout soudain en mesme instant, sa pensĂ©e luy suggerant, comme tant de vies avoient Ă defaillir au plus loing, dans un siecle, il refroigna son front, et s'attrista jusques aux larmes. Nous avons poursuivy avec resoluĂ volontĂ© la vengeance d'une injure, et ressenty un singulier contentement de la victoire ; nous en pleurons pourtant ce n'est pas de cela que nous pleurons il n'y a rien de changĂ© ; mais nostre ame regarde la chose d'un autre oeil, et se la represente par un autre visage car chasque chose Ă plusieurs biais et plusieurs lustres. La parentĂ©, les anciennes accointances et amitiez, saisissent nostre imagination, et la passionnent pour l'heure, selon leur condition ; mais le contour en est si brusque, qu'il nous eschappe. Nil adeo fieri celeri ratione videtur, Quam si mens fieri proponit et inchoat ipsa. Ocius ergo animus quĂ m res se perciet ulla, Ante oculos quarum in promptu natura videtur. Et Ă cette cause, voulans de toute cette suitte continuer un corps, nous nous trompons. Quand Timoleon pleure le meurtre qu'il avoit commis d'une si meure et genereuse deliberation, il ne pleure pas la libertĂ© rendue Ă sa patrie, il ne pleure pas le Tyran, mais il pleure son frere. L'une partie de son devoir est jouĂ©e, laissons luy en jouer l'autre. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXVIII De la solitude LAISSONS Ă part cette longue comparaison de la vie solitaire Ă l'active Et quant Ă ce beau mot, dequoy se couvre l'ambition et l'avarice, Que nous ne sommes pas naiz pour nostre particulier, ains pour le publicq ; rapportons nous en hardiment Ă ceux qui sont en la danse ; et qu'ils se battent la conscience, si au contraire, les estats, les charges, et cette tracasserie du monde, ne se recherche plustost, pour tirer du publicq son profit particulier. Les mauvais moyens par oĂÂč on s'y pousse en nostre siecle, montrent bien que la fin n'envaut gueres. Respondons Ă l'ambition que c'est elle mesme qui nous donne goust de la solitude. Car que fuit elle tant que la societĂ© ? que cherche elle tant que ses coudĂ©es franches ? Il y a dequoy bien et mal faire par tout Toutesfois si le mot de Bias est vray, que la pire part c'est la plus grande, ou ce que dit l'Ecclesiastique, que de mille il n'en est pas un bon Rari quippe boni numero vix sunt totidem, quot Thebarum portĂŠ vel divitis ostia Nili, la contagion est tres-dangereuse en la presse. Il faut ou imiter les vitieux, ou les haĂÂŻr Tous les deux sont dangereux ; et de leur ressembler, par ce qu'ils sont beaucoup, et d'en haĂÂŻr beaucoup par ce qu'ils sont dissemblables. Et les marchands, qui vont en mer, ont raison de regarder, que ceux qui se mettent en mesme vaisseau, ne soyent dissolus, blasphemateurs, meschans estimants telle societĂ© infortunĂ©e. Parquoy Bias plaisamment, Ă ceux qui passoient avec luy le danger d'une grande tourmente, et appelloient le secours des Dieux Taisez vous, feit-il, qu'ils ne sentent point que vous soyez icy avec moy. Et d'un plus pressant exemple Albuquerque Vice-Roy en l'Inde, pour Emanuel Roy de Portugal, en un extreme peril de fortune de mer, print sur ses espaules un jeune garçon pour cette seule fin, qu'en la societĂ© de leur peril, son innocence luy servist de garant, et de recommandation envers la faveur divine, pour le mettre Ă bord. Ce n'est pas que le sage ne puisse par tout vivre content, voire et seul, en la foule d'un palais mais s'il est Ă choisir, il en fuira, dit-il, mesmes la veue Il portera s'il est besoing cela, mais s'il est en luy, il eslira cecy. Il ne luy semble point suffisamment s'estre desfait des vices, s'il faut encores qu'il conteste avec ceux d'autruy. Charondas chastioit pour mauvais ceux qui estoient convaincus de hanter mauvaise compagnie. Il n'est rien si dissociable et sociable que l'homme l'un par son vice, l'autre par sa nature. Et Antisthenes ne me semble avoir satisfait Ă celuy, qui luy reprochoit sa conversation avec les meschants, en disant, que les medecins vivent bien entre les malades. Car s'ils servent Ă la santĂ© des malades, ils deteriorent la leur, par la contagion, la veuĂ continuelle, et pratique des maladies. Or la fin, ce crois-je, en est tout'une, d'en vivre plus Ă loisir et Ă son aise. Mais on n'en cherche pas tousjours bien le chemin Souvent on pense avoir quittĂ© les affaires, on ne les a que changez. Il n'y a guere moins de tourment au gouvernement d'une famille que d'un estat entier OĂÂč que l'ame soit empeschĂ©e, elle y est toute Et pour estre les occupations domestiques moins importantes, elles n'en sont pas moins importunes. D'avantage, pour nous estre deffaits de la Cour et du marchĂ©, nous ne sommes pas deffaits des principaux tourmens de nostre vie. ratio et prudentia curas, Non locus effusi latĂš maris arbiter aufert. L'ambition, l'avarice, l'irresolution, la peur et les concupiscences, ne nous abandonnent point pour changer de contrĂ©e Et post equitem sedet atra cura. Elles nous suivent souvent jusques dans les cloistres, et dans les escoles de Philosophie. Ny les desers, ny les rochers creusez, ny la here, ny les jeusnes, ne nous en dĂ©meslent hĂŠret lateri lethalis arundo. On disoit Ă Socrates, que quelqu'un ne s'estoit aucunement amendĂ© en son voyage Je croy bien, dit-il, il s'estoit emportĂ© avecques soy. Quid terras alio calentes Sole mutamus ? patria quis exul Se quoque fugit ? Si on ne se descharge premierement et son ame, du faix qui la presse, le remuement la fera fouler davantage ; comme en un navire, les charges empeschent moins, quand elles sont rassises Vous faictes plus de mal que de bien au malade de luy faire changer de place. Vous ensachez le mal en le remuant comme les pals s'enfoncent plus avant, et s'affermissent en les branslant et secouant. Parquoy ce n'est pas assez de s'estre escartĂ© du peuple ; ce n'est pas assez de changer de place, il se faut escarter des conditions populaires, qui sont en nous il se faut sequestrer et r'avoir de soy. rupi jam vincula, dicas, Nam luctata canis nodum arripit, attamen illi, Cum fugit, Ă collo trahitur pars longa catenĂŠ. Nous emportons nos fers quand et nous Ce n'est pas une entiere libertĂ©, nous tournons encore la veuĂ vers ce que nous avons laissĂ© ; nous en avons la fantasie pleine. Nisi purgatum est pectus, quĂŠ prĂŠlia nobis Atque pericula tunc ingratis insinuandum ? QuantĂŠ conscindunt hominem cuppedinis acres Sollicitum curĂŠ, quantique perinde timores ? Quidve superbia, spurcitia, ac petulantia, quantas Efficiunt clades, quid luxus desidiĂ©sque ? Nostre mal nous tient en l'ame or elle ne se peut eschapper Ă elle mesme, In culpa est animus, qui se non effugit unquam. Ainsin il la faut ramener et retirer en soy C'est la vraye solitude, et qui se peut joĂÂŒir au milieu des villes et des cours des Roys ; mais elle se jouyt plus commodĂ©ment Ă part. Or puis que nous entreprenons de vivre seuls, et de nous passer de compagnie, faisons que nostre contentement despende de nous Desprenons nous de toutes les liaisons qui nous attachent Ă autruy Gaignons sur nous, de pouvoir Ă bon escient vivre seuls, et y vivre Ă nostr'aise. Stilpon estant eschappĂ© de l'embrasement de sa ville, oĂÂč il avoit perdu femme, enfans, et chevance ; Demetrius Poliorcetes, le voyant en une si grande ruine de sa patrie, le visage non effrayĂ©, luy demanda, s'il n'avoit pas eu du dommage ; il respondit que non, et qu'il n'y avoit Dieu mercy rien perdu de sien. C'est ce que le Philosophe Antisthenes disoit plaisamment, Que l'homme se devoit pourveoir de munitions, qui flottassent sur l'eau, et peussent Ă nage avec luy eschapper du naufrage. Certes l'homme d'entendement n'a rien perdu, s'il a soy mesme. Quand la ville de Nole fut ruinĂ©e par les Barbares, Paulinus qui en estoit Evesque, y ayant tout perdu, et leur prisonnier, prioit ainsi Dieu ; Seigneur garde moy de sentir cette perte car tu sçais qu'ils n'ont encore rien touchĂ© de ce qui est Ă moy. Les richesses qui le faisoyent riche, et les biens qui le faisoient bon, estoyent encore en leur entier. Voyla que c'est de bien choisir les thresors qui se puissent affranchir de l'injure et de les cacher en lieu, oĂÂč personne n'aille, et lequel ne puisse estre trahi que par nous mesmes. Il faut avoir femmes, enfans, biens, et sur tout de la santĂ©, qui peut, mais non pas s'y attacher en maniere que nostre heur en despende. Il se faut reserver une arriereboutique, toute nostre, toute franche, en laquelle nous establissions nostre vraye libertĂ© et principale retraicte et solitude. En cette-cy faut-il prendre nostre ordinaire entretien, de nous Ă nous mesmes, et si privĂ©, que nulle accointance ou communication de chose estrangere y trouve place Discourir et y rire, comme sans femme, sans enfans, et sans biens, sans train, et sans valetz afin que quand l'occasion adviendra de leur perte, il ne nous soit pas nouveau de nous en passer. Nous avons une ame contournable en soy mesme ; elle se peut faire compagnie, elle a dequoy assaillir et dequoy deffendre, dequoy recevoir, et dequoy donner ne craignons pas en cette solitude, nous croupir d'oisivetĂ© ennuyeuse, In solis sis tibi turba locis. La vertu se contente de soy sans discipline, sans paroles, sans effects. En noz actions accoustumees, de mille il n'en est pas une qui nous regarde. Celuy que tu vois grimpant contremont les ruines de ce mur, furieux et hors de soy, en bute de tant de harquebuzades et cet autre tout cicatricĂ©, transi et pasle de faim, deliberĂ© de crever plustost que de luy ouvrir la porte ; penses-tu qu'ils y soyent pour eux ? pour tel Ă l'adventure, qu'ils ne virent onques, et qui ne se donne aucune peine de leur faict, plongĂ© cependant en l'oysivetĂ© et aux delices. Cettuy-cy tout pituiteux, chassieux et crasseux, que tu vois sortir apres minuict d'un estude, penses-tu qu'il cherche parmy les livres, comme il se rendra plus homme de bien, plus content et plus sage ? nulles nouvelles. Il y mourra, ou il apprendra Ă la posteritĂ© la mesure des vers de Plaute, et la vraye orthographe d'un mot Latin. Qui ne contre-change volontiers la santĂ©, le repos, et la vie, Ă la reputation et Ă la gloire ? la plus inutile, vaine et fauce monnoye, qui soit en nostre usage Nostre mort ne nous faisoit pas assez de peur, chargeons nous encores de celle de nos femmes, de noz enfans, et de nos gens. Noz affaires ne nous donnoyent pas assez de peine, prenons encores Ă nous tourmenter, et rompre la teste, de ceux de noz voisins et amis. Vah ! quemquamne hominem in animum instituere, aut Parare, quod sit charius, que ipse est sibi ? La solitude me semble avoir plus d'apparence, et de raison, Ă ceux qui ont donnĂ© au monde leur aage plus actif et fleurissant, Ă l'exemple de Thales. C'est assez vescu pour autruy, vivons pour nous au moins ce bout de vie ramenons Ă nous, et Ă nostre aise nos pensĂ©es et nos intentions. Ce n'est pas une legere partie que de faire seurement sa retraicte ; elle nous empesche assez sans y mesler d'autres entreprinses. Puis que Dieu nous donne loisir de disposer de nostre deslogement ; preparons nous y ; plions bagage ; prenons de bon'heure congĂ© de la compagnie ; despĂ©trons nous de ces violentes prinses, qui nous engagent ailleurs, et esloignent de nous. Il faut desnoĂÂŒer ces obligations si fortes et meshuy aymer cecy et cela, mais n'espouser rien que soy C'est Ă dire, le reste soit Ă nous mais non pas joint et colĂ© en façon, qu'on ne le puisse desprendre sans nous escorcher, et arracher ensemble quelque piece du nostre. La plus grande chose du monde c'est de sçavoir estre Ă soy. Il est temps de nous desnoĂÂŒer de la societĂ©, puis que nous n'y pouvons rien apporter. Et qui ne peut prester, qu'il se deffende d'emprunter. Noz forces nous faillent retirons les, et resserrons en nous. Qui peut renverser et confondre en soy les offices de tant d'amitiez, et de la compagnie, qu'il le face. En cette cheute, qui le rend inutile, poisant, et importun aux autres, qu'il se garde d'estre importun Ă soy mesme, et poisant et inutile. Qu'il se flatte et caresse, et sur tout se regente, respectant et craignant sa raison et sa conscience si qu'il ne puisse sans honte, broncher en leur presence. Rarum est enim, ut satis se quisque vereatur. Socrates dit, que les jeunes se doivent faire instruire ; les hommes s'exercer Ă bien faire les vieux se retirer de toute occupation civile et militaire, vivants Ă leur discretion, sans obligation Ă certain office. Il y a des complexions plus propres Ă ces preceptes de la retraite les unes que les autres. Celles qui ont l'apprehension molle et lasche, et un'affection et volontĂ© delicate, et qui ne s'asservit et ne s'employe pas aysĂ©ment, desquels je suis, et par naturelle condition et par discours, ils se plieront mieux Ă ce conseil, que les ames actives et occupĂ©es, qui embrassent tout, et s'engagent par tout, qui se passionnent de toutes choses qui s'offrent, qui se presentent, et qui se donnent Ă toutes occasions. Il se faut servir de ces commoditez accidentales et hors de nous, en tant qu'elles nous sont plaisantes ; mais sans en faire nostre principal fondement Ce ne l'est pas ; ny la raison, ny la nature ne le veulent Pourquoy contre ses loix asservirons nous nostre contentement Ă la puissance d'autruy ? D'anticiper aussi les accidens de fortune, se priver des commoditez qui nous sont en main, comme plusieurs ont faict par devotion, et quelques Philosophes par discours, se servir soy-mesmes, coucher sur la dure, se crever les yeux, jetter ses richesses emmy la riviere, rechercher la douleur ceux-lĂ pour par le tourment de cette vie, en acquerir la beatitude d'une autre ceux-cy pour s'estans logez en la plus basse marche, se mettre en seuretĂ© de nouvelle cheute c'est l'action d'une vertu excessive. Les natures plus roides et plus fortes facent leur cachette mesmes, glorieuse et exemplaire. tuta et parvula laudo, Cum res deficiunt, satis inter vilia fortis Verum ubi quid melius contingit et unctius, idem Hos sapere, et solos aio bene vivere, quorum Conspicitur nitidis fundata pecunia villis. Il y a pour moy assez affaire sans aller si avant. Il me suffit souz la faveur de la fortune, me preparer Ă sa dĂ©faveur ; et me representer estant Ă mon aise, le mal advenir, autant que l'imagination y peut attaindre tout ainsi que nous nous accoustumons aux jouxtes et tournois, et contrefaisons la guerre en pleine paix. Je n'estime point Arcesilaus le Philosophe moins reformĂ©, pour le sçavoir avoir usĂ© d'utensiles d'or et d'argent, selon que la condition de sa fortune le luy permettoit et l'estime mieux, que s'il s'en fust demis, de ce qu'il en usoit moderĂ©ment et liberalement. Je voy jusques Ă quels limites va la necessitĂ© naturelle et considerant le pauvre mendiant Ă ma porte, souvent plus enjouĂ© et plus sain que moy, je me plante en sa place j'essaye de chausser mon ame Ă son biaiz. Et courant ainsi par les autres exemples, quoy que je pense la mort, la pauvretĂ©, le mespris, et la maladie Ă mes talons, je me resous aisĂ©ment de n'entrer en effroy, de ce qu'un moindre que moy prend avec telle patience Et ne veux croire que la bassesse de l'entendement, puisse plus que la vigueur, ou que les effects du discours, ne puissent arriver aux effects de l'accoustumance. Et cognoissant combien ces commoditez accessoires tiennent Ă peu, je ne laisse pas en pleine jouyssance, de supplier Dieu pour ma souveraine requeste, qu'il me rende content de moy-mesme, et des biens qui naissent de moy. Je voy des jeunes hommes gaillards, qui portent nonobstant dans leurs coffres une masse de pillules, pour s'en servir quand le rhume les pressera ; lequel ils craignent d'autant moins, qu'ils en pensent avoir le remede en main. Ainsi faut il faire Et encore si on se sent subject Ă quelque maladie plus forte, se garnir de ces medicamens qui assoupissent et endorment la partie. L'occupation qu'il faut choisir Ă une telle vie, ce doit estre une occupation non penible ny ennuyeuse ; autrement pour neant ferions nous estat d'y estre venuz chercher le sejour. Cela depend du goust particulier d'un chacun Le mien ne s'accommode aucunement au mĂ©nage. Ceux qui l'aiment, ils s'y doivent addonner avec moderation, Conentur sibi res, non se submittere rebus. C'est autrement un office servile que la mesnagerie, comme le nomme Saluste Elle a des parties plus excusables, comme le soing des jardinages que Xenophon attribue Ă Cyrus Et se peut trouver un moyen, entre ce bas et vil soing, tendu et plein de solicitude, qu'on voit aux hommes qui s'y plongent du tout ; et cette profonde et extreme nonchalance laissant tout aller Ă l'abandon, qu'on voit en d'autres Democriti pecus edit agellos Cultaque, dum peregre est animus sine corpore velox. Mais oyons le conseil que donne le jeune Pline Ă Cornelius Rufus son amy, sur ce propos de la solitude Je te conseille en cette pleine et grasse retraicte, oĂÂč tu es, de quitter Ă tes gens ce bas et abject soing du mesnage, et t'addonner Ă l'estude des lettres, pour en tirer quelque chose qui soit toute tienne. Il entend la reputation d'une pareille humeur Ă celle de Cicero, qui dit vouloir employer sa solitude et sejour des affaires publiques, Ă s'en acquerir par ses escrits une vie immortelle. usque adeo ne Scire tuum nihil est, nisi te scire hoc sciat alter ? Il semble, que ce soit raison, puis qu'on parle de se retirer du monde, qu'on regarde hors de luy. Ceux-cy ne le font qu'Ă demy. Ils dressent bien leur partie, pour quand ils n'y seront plus mais le fruit de leur dessein, ils pretendent le tirer encore lors, du monde, absens, par une ridicule contradiction. L'imagination de ceux qui par devotion, cerchent la solitude ; remplissants leur courage, de la certitude des promesses divines, en l'autre vie, est bien plus sainement assortie. Ils se proposent Dieu, object infini en bontĂ© et en puissance. L'ame a dequoy y rassasier ses desirs, en toute libertĂ©. Les afflictions, les douleurs, leur viennent Ă profit, employĂ©es Ă l'acquest d'une santĂ© et resjouyssance eternelle. La mort, Ă souhait passage Ă un si parfaict estat. L'aspretĂ© de leurs regles est incontinent applanie par l'accoustumance et les appetits charnels, rebutez et endormis par leur refus car rien ne les entretient que l'usage et l'exercice. Cette seule fin, d'une autre vie heureusement immortelle, merite loyalement que nous abandonnions les commoditez et douceurs de cette vie nostre. Et qui peut embraser son ame de l'ardeur de cette vive foy et esperance, reellement et constamment, il se bastit en la solitude, une vie voluptueuse et delicieuse, au delĂ de toute autre sorte de vie. Ny la fin donc ny le moyen de ce conseil ne me contente nous retombons tousjours de fievre en chaud mal. Cette occupation des livres, est aussi penible que toute autre ; et autant ennemie de la santĂ©, qui doit estre principalement considerĂ©e. Et ne se faut point laisser endormir au plaisir qu'on y prend c'est ce mesme plaisir qui perd le mesnager, l'avaricieux, le voluptueux, et l'ambitieux. Les sages nous apprennent assez, Ă nous garder de la trahison de noz appetits ; et Ă discerner les vrays plaisirs et entiers, des plaisirs meslez et bigarrez de plus de peine. Car la pluspart des plaisirs, disent ils, nous chatouillent et embrassent pour nous estrangler, comme faisoyent les larrons que les Ăâ gyptiens appelloyent Philistas et si la douleur de teste nous venoit avant l'yvresse, nous nous garderions de trop boire ; mais la voluptĂ©, pour nous tromper, marche devant, et nous cache sa suitte. Les livres sont plaisans mais si de leur frequentation nous en perdons en fin la gayetĂ© et la santĂ©, nos meilleures pieces, quittons les Je suis de ceux qui pensent leur fruit ne pouvoir contrepeser cette perte. Comme les hommes qui se sentent de long temps affoiblis par quelque indisposition, se rengent Ă la fin Ă la mercy de la medecine ; et se font desseigner par art certaines regles de vivre, pour ne les plus outrepasser aussi celuy qui se retire ennuiĂ© et desgoustĂ© de la vie commune, doit former cette-cy, aux regles de la raison ; l'ordonner et renger par premeditation et discours. Il doit avoir prins congĂ© de toute espece de travail, quelque visage qu'il porte ; et fuĂÂŻr en general les passions, qui empeschent la tranquillitĂ© du corps et de l'ame ; et choisir la route qui est plus selon son humeur Unusquisque sua noverit ire via. Au mesnage, Ă l'estude, Ă la chasse, et tout autre exercice, il faut donner jusques aux derniers limites du plaisir ; et garder de s'engager plus avant, ou la peine commence Ă se mesler parmy. Il faut reserver d'embesoignement et d'occupation, autant seulement, qu'il en est besoing, pour nous tenir en haleine, et pour nous garantir des incommoditez que tire apres soy l'autre extremitĂ© d'une lasche oysivetĂ© et assoupie. Il y a des sciences steriles et Ă©pineuses, et la plus part forgĂ©es pour la presse il les faut laisser Ă ceux qui sont au service du monde. Je n'ayme pour moy, que des livres ou plaisans et faciles ; qui me chatouillent ; ou ceux qui me consolent, et conseillent Ă regler ma vie et ma mort. tacitum sylvas inter reptare salubres, Curantem quidquid dignum sapiente bonĂÂłque est. Les gens plus sages peuvent se forger un repos tout spirituel, ayant l'ame forte et vigoureuse Moy qui l'ay commune, il faut que j'ayde Ă me soustenir par les commoditez corporelles Et l'aage m'ayant tantost desrobĂ© celles qui estoient plus Ă ma fantasie, j'instruis et aiguise mon appetit Ă celles qui restent plus sortables Ă cette autre saison. Il faut retenir Ă tout nos dents et nos griffes, l'usage des plaisirs de la vie, que nos ans nous arrachent des poings, les uns apres les autres carpamus dulcia, nostrum est Quod vivis, cinis et manes et fabula fies. Or quant Ă la fin que Pline et Cicero nous proposent, de la gloire, c'est bien loing de mon conte La plus contraire humeur Ă la retraicte, c'est l'ambition La gloire et le repos sont choses qui ne peuvent loger en mesme giste Ă ce que je voy, ceux-cy n'ont que les bras et les jambes hors de la presse ; leur ame, leur intention y demeure engagĂ©e plus que jamais. Tun' vetule auriculis alienis colligis escas ? Ils se sont seulement reculez pour mieux sauter, et pour d'un plus fort mouvement faire une plus vive faucĂ©e dans la trouppe. Vous plaist-il voir comme ils tirent court d'un grain ? Mettons au contrepoix, l'advis de deux philosophes ; et de deux sectes tres-differentes, escrivans l'un Ă Idomeneus, l'autre Ă Lucilius leurs amis, pour du maniement des affaires et des grandeurs, les retirer Ă la solitude. Vous avez disent-ils vescu nageant et flottant jusques Ă present, venez vous en mourir au port Vous avez donnĂ© le reste de vostre vie Ă la lumiere, donnez cecy Ă l'ombre Il est impossible de quitter les occupations, si vous n'en quittez le fruit ; Ă cette cause desfaictes vous de tout soing de nom et de gloire. Il est danger que la lueur de voz actions passĂ©es, ne vous esclaire que trop, et vous suive jusques dans vostre taniere Quittez avecq les autres voluptez, celle qui vient de l'approbation d'autruy Et quant Ă vostre science et suffisance, ne vous chaille, elle ne perdra pas son effect, si vous en valez mieux vous mesme. Souvienne vous de celuy, Ă qui comme on demandast, Ă quoy faire il se pĂ©noit si fort en un art, qui ne pouvoit venir Ă la cognoissance de guere de gens J'en ay assez de peu, respondit-il, j'en ay assez d'un, j'en ay assez de pas un. Il disoit vray vous et un compagnon estes assez suffisant theatre l'un Ă l'autre, ou vous Ă vous-mesmes. Que le peuple vous soit un, et un vous soit tout le peuple C'est une lache ambition de vouloir tirer gloire de son oysivetĂ©, et de sa cachette Il faut faire comme les animaux, qui effacent la trace, Ă la porte de leur taniere. Ce n'est plus ce qu'il vous faut chercher, que le monde parle de vous, mais comme il faut que vous parliez Ă vous-mesmes Retirez vous en vous, mais preparez vous premierement de vous y recevoir ce seroit folie de vous fier Ă vous mesmes, si vous ne vous sçavez gouverner. Il y a moyen de faillir en la solitude, comme en la compagnie jusques Ă ce que vous vous soyez rendu tel, devant qui vous n'osiez clocher, et jusques Ă ce que vous ayez honte et respect de vous mesmes, obversentur species honestĂŠ animo presentez vous tousjours en l'imagination Caton, Phocion, et Aristides, en la presence desquels les fols mesme cacheroient leurs fautes, et establissez les contrerolleurs de toutes vos intentions Si elles se detraquent, leur reverence vous remettra en train ils vous contiendront en cette voye, de vous contenter de vous mesmes, de n'emprunter rien que de vous, d'arrester et fermir vostre ame en certaines et limitĂ©es cogitations, oĂÂč elle se puisse plaire et ayant entendu les vrays biens, desquels on jouyt Ă mesure qu'on les entend, s'en contenter, sans desir de prolongement de vie ny de nom. Voyla le conseil de la vraye et naifve philosophie, non d'une philosophie ostentatrice et parliere, comme est celle des deux premiers. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XXXIX Consideration sur Ciceron ENCOR'un traict Ă la comparaison de ces couples Il se tire des escrits de Cicero, et de ce Pline peu retirant, Ă mon advis, aux humeurs de son oncle, infinis tesmoignages de nature outre mesure ambitieuse Entre autres qu'ils sollicitent au sceu de tout le monde, les historiens de leur temps, de ne les oublier en leurs registres et la fortune comme par despit, a faict durer jusques Ă nous la vanitĂ© de ces requestes, et pieça faict perdre ces histoires. Mais cecy surpasse toute bassesse de coeur, en personnes de tel rang, d'avoir voulu tirer quelque principale gloire du cacquet, et de la parlerie, jusques Ă y employer les lettres privĂ©es escriptes Ă leurs amis en maniere, que aucunes ayans failly leur saison pour estre envoyĂ©es, ils les font ce neantmoins publier avec cette digne excuse, qu'ils nont pas voulu perdre leur travail et veillĂ©es. Sied-il pas bien Ă deux consuls Romains, souverains magistrats de la chose publique emperiere du monde, d'employer leur loisir, Ă ordonner et fagotter gentiment une belle missive, pour en tirer la reputation, de bien entendre le langage de leur nourrisse ? Que feroit pis un simple maistre d'escole qui en gaignast sa vie ? Si les gestes de Xenophon et de CĂŠsar, n'eussent de bien loing surpassĂ© leur eloquence, je ne croy pas qu'ils les eussent jamais escrits. Ils ont cherchĂ© Ă recommander non leur dire, mais leur faire. Et si la perfection du bien parler pouvoit apporter quelque gloire sortable Ă un grand personnage, certainement Scipion et LĂŠlius n'eussent pas resignĂ© l'honneur de leurs comedies, et toutes les mignardises et delices du langage Latin, Ă un serf Afriquain Car que cet ouvrage soit leur, sa beautĂ© et son excellence le maintient assez, et Terence l'advoĂÂŒe luy mesme et me feroit on desplaisir de me desloger de cette creance. C'est une espece de mocquerie et d'injure, de vouloir faire valoir un homme, par des qualitez mes-advenantes Ă son rang ; quoy qu'elles soient autrement loĂÂŒables ; et par les qualitez aussi qui ne doivent pas estre les siennes principales Comme qui loĂÂŒeroit un Roy d'estre bon peintre, ou bon architecte, ou encore bon arquebuzier, ou bon coureur de bague Ces loĂÂŒanges ne font honneur, si elles ne sont presentĂ©es en foule, et Ă la suitte de celles qui luy sont propres Ă sçavoir de la justice, et de la science de conduire son peuple en paix et en guerre De cette façon faict honneur Ă Cyrus l'agriculture, et Ă Charlemaigne l'eloquence, et cognoissance des bonnes lettres. J'ay veu de mon temps, en plus forts termes, des personnages, qui tiroient d'escrire, et leurs tiltres, et leur vocation, desadvoĂÂŒer leur apprentissage, corrompre leur plume, et affecter l'ignorance de qualitĂ© si vulgaire, et que nostre peuple tient, ne se rencontrer guere en mains sçavantes et prendre souci, de se recommander par meilleures qualitez. Les compagnons de Demosthenes en l'ambassade vers Philippus, loĂÂŒoyent ce Prince d'estre beau, eloquent, et bon beuveur Demosthenes disoit que c'estoient louanges qui appartenoient mieux Ă une femme, Ă un Advocat, Ă une esponge, qu'Ă un Roy. Imperet bellante prior, jacentem Lenis in hostem. Ce n'est pas sa profession de sçavoir, ou bien chasser, ou bien dancer, Orabunt causas alii, cĂŠlique meatus Describent radio, et fulgentia sidera dicent, Hic regere imperio populos sciat. Plutarque dit d'avantage, que de paroistre si excellent en ces parties moins necessaires, c'est produire contre soy le tesmoignage d'avoir mal dispencĂ© son loisir, et l'estude, qui devoit estre employĂ© Ă choses plus necessaires et utiles. De façon que Philippus Roy de Macedoine, ayant ouy ce grand Alexandre son fils, chanter en un festin, Ă l'envi des meilleurs musiciens ; N'as-tu pas honte, luy dit-il, de chanter si bien ? Et Ă ce mesme Philippus, un musicien contre lequel il debattoit de son art ; Ja Ă Dieu ne plaise Sire, dit-il, qu'il t'advienne jamais tant de mal, que tu entendes ces choses lĂ , mieux que moy. Un Roy doit pouvoir respondre, comme Iphicrates respondit Ă l'orateur qui le pressoit en son invective de cette maniere Et bien qu'es-tu, pour faire tant le brave ? es-tu homme d'armes, es-tu archer, es-tu piquier ? Je ne suis rien de tout cela, mais je suis celuy qui sçait commander Ă tous ceux-lĂ . Et Antisthenes print pour argument de peu de valeur en Ismenias, dequoy on le vantoit d'estre excellent joĂÂŒeur de flustes. Je sçay bien, quand j'oy quelqu'un, qui s'arreste au langage des Essais, que j'aimeroye mieux, qu'il s'en teust. Ce n'est pas tant eslever les mots, comme deprimer le sens d'autant plus picquamment, que plus obliquement. Si suis-je trompĂ© si guere d'autres donnent plus Ă prendre en la matiere et comment que ce soit, mal ou bien, si nul escrivain l'a semĂ©e, ny guere plus materielle, ny au moins plus drue, en son papier. Pour en ranger d'avantage, je n'en entasse que les testes. Que j'y attache leur suitte, je multiplieray plusieurs fois ce volume. Et combien y ay-je espandu d'histoires, qui ne disent mot, lesquelles qui voudra esplucher un peu plus curieusement, en produira infinis Essais ? Ny elles, ny mes allegations, ne servent pas tousjours simplement d'exemple, d'authoritĂ© ou d'ornement. Je ne les regarde pas seulement par l'usage, que j'en tire. Elles portent souvent, hors de mon propos, la semence d'une matiere plus riche et plus hardie et souvent Ă gauche, un ton plus delicat, et pour moy, qui n'en veux en ce lieu exprimer d'avantage, et pour ceux qui rencontreront mon air. Retournant Ă la vertu parliere, je ne trouve pas grand choix, entre ne sçavoir dire que mal, ou ne sçavoir rien que bien dire. Non est ornamentum virile concinnitas. Les Sages disent, que pour le regard du sçavoir, il n'est que la philosophie, et pour le regard des effects, que la vertu, qui generalement soit propre Ă tous degrez, et Ă tous ordres. Il y a quelque chose de pareil en ces autres deux philosophes car ils promettent aussi eternitĂ© aux lettres qu'ils escrivent Ă leurs amis. Mais c'est d'autre façon, et s'accommodans pour une bonne fin, Ă la vanitĂ© d'autruy Car ils leur mandent, que si le soing de se faire cognoistre aux siecles advenir, et de la renommĂ©e les arreste encore au maniement des affaires, et leur fait craindre la solitude et la retraite, oĂÂč ils les veulent appeller ; qu'ils ne s'en donnent plus de peine d'autant qu'ils ont assez de credit avec la posteritĂ©, pour leur respondre, que ne fust que par les lettres qu'ils leur escrivent, ils rendront leur nom aussi cogneu et fameux que pourroient faire leurs actions publiques. Et outre cette difference ; encore ne sont-ce pas lettres vuides et descharnĂ©es, qui ne se soustiennent que par un delicat chois de mots, entassez et rangez Ă une juste cadence ; ains farcies et pleines de beaux discours de sapience, par lesquelles on se rend non plus eloquent, mais plus sage, et qui nous apprennent non Ă bien dire, mais Ă bien faire. Fy de l'eloquence qui nous laisse envie de soy, non des choses Si ce n'est qu'on die que celle de Cicero, estant en si extreme perfection, se donne corps elle mesme. J'adjousteray encore un compte que nous lisons de luy, Ă ce propos, pour nous faire toucher au doigt son naturel. Il avoit Ă orer en public, et estoit un peu pressĂ© du temps, pour se preparer Ă son aise Eros, l'un de ses serfs, le vint advertir, que l'audience estoit remise au lendemain il en fut si aise, qu'il luy donna libertĂ© pour cette bonne nouvelle. Sur ce subject de lettres, je veux dire ce mot ; que c'est un ouvrage, auquel mes amis tiennent, que je puis quelque chose Et eusse prins plus volontiers cette forme Ă publier mes verves, si j'eusse eu Ă qui parler. Il me falloit, comme je l'ay eu autrefois, un certain commerce, qui m'attirast, qui me soustinst, et souslevast. Car de negocier au vent, comme d'autres, je ne sçauroy, que de songe ny forger des vains noms Ă entretenir, en chose serieuse ennemy jurĂ© de toute espece de falsification. J'eusse estĂ© plus attentif, et plus seur, ayant une addresse forte et amie, que regardant les divers visages d'un peuple et suis deçeu, s'il ne m'eust mieux succedĂ©. J'ay naturellement un stile comique et privĂ© Mais c'est d'une forme mienne, inepte aux negotiations publiques, comme en toutes façons est mon langage, trop serrĂ©, desordonnĂ©, couppĂ©, particulier Et ne m'entens pas en lettres ceremonieuses, qui n'ont autre substance, que d'une belle enfileure de paroles courtoises Je n'ay ny la facultĂ©, ny le goust de ces longues offres d'affection et de service Je n'en crois pas tant ; et me desplaist d'en dire guere, outre ce que j'en crois. C'est bien loing de l'usage present car il ne fut jamais si abjecte et servile prostitution de presentations la vie, l'ame, devotion, adoration, serf, esclave, tous ces mots y courent si vulgairement, que quand ils veulent faire sentir une plus expresse volontĂ© et plus respectueuse, ils n'ont plus de maniere pour l'exprimer. Je hay Ă mort de sentir au flateur. Qui faict que je me jette naturellement Ă un parler sec, rond et cru, qui tire Ă qui ne me cognoit d'ailleurs, un peu vers le desdaigneux. J'honnore le plus ceux que j'honnore le moins et oĂÂč mon ame marche d'une grande allegresse, j'oublie les pas de la contenance et m'offre maigrement et fierement, Ă ceux Ă qui je suis et me presente moins, Ă qui je me suis le plus donnĂ©. Il me semble qu'ils le doivent lire en mon coeur, et que l'expression de mes paroles, fait tort Ă ma conception. A bienvienner, Ă prendre congĂ©, Ă remercier, Ă salĂÂŒer, Ă presenter mon service, et tels compliments verbeux des loix ceremonieuses de nostre civilitĂ©, je ne cognois personne si sottement sterile de langage que moy. Et n'ay jamais estĂ© employĂ© Ă faire des lettres de faveur et recommendation, que celuy pour qui c'estoit, n'aye trouvĂ©es seches et lasches. Ce sont grands imprimeurs de lettres, que les Italiens, j'en ay, ce crois-je, cent divers volumes Celles de Annibale Caro me semblent les meilleures. Si tout le papier que j'ay autresfois barbouillĂ© pour les dames, estoit en nature, lors que ma main estoit veritablement emportĂ©e par ma passion, il s'en trouveroit Ă l'adventure quelque page digne d'estre communiquĂ©e Ă la jeunesse oysive, embabouinĂ©e de cette fureur. J'escrits mes lettres tousjours en poste, et si precipiteusement, que quoy que je peigne insupportablement mal, j'ayme mieux escrire de ma main, que d'y en employer un'autre, car je n'en trouve point qui me puisse suivre, et ne les transcrits jamais J'ay accoustumĂ© les grands, qui me cognoissent, Ă y supporter des litures et des trasseures, et un papier sans plieure et sans marge. Celles qui me coustent le plus, sont celles qui valent le moins Depuis que je les traine, c'est signe que je n'y suis pas. Je commence volontiers sans project ; le premier traict produit le second. Les lettres de ce temps, sont plus en bordures et prefaces, qu'en matiere Comme j'ayme mieux composer deux lettres, que d'en clorre et plier une ; et resigne tousjours cette commission Ă quelque autre de mesme quand la matiere est achevĂ©e, je donrois volontiers Ă quelqu'un la charge d'y adjouster ces longues harangues, offres, et prieres, que nous logeons sur la fin, et desire que quelque nouvel usage nous en descharge Comme aussi de les inscrire d'une legende de qualitez et tiltres, pour ausquels ne broncher, j'ay maintesfois laissĂ© d'escrire, et notamment Ă gens de justice et de finance. Tant d'innovations d'offices, une si difficile dispensation et ordonnance de divers noms d'honneur ; lesquels estans si cherement achetez, ne peuvent estre eschangez, ou oubliez sans offence. Je trouve pareillement de mauvaise grace, d'en charger le front et inscription des livres, que nous faisons imprimer. Table des matiĂšres Chapitre prĂ©cĂ©dentChapitre suivant CHAPITRE XL Que le goust des biens et des maux despend en bonne partie de l'opinion que nous en avons LES hommes dit une sentence Grecque ancienne sont tourmentez par les opinions qu'ils ont des choses, non par les choses mesmes. Il y auroit un grand poinct gaignĂ© pour le soulagement de nostre miserable condition humaine, qui pourroit establir cette proposition vraye tout par tout. Car si les maux n'ont entrĂ©e en nous, que par nostre jugement, il semble qu'il soit en nostre pouvoir de les mespriser ou contourner Ă bien. Si les choses se rendent Ă nostre mercy, pourquoy n'en chevirons nous, ou ne les accommoderons nous Ă nostre advantage ? Si ce que nous appellons mal et tourment, n'est ny mal ny tourment de soy, ains seulement que nostre fantasie luy donne cette qualitĂ©, il est en nous de la changer et en ayant le choix, si nul ne nous force, nous sommes estrangement fols de nous bander pour le party qui nous est le plus ennuyeux et de donner aux maladies, Ă l'indigence et au mespris un aigre et mauvais goust, si nous le leur pouvons donner bon et si la fortune fournissant simplement de matiere, c'est Ă nous de luy donner la forme. Or que ce que nous appellons mal, ne le soit pas de soy, ou au moins tel qu'il soit, qu'il depende de nous de luy donner autre saveur, et autre visage car tout revient Ă un voyons s'il se peut maintenir. Si l'estre originel de ces choses que nous craignons, avoit credit de se loger en nous de son authoritĂ©, il logeroit pareil et semblable en tous car les hommes sont tous d'une espece et sauf le plus et le moins, se trouvent garnis de pareils outils et instruments pour concevoir et juger Mais la diversitĂ© des opinions, que nous avons de ces choses lĂ , montre clairement qu'elles n'entrent en nous que par composition Tel Ă l'adventure les loge chez soy en leur vray estre, mais mille autres leur donnent un estre nouveau et contraire chez eux. Nous tenons la mort, la pauvretĂ© et la douleur pour nos principales parties. Or cette mort que les uns appellent des choses horribles la plus horrible, qui ne sçait que d'autres la nomment l'unique port des tourmens de ceste vie ? le souverain bien de nature ? seul appuy de nostre libertĂ© ? et commune et prompte recepte Ă tous maux ? Et comme les uns l'attendent tremblans et effrayez, d'autres la supportent plus aysement que la vie. Celuy-la se plaint de sa facilitĂ© Mors utinam pavidos vita subducere nolles, Sed virtus te sola daret ! Or laissons ces glorieux courages Theodorus respondit Ă Lysimachus menaçant de le tuer Tu feras un grand coup d'arriver Ă la force d'une cantharide. La plus part des Philosophes se treuvent avoir ou prevenu par dessein, ou hastĂ© et secouru leur mort. Combien voit-on de personnes populaires, conduictes Ă la mort, et non Ă une mort simple, mais meslee de honte, et quelquefois de griefs tourmens, y apporter une telle asseurance, qui par opiniatretĂ©, qui par simplesse naturelle, qu'on n'y apperçoit rien de changĂ© de leur estat ordinaire establissans leurs affaires domestiques, se recommandans Ă leurs amis, chantans, preschans et entretenans le peuple voire y meslans quelquefois des mots pour rire, et beuvans Ă leurs cognoissans, aussi bien que Socrates ? Un qu'on menoit au gibet, disoit que ce ne fust pas par telle ruĂ, car il y avoit danger qu'un marchant luy fist mettre la main sur le collet, Ă cause d'un vieux debte. Un autre disoit au bourreau qu'il ne le touchast pas Ă la gorge, de peur de le faire tressaillir de rire, tant il estoit chatouilleux l'autre respondit Ă son confesseur, qui luy promettoit qu'il soupperoit ce jour lĂ avec nostre Seigneur, Allez vous y en vous, car de ma part je jeusne. Un autre ayant demandĂ© Ă boire, et le bourreau ayant beu le premier, dit ne vouloir boire apres luy, de peur de prendre la verolle. Chacun Ă ouy faire le conte du Picard, auquel estant Ă l'eschelle on presente une garse, et que comme nostre justice permet quelquefois s'il la vouloit espouser, on luy sauveroit la vie luy l'ayant un peu contemplee, et apperçeu qu'elle boittoit Attache, attache, dit-il, elle cloche. Et on dit de mesmes qu'en Dannemarc un homme condamnĂ© Ă avoir la teste tranchee, estant sur l'eschaffaut, comme on luy presenta une pareille condition, la refusa, par ce que la fille qu'on luy offrit, avoit les jouĂs avallees, et le nez trop pointu. Un valet Ă Thoulouse accusĂ© d'heresie, pour toute raison de sa creance, se rapportoit Ă celle de son maistre, jeune escolier prisonnier avec luy, et ayma mieux mourir, que se laisser persuader que son maistre peust errer. Nous lisons de ceux de la ville d'Arras, lors que le Roy Loys unziesme lĂ print, qu'il s'en trouva bon nombre parmy le peuple qui se laisserent pendre, plustost que de dire, Vive le Roy. Et de ces viles ames de bouffons, il s'en est trouvĂ© qui n'ont voulu abandonner leur gaudisserie en la mort mesme. Celuy Ă qui le bourreau donnoit le branle, s'escria, Vogue la gallee, qui estoit son refrain ordinaire. Et l'autre qu'on avoit couchĂ© sur le point de rendre sa vie le long du foier sur une paillasse, Ă qui le medecin demandant oĂÂč le mal le tenoit ; Entre le banc et le feu, respondit-il. Et le prestre, pour luy donner l'extreme onction, cherchant ses pieds, qu'il avoit reserrez et contraints par la maladie Vous les trouverez, dit-il, au bout de mes jambes. A l'homme qui l'exhortoit de se recommander Ă Dieu, Qui y va ? demanda-il et l'autre respondant, Ce sera tantost vous mesmes, s'il luy plait Y fusse-je bien demain au soir, repliqua-il Recommandez vous seulement Ă luy, suivit l'autre, vous y serez bien tost Il vaut donc mieux, adjousta-il, que je luy porte mes recommandations moy-mesmes. Au Royaume de Narsingue encores aujourd'huy, les femmes de leurs prestres sont vives ensevelies avec le corps de leurs maris. Toutes autres femmes sont bruslees aux funerailles des leurs non constamment seulement, mais gaĂÂŻement. A la mort du Roy, ses femmes et concubines, ses mignons et tous ses officiers et serviteurs, qui font un peuple, se presentent si allegrement au feu ou son corps est bruslĂ©, qu'ils montrent prendre Ă grand honneur d'y accompaigner leur maistre. Pendant nos dernieres guerres de Milan, et tant de prises et rĂ©cousses, le peuple impatient de si divers changemens de fortune, print telle resolution Ă la mort, que j'ay ouy dire Ă mon pere, qu'il y veit tenir comte de bien vingt et cinq maistres de maison, qui s'estoient deffaits-eux mesmes en une sepmaine Accident approchant Ă celuy des Xanthiens, lesquels assiegez par Brutus se precipiterent pesle mesle hommes, femmes, et enfans Ă un si furieux appetit de mourir, qu'on ne fait rien pour fuir la mort, que ceux-cy ne fissent pour fuir la vie en maniere qu'Ă peine peut Brutus en sauver un bien petit nombre. Toute opinion est assez forte, pour se faire espouser au prix de la vie. Le premier article de ce courageux serment, que la Grece jura, et maintint, en la guerre Medoise, ce fut, que chacun changeeroit plustost la mort Ă vie, que les loix Persiennes aux leurs. Combien void on de monde en la guerre des Turcs et des Grecs, accepter plustost la mort tres-aspre, que de se descirconcire pour se baptizer ? Exemple dequoy nulle sorte de religion est incapable. Les Roys de Castille ayants banni de leur terre, les Juifs, le Roy Jehan de Portugal leur vendit Ă huict escus pour teste, la retraicte aux siennes pour un certain temps Ă condition, que iceluy venu, ils auroient Ă les vuider et luy promettoit fournir de vaisseaux Ă les trajecter en Afrique. Le jour arrive, lequel passĂ© il estoit dit, que ceux qui n'auroient obeĂÂŻ, demeureroient esclaves les vaisseaux leur furent fournis escharcement et ceux qui s'y embarquerent, rudement et villainement traittez par les passagers qui outre plusieurs autres indignitez les amuserent sur mer, tantost avant, tantost arriere, jusques Ă ce qu'ils eussent consumĂ© leurs victuailles, et contreints d'en acheter d'eux si cherement et si longuement, qu'on ne les mit Ă bord, qu'ils ne fussent du tout en chemise. La nouvelle de cette inhumanitĂ©, rapportee Ă ceux qui estoient en terre, la plus part se resolurent Ă la servitude aucuns firent contenance de changer de religion. Emmanuel successeur de Jehan, venu Ă la couronne, les meit premierement en libertĂ©, et changeant d'advis depuis, leur ordonna de sortir de ses paĂÂŻs, assignant trois ports Ă leur passage. Il esperoit, dit l'Evesque Osorius, non mesprisable historien Latin, de noz siecles que la faveur de la libertĂ©, qu'il leur avoit rendue, aiant failli de les convertir au Christianisme, la difficultĂ© de se commetre Ă la volerie des mariniers ; d'abandonner un paĂÂŻs, oĂÂč ils estoient habituez, avec grandes richesses, pour s'aller jetter en region incognue et estrangere, les y rameineroit. Mais se voyant decheu de son esperance, et eux tous deliberez au passage il retrancha deux des ports, qu'il leur avoit promis affin que la longueur et incommoditĂ© du traject en reduisist aucuns ou qu'il eust moien de les amonceller tous Ă un lieu, pour une plus grande commoditĂ© de l'execution qu'il avoit destinĂ©e. Ce fut, qu'il ordonna qu'on arrachast d'entre les mains des peres et des meres, tous les enfans au dessous de quatorze ans, pour les transporter hors de leur veĂÂŒe et conversation, en lieu oĂÂč ils fussent instruits Ă nostre religion. Il dit que cet effect produisit un horrible spectacle la naturelle affection d'entre les peres et enfants, et de plus, le zele Ă leur ancienne creance, combattant Ă l'encontre de cette violente ordonnance. Il fut veu communement des peres et meres se deffaisants eux mesmes et d'un plus rude exemple encore, precipitants par amour et compassion, leurs jeunes enfans dans des puits, pour fuir Ă la loy. Audemeurant le terme qu'il leur avoit prefix expirĂ©, par faute de moiens, ils se remirent en servitude. Quelques uns se feirent Chrestiens de la foy desquels, ou de leur race, encore aujourd'huy, cent ans apres, peu de Portugais s'asseurent quoy que la coustume et la longueur du temps, soient bien plus fortes conseilleres Ă telles mutations, que toute autre contreinte. En la ville de Castelnau Darry, cinquante Albigeois heretiques, souffrirent Ă la fois, d'un courage determinĂ©, d'estre bruslez vifs en un feu, avant desadvouer leurs opinions. Quoties non modo ductores nostri, dit Cicero, sed universi etiam exercitus, ad non dubiam mortem concurrerunt ? J'ay veu quelqu'un de mes intimes amis courre la mort Ă force, d'une vraye affection, et enracinee en son coeur par divers visages de discours, que je ne luy sçeu rabatre et Ă la premiere qui s'offrit coiffee d'un lustre d'honneur, s'y precipiter hors de toute apparence, d'une fin aspre et ardente. Nous avons plusieurs exemples en nostre temps de ceux, jusques aux enfans, qui de craincte de quelque legere incommoditĂ©, se sont donnez Ă la mort. Et Ă ce propos, que ne craindrons nous, dit un ancien, si nous craignons ce que la couardise mesme a choisi pour sa retraitte ? D'enfiler icy un grand rolle de ceux de tous sexes et conditions, et de toutes sectes, Ă©s siecles plus heureux, qui ont ou attendu la mort constamment, ou recerchee volontairement et recherchee non seulement pour fuir les maux de cette vie, mais aucuns pour fuir simplement la satietĂ© de vivre et d'autres pour l'esperance d'une meilleure condition ailleurs, je n'auroy jamais fait. Et en est le nombre si infini, qu'Ă la veritĂ© j'auroy meilleur marchĂ© de mettre en compte ceux qui l'ont crainte. Cecy seulement. Pyrrho le Philosophe se trouvant un jour de grande tourmente dans un batteau, montroit Ă ceux qu'il voyoit les plus effrayez autour de luy, et les encourageoit par l'exemple d'un pourceau, qui y estoit, nullement soucieux de cet orage. Oserons nous donc dire que cet advantage de la raison, dequoy nous faisons tant de feste, et pour le respect duquel nous nous tenons maistres et Empereurs du reste des creatures, ait estĂ© mis en nous, pour nostre tourment ? A quoy faire la cognoissance des choses, si nous en devenons plus lasches ? si nous en perdons le repos et la tranquilitĂ©, oĂÂč nous serions sans cela ? et si elle nous rend de pire condition que le pourceau de Phyrro ? L'intelligence qui nous a estĂ© donnĂ©e pour nostre plus grand bien, l'employerons nous Ă nostre ruine ; combatans le dessein de nature, et l'universel ordre des choses, qui porte que chacun use de ses utils et moyens pour sa commoditĂ© ? Bien, me dira l'on, vostre regle serve Ă la mort ; mais que direz vous de l'indigence ? que direz vous encor de la douleur, qu'Aristippus, Hieronymus et la pluspart des sages, ont estimĂ© le dernier mal et ceux qui le nioient de parole, le confessoient par effect ? Possidonius estant extremement tourmentĂ© d'une maladie aiguĂ et douloureuse, Pompeius le fut voir, et s'excusa d'avoir prins heure si importune pour l'ouyr deviser de la Philosophie Ja Ă Dieu ne plaise, luy dit Possidonius, que la douleur gaigne tant sur moy, qu'elle m'empesche d'en discourir et se jetta sur ce mesme propos du mespris de la douleur. Mais ce pendant elle joĂÂŒoit son rolle, et le pressoit incessamment A quoy il s'escrioit Tu as beau faire douleur, si ne diray je pas, que tu sois mal. Ce conte qu'ils font tant valoir, que porte-il pour le mespris de la douleur ? il ne debat que du mot. Et ce pendant si ces pointures ne l'esmeuvent, pourquoy en rompt-il son propos ? pourquoy pense-il faire beaucoup de ne l'appeller pas mal ? Icy tout ne consiste pas en l'imagination. Nous opinions du reste ; c'est icy la certaine science, qui jouĂ son rolle, nos sens mesmes en sont juges Qui nisi sunt veri, ratio quoque falsa sit omnis. Ferons nous accroire Ă nostre peau, que les coups d'estriviere la chatoĂÂŒillent ? et Ă nostre goust que l'aloĂ© soit du vin de Graves ? Le pourceau de Pyrrho est icy de nostre escot. Il est bien sans effroy Ă la mort mais si on le bat, il crie et se tourmente Forcerons nous la generale loy de nature, qui se voit en tout ce qui est vivant sous le ciel, de trembler sous la douleur ? Les arbres mesmes semblent gemir aux offences. La mort ne se sent que par le discours, d'autant que c'est le mouvement d'un instant Aut fuit, aut veniet, nihil est prĂŠsentis in illa, Morsque minus poenĂŠ, quam mora mortis habet. Mille bestes, mille hommes sont plustost morts, que menassĂ©s. Aussi ce que nous disons craindre principalement en la mort, c'est la douleur son avant-coureuse coustumiere. Toutesfois, s'il en faut croire un saint pere, malam mortem non facit, nisi quod sequitur mortem. Et je diroy encore plus vraysemblablement, que ny ce qui va devant, ny ce qui vient apres, n'est des appartenances de la mort. Nous nous excusons faussement. Et je trouve par experience, que c'est plustost l'impatience de l'imagination de la mort, qui nous rend impatiens de la douleur et que nous la sentons doublement grieve, de ce qu'elle nous menace de mourir. Mais la raison accusant nostre laschetĂ©, de craindre chose si soudaine, si inevitable, si insensible, nous prenons cet autre pretexte plus excusable. Tous les maux qui n'ont autre danger que du mal, nous les disons sans danger. Celuy des dents, ou de la goutte, pour grief qu'il soit, d'autant qu'il n'est pas homicide, qui le met en conte de maladie ? Or bien presupposons le, qu'en la mort nous regardons principalement la douleur. Comme aussi la pauvretĂ© n'a rien Ă craindre, que cela, qu'elle nous jette entre ses bras par la soif, la faim, le froid, le chaud, les veilles, qu'elle nous fait souffrir. Ainsi n'ayons affaire qu'Ă la douleur. Je leur donne que ce soit le pire accident de nostre estre et volontiers. Car je suis l'homme du monde qui luy veux autant de mal, et qui la fuis autant, pour jusques Ă present n'avoir pas eu, Dieu mercy, grand commerce avec elle ; mais il est en nous, sinon de l'aneantir, au moins de l'amoindrir par patience et quand bien le corps s'en esmouveroit, de maintenir ce neant-moins l'ame et la raison en bonne trampe. Et s'il ne l'estoit, qui auroit mis en credit, la vertu, la vaillance, la force, la magnanimitĂ© et la resolution ? oĂÂč jouĂroyent elles leur rolle, s'il n'y a plus de douleur Ă deffier ? Avida est periculi virtus. S'il ne faut coucher sur la dure, soustenir armĂ© de toutes pieces la chaleur du midy, se paistre d'un cheval, et d'un asne, se voir detailler en pieces, et arracher une balle d'entre les os, se souffrir recoudre, cauterizer et sonder, par oĂÂč s'acquerra l'advantage que nous voulons avoir sur le vulgaire ? C'est bien loing de fuir le mal et la douleur, ce que disent les Sages, que des actions Ă©gallement bonnes, celle-lĂ est plus souhaitable Ă faire, oĂÂč il y a plus de peine. Non enim hilaritate, nec lascivia, nec risu, aut joco comite levitatis, sed sĂŠpe etiam tristes firmitate et constantia sunt beati. Et Ă cette cause il a estĂ© impossible de persuader Ă nos peres, que les conquestes faites par vive force, au hazard de la guerre, ne fussent plus advantageuses, que celles qu'on fait en toute seuretĂ© par pratiques et menees LĂŠtius est, quoties magno sibi constat honestum. D'avantage cela nous doit consoler, que naturellement, si la douleur est violente, elle est courte si elle est longue, elle est legere si gravis, brevis si longus, levis. Tu ne la sentiras guere long temps, si tu la sens trop elle mettra fin Ă soy, ou Ă toy l'un et l'autre revient Ă un. Si tu ne la portes, elle t'emportera. Memineris maximos morte finiri ; parvos multa habere intervalla requietis mediocrium nos esse dominos ut si tolerabiles sint, feramus sin minus, e vita, quum ea non placeat, tanquam e theatro exeamus. Ce qui nous fait souffrir avec tant d'impatience la douleur, c'est de n'estre pas accoustumez de prendre nostre principal contentement en l'ame, de ne nous attendre point assez Ă elle, qui est seule et souveraine maistresse de nostre condition. Le corps n'a, sauf le plus et le moins, qu'un train et qu'un pli. Elle est variable en toute sorte de formes, et renge Ă soy, et Ă son estat, quel qu'il soit, les sentiments du corps, et tous autres accidents. Pourtant la faut il estudier, et enquerir ; et esveiller en elle ses ressorts tout-puissants. Il n'y a raison, ny prescription, ny force, qui vaille contre son inclination et son chois. De tant de milliers de biais, qu'elle a en sa disposition, donnons luy en un, propre Ă nostre repos et conservation nous voyla non couverts seulement de toute offense, mais gratifiez mesmes et flattez, si bon luy semble, des offenses et des maux. Elle faict son profit indifferemment de tout. L'erreur, les songes, luy servent utilement, comme une loyale matiere, Ă nous mettre Ă garant, et en contentement. Il est aisĂ© Ă voir, que ce qui aiguise en nous la douleur et la voluptĂ©, c'est la pointe de nostre esprit. Les bestes, qui le tiennent sous boucle, laissent aux corps leurs sentiments libres et naifs et par consequent uns, Ă peu pres, en chasque espece, ainsi qu'elles montrent par la semblable application de leurs mouvements. Si nous ne troublions en noz membres, la jurisdiction qui leur appartient en cela il est Ă croire, que nous en serions mieux, et que nature leur a donnĂ© un juste et moderĂ© temperament, envers la voluptĂ© et envers la douleur. Et ne peut faillir d'estre juste, estant egal et commun. Mais puis que nous nous sommes emancipez de ses reigles, pour nous abandonner Ă la vagabonde libertĂ© de noz fantasies au moins aydons nous Ă les plier du costĂ© le plus aggreable. Platon craint nostre engagement aspre Ă la douleur et Ă la voluptĂ©, d'autant qu'il oblige et attache par trop l'ame au corps moy plustost au rebours, d'autant qu'il l'en desprent et desclouĂ. Tout ainsi que l'ennemy se rend plus aspre Ă nostre fuite, aussi s'enorgueillit la douleur, Ă nous voir trembler soubs elle. Elle se rendra de bien meilleure composition, Ă qui luy fera teste il se faut opposer et bander contre. En nous acculant et tirant arriere, nous appellons Ă nous et attirons la ruyne, qui nous menasse. Comme le corps est plus ferme Ă la charge en le roidissant ainsin est l'ame. Mais venons aux exemples, qui sont proprement du gibier des gens foibles de reins, comme moy oĂÂč nous trouverons qu'il va de la douleur, comme des pierres qui prennent couleur, ou plus haute, ou plus morne, selon la feuille oĂÂč lon les couche, et qu'elle ne tient qu'autant de place en nous, que nous luy en faisons. Tantum doluerunt, quantum doloribus se inserverunt. Nous sentons plus un coup de rasoir du Chirurgien, que dix coups d'espee en la chaleur du combat. Les douleurs de l'enfantement, par les Medecins, et par Dieu mesme estimees grandes, et que nous passons avec tant de ceremonies, il y a des nations entieres, qui n'en font nul compte. Je laisse Ă part les femmes Lacedemoniennes mais aux Souisses parmy nos gens de pied, quel changement y trouvez vous ? sinon que trottans apres leurs maris, vous leur voyez aujourd'huy porterau col l'enfant, qu'elles avoient hyer au ventre et ces Ăâ gyptiennes contre-faictes ramassĂ©es d'entre nous, vont elles mesmes laver les leurs, qui viennent de naistre, et prennent leur baing en la plus prochaine riviere. Outre tant de garces qui desrobent tous les jours leurs enfants en la generation comme en la conception, cette belle et noble femme de Sabinus Patricien Romain, pour l'interest d'autruy porta seule et sans secours et sans voix et gemissemens l'enfantement de deux jumeaux. Un simple garçonnet de Lacedemone, ayant derobĂ© un renard car ils craignoient encore plus la honte de leur sottise au lareçin, que nous ne craignons la peine de nostre malice et l'ayant mis souz sa cappe, endura plustost qu'il luy eust rongĂ© le ventre, que de se descouvrir. Et un autre, donnant de l'encens Ă un sacrifice, se laissa brusler jusques Ă l'os, par un charbon tombĂ© dans sa manche, pour ne troubler le mystere. Et s'en est veu un grand nombre pour le seul essay de vertu, suivant leur institution, qui ont souffert en l'aage de sept ans, d'estre foĂÂŒettez jusques Ă la mort, sans alterer leur visage. Et Cicero les a veuz se battre Ă trouppes de poings, de pieds, et de dents, jusques Ă s'evanouir avant que d'advoĂÂŒer estre vaincus. Nunquam naturam mos vinceret est enim ea semper invicta ; sed nos umbris, delitiis, otio, languore, desidia, animum infecimus opinionibus malĂÂłque more delinitum mollivimus. Chacun sçait l'histoire de Scevola, qui s'estant coulĂ© dans le camp ennemy, pour en tuer le chef, et ayant failly d'attaincte, pour reprendre son effect d'une plus estrange invention, et descharger sa patrie, confessa Ă Porsenna, qui estoit le Roy qu'il vouloit tuer, non seulement son desseing, mais adjousta qu'il y avoit en son camp un grand nombre de Romains complices de son entreprise tels que luy. Et pour montrer quel il estoit, s'estant faict apporter un brasier, veit et souffrit griller et rostir son bras, jusques Ă ce que l'ennemy mesme en ayant horreur, commanda oster le brasier. Quoy, celuy qui ne daigna interrompre la lecture de son livre pendant qu'on l'incisoit ? Et celuy, qui s'obstina Ă se mocquer et Ă rire Ă l'envy des maux, qu'on luy faisoit de façon que la cruautĂ© irritĂ©e des bourreaux qui le tenoyent, et toutes les inventions des tourmens redoublez les uns sur les autres luy donnerent gaignĂ© ? Mais c'estoit un Philosophe. Quoy ? un gladiateur de CĂŠsar, endura tousjours riant qu'on luy sondast et detaillast ses playes. Quis mediocris gladiator ingemuit ? quis vultum mutavit unquam ? Quis non modo stetit, verum etiam decubuit turpiter ? Quis cum decubuisset, ferrum recipere jussus, collun contraxit ? Meslons y les femmes. Qui n'a ouy parler Ă Paris de celle, qui se fit escorcher pour seulement en acquerir le teint plus frais d'une nouvelle peau ? Il y en a qui se sont fait arracher des dents vives et saines, pour en former la voix plus molle, et plus grasse, ou pour les ranger en meilleur ordre. Combien d'exemples du mespris de la douleur avons nous en ce genre ? Que ne peuvent elles ? Que craignent elles, pour peu qu'il y ait d'agencement Ă esperer en leur beautĂ© ? Vellere queis cura est albos a stirpe capillos, Et faciem dempta pelle referre novam. J'en ay veu engloutir du sable, de la cendre, et se travailler Ă point nommĂ© de ruiner leur estomac, pour acquerir les pasles couleurs. Pour faire un corps bien espagnolĂ©, quelle gehenne ne souffrent elles guindĂ©es et sanglĂ©es, avec de grosses coches sur les costez, jusques Ă la chair vive ? ouy quelques fois Ă en mourir. Il est ordinaire Ă beaucoup de nations de nostre temps, de se blesser Ă escient, pour donner foy Ă leur parole et nostre Roy en recite des notables exemples, de ce qu'il en a veu en Poloigne, et en l'endroit de luy mesme. Mais outre ce que je sçay en avoir estĂ© imitĂ© en France par aucuns, quand je veins de ces fameux Estats de Blois, j'avois veu peu auparavant une fille en Picardie, pour tesmoigner l'ardeur de ses promesses, et aussi sa constance, se donner du poinçon, qu'elle portoit en son poil, quatre ou cinq bons coups dans le bras, qui luy faisoient craquetter la peau, et la saignoient bien en bon escient. Les Turcs se font de grandes escarres pour leurs dames et afin que la merque y demeure, ils portent soudain du feu sur la playe, et l'y tiennent un temps incroyable, pour arrester le sang, et former la cicatrice. Gents qui l'ont veu, l'ont escrit, et me l'ont jurĂ©. Mais pour dix aspres, il se trouve tous les jours entre eux qui se donnera une bien profonde taillade dans le bras, ou dans les cuisses. Je suis bien ayse que les tesmoins nous sont plus Ă main, oĂÂč nous en avons plus affaire. Car la ChrestientĂ© nous en fournit Ă suffisance. Et apres l'exemple de nostre sainct guide, il y en a eu force, qui par devotion ont voulu porter la croix. Nous apprenons par tesmoing tres-digne de foy, que le Roy S. Loys porta la here jusques Ă ce que sur sa vieillesse, son confesseur l'en dispensa ; et que tous les Vendredis, il se faisoit battre les espaules par son prestre, de cinq chainettes de fer, que pour cet effet on portoit emmy ses besongnes de nuict. Guillaume nostre dernier Duc de Guyenne, pere de cette Alienor, qui transmit ce DuchĂ© aux maisons de France et d'Angleterre, porta les dix ou douze derniers ans de sa vie, continuellement un corps de cuirasse, sous un habit de religieux, par penitence. Foulques Comte d'Anjou alla jusques en Jerusalem, pour lĂ se faire foĂter Ă deux de ses valets, la corde au col, devant le sepulchre de nostre Seigneur. Mais ne voit-on encore tous les jours au Vendredy S. en divers lieux un grand nombre d'hommes et femmes se battre jusques Ă se dĂ©chirer la chair et perçer jusques aux os ? Cela ay-je veu souvent et sans enchantement. Et disoit-on car ils vont masquez qu'il y en avoit, qui pour de l'argent entreprenoient en cela de garantir la religion d'autruy ; par un mespris de la douleur, d'autant plus grand, que plus peuvent les Ă©guillons de la devotion, que de l'avarice. Q. Maximus enterra son fils Consulaire M. Cato le sien Preteur designĂ© et L. Paulus les siens deux en peu de jours, d'un visage rassis, et ne portant nul tesmoignage de deuil. Je disois en mes jours, de quelqu'un en gossant, qu'il avoit chouĂ© la divine justice. Car la mort violente de trois grands enfants, luy ayant estĂ© envoyĂ©e en un jour, pour un aspre coup de verge, comme il est Ă croire peu s'en fallut qu'il ne la print Ă faveur et gratification singuliere du ciel. Je n'ensuis pas ces humeurs monstrueuses mais j'en ay perdu en nourrice, deux ou trois, sinon sans regret, au moins sans fascherie. Si n'est-il guere accident, qui touche plus au vif les hommes. Je voy assez d'autres communes occasions d'affliction, qu'Ă peine sentiroy-je, si elles me venoyent. Et en ay mesprisĂ© quand elles me sont venues, de celles ausquelles le monde donne une si atroce figure, que je n'oserois m'en vanter au peuple sans rougir. Ex quo intelligitur, non in natura, sed in opinione esse ĂŠgritudinem. L'opinion est une puissante partie, hardie, et sans mesure. Qui rechercha jamais de telle faim la seurtĂ© et le repos, qu'Alexandre et CĂŠsar ont faict l'inquietude et les difficultez ? Terez le Pere de Sitalcez souloit dire que quand il ne faisoit point la guerre, il luy estoit advis qu'il n'y avoit point difference entre luy et son pallefrenier. Caton Consul, pour s'asseurer d'aucunes villes en Espaigne, ayant seulement interdict aux habitans d'icelles, de porter les armes grand nombre se tuerent Ferox gens, nullam vitam rati sine armis esse. Combien en sçavons nous qui ont fuy la douceur d'une vie tranquille, en leurs maisons parmy leurs cognoissans, pour suivre l'horreur des desers inhabitables ; et qui se sont jettez Ă l'abjection, vilitĂ©, et mespris du monde, et s'y sont pleuz jusques Ă l'affectation ? Le Cardinal Borrome, qui mourut dernierement Ă Milan, au milieu de la desbauche, Ă quoy le convioyt et sa noblesse, et ses grandes richesses, et l'air de l'Italie, et sa jeunesse, se maintint en une forme de vie si austere, que la mesme robbe qui luy servoit en estĂ©, luy servoit en hyver n'avoit pour son coucher que la paille et les heures qui luy restoyent des occupations de sa charge, il les passoit estudiant continuellement, plantĂ© sur ses genoux, ayant un peu d'eau et de pain Ă costĂ© de son livre qui estoit toute la provision de ses repas, et tout le temps qu'il y employoit. J'en scay qui Ă leur escient ont tirĂ© et proffit et avancement du cocuage, dequoy le seul nom effraye tant de gens. Si la veuĂ n'est le plus necessaire de nos sens, il est au moins le plus plaisant mais les plus plaisans et utiles de noz membres, semblent estre ceux qui servent Ă nous engendrer toutesfois assez de gens les ont pris en hayne mortelle, pour cella seulement, qu'ils estoient trop aymables ; et les ont rejettez Ă cause de leur prix. Autant en opina des yeux, celuy qui se les creva. La plus commune et plus saine part des hommes, tient Ă grand heur l'abondance des enfants moy et quelques autres, Ă pareil heur le defaut. Et quand on demande Ă Thales pourquoy il ne se marie point il respond, qu'il n'ayme point Ă laisser lignĂ©e de soy. Que nostre opinion donne prix aux choses ; il se void par
DE LA SOCIĂTĂ ET DE LA CONVERSATIONIl a rĂ©gnĂ© pendant quelque temps une sorte de conversation fade et puĂ©rile, qui roulait toute sur des questions favorables qui avaient relation au cĆur et Ă ce qu'on appelle passion ou tendresse. La lecture de quelques romans les avait introduites parmi les plus honnĂȘtes gens de la ville et de la cour ; ils s'en sont dĂ©faits, et la bourgeoisie les a reçues avec les pointes et les femmes de la ville ont la dĂ©licatesse de ne pas savoir ou de n'oser dire le nom des rues, des places, et de quelques endroits publics, qu'elles ne croient pas assez nobles pour ĂȘtre connus. Elles disent le Louvre, la place Royale, mais elles usent de tours et de phrases plutĂŽt que de prononcer de certains noms ; et s'ils leur Ă©chappent, c'est du moins avec quelque altĂ©ration du mot, et aprĂšs quelques façons qui les rassurent en cela moins naturelles que les femmes de la cour, qui ayant besoin dans le discours des Halles, du ChĂątelet, ou de choses semblables, disent les Halles, le ChĂątelet. ĂD. 4.70Si l'on feint quelquefois de ne pas se souvenir de certains noms que l'on croit obscurs, et si l'on affecte de les corrompre en les prononçant, c'est par la bonne opinion qu'on a du sien. ĂD. 4.71 L'on dit par belle humeur, et dans la libertĂ© de la conversation, de ces choses froides, qu'Ă la vĂ©ritĂ© l'on donne pour telles, et que l'on ne trouve bonnes que parce qu'elles sont extrĂȘmement mauvaises. Cette maniĂšre basse de plaisanter a passĂ© du peuple, Ă qui elle appartient, jusque dans une grande partie de la jeunesse de la cour, qu'elle a dĂ©jĂ infectĂ©e. Il est vrai qu'il y entre trop de fadeur et de grossiĂšretĂ© pour devoir craindre qu'elle s'Ă©tende plus loin, et qu'elle fasse de plus grands progrĂšs dans un pays qui est le centre du bon goĂ»t et de la politesse. L'on doit cependant en inspirer le dĂ©goĂ»t Ă ceux qui la pratiquent ; car bien que ce ne soit jamais sĂ©rieusement, elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de quelque chose de dire de mauvaises choses, ou en dire de bonnes que tout le monde sait et les donner pour nouvelles, je n'ai pas Ă choisir. ĂD. 5.73Lucain a dit une jolie chose ; il y a un beau mot de Claudien ; il y a cet endroit de SĂ©nĂšque105 et lĂ -dessus une longue suite de latin, que l'on cite souvent devant des gens qui ne l'entendent pas, et qui feignent de l'entendre. Le secret serait d'avoir un grand sens et bien de l'esprit ; car ou l'on se passerait des Anciens, ou aprĂšs les avoir lus avec soin, l'on saurait encore choisir les meilleurs, et les citer Ă
II Un caractĂšre bien fade est celui de nâen avoir Câest le rĂŽle dâun sot dâĂȘtre importun un homme habile sent sâil convient ou sâil ennuie ; il sait disparaĂźtre le moment qui prĂ©cĂšde celui oĂč il serait de trop quelque marche sur les mauvais plaisants, et il pleut par tout pays de cette sorte dâinsectes. Un bon plaisant est une piĂšce rare ; Ă un homme qui est nĂ© tel, il est encore fort dĂ©licat dâen soutenir longtemps le personnage ; il nâest pas ordinaire que celui qui fait rire se fasse Il a beaucoup dâesprits obscĂšnes, encore plus de mĂ©disants ou de satiriques, peu de dĂ©licats. Pour badiner avec grĂące, et rencontrer heureusement sur les plus petits sujets, il faut trop de maniĂšres, trop de politesse, et mĂȘme trop de fĂ©conditĂ© câest crĂ©er que de railler ainsi, et faire quelque chose de Si lâon faisait une sĂ©rieuse attention Ă tout ce qui se dit de froid, de vain de puĂ©ril dans les entretiens ordinaires, lâon aurait honte de parler ou dâĂ©couter, et lâon se condamnerait peut-ĂȘtre Ă un silence perpĂ©tuel, qui serait une chose pire dans le commerce que les discours inutiles. Il faut donc sâaccommoder Ă tous les esprits, permettre comme un mal nĂ©cessaire le rĂ©cit des fausses nouvelles, les vagues rĂ©flexions sur le gouvernement prĂ©sent, ou sur lâintĂ©rĂȘt des princes, le dĂ©bit des beaux sentiments, et qui reviennent toujours les mĂȘmes ; il faut laisser Aronce parler proverbe, et MĂ©linde parler de soi, de ses vapeurs, de ses migraines et de ses Lâon voit des gens qui, dans les conversations ou dans le peu de commerce que lâon a avec eux, vous dĂ©goĂ»tent par leurs ridicules expressions, par la nouveautĂ©, et jâose dire par lâimpropriĂ©tĂ© des termes dont ils se servent, comme par lâalliance de certains mots qui ne se rencontrent ensemble que dans leur bouche, et Ă qui ils font signifier des choses que leurs premiers inventeurs nâont jamais eu intention de leur faire dire. Ils ne suivent en parlant ni la raison ni lâusage, mais leur bizarre gĂ©nie, que lâenvie de toujours plaisanter, et peut-ĂȘtre de briller, tourne insensiblement Ă un jargon qui leur est propre, et qui devient enfin leur idiome naturel ; ils accompagnent un langage si extravagant dâun geste affectĂ© et dâune prononciation qui est contrefaite. Tous sont contents dâeux-mĂȘmes et de lâagrĂ©ment de leur esprit, et lâon ne peut pas dire quâils en soient entiĂšrement dĂ©nuĂ©s ; mais on les plaint de ce peu quâils en ont ; et ce qui est pire, on en Que dites-vous ? Comment ? Je nây suis pas ; vous plairait-il de recommencer ? Jây suis encore moins. Je devine enfin vous voulez, Acis, me dire quâil fait froid ; que ne disiez-vous "Il fait froid" ? Vous voulez mâapprendre quâil pleut ou quâil neige ; dites "Il pleut, il neige." Vous me trouvez bon visage, et vous dĂ©sirez de mâen fĂ©liciter ; dites "Je vous trouve bon visage."â Mais, rĂ©pondez-vous, cela est bien uni et bien clair ; et dâailleurs qui ne pourrait pas en dire autant ? â Quâimporte, Acis ? Est-ce un si grand mal dâĂȘtre entendu quand on parle, et de parler comme tout le monde ? Une chose vous manque, Acis, Ă vous et Ă vos semblables les diseurs de phobus ; vous ne vous en dĂ©fiez point, et je vais vous jeter dans lâĂ©tonnement une chose vous manque, câest lâesprit. Ce nâest pas tout il y a en vous une chose de trop, qui est lâopinion dâen avoir plus que les autres ; voilĂ la source de votre pompeux galimatias, de vos phrases embrouillĂ©es, et de vos grands mots qui ne signifient rien. Vous abordez cet homme, ou vous entrez dans cette chambre ; je vous tire par votre habit, et vous dis Ă lâoreille "Ne songez point Ă avoir de lâesprit, nâen ayez point, câest votre rĂŽle ; ayez, si vous pouvez, un langage simple, et tel que lâont ceux en qui vous ne trouvez aucun esprit peut-ĂȘtre alors croira-t-on que vous en avez."8IV Qui peut se promettre dâĂ©viter dans la sociĂ©tĂ© des hommes la rencontre de certains esprits vains, lĂ©gers, familiers, dĂ©libĂ©rĂ©s, qui sont toujours dans une compagnie ceux qui parlent, et quâil faut que les autres Ă©coutent ? On les entend de lâantichambre ; on entre impunĂ©ment et sans crains de les interrompre ils continuent leur rĂ©cit sans la moindre attention pour ceux qui entrent ou qui sortent, comme pour le rang le mĂ©rite des personnes qui composent le cercle ; ils font taire celui qui commence Ă conter une nouvelle, pour la dire de leur façon, qui est la meilleure ils la tiennent de Zamet, de Ruccelay, ou de Conchini, quâils ne connaissent point, Ă qui ils nâont jamais parlĂ©, et quâils traiteraient de Monseigneur sâils leur parlaient ; ils sâapprochent quelquefois de lâoreille du plus qualifiĂ© de lâassemblĂ©e, pour le gratifier dâune circonstance que personne ne sait, et dont ils ne veulent pas que les autres soient instruits ; ils suppriment quelques noms pour dĂ©guiser lâhistoire quâils racontent, et pour dĂ©tourner les applications ; vous les priez les pressez inutilement il y a des choses quâils ne diront pas, il y a des gens quâils ne sauraient nommer, leur parole y est engagĂ©e, câest le dernier secret, câest un mystĂšre, outre que vous leur demandez lâimpossible, car sur ce que vous voulez apprendre dâeux, ils ignorent le fait et les Arrias a tout lu, a tout vu, il veut le persuader ainsi ; câest un homme universel, et il se donne pour tel il aime mieux mentir que de se taire ou de paraĂźtre ignorer quelque chose. On parle Ă la table dâun grand dâune cour du Nord il prend la parole, et lâĂŽte Ă ceux qui allaient dire ce quâils en savent ; il sâoriente dans cette rĂ©gion lointaine comme sâil en Ă©tait originaire ; il discourt des mĆurs de cette cour, des femmes du pays, des ses lois et de ses coutumes ; il rĂ©cite des historiettes qui y sont arrivĂ©es ; il les trouve plaisantes, et il en rit le premier jusquâĂ Ă©clater. Quelquâun se hasarde de le contredire, et lui prouve nettement quâil dit des choses qui ne sont pas vraies. Arrias ne se trouble point, prend feu au contraire contre lâinterrupteur "Je nâavance, lui dit-il, je raconte rien que je ne sache dâoriginal je lâai appris de Sethon, ambassadeur de France dans cette cour, revenu Ă Paris depuis quelques jours, que je connais familiĂšrement, que jâai fort interrogĂ©, et qui ne mâa cachĂ© aucune circonstance." Il reprenait le fil de sa narration avec plus de confiance quâil ne lâavait commencĂ©e, lorsque lâun des conviĂ©s lui dit "Câest Sethon Ă qui vous parlez, lui-mĂȘme, et qui arrive de son ambassade."I0IV Il y a un parti Ă prendre, dans les entretiens, entre une certaine paresse quâon a de parler, ou quelquefois un esprit abstrait, qui, nous jetant loin du sujet de la conversation, nous fait faire ou de mauvaises demandes ou de sottes rĂ©ponses, et une attention importune quâon a au moindre mot qui Ă©chappe, pour le relever, badiner autour, y trouver un mystĂšre que les autres nây voient pas, y chercher de la finesse et de la subtilitĂ©, seulement pour avoir occasion dây placer la Etre infatuĂ© de soi, et sâĂȘtre fortement persuadĂ© quâon a beaucoup dâesprit, est un accident qui nâarrive guĂšre quâĂ celui qui nâen a point, ou qui en a peu. Malheur pour lors Ă qui est exposĂ© Ă lâentretien dâun tel personnage ! combien de jolies phrases lui faudra-t-il essuyer ! combien de ces mots aventuriers qui paraissent subitement, durent un temps, et que bientĂŽt on ne revoit plus ! Sâil conte une nouvelle, câest moins pour lâapprendre Ă ceux qui lâĂ©coutent, que pour avoir le mĂ©rite de la dire, et de la dire bien elle devient un roman entre ses mains ; il fait penser les gens Ă sa maniĂšre, leur met en la bouche ses petites façons de parler, et les fait toujours parler longtemps ; il tombe ensuite en des parenthĂšses, qui peuvent passer pour Ă©pisodes, mais qui font oublier le gros de lâhistoire, et Ă lui qui vous parle, et Ă vous qui le supportez. Que serait-ce de vous et de lui, si quelquâun ne survenait heureusement pour dĂ©ranger le cercle, et faire oublier la narration ?I2V Jâentends ThĂ©odecte de lâantichambre ; il grossit sa voix Ă mesure quâil sâapproche ; le voilĂ entrĂ© il rit, il crie, il Ă©clate ; on bouche ses oreilles, câest un tonnerre. Il nâest pas moins redoutable par les choses quâil dit que par le ton dont il parle. Il ne sâapaise, et il ne revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanitĂ©s et des sottises. Il a si peu dâĂ©gard au temps, aux personnes, aux biensĂ©ances, que chacun a son fait sans quâil ait eu intention de le lui donner ; il nâest pas encore assis quâil a, Ă son insu, dĂ©sobligĂ© toute lâassemblĂ©e. A-t-on servi, il se met le premier Ă table et dans la premiĂšre place ; les femmes sont Ă sa droite et Ă gauche. Il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt tout Ă la fois. Il nâa nul discernement des personnes, ni du maĂźtre, ni des conviĂ©s ; il abuse de la folle dĂ©fĂ©rence quâon a pour lui. Est-ce lui, est-ce EuthydĂšme qui donne le repas ? Il rappelle Ă soi toute lâautoritĂ© de la table ; et il y a un moindre inconvĂ©nient Ă la lui laisser entiĂšre quâĂ la lui disputer. Le vin et les viandes nâajoutent rien Ă son caractĂšre. Si lâon joue, il gagne au jeu ; il veut railler celui qui perd, et il lâoffense ; les rieurs sont pour lui il nây a sorte de fatuitĂ©s quâon ne lui passe. Je cĂšde enfin et je disparais, incapable de souffrir plus longtemps ThĂ©odecte, et ceux qui le TroĂŻle est utile Ă ceux qui ont trop de bien il leur ĂŽte lâembarras du superflu ; il leur sauve la peine dâamasser de lâargent, de faire des contrats, de fermer des coffres, de porter des clefs sur soi et de craindre un vol domestique. Il les aide dans leurs plaisirs, et il devient capable ensuite de les servir dans leurs passions ; bientĂŽt il les rĂšgle et les maĂźtrise dans leur conduite. Il est lâoracle dâune maison, celui dont on attend, que dis-je ? dont on prĂ©vient, dont on devine les dĂ©cisions. Il dit de cet esclave "Il faut le punir", et on le fouette ; et de cet autre "Il faut lâaffranchir", et on lâaffranchit. Lâon voit quâun parasite ne le fait pas rire ; il peut lui dĂ©plaire il est congĂ©diĂ©. Le maĂźtre est heureux, si TroĂŻle lui laisse sa femme et ses enfants. Si celui-ci est Ă table, et quâil prononce dâun mets quâil est friand, le maĂźtre et les conviĂ©s, qui en mangeaient sans rĂ©flexion, le trouvent friand, et ne sâen peuvent rassasier ; sâil dit au contraire dâun autre mets quâil est insipide, ceux qui commençaient Ă le goĂ»ter, nâosant avaler le morceau quâils ont Ă la bouche, ils le jettent Ă terre tous ont les yeux sur lui, observent son maintien et son visage avant de prononcer sur le vin ou sur les viandes qui sont servies. Ne le cherchez pas ailleurs que dans la maison de ce riche quâil gouverne câest lĂ quâil mange, quâil dort et quâil fait digestion, quâil querelle son valet, quâil reçoit ses ouvriers, et quâil remet ses crĂ©anciers. Il rĂ©gente, il domine dans une salle ; il y reçoit la cour et les hommages de ceux qui, plus fins que les autres, ne veulent aller au maĂźtre que par TroĂŻle. Si lâon entre par malheur sans avoir une physionomie qui lui agrĂ©e, il ride son front et il dĂ©tourne sa vue ; si on lâaborde, il ne se lĂšve pas ; si lâon sâassied auprĂšs de lui, il sâĂ©loigne ; si on lui parle, il ne rĂ©pond point ; si lâon continue de parler, il passe dans une autre chambre ; si on le suit, il gagne lâescalier ; il franchirait tous les Ă©tages, ou il se lancerait par une fenĂȘtre, plutĂŽt que de se laisser joindre par quelquâun qui a un visage ou un ton de voix quâil dĂ©sapprouve. Lâun et lâautre sont agrĂ©ables en TroĂŻle, et il sâen est servi heureusement pour sâinsinuer ou pour conquĂ©rir. Tout devient, avec le temps, au-dessous de ses soins, comme il est au-dessus de vouloir se soutenir ou continuer de plaire par le moindre des talents qui ont commencĂ© Ă le faire valoir. Câest beaucoup quâil sorte quelquefois de ses mĂ©ditations et de sa taciturnitĂ© pour contredire, et que mĂȘme pour critiquer il daigne une fois le jour avoir de lâesprit. Bien loin dâattendre de lui quâil dĂ©fĂšre Ă vos sentiments, quâil soit complaisant, quâil vous loue, vous nâĂȘtes pas sĂ»r quâil aime toujours votre approbation, ou quâil souffre votre Il faut laisser parler cet inconnu que le hasard a placĂ© auprĂšs de vous dans une voiture publique, Ă une fĂȘte ou Ă un spectacle ; et il ne vous coĂ»tera bientĂŽt pour le connaĂźtre que de lâavoir Ă©coutĂ© vous saurez son nom, sa demeure, son pays, lâĂ©tat de son bien, son emploi, celui de son pĂšre, la famille dont est sa mĂšre, sa parentĂ©, ses alliances, les armes de sa maison ; vous comprendrez quâil est noble, quâil a un chĂąteau, de beaux meubles, des valets, et un Il y a des gens qui parlent un moment avant que dâavoir pensĂ©. Il y en a dâautres qui ont une fade attention Ă ce quâils disent, et avec qui lâon souffre dans la conversation de tout le travail de leur esprit ; ils sont comme pĂ©tris de phrases et de petits tours dâexpression, concertĂ©s dans leur geste et dans tout leur maintien ; ils sont puristes, et ne hasardent pas le moindre mot, quand il devrait faire le plus bel effet du monde ; rien dâheureux ne leur Ă©chappe, rien ne coule de source et avec libertĂ© ils parlent proprement et Lâesprit de la conversation consiste bien moins Ă en montrer beaucoup quâĂ en faire trouver aux autres celui qui sort de votre entretien content de soi et de son esprit, lâest de vous parfaitement. Les hommes nâaiment point Ă vous admirer, ils veulent plaire ; ils cherchent moins Ă ĂȘtre instruits, et mĂȘme rĂ©jouis, quâĂ ĂȘtre goĂ»tĂ©s et applaudis ; et le plaisir le plus dĂ©licat est de faire celui dâ Il ne faut pas quâil y ait trop dâimagination dans nos conversations ni dans nos Ă©crits ; elle ne produit souvent que des idĂ©es vaines et puĂ©riles, qui ne servent point Ă perfectionner le goĂ»t et Ă nous rendre meilleurs nos pensĂ©es doivent ĂȘtre prises dans le bon sens et la droite raison, et doivent ĂȘtre un effet de notre Câest une grande misĂšre que de nâavoir pas assez dâesprit pour bien parler, ni assez de jugement pour se taire. VoilĂ le principe de toute Dire dâune chose modestement ou quâelle est bonne ou quâelle est mauvaise, et les raisons pourquoi elle est telle, demande du bon sens et de lâexpression câest une affaire. Il est plus court de prononcer dâun ton dĂ©cisif, et qui emporte la preuve de ce quâon avance, ou quâelle est exĂ©crable, ou quâelle est Rien nâest moins selon Dieu et selon le monde que dâappuyer tout ce que lâon dit dans la conversation, jusques aux choses les plus indiffĂ©rentes, par de longs et de fastidieux serments. Un honnĂȘte homme qui dit oui et non mĂ©rite dâĂȘtre cru son caractĂšre jure pour lui, donne crĂ©ance Ă ses paroles, et lui attire toute sorte de Celui qui dit incessamment quâil a de lâhonneur et de la probitĂ©, quâil ne nuit Ă personne, quâil consent que le mal quâil fait aux autres lui arrive, et qui jure pour le faire croire, ne sait pas mĂȘme contrefaire lâhomme de homme de bien ne saurait empĂȘcher par toute sa modestie quâon ne dise de lui ce quâun malhonnĂȘte homme sait dire de ClĂ©on parle peu obligeamment ou peu juste, câest lâun ou lâautre ; mais il ajoute quâil est fait ainsi, et quâil dit ce quâil Il y a parler bien, parler aisĂ©ment, parler juste, parler Ă propos. Câest pĂ©cher contre ce dernier genre que de sâĂ©tendre sur un repas magnifique que lâon vient de faire, devant des gens qui sont rĂ©duits Ă Ă©pargner leur pain ; de dire merveilles de sa santĂ© devant des infirmes ; dâentretenir de ses richesses, de ses revenus et de ses ameublements un homme qui nâa ni rentes ni domicile ; en un mot, de parler de son bonheur devant des misĂ©rables cette conversation est trop forte pour eux, et la comparaison quâils font alors de leur Ă©tat au vĂŽtre est "Pour vous, dit Euthyphron, vous ĂȘtes riche, ou vous devez lâĂȘtre dix mille livres de rente, et en fonds de terre, cela est beau, cela est doux, et lâon est heureux Ă moins", pendant que lui qui parle ainsi a cinquante mille livres de revenu, et quâil croit nâavoir que la moitiĂ© de ce quâil mĂ©rite. Il vous taxe, il vous apprĂ©cie, il fixe votre dĂ©pense et sâil vous jugeait digne dâune meilleure fortune, et de celle mĂȘme oĂč il aspire, il ne manquerait pas de vous la souhaiter. Il nâest pas le seul qui fasse de si mauvaises estimations ou des comparaisons si dĂ©sobligeantes le monde est plein dâ Quelquâun, suivant la pente de la coutume qui veut quâon loue, et par lâhabitude quâil a Ă la flatterie et Ă lâexagĂ©ration, congratule ThĂ©odĂšme sur un discours quâil nâa point entendu, et dont personne nâa pu encore lui rendre compte il ne laisse pas de lui parler de son gĂ©nie, de son geste, et surtout de la fidĂ©litĂ© de sa mĂ©moire ; et il est vrai que ThĂ©odĂšme est demeurĂ© IV Lâon voit des gens brusques, inquiets, suffisants, qui bien quâoisifs et sans aucune affaire qui les appelle ailleurs, vous expĂ©dient, pour ainsi dire, en peu de paroles, et ne songent quâĂ se dĂ©gager de vous ; on leur parle encore, quâils sont partis et ont disparu. Ils ne sont pas moins impertinents que ceux qui vous arrĂȘtent seulement pour vous ennuyer ils sont peut-ĂȘtre moins Parler et offenser, pour de certaines gens, est prĂ©cisĂ©ment la mĂȘme chose. Ils sont piquants et amers ; leur style est mĂȘlĂ© de fiel et dâabsinthe la raillerie, lâinjure, lâinsulte leur dĂ©coulent des lĂšvres comme leur salive. Il leur serait utile dâĂȘtre nĂ©s muets ou stupides ce quâils ont de vivacitĂ© et dâesprit leur nuit davantage que ne fait Ă quelques autres leur sottise. Ils ne se contentent pas toujours de rĂ©pliquer avec aigreur, ils attaquent souvent avec insolence ; ils frappent sur tout ce qui se trouve sous leur langue, sur les prĂ©sents, sur les absents ; ils heurtent de front et de cĂŽtĂ©, comme des bĂ©liers demande-t-on Ă des bĂ©liers quâils nâaient pas de cornes ? De mĂȘme nâespĂšre-t-on pas de rĂ©former par cette peinture des naturels si durs, si farouches, si indociles. Ce que lâon peut faire de mieux, dâaussi loin quâon les dĂ©couvre, est de les fuir de toute sa force et sans regarder derriĂšre Il y a des gens dâune certaine Ă©toffe ou dâun certain caractĂšre avec qui il ne faut jamais se commettre, de qui lâon ne doit se plaindre que le moins quâil est possible, contre qui il nâest pas mĂȘme permis dâavoir Entre deux personnes qui ont eu ensemble une violente querelle, dont lâun a raison et lâautre ne lâa pas, ce que la plupart de ceux qui y ont assistĂ© ne manquent jamais de faire, ou pour se dispenser de juger, ou par un tempĂ©rament qui mâa toujours paru hors de sa place, câest de condamner tous les deux leçon importante, motif pressant et indispensable de fuir Ă lâorient quand le fat est Ă lâoccident, pour Ă©viter de partager avec lui le mĂȘme Je nâaime pas un homme que je ne puis aborder le premier, ni saluer avant quâil me salue, sans mâavilir Ă ses yeux, et sans tremper dans la bonne opinion quâil a de lui-mĂȘme. Montaigne dirait Je veux avoir mes coudĂ©es franches, et estre courtois et affable Ă mon point, sans remords ne consequence. Je ne puis du tout estriver contre mon penchant, et aller au rebours de mon naturel, qui mâemmeine vers celuy que je trouve Ă ma rencontre. Quand il mâest Ă©gal, et quâil ne mâest point ennemy, jâanticipe sur son accueil, je le questionne sur sa disposition et santĂ©, je luy fais offre de mes offices sans tant marchander sur le plus ou sur le moins, ne estre, comme disent aucuns, sur le qui vive. Celuy-lĂ me deplaist, qui par la connoissance que jâay de ses coutumes et façons dâagir, me tire de cette libertĂ© et franchise. Comment me ressouvenir tout Ă propos, et dâaussi loin que je vois cet homme, dâemprunter une contenance grave et importante, et qui lâavertisse que je crois le valoir bien et au delĂ ? pour cela de me ramentevoir de mes bonnes qualitez et conditions, et des siennes mauvaises, puis en faire la comparaison. Câest trop de travail pour moy, et ne suis du tout capable de si roide et si subite attention ; et quand bien elle mâauroit succedĂ© une premiĂšre fois, je ne laisserois de flechir et me dementir Ă une seconde tĂąche je ne puis me forcer et contraindre pour quelconque Ă estre fier."3IIV Avec de la vertu, de la capacitĂ©, et une bonne conduite, lâon peut ĂȘtre insupportable. Les maniĂšres, que lâon nĂ©glige comme de petites choses, sont souvent ce qui fait que les hommes dĂ©cident de vous en bien ou en mal une lĂ©gĂšre attention Ă les avoir douces et polies prĂ©vient leurs mauvais jugements. Il ne faut presque rien pour ĂȘtre cru fier, incivil, mĂ©prisant, dĂ©sobligeant il faut encore moins pour ĂȘtre estimĂ© tout le La politesse nâinspire pas toujours la bontĂ©, lâĂ©quitĂ©, la complaisance, la gratitude ; elle en donne du moins les apparences, et fait paraĂźtre lâhomme au dehors comme il devrait ĂȘtre intĂ©rieurement.I Lâon peut dĂ©finir lâesprit de politesse, lâon ne peut en fixer la pratique elle suit lâusage et les coutumes reçues ; elle est attachĂ©e aux temps, aux lieux, aux personnes, et nâest point la mĂȘme dans les deux sexes, ni dans les diffĂ©rentes conditions ; lâesprit tout seul ne la fait pas deviner il fait quâon la suit par imitation, et que lâon sây perfectionne. Il y a des tempĂ©raments qui ne sont susceptibles que de la politesse ; et il y en a dâautres qui ne servent quâaux grands talents, ou Ă une vertu solide. Il est vrai que les maniĂšres polies donnent cours au mĂ©rite, et le rendent agrĂ©able ; et quâil faut avoir de bien Ă©minentes qualitĂ©s pour se soutenir sans la politesse.I Il me semble que lâesprit de politesse est une certaine attention Ă faire que par nos paroles et par nos maniĂšres les autres soient contents de nous et dâ Câest une faute contre la politesse que de louer immodĂ©rĂ©ment, en prĂ©sence de ceux que vous faites chanter ou toucher un instrument, quelque autre personne qui a ces mĂȘmes talents ; comme devant ceux qui vous lisent leurs vers, un autre Dans les repas ou les fĂȘtes que lâon donne aux autres, dans les prĂ©sents quâon leur fait, et dans tous les plaisirs quâon leur procure, il y a faire bien, et faire selon leur goĂ»t le dernier est Il y aurait une espĂšce de fĂ©rocitĂ© Ă rejeter indiffĂ©remment toute sorte de louanges lâon doit ĂȘtre sensible Ă celles qui nous viennent des gens de bien, qui louent en nous sincĂšrement des choses Un homme dâesprit, et qui est nĂ© fier, ne perd rien de sa fiertĂ© et de sa raideur pour se trouver pauvre ; si quelque chose au contraire doit amollir son humeur, le rendre plus doux et plus sociable, câest un peu de Ne pouvoir supporter tous les mauvais caractĂšres dont le monde est plein nâest pas un fort bon caractĂšre il faut dans le commerce des piĂšces dâor et de la Vivre avec des gens qui sont brouillĂ©s, et dont il faut Ă©couter de part et dâautre les plaintes rĂ©ciproques, câest, pour ainsi dire, ne pas sortir de lâaudience, et entendre du matin au soir plaider et parler Lâon sait des gens qui avaient coulĂ© leurs jours dans une union Ă©troite leurs biens Ă©taient en commun, ils nâavaient quâune mĂȘme demeure, ils ne se perdaient pas de vue. Ils se sont aperçus Ă plus de quatre-vingts ans quâils devaient se quitter lâun lâautre et finir leur sociĂ©tĂ© ; ils nâavaient plus quâun jour Ă vivre, et ils nâont osĂ© entreprendre de le passer ensemble ; ils se sont dĂ©pĂȘchĂ©s de rompre avant que de mourir ; ils nâavaient de fonds pour la complaisance que jusque-lĂ . Ils ont trop vĂ©cu pour le bon exemple un moment plus tĂŽt ils mouraient sociables, et laissaient aprĂšs eux un rare modĂšle de la persĂ©vĂ©rance dans lâ LâintĂ©rieur des familles est souvent troublĂ© par les dĂ©fiances, par les jalousies et par lâantipathie, pendant que des dehors contents, paisibles et enjouĂ©s nous trompent, et nous y font supposer une paix qui nây est point il y en a peu qui gagnent Ă ĂȘtre approfondies. Cette visite que vous rendez vient de suspendre une querelle domestique, qui nâattend que votre retraite pour Dans la sociĂ©tĂ©, câest la raison qui plie la premiĂšre. Les plus sages sont souvent menĂ©s par le plus fou et le plus bizarre lâon Ă©tudie son faible, son humeur, ses caprices, lâon sây accommode ; lâon Ă©vite de le heurter, tout le monde lui cĂšde ; la moindre sĂ©rĂ©nitĂ© qui paraĂźt sur son visage lui attire des Ă©loges on lui tient compte de nâĂȘtre pas toujours insupportable. Il est craint, mĂ©nagĂ©, obĂ©i, quelquefois Il nây a que ceux qui ont eu de vieux collatĂ©raux, ou qui en ont encore, et dont il sâagit dâhĂ©riter, qui puissent dire ce quâil en ClĂ©ante est un trĂšs honnĂȘte homme ; il sâest choisi une femme qui est la meilleure personne du monde et la plus raisonnable chacun, de sa part, fait tout le plaisir et tout lâagrĂ©ment des sociĂ©tĂ©s oĂč il se trouve ; lâon ne peut voir ailleurs plus de probitĂ©, plus de politesse. Ils se quittent demain, et lâacte de leur sĂ©paration est tout dressĂ© chez le notaire. Il y a, sans mentir, de certains mĂ©rites qui ne sont point faits pour ĂȘtre ensemble, de certaines vertus Lâon peut compter sĂ»rement sur la dot, le douaire et les conventions, mais faiblement sur les nourritures ; elles dĂ©pendent dâune union fragile de la belle-mĂšre et de la bru, et qui pĂ©rit souvent dans lâannĂ©e du Un beau-pĂšre aime son gendre, aime sa bru. Une belle-mĂšre aime son gendre, nâaime point sa bru. Tout est Ce quâune marĂątre aime le moins de tout ce qui est au monde, ce sont les enfants de son mari plus elle est folle de son mari, plus elle est marĂątres font dĂ©serter les villes et les bourgades, et ne peuplent pas moins la terre de mendiants, de vagabonds, de domestiques et dâesclaves, que la G⊠et H⊠sont voisins de campagne, et leurs terres sont contiguĂ«s ; ils habitent une contrĂ©e dĂ©serte et solitaire. EloignĂ©s des villes et de tout commerce, il semblait que la fuite dâune entiĂšre solitude ou lâamour de la sociĂ©tĂ© eĂ»t dĂ» les assujettir Ă une liaison rĂ©ciproque ; il est cependant difficile dâexprimer la bagatelle qui les a fait rompre, qui les rend implacables lâun pour lâautre, et qui perpĂ©tuera leurs haines dans leurs descendants. Jamais des parents, et mĂȘme des frĂšres, ne se sont brouillĂ©s pour une moindre suppose quâil nây ait que deux hommes sur la terre, qui la possĂšdent seuls, et qui la partagent toute entre eux deux je suis persuadĂ© quâil leur naĂźtra bientĂŽt quelque sujet de rupture, quand ce ne serait que pour les Il est souvent plus court et plus utile de cadrer aux autres que de faire que les autres sâajustent Ă Jâapproche dâune petite ville, et je suis dĂ©jĂ sur une hauteur dâoĂč je la dĂ©couvre. Elle est situĂ©e Ă mi-cĂŽte ; une riviĂšre baigne ses murs, et coule ensuite dans une belle prairie ; elle a une forĂȘt Ă©paisse qui la couvre des vents froids et de lâaquilon. Je la vois dans un jour si favorable, que je compte ses tours et ses clochers ; elle me paraĂźt peinte sur le penchant de la colline. Je me rĂ©crie, et je dis "Quel plaisir de vivre sous un si beau ciel et dans ce sĂ©jour si dĂ©licieux ! " Je descends dans la ville, oĂč je nâai pas couchĂ© deux nuits, que je ressemble Ă ceux qui lâhabitent jâen veux Il y a une chose que lâon nâa point vue sous le ciel et que selon toutes les apparences on ne verra jamais câest une petite ville qui nâest divisĂ©e en aucuns partis ; oĂč les familles sont unies, et oĂč les cousins se voient avec confiance ; oĂč un mariage nâengendre point une guerre civile ; oĂč la querelle des rangs ne se rĂ©veille pas Ă tous moments par lâoffrande, lâencens et le pain bĂ©nit, par les processions et par les obsĂšques ; dâoĂč lâon a banni les caquets, le mensonge et la mĂ©disance ; oĂč lâon voit parler ensemble le bailli et le prĂ©sident, les Ă©lus et les assesseurs ; oĂč le doyen vit bien avec ses chanoines ; oĂč les chanoines ne dĂ©daignent pas les chapelains, et oĂč ceux-ci souffrent les Les provinciaux et les sots sont toujours prĂȘts Ă se fĂącher, et Ă croire quâon se moque dâeux ou quâon les mĂ©prise il ne faut jamais hasarder la plaisanterie, mĂȘme la plus douce et la plus permise, quâavec des gens polis, ou qui ont de lâ On ne prime point avec les grands, ils se dĂ©fendent par leur grandeur ; ni avec les petits, ils vous repoussent par le qui Tout ce qui est mĂ©rite se sent, se discerne, se devine rĂ©ciproquement si lâon voulait ĂȘtre estimĂ©, il faudrait vivre avec des personnes Celui qui est dâune Ă©minence au-dessus des autres qui le met Ă couvert de la repartie, ne doit jamais faire une raillerie Il y a de petits dĂ©fauts que lâon abandonne volontiers Ă la censure, et dont nous ne haĂŻssons pas Ă ĂȘtre raillĂ©s ce sont de pareils dĂ©fauts que nous devons choisir pour railler les Rire des gens dâesprit, câest le privilĂšge des sots ils sont dans le monde ce que les fous sont Ă la cour, je veux dire sans La moquerie est souvent indigence dâ Vous le croyez votre dupe sâil feint de lâĂȘtre, qui est plus dupe de lui ou de vous ?59IV Si vous observez avec soin qui sont les gens qui ne peuvent louer, qui blĂąment toujours, qui ne sont contents de personne, vous reconnaĂźtrez que ce sont ceux mĂȘmes dont personne nâest Le dĂ©dain et le rengorgement dans la sociĂ©tĂ© attire prĂ©cisĂ©ment le contraire de ce que lâon cherche, si câest Ă se faire Le plaisir de la sociĂ©tĂ© entre les amis se cultive par une ressemblance de goĂ»t sur ce qui regarde les mĆurs, et par quelques diffĂ©rences dâopinions sur les sciences par lĂ ou lâon sâaffermit dans ses sentiments, ou lâon sâexerce et lâon sâinstruit par la Lâon ne peut aller loin dans lâamitiĂ©, si lâon nâest pas disposĂ© Ă se pardonner les uns aux autres les petits Combien de belles et inutiles raisons Ă Ă©taler Ă celui qui est dans une grande adversitĂ©, pour essayer de le rendre tranquille ! Les choses de dehors, quâon appelle les Ă©vĂ©nements, sont quelquefois plus fortes que la raison et que la nature. "Mangez, dormez, ne vous laissez point mourir de chagrin, songez Ă vivre" harangues froides, et qui rĂ©duisent Ă lâimpossible. "EtĂȘs-vous raisonnable de vous tant inquiĂ©ter ? " nâest-ce pas dire "Etes-vous fou dâĂȘtre malheureux ? "64I Le conseil, si nĂ©cessaire pour les affaires, est quelquefois dans la sociĂ©tĂ© nuisible Ă qui le donne, et inutile Ă celui Ă qui il est donnĂ©. Sur les mĆurs, vous faites remarquer des dĂ©fauts ou que lâon nâavoue pas, ou que lâon estime des vertus ; sur les ouvrages, vous rayez les endroits qui paraissent admirables Ă leur auteur, oĂč il se complaĂźt davantage, oĂč il croit sâĂȘtre surpassĂ© lui-mĂȘme. Vous perdez ainsi la confiance de vos amis, sans les avoir rendus ni meilleurs ni plus Lâon a vu, il nây a pas longtemps, un cercle de personnes des deux sexes, liĂ©es ensemble par la conversation et par un commerce dâesprit. Ils laissaient au vulgaire lâart de parler dâune maniĂšre intelligible ; une chose dite entre eux peu clairement en entraĂźnait une autre encore plus obscure, sur laquelle on enchĂ©rissait par de vraies Ă©nigmes, toujours suivies de longs applaudissements par tout ce quâils appelaient dĂ©licatesse, sentiments, tour et finesse dâexpression, ils Ă©taient enfin parvenus Ă nâĂȘtre plus entendus et Ă ne sâentendre pas eux-mĂȘmes. Il ne fallait, pour fournir Ă ces entretiens, ni bon sens, ni jugement, ni mĂ©moire, ni la moindre capacitĂ© il fallait de lâesprit, non pas du meilleur, mais de celui qui est faux, et oĂč lâimagination a trop de Je le sais, ThĂ©obalde, vous ĂȘtes vieilli ; mais voudriez-vous que je crusse que vous ĂȘtes baissĂ©, que vous nâĂȘtes plus poĂšte ni bel esprit, que vous ĂȘtes prĂ©sentement aussi mauvais juge de tout genre dâouvrage que mĂ©chant auteur, que vous nâavez plus rien de naĂŻf et de dĂ©licat dans la conversation ? Votre air libre et prĂ©somptueux me rassure, et me persuade tout le contraire. Vous ĂȘtes donc aujourdâhui tout ce que vous fĂ»tes jamais, et peut-ĂȘtre meilleur ; car si Ă votre Ăąge vous ĂȘtes si vif et si impĂ©tueux, quel nom, ThĂ©obalde, fallait-il vous donner dans votre jeunesse, et lorsque vous Ă©tiez la coqueluche ou lâentĂȘtement de certaines femmes qui ne juraient que par vous et sur votre parole, qui disaient Cela est dĂ©licieux ; quâa-t-il dit ?67I Lâon parle impĂ©tueusement dans les entretiens, souvent par vanitĂ© ou par humeur, rarement avec assez dâattention tout occupĂ© du dĂ©sir de rĂ©pondre Ă ce quâon nâĂ©coute point, lâon suit ses idĂ©es, et on les explique sans le moindre Ă©gard pour les raisonnements dâautrui ; lâon est bien Ă©loignĂ© de trouver ensemble la vĂ©ritĂ©, lâon nâest pas encore convenu de celle que lâon cherche. Qui pourrait Ă©couter ces sortes de conversations et les Ă©crire, ferait voir quelquefois de bonnes choses qui nâont nulle Il a rĂ©gnĂ© pendant quelque temps une sorte de conversation fade et puĂ©rile, qui roulait toute sur des questions frivoles qui avaient relation au cĆur et Ă ce quâon appelle passion ou tendresse. La lecture de quelques romans les avait introduites parmi les plus honnĂȘtes gens de la ville et de la cour ; ils sâen sont dĂ©faits, et la bourgeoisie les a reçues avec les pointes et les Quelques femmes de la ville ont la dĂ©licatesse de ne pas savoir ou de nâoser dire le nom des rues, des places, et de quelques endroits publics, quâelles ne croient pas assez nobles pour ĂȘtre connus. Elles disent le Louvre, la place Royale, mais elles usent de tours et de phrases plutĂŽt que de prononcer de certains noms ; et sâils leur Ă©chappent, câest du moins avec quelque altĂ©ration du mot, et aprĂšs quelques façons qui les rassurent en cela moins naturelles que les femmes de la cour, qui ayant besoin dans le discours des Halles, du ChĂątelet, ou de choses semblables, disent les Halles, le Si lâon feint quelquefois de ne se pas souvenir de certains noms que lâon croit obscurs, et si lâon affecte de les corrompre en les prononçant, câest par la bonne opinion quâon a du Lâon dit par belle humeur, et dans la libertĂ© de la conversation, de ces choses froides, quâĂ la vĂ©ritĂ© lâon donne pour telles, et que lâon ne trouve bonnes que parce quâelles sont extrĂȘmement mauvaises. Cette maniĂšre basse de plaisanter a passĂ© du peuple, Ă qui elle appartient, jusque dans une grande partie de la jeunesse de la cour, quâelle a dĂ©jĂ infectĂ©e. Il est vrai quâil y entre trop de fadeur et de grossiĂšretĂ© pour devoir craindre quâelle sâĂ©tende plus loin, et quâelle fasse de plus grands progrĂšs dans un pays qui est le centre du bon goĂ»t et de la politesse. Lâon doit cependant en inspirer le dĂ©goĂ»t Ă ceux qui la pratiquent ; car bien que ce ne soit jamais sĂ©rieusement, elle ne laisse pas de tenir la place, dans leur esprit et dans le commerce ordinaire, de quelque chose de Entre dire de mauvais choses, ou en dire de bonnes que tout le monde sait et les donner pour nouvelles, je nâai pas Ă "Lucain a dit une jolie chose⊠Il y a un beau mot de Claudien⊠Il y a cet endroit de SĂ©nĂšque" et lĂ -dessus une longue suite de latin, que lâon cite souvent devant des gens qui ne lâentendent pas, et qui feignent de lâentendre. Le secret serait dâavoir un grand sens et bien de lâesprit ; car ou lâon se passerait des anciens, ou aprĂšs les avoir lus avec soin, lâon saurait encore choisir les meilleurs, et les citer Ă Hermagoras ne sait pas qui est roi de Hongrie ; il sâĂ©tonne de nâentendre faire aucune mention du roi de BohĂȘme ; ne lui parlez pas des guerres de Flandre et de Hollande, dispensez-le du moins de vous rĂ©pondre il confond les temps, il ignore quand elles ont commencĂ©, quand elles ont fini ; combats, siĂšges, tout lui est nouveau ; mais il est instruit de la guerre des gĂ©ants, il en raconte le progrĂšs et les moindres dĂ©tails, rien ne lui est Ă©chappĂ© ; il dĂ©brouille de mĂȘme lâhorrible chaos des deux empires, le Babylonien et lâAssyrien ; il connaĂźt Ă fond les Egyptiens et leurs dynasties. Il nâa jamais vu Versailles, il ne le verra point il a presque vu la tour de Babel, il en compte les degrĂ©s, il sait combien dâarchitectes ont prĂ©sidĂ© Ă cet ouvrage, il sait le nom des architectes. Dirai-je quâil croit Henri IV fils de Henri III ? Il nĂ©glige du moins de rien connaĂźtre aux maisons de France, dâAutriche et de BaviĂšre "Quelles minuties ! " dit-il, pendant quâil rĂ©cite de mĂ©moire toute une liste des rois des MĂšdes ou de Babylone, et que les noms dâApronal, dâHĂ©rigebal, de Noesnemordach, de Mardokempad, lui sont aussi familiers quâĂ nous ceux de Valois et de Bourbon. Il demande si lâEmpereur a jamais Ă©tĂ© mariĂ© ; mais personne ne lui apprendra que Ninus a eu deux femmes. On lui dit que le Roi jouit dâune santĂ© parfaite ; et il se souvient que Thetmosis, un roi dâĂgypte, Ă©tait valĂ©tudinaire, et quâil tenait cette complexion de son aĂŻeul Alipharmutosis. Que ne sait-il point ? Quelle chose lui est cachĂ©e de la vĂ©nĂ©rable antiquitĂ© ? Il vous dira que SĂ©miramis, ou, selon quelques-uns, SĂ©rimaris, parlait comme son fils Ninyas, quâon ne les distinguait pas Ă la parole si câĂ©tait parce que la mĂšre avait une voix mĂąle comme son fils, ou le fils une voix effĂ©minĂ©e comme sa mĂšre, quâil nâose pas le dĂ©cider. Il vous rĂ©vĂ©lera que Nembrot Ă©tait gaucher, et SĂ©sostris ambidextre ; que câest une erreur de sâimaginer quâun Artaxerxe ait Ă©tĂ© appelĂ© Longuemain parce que les bras lui tombaient jusquâaux genoux, et non Ă cause quâil avait une main plus longue que lâautre ; et il ajoute quâil y a des auteurs graves qui affirment que câĂ©tait la droite, quâil croit nĂ©anmoins ĂȘtre bien fondĂ© Ă soutenir que câest la Ascagne est statuaire, HĂ©gion fondeur, Aeschine foulon, et Cydias bel esprit, câest sa profession. Il a une enseigne, un atelier, des ouvrages de commande, et des compagnons qui travaillent sous lui il ne vous saurait rendre de plus dâun mois les stances quâil vous a promises, sâil ne manque de parole Ă DosithĂ©e, qui lâa engagĂ© Ă faire une Ă©lĂ©gie ; une idylle est sur le mĂ©tier, câest pour Crantor, qui le presse, et qui lui laisse espĂ©rer un riche salaire. Prose, vers, que voulez-vous ? Il rĂ©ussit Ă©galement en lâun et en lâautre. Demandez-lui des lettres de consolation, ou sur une absence, il les entreprendra ; prenez-les toutes faites et entrez dans son magasin, il y a Ă choisir. Il a un ami qui nâa point dâautre fonction sur la terre que de le promettre longtemps Ă un certain monde, et de le prĂ©senter enfin dans les maisons comme homme rare et dâune exquise conversation ; et lĂ , ainsi que le musicien chante et que le joueur de luth touche son luth devant les personnes Ă qui il a Ă©tĂ© promis, Cydias, aprĂšs avoir toussĂ©, relevĂ© sa manchette, Ă©tendu la main et ouvert les doigts, dĂ©bite gravement ses pensĂ©es quintessenciĂ©es et ses raisonnements sophistiquĂ©s. DiffĂ©rent de ceux qui convenant de principes, et connaissant la raison ou la vĂ©ritĂ© qui est une, sâarrachent la parole lâun Ă lâautre pour sâaccorder sur leurs sentiments, il nâouvre la bouche que pour contredire "Il me semble, dit-il gracieusement, que câest tout le contraire de ce que vous dites" ; ou "Je ne saurais ĂȘtre de votre opinion" ; ou bien "Ăâa Ă©tĂ© autrefois mon entĂȘtement, comme il est le vĂŽtre, mais⊠Il y a trois choses, ajoute-t-il, Ă considĂ©rerâŠ", et il en ajoute une quatriĂšme fade discoureur, qui nâa pas mis plus tĂŽt le pied dans une assemblĂ©e, quâil cherche quelques femmes auprĂšs de qui il puisse sâinsinuer, se parer de son bel esprit ou de sa philosophie, et mettre en Ćuvre ses rares conceptions ; car soit quâil parle ou quâil Ă©crive, il ne doit pas ĂȘtre soupçonnĂ© dâavoir en vue ni le vrai ni le faux, ni le raisonnable ni le ridicule il Ă©vite uniquement de donner dans le sens des autres, et dâĂȘtre de lâavis de quelquâun ; aussi attend-il dans un cercle que chacun se soit expliquĂ© sur le sujet qui sâest offert, ou souvent quâil a amenĂ© lui-mĂȘme, pour dire dogmatiquement des choses toutes nouvelles, mais Ă son grĂ© dĂ©cisives et sans rĂ©plique. Cydias sâĂ©gale Ă Lucien et Ă SĂ©nĂšque, se met au-dessus de Platon, de Virgile et de ThĂ©ocrite ; et son flatteur a soin de le confirmer tous les matins dans cette opinion. Uni de goĂ»t et dâintĂ©rĂȘt avec les contempteurs dâHomĂšre, il attend paisiblement que les hommes dĂ©trompĂ©s lui prĂ©fĂšrent les poĂštes modernes il se met en ce cas Ă la tĂȘte de ces derniers, et il sait Ă qui il adjuge la seconde place. Câest en un mot un composĂ© du pĂ©dant et du prĂ©cieux, fait pour ĂȘtre admirĂ© de la bourgeoisie et de la province, en qui nĂ©anmoins on nâaperçoit rien de grand que lâopinion quâil a de Câest la profonde ignorance qui inspire le ton dogmatique. Celui qui ne sait rien croit enseigner aux autres ce quâil vient dâapprendre lui-mĂȘme ; celui qui sait beaucoup pense Ă peine que ce quâil dit puisse ĂȘtre ignorĂ©, et parle plus Les plus grandes choses nâont besoin que dâĂȘtre dites simplement elles se gĂątent par lâemphase. Il faut dire noblement les plus petites elles ne se soutiennent que par lâexpression, le ton et la Il me semble que lâon dit les choses encore plus finement quâon ne peut les Il nây a guĂšre quâune naissance honnĂȘte, ou quâune bonne Ă©ducation, qui rendent les hommes capables de Toute confiance est dangereuse si elle nâest entiĂšre il y a peu de conjonctures oĂč il ne faille tout dire ou tout cacher. On a dĂ©jĂ trop dit de son secret Ă celui Ă qui lâon croit devoir en dĂ©rober une Des gens vous promettent le secret, et ils le rĂ©vĂšlent eux-mĂȘmes, et Ă leur insu ; ils ne remuent pas les lĂšvres, et on les entend ; on lit sur leur front et dans leurs yeux, on voit au travers de leur poitrine, ils sont transparents. Dâautres ne disent pas prĂ©cisĂ©ment une chose qui leur a Ă©tĂ© confiĂ©e ; mais ils parlent et agissent de maniĂšre quâon la dĂ©couvre de soi-mĂȘme. Enfin quelques-uns mĂ©prisent votre secret, de quelque consĂ©quence quâil puisse ĂȘtre Câest un mystĂšre, un tel mâen a fait part, et mâa dĂ©fendu de le dire ; et ils le disent.VIII Toute rĂ©vĂ©lation dâun secret est la faute de celui qui lâa Nicandre sâentretient avec Elise de la maniĂšre douce et complaisante dont il a vĂ©cu avec sa femme, depuis le jour quâil en fit le choix jusques Ă sa mort ; il a dĂ©jĂ dit quâil regrette quâelle ne lui ait pas laissĂ© des enfants, et il le rĂ©pĂšte ; il parle des maisons quâil a Ă la ville, et bientĂŽt dâune terre quâil a Ă la campagne il calcule le revenu quâelle lui rapporte, il fait le plan des bĂątiments, en dĂ©crit la situation, exagĂšre la commoditĂ© des appartements, ainsi que la richesse et la propretĂ© des meubles ; il assure quâil aime la bonne chĂšre, les Ă©quipages ; il se plaint que sa femme nâaimait point assez le jeu et la sociĂ©tĂ©. "Vous ĂȘtes si riche, lui disait lâun de ses amis, que nâachetez-vous cette charge ? pourquoi ne pas faire cette acquisition qui Ă©tendrait votre domaine ? On me croit, ajoute-t-il, plus de bien que je nâen possĂšde." Il nâoublie pas son extraction et ses alliances Monsieur le Surintendant, qui est mon cousin ; Madame la ChanceliĂšre, qui est ma parente ; voilĂ son style. Il raconte un fait qui prouve le mĂ©contentement quâil doit avoir de ses plus proches, et de ceux mĂȘme qui sont ses hĂ©ritiers "Ai-je tort ? dit-il Ă Elise ; ai-je grand sujet de leur vouloir du bien ? " et il lâen fait juge. Il insinue ensuite quâil a une santĂ© faible et languissante, et il parle de la cave oĂč il doit ĂȘtre enterrĂ©. Il est insinuant, flatteur, officieux Ă lâĂ©gard de tous ceux quâil trouve auprĂšs de la personne Ă qui il aspire. Mais Elise nâa pas le courage dâĂȘtre riche en lâĂ©pousant. On annonce, au moment quâil parle, un cavalier, qui de sa seule prĂ©sence dĂ©monte la batterie de lâhomme de ville il se lĂšve dĂ©concertĂ© et chagrin, et va dire ailleurs quâil veut se Le sage quelquefois Ă©vite le monde, de peur dâĂȘtre ennuyĂ©.
PubliĂ© le 11/08/2022 Ă 1455, Mis Ă jour le 11/08/2022 Ă 1741 Facebook s'est dĂ©fendu par le biais d'un communiquĂ©, indiquant n'avoir pas Ă©tĂ© mis au courant de l'avortement illĂ©gal lors de la transmission des conversations. Getty Images Une jeune fille de 17 ans est accusĂ©e d'avoir eu recours Ă un avortement illĂ©gal au Nebraska. Une affaire prouvĂ©e sur la base de conversations en ligne transmise aux autoritĂ©s par le rĂ©seau social. Dans la foulĂ©e des polĂ©miques relatives au droit Ă l'avortement aux Ătats-Unis, c'est Ă Facebook de s'attirer de vives critiques. Mardi 9 aoĂ»t, plusieurs mĂ©dias amĂ©ricains dont rapportĂ© qu'une adolescente de 17 ans, du nom de Celeste Burgess, Ă©tait poursuivie par les forces de l'ordre au Nebraska pour avoir pratiquĂ© une IVG mĂ©dicamenteuse clandestine, Ă vingt-huit semaines de grossesse. Dans cet Ă©tat du centre des Ătats-Unis, le dĂ©lai lĂ©gal est fixĂ© Ă 20 semaines contre 14 en France. Les faits datent d'avant l'annulation par la Cour suprĂȘme amĂ©ricaine de la dĂ©cision Roe vs Wade, le 24 juin, qui consacrait le droit Ă l'avortement aux vidĂ©o, manifestation devant la Cour suprĂȘme des Etats-Unis qui dynamite le droit Ă l'avortementĂ lire aussiDans quels pays du monde l'avortement est-il interdit ou menacĂ© ?Les accusations envers la jeune femme ont Ă©tĂ© portĂ©es grĂące au mastodonte des rĂ©seaux sociaux Meta, propriĂ©taire de Facebook et Instagram. Le Lincoln Journal Star , mĂ©dia local du Nebraska, a indiquĂ© que les autoritĂ©s avaient invoquĂ© un mandat de perquisition pour avoir accĂšs aux conversations Messenger de l'adolescente et ainsi permettre son arrestation. Les policiers ont Ă©galement mis en examen sa mĂšre, Jessica Burgess. La femme de 41 ans est accusĂ©e d'avoir aidĂ© sa fille en achetant les pilules abortives et en lui expliquant la marche Ă suivre. Dans les discussions en ligne, toutes deux auraient Ă©galement discutĂ© de l'endroit oĂč elles ont enterrĂ© le fĆtus aprĂšs l'avoir lire aussiAllongement de l'IVG qu'est-ce que cela change pour les femmes ?Vague d'indignationL'affaire a suscitĂ© une vague d'indignation chez les AmĂ©ricains, de nombreux utilisateurs dĂ©nonçant la responsabilitĂ© du rĂ©seau social dans l'arrestation de la jeune femme, alors mĂȘme que le pays entier est divisĂ© depuis la rĂ©vocation de ce droit fondamental pour les femmes. Facebook.... ce n'est pas bien. Je ne sais pas quels arguments juridiques et quelles nĂ©gociations ont eu lieu pour que cela se produise», Ă©crit une internaute sur Twitter. Et une autre d'ajouter Facebook rĂ©vĂšle son vrai visage aux USA, des femmes traquĂ©es pour avortement sont retrouvĂ©es par la police grĂące Ă leur conversation».Je me fiche de ce que dit la Bible» en vidĂ©o, le cri du cĆur d'une journalisteĂ lire aussiMarie-Claire Chevalier, celle dont le procĂšs pour avortement illĂ©gal changea les droits des femmesLe groupe Meta, fondĂ© par Mark Zuckerberg, s'est dĂ©fendu dans un communiquĂ©, niant avoir transmis ces informations dans le cadre d'une enquĂȘte pour un avortement illĂ©gal. Les mandats concernaient des accusations liĂ©es Ă une enquĂȘte criminelle et les documents judiciaires indiquent que la police enquĂȘtait Ă l'Ă©poque sur le cas d'un bĂ©bĂ© mort-nĂ© qui a Ă©tĂ© brĂ»lĂ© et enterrĂ©, et non sur la dĂ©cision d'avorter», a indiquĂ© l'entreprise. L'adolescente devrait quant Ă elle ĂȘtre jugĂ©e dans les prochains mois pour avortement illĂ©gal, avortement autogĂ©rĂ© et enlĂšvement, dissimulation ou abandon de cadavre humain». Aux Ătats-Unis, Facebook livre des informations permettant l'arrestation d'une mineure pour avortement illĂ©gal S'ABONNERFermer S'abonner
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